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Décisions

Cass. crim., 1 avril 1998, n° 97-84.372

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Milleville

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Amiel

Avocat :

SCP Waquet, Farge et Hazan

Aix-en-Provence, du 26 juin 1997

26 juin 1997

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle du 8 octobre 1997 joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;

 

I. Sur le pourvoi de Y... :

 

Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;

 

II. Sur le pourvoi de X... :

 

Vu le mémoire produit ;

 

Sur les faits et la procédure :

 

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure douanière déférée à l'examen de la chambre d'accusation qu'après avoir mis en place un dispositif de surveillance, des enquêteurs de la Direction nationale de recherche et d'enquête douanières ont procédé, le 22 mai 1996, avec l'assistance d'officiers de police judiciaire, à l'interpellation de quatre personnes, Y..., Z..., A... et X..., dont l'une était en possession d'héroïne ; qu'à l'issue de leur retenue, au cours de laquelle il leur a été notifié une infraction de détention sans justification d'origine de marchandise prohibée, les personnes interpellées ont été remises à la police judiciaire ;

 

Qu'il ressort des procès-verbaux établis par cette dernière que les fonctionnaires de police ayant prêté assistance aux agents des douanes étaient, en même temps, chargés de l'exécution d'une commission rogatoire sur un trafic impliquant B... désigné, dans la procédure douanière, comme le commanditaire des produits saisis ; que le procureur de la République et le juge d'instruction mandant ont prescrit, conjointement, à ces policiers de placer en garde à vue les personnes déférées en visant la procédure dont ils étaient déjà saisis ;

 

Attendu qu'à l'issue de l'information, initialement ouverte contre personne non dénommée, le 9 novembre 1995, pour trafic de stupéfiants et ayant donné lieu à des réquisitions supplétives des 24 et 25 mai 1996, visant les infractions d'importation et de détention constatées le 22 mai, B..., Y... et X.... ont saisi la chambre d'accusation d'une requête aux fins d'annulation de la procédure, en alléguant que le rapprochement des procédures policière et douanière démontrait qu'il y avait eu une livraison contrôlée mais qu'aucune mention n'indiquait que l'opération avait été réalisée avec l'autorisation préalable et expresse du procureur de la République ;

 

Que Y... et X.... ont également fait valoir, devant la chambre d'accusation, que les policiers chargés de l'exécution d'une commission rogatoire avaient excédé leurs pouvoirs en enquêtant sur des faits dont le juge d'instruction mandant n'était pas encore saisi et porté atteinte à leurs droits en ne leur notifiant qu'en début de soirée, ainsi que l'attestaient les mentions des procès-verbaux, une garde à vue commencée le matin même ;

 

Que X... a enfin soutenu qu'il avait été placé en garde à vue par la police et s'était vu notifier ses droits hors la présence d'un interprète, alors qu'il ne parlait ni n'entendait le français ;

 

En cet état :

 

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 67 bis du Code des douanes, 81, 80, 206, 593, 706-32 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme :

 

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu d'annuler l'interpellation du mis en examen ainsi que toute la procédure subséquente ;

 

" aux motifs que le SRPJ de Marseille a fourni son assistance à la direction régionale des Douanes qui a procédé à l'interpellation de quatre personnes dans le cadre d'une livraison de 2 kilogrammes de cocaïne contrôlée par deux agents habilités de l'administration des Douanes ; que l'attestation fournie par le procureur de la République de Nice confirme le modus operandi du service des Douanes et apporte la preuve de l'autorisation prévue par l'article 67 bis du Code des douanes ; qu'il ne peut être soutenu, même en l'absence de production de ladite autorisation, que les services des Douanes ont opéré au mépris des dispositions de l'article 67 bis précité ;

 

" alors, d'une part, que les agents des Douanes ne peuvent intervenir pour contrôler une livraison de stupéfiants qu'avec l'autorisation formelle du procureur de la République, sous peine de commettre un excès de pouvoir viciant la procédure ; que l'existence de cette autorisation, lorsqu'elle ne figure pas au dossier, doit au minimum être établie par les pièces du dossier ; qu'il ne peut être suppléé à son absence par une attestation produite, pour les besoins de la cause, par un membre du parquet autre que celui qui aurait délivré cette autorisation, dès lors qu'aucune autre pièce du dossier ne mentionne cette autorisation ou n'y fait référence ; qu'en se fondant sur cette seule attestation, l'arrêt attaqué a violé les articles 67 bis du Code des douanes et 81 du Code de procédure pénale ;

 

" alors, d'autre part, que le principe de la loyauté de la procédure et de l'égalité des armes interdit que, en l'absence d'autorisation au dossier, le parquet, partie poursuivante, confectionne lui-même la preuve a posteriori de cette autorisation à laquelle est subordonnée non seulement la régularité de la poursuite mais l'existence même de l'infraction poursuivie ; que, dès lors, en retenant la seule attestation du procureur de la République pour preuve de l'autorisation donnée aux agents des Douanes, l'arrêt attaqué a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

 

" alors, au surplus, que les officiers et agents de police judiciaire ne peuvent intervenir pour contrôler une livraison de stupéfiants qu'avec l'autorisation du procureur de la République ou du juge saisi, sous peine de commettre excès de pouvoir viciant la procédure ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué comme des pièces de la procédure que le service de police judiciaire, agissant dans le cadre de la commission rogatoire qui lui avait été délivrée le 10 novembre 1995 par le juge d'instruction de Nice, a assisté le service des Douanes ; que, dès lors, faute d'avoir sollicité et obtenu l'autorisation du juge saisi, les officiers et agents de police judiciaire ont excédé leurs pouvoirs, entachant la procédure d'une nullité radicale ;

 

" alors, en toute hypothèse, que l'autorisation du procureur de la République doit être sollicitée et obtenue préalablement aux actes par lesquels les enquêteurs concourent à la commission de l'infraction ; qu'en ne recherchant pas dès lors si l'autorisation qui, selon l'attestation du procureur de la République, aurait été donnée le 20 mai 1996 était bien antérieure aux actes accomplis par les agents des Douanes se présentant comme acquéreurs potentiels pour obtenir la livraison de l'héroïne le 22 mai, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 67 bis du Code des douanes et 706-32 du Code de procédure pénale ;

 

" alors, enfin, que l'article 67 bis du Code des douanes précise que : "l'autorisation ne peut être donnée que pour des actes ne déterminant pas ces infractions" ; qu'en l'espèce, la seule infraction retenue contre les mis en examen d'avoir participé à la livraison de stupéfiants, commise le 22 mai 1996, a été déterminée exclusivement par l'intervention des agents des Douanes qui, selon l'attestation du procureur de la République, s'étaient présentés comme acquéreurs potentiels ; qu'ainsi, à supposer même qu'une telle livraison ait été autorisée, elle est illégale au regard tant des articles 67 bis du Code des douanes et 706-32 du Code de procédure pénale que du principe de la loyauté des preuves " ;

 

Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que, selon lui, les agents des Douanes auraient procédé à une livraison contrôlée, au sens de l'article 67 bis du Code des douanes, sans autorisation judiciaire préalable, dès lors que cette autorisation, qui n'est prévue par la loi que pour exempter les fonctionnaires de leur responsabilité pénale à raison de leur participation à des infractions à la législation sur les stupéfiants, est sans incidence sur la régularité de la procédure ;

 

D'où il suit que le moyen, nouveau en sa cinquième branche en ce qu'il allègue la provocation, ne peut être accueilli ;

 

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 323-3° du Code des douanes, 63-1, 151, 154, 206 et 802 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme :

 

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les procès-verbaux de garde à vue de X..., ainsi que toute la procédure subséquente ;

 

" aux motifs, d'une part, que les officiers de police judiciaire ont faussement considéré que le début de la garde à vue de X... s'emplaçait le 22 mai à 10 heures 50 alors qu'il résulte du dossier que le service des Douanes a agi sous sa propre responsabilité, avec l'assistance du SRPJ et que la garde à vue "policière" a débuté le 22 mai à 20 heures 15, heure à laquelle il a été notifié à X... ses droits ;

 

" et aux motifs, d'autre part, qu'en dépit de l'absence de la mention de la présence de l'interprète lors de la notification de ses droits, il n'est pas contestable que celui-ci a été informé dans sa propre langue, qu'il a pu en effet demander à voir un médecin et un avocat, demandes qui ont été satisfaites et l'examen attentif du procès-verbal litigieux fait apparaître la signature de l'interprète ;

 

" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 323-3° du Code des douanes la durée de la rétention douanière s'impute sur la durée de la garde à vue ; que tout retard injustifié lors du placement en garde à vue dans la notification des droits fait nécessairement grief à la partie qu'elle concerne ; qu'ainsi, contrairement aux affirmations de l'arrêt attaqué, la garde à vue a débuté à 10 heures 50 lors de l'arrestation de X... ; que si le flagrant délit douanier permettait aux agents des Douanes de le placer en rétention, cette rétention ne pouvait dispenser les officiers de police judiciaire qui ont participé à son arrestation non seulement pour assister les Douanes mais dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire, de notifier ses droits à l'intéressé avant de le laisser à la disposition des agents des Douanes ; que dès lors, le retard dans la notification de ses droits est injustifié et emporte nullité de toute la procédure ;

 

" alors, d'autre part, que la notification des droits est en elle-même une formalité substantielle dont la méconnaissance fait nécessairement grief à la partie concernée ; qu'il en va nécessairement de même lorsque cette notification est faite à une personne qui n'entend pas le français sans l'assistance d'un interprète ; qu'en l'absence de mention au procès-verbal de notification, la présence de l'interprète ne peut donc se déduire ni des réponses faites à l'intéressé, ni de ce qu'ultérieurement il a bénéficié de la visite d'un médecin et d'un entretien avec un avocat nommé d'office, ni enfin des signatures illisibles du procès-verbal qui indique expressément que seuls l'intéressé et l'officier de police judiciaire ont signé ce procès-verbal ; que l'arrêt attaqué est ainsi fondé sur des motifs inopérants " ;

 

Attendu que, pour écarter l'argumentation de l'intéressé invoquant une notification tardive des droits mentionnés à l'article 63-1 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation énonce que, la garde à vue n'ayant pris effet qu'avec la remise effective de X... à la police, à la fin de la retenue douanière, à 20 heures 15, la notification des droits mentionnés par ce texte ne devait intervenir qu'à cet instant ;

 

Que les juges ajoutent qu'en dépit de l'absence, dans le procès-verbal, de mention relative à l'intervention d'un interprète, la présence de celui-ci est attestée par sa signature en marge dudit procès-verbal, et qu'il a été fait droit à la demande de X... d'être examiné par un médecin et de s'entretenir avec un avocat ;

 

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que l'imputation, prévue à l'article 323 du Code des douanes, de la durée de la retenue douanière sur celle de la garde à vue lui faisant suite, qui a pour seul objet de limiter la durée de la privation de liberté, est sans effet sur les régimes respectifs de chacune de ces mesures et qu'en l'espèce les prescriptions de l'article 63-1 du Code précité ont été respectées, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;

 

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

 

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 80, 151, 153, 173, 206 et 802 du Code de procédure pénale :

 

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité des procès-verbaux relatifs à l'interpellation et à la garde à vue de X... et de toute la procédure subséquente ;

 

" aux motifs que nonobstant les mentions retenues par les officiers de police judiciaire ceux-ci ont opéré à un double titre, l'exécution de la commission rogatoire d'une part, et l'assistance aux opérations des Douanes, contrôlée par le procureur de la République de Nice d'autre part ; que l'interpellation n'a pu ainsi être effectuée qu'à l'occasion de leur seconde mission et il ne saurait dès lors leur être reproché d'avoir procédé à des mesures coercitives à l'occasion de faits nouveaux au mépris de la saisine in rem du juge d'instruction ;

 

" alors que le placement en garde à vue et l'interrogatoire de X..., dont l'irrégularité était également dénoncée par le mémoire régulièrement déposé devant la chambre d'accusation, ont été effectués le 22 mai 1996 par les seuls officiers de police judiciaire, qui ne pouvaient donc agir dans le cadre d'une "mission d'assistance aux douaniers" ; qu'ils ont expressément déclaré agir dans le cadre de la commission rogatoire qui leur avait été délivrée le 10 novembre 1995 et qui, par définition, ne pouvait porter sur des faits commis le 22 mai 1996 dont le juge d'instruction n'était pas saisi ; qu'en accomplissant des actes coercitifs dans le cadre d'une commission rogatoire pour la poursuite de faits dont le juge mandant n'était pas saisi, les officiers de police judiciaire ont excédé leurs pouvoirs, entachant la procédure d'une nullité absolue, indépendante du grief qui peut en résulter pour les mis en examen, qu'ainsi l'arrêt attaqué, qui ne s'explique pas sur l'irrégularité de tous les actes visés par le mémoire, d'une part n'est pas suffisamment motivé, d'autre part procède d'une violation des textes visés au moyen " ;

 

Sur le même moyen relevé en faveur de Y..., pris de la violation des articles 80, 151, 153, 173, 206 et 802 du Code de procédure pénale :

 

Vu lesdits articles ;

 

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

 

Attendu que, pour écarter l'argumentation du demandeur, selon laquelle les policiers avaient outrepassé ce que permettait l'exécution de la commission rogatoire dont ils étaient chargés, la chambre d'accusation relève que, " nonobstant les indications des procès-verbaux établis par les enquêteurs, ceux-ci ont opéré à un double titre, l'exécution de la commission rogatoire, d'une part, et l'assistance aux opérations des Douanes, contrôlée par le procureur de la République, d'autre part " ;

 

Que les juges ajoutent que " l'interpellation des quatre personnes en cause n'a pu ainsi être effectuée qu'à l'occasion de leur seconde mission et qu'il ne saurait, dans ces conditions, être reproché aux policiers d'avoir, dans le cadre de la saisine du juge d'instruction, procédé à des mesures coercitives à l'occasion de faits nouveaux, au mépris de la saisine in rem du juge d'instruction " ;

 

Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, alors que les pouvoirs accordés au juge d'instruction par l'article 81 du Code de procédure pénale sont limités aux seuls faits dont il est régulièrement saisi en application des articles 80 et 86 de ce Code, la chambre d'accusation n'a pas donné de base légale à sa décision ;

 

Que, dès lors, la cassation est encourue ;

 

Et attendu qu'il est d'une bonne administration de la justice que la cassation soit étendue à ceux qui ne se sont pas pourvus ;

 

Par ces motifs :

 

CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 26 juin 1997 ;

 

DIT, en application de l'article 612-1 du Code de procédure pénale, que l'annulation prononcée aura effet tant à l'égard des demandeurs aux pourvois qu'à celui de A..., Z..., B..., C..., qui ne se sont pas pourvus ;

 

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes.