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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 22 mars 2017, n° 15/05315

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

épouse F., F.

Défendeur :

MYBRI (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Madame Agnès THAUNAT

Conseiller :

Madame Marie-Brigitte FREMONT

Avocats :

AARPI Dominique O. - Sylvie K. T., SCP L. DU M. - V.-L. - G., SELARL LVA

Paris, du 13 janv. 2015

13 janvier 2015

Par acte sous seing privé en date du 15 juillet 1994, Mme C. épouse F. a donné à bail à la société Mybri l'intégralité d'un immeuble sis à [...] 75009, à usage d'hôtel de tourisme pour une durée de neuf années à compter du 20 décembre 1993.

 

Aux termes d'un acte sous seing privé en date du 17 octobre 2006, le bail a été renouvelé à compter du 20 décembre 2002, le loyer étant fixé à la somme de 80.180 euros en principal.

 

Les bailleurs ont fait délivrer congé à la société locataire par acte extrajudiciaire en date du 21 juin 2012 pour le 31 décembre 2012 avec offre de renouvellement à effet du 1er janvier 2013, moyennant un loyer annuel de 150.000 euros par an en principal et hors charges.

 

Aucun accord n'étant intervenu entre les parties, les bailleurs ont saisi le juge des loyers commerciaux aux fins de faire fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 154.000 euros par an en principal.

 

Par jugement avant dire droit en date du 23 avril 2013, le juge des loyers commerciaux a notamment :

 

- constaté que par l'effet du congé avec offre de renouvellement délivrée le 21 juin 2010 par les consorts F. le bail concernant les locaux situés à [...], s'était renouvelé à compter du 1er janvier 2013,

 

- désigné M. C. en qualité d'expert aux fins de donner son avis sur la valeur du bail renouvelé,

 

L'expert a déposé son rapport le 4 avril 2014 concluant à la monovalence des locaux et à une valeur locative de 120.240 euros au 1er janvier 2013.

 

Par jugement en date du 13 janvier 2015, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a :

 

- fixé à 120.240 euros en principal par an à compter du 1er janvier 2013 le loyer du bail renouvelé depuis cette date entre les consorts F. et la société Mybri pour les locaux situés à [...] toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

 

- condamné la société Mybri à' payer aux consorts F. les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés, a' compter de la demande qui en a été faite,

 

- ordonné l'exécution provisoire,

 

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

 

- dit n'y avoir lieu a' application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- condamné chacune des parties par moitié aux dépens qui incluront le coût de l'expertise.

 

Par déclaration au greffe en date du 10 mars 2015, les consorts F. ont relevé appel du jugement susvisé.

 

Dans leurs dernières conclusions, signifiées le 15 janvier 2016, les consorts F. demandent à la Cour de :

 

Infirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a retenu à tort un taux de remise de 30% qui n'est en aucun cas justifié par le locataire qui n'a communiqué aucune pièce justifiant un tel taux,

 

Fixer en conséquence le taux de remise à 20% sur la base des pièces communiquées,

 

Infirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a retenu à tort un taux d'occupation de 80% alors que le taux d'occupation réel de l'hôtel ressort à 89% d'une manière constante sur les trois derniers exercices ayant précédé le renouvellement,

 

Fixer en conséquence le taux d'occupation à 89%,

 

Débouter la société Mybri de toutes ses fins, moyens, arguments et demandes,

 

Fixer en conséquence le montant du loyer du bail portant sur l'immeuble à usage d'hôtel sis à [...], renouvelé à effet du 1er janvier 2013 consenti par :

 

- Mme C., Francine C. veuve F.,

 

- M. L., Fabien F.,

 

Agissant tous deux en leurs qualités de seuls propriétaires dudit immeuble au profit de la société Mybri, SARL au capital de 7.622,45 €, dont le siège social est à [...], immatriculée au Registre du Commerce et des Société de Paris sous le numéro B 391 112 562 exerçant sous l'enseigne Hôtel Victor Massé, à la somme de 154.000 € HT par an en principal outre les charges ce, à effet du 1er janvier 2013,

 

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle condamné les parties à supporter les frais d'expertise par moitié et dire que ceux-ci seront supportés par la société locataire,

 

Confirmer pour le surplus la décision entreprise,

 

Condamner la société Mybri aux entiers dépens par application de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Dominique O. avocat.

 

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 28 septembre 2015, la société Mybri demande à la Cour de :

 

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un taux de remises de 30% et un taux d'occupation de 80% ;

 

Infirmer le jugement en ce qu'il a appliqué un pourcentage sur recette de 15% ;

 

Fixer en conséquence ce pourcentage sur recette à 14,50% ;

 

Infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas tenu compte des particularités de la convention locative liant les parties ;

 

Fixer en conséquence l'abattement pour charges exorbitantes à 6% ;

 

Fixer en conséquence le montant du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2013 à la somme annuelle en principal de Cent treize mille trois cent cinquante euros (113.350 €) ;

 

Condamner les Consorts F. à payer à la Société MYBRI la somme de quatre mille euros (4.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 

Condamner les Consorts F. aux entiers dépens d'appel dont le montant, pour ceux laconcernant, pourra être recouvré par Maître V., Avocat, dans les termes des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

SUR CE,

 

Les locaux constituent la totalité d'un immeuble en pierres de taille du début du XXème siècle élevé sur caves de cinq étages droits et d'un sixième lambrissé sis à [...] dans un secteur animé compris entre la [...], la [...], le [...] et la [...], dans un quartier touristique. Il sont exploités en hôtel deux étoiles d'une capacité d'accueil de 73 personnes pour 13 chambres simple, 6 chambres triple et 21 chambres double.

 

Les consorts F., bailleurs, faisant la constatation que la société Mybri n'a communiqué à l'expert que le bilan de l'exercice clos le 30 juin 2012 alors que, s'agissant d'une fixation de la valeur locative au 1er janvier 2013, la société Mybri aurait du, selon eux, communiquer son chiffre d'affaires sur la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2012, font observer que le secteur de l'hôtellerie parisienne a été en croissance constante au cours de ces dernières années, ce que confirment les comptes publiés par la société Mybri pour l'exercice clos le 30 juin 2013, clôturé avec un chiffre d'affaires de 860.000 euros en progression par rapport à 2012, le résultat avant impôt étant lui-même passé à 123.400 euros en 2013 contre 92.100 euros en 2012, avec un report à nouveau qui atteste des bénéfices antérieurs non distribués, faisant valoir que la locataire a du reste minimisé son chiffre d'affaires en 2012 par un jeu d'écritures en ne comptabilisant pas des factures émises mais non encore encaissées pour un montant de 99.295 euros, que les gérants se sont octroyés en même temps une augmentation de leur rémunération, la preuve n'étant pas faite d'une augmentation concomitante de la masse salariale.

 

Ils soutiennent ainsi que les chiffres d'affaires attestent d'une part que les prix des chambres sont plus élevés que ceux que retenus et que le taux d'occupation lui-même est supérieur à la proposition expertale.

 

La société Mybri rappelle que le loyer ne peut pas être fixé en tenant compte des éléments comptables et financiers postérieurs à la date de prise d'effet du bail renouvelé, soit au cas d'espèce à la date du 1er janvier 2013, que la somme au titre des factures émises pour un montant de 99.295 euros, est bien comptabilisée au bilan 2012.

 

Sur ce, la méthode hôtelière qui permet de déterminer la valeur locative et donc le montant du loyer est fondée sur la prise en compte de 'la recette théorique' de l'hôtel, c'est-à-dire ses capacités potentielles compte tenu de l'emplacement et de la qualité des locaux et non sur les recettes comptables de l'exploitant ; cette recette théorique se calcule à partir des prix des chambres affichés à la date d'effet du bail ;

 

Or il n'est ni allégué ni démontré au cas d'espèce que les prix affichés ne sont pas sincères et ne correspondent pas aux prix moyen des chambres d'hôtel de sa catégorie, de sorte que le montant de la recette théorique telle que calculée par l'expert qui fait d'ailleurs observer que les parties se sont accordées sur son montant, et qui s'établit à la somme de 1.485.053 euros hors TVA et taxes de séjour selon les prix des chambres affichés à la date du renouvellement sera retenu.

 

Sur le taux de remise :

 

Les bailleurs font valoir que la locataire n'apporte pas la preuve qu'elle pratique un taux de remise de 35%, qu'en effet, en admettant que la société Mybri réalise la moitié de son chiffre d'affaires avec des centrales de réservation qui retiennent une commission de 17%, l'hôtel dispose de son propre site de réservation en ligne sur lequel il n'est a priori procédé à aucune ristourne, ce qui représente 25% des réservations, le reste étant le fait des tours opérateurs pour lesquels il est pratiqué un taux de remise de 30%, que le taux de remise appliqué ne saurait être en conséquence égal à 30% mais doit être de 20% au plus. Ils font du reste grief à l'expert de ne pas avoir retenu le taux de remise réel à partir des éléments comptables alors que les éléments de référence cités par la locataire ne sont pas comparables s'agissant d'hôtels de catégorie supérieure.

 

La société Mybri pour sa part soutient que les documents comptables ainsi que les contrats fournis démontrent qu'elle applique un taux de remise de 30%,qui est le taux habituellement retenu pour des hôtels sa catégorie, soulignant la concurrence intense du secteur.

 

L'expert a proposé un taux de remise de 30% en se fondant sur le fait que les ristournes consenties aux tours opérators sont de l'ordre de 20 à 30% d'une part et que les hôtels de sa catégorie implantés dans des quartiers touristiques où la concurrence est vive doivent pratiquer des taux de remises attractifs pour attirer la clientèle, quelque soit le mode de réservation, d'autre part ; le premier juge en ce qu'il a retenu le taux de 30% proposé sera approuvé.

 

Sur le taux d'occupation :

 

Les bailleurs font remarquer que la moyenne du taux d'occupation sur les trois derniers exercices, soit de juin 2009 à juin 2012, a été de 89%, qu'en retenant un taux de remise élevé, l'expert aurait dû considérer que le taux d'occupation était lui-même élevé, et donc retenir 89%. Qu'il ne pouvait en aucun cas retenir à la fois le taux de remise le plus élevé (30%) et le taux d'occupation le plus bas (80%).

 

La société Mybri fait valoir qu'en matière hôtelière, il convient de retenir le taux d'occupation d'un exploitant normal dans sa catégorie d'établissement, et non le taux d'occupation réel.

 

Qu'eu égard aux différences notables entre les deux établissements, la comparaison avancée par les appelants avec un hôtel situé dans le 18ème arrondissement ne saurait emporter la conviction de la Cour.

 

Que la conjoncture générale n'était pas profitable au secteur au moment du renouvellement, que notamment, le taux d'occupation moyen à Paris a diminué entre 2012 et 2013, justifiant la retenue d'un taux de 80%.

 

Or l'expert a retenu le taux d'occupation maximum pour un hôtel de sa catégorie en corrélation avec le taux de remise de 30%, faisant observer que le montant obtenu de recettes correspond peu ou prou au chiffre d'affaires réalisé ; ce taux sera retenu en conséquence.

 

Sur le taux de recettes :

 

Le taux de recettes a été correctement appliqué et il n'est pas justifié de prendre en compte un taux moindre comme le sollicite la société Mybri eu égard à l'emplacement et à la qualité de l'immeuble.

 

Sur l'abattement :

 

Le fait que le bail mette à la charge du preneur l'exécution des travaux que la ville de Paris, l'Etat ou toute autre administration peut ordonner d'exécuter et notamment le ravalement des façades tous les dix ans, constitue une charge exorbitante pesant sur la locataire, les grosses réparations et l'entretien de la couverture restant à la charge du bailleur ;

 

Il est produit des devis de ravalement de 82.117,50 euros, pour un ravalement simple et de 103.805,50 euros pour un ravalement avec piochage, valeur 2012, sans que le preneur ne justifie cependant pas avoir exposé d'ores et déjà une telle dépense qui lui incombe tandis que les bailleurs produisent un devis de réparation de la toiture pour un montant valeur 2010 de 68.049,56 euros sans justifier davantage de facture correspondante ;

 

Il s'y ajoute que le preneur supporte la charge de l'impôt foncier et la prime d'assurance de l'immeuble d'un montant de 4.500 euros à la date du renouvellement ;

 

L'ensemble de ces clauses justifient de pratiquer un abattement de 4% sur la valeur locative brute.

 

La valeur locative s'établit en conséquence hors charges et hors taxes à la somme de 119.750 euros arrondie à 120.000 euros.

 

Sur les autres demandes :

 

Les bailleurs supporteront les dépens d'appel et paieront à la société Mybri la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS

 

Réformant le jugement déféré, uniquement en ses dispositions relatives à la fixation du montant du loyer,

 

Fixe à la somme annuelle de 120.000 euros hors charges et hors taxes le montant du loyer du bail renouvelé entre les consorts F. et la société Myrbi à compter du 1er janvier 2013, pour les locaux à usage d'hôtel situés [...],

 

Met les dépens à la charge des consorts F. qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et les condamne à payer à la société Myrbi la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.