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Décisions

Cass. crim., 19 septembre 1995, n° 94-85.353

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Schumacher

Avocat général :

M. Galand

Avocat :

SCP Vier et Barthélemy

Rennes, du 13 juill. 1994

13 juillet 1994

Vu le mémoire produit ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 441-1 du nouveau Code pénal, 150 et 151 de l'ancien Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de faux et usage de faux ;

" aux motifs que la facture de 411 442, 79 francs portant la date du 30 juin 1986 a été émise par la SCI Grand Coeur représentée par son gérant la société Sobrefim dont Mariadec X... était président-directeur général ; qu'elle réclamait ladite somme à la SARL Les Nuits Blanches dont Mariadec X... était la gérante ; que Mariadec X... a transmis cette facture à l'expert-comptable de la SARL Les Nuits Blanches, M. Z..., afin qu'elle soit passée en comptabilité ; que M. Z... a inclus cette facture dans les comptes arrêtés à la date du 30 juin 1986 ; que l'état provisoire de ces comptes a été établi le 26 novembre 1986 ;

" que si, en principe, une facture transmise par un créancier n'a pas en soi le caractère d'un titre de sorte qu'elle ne peut constituer un faux documentaire, son acceptation par le destinataire qui est en mesure d'en apprécier la valeur, suffit à lui conférer ce caractère ;

" qu'en transmettant la facture à l'expert-comptable, Mariadec X... a nécessairement admis que la créance dont se prévalait la SCI Grand Coeur contre la SARL Les Nuits Blanches était fondée ; que la passation de cette facture en comptabilité lui conférait valeur de titre ;

" que la SARL Les Nuits Blanches exploitait une discothèque dans un local commercial appartenant à la SCI Pas du Loup, laquelle l'avait acquis de la SCI Grand Coeur ;

" que pendant la construction de l'immeuble abritant ce local, il a été décidé l'exploitation d'une discothèque ; que ladite exploitation nécessitait la construction d'un escalier de secours ; que l'escalier de secours en béton armé d'un coût très élevé est disproportionné au coût global de construction d'un immeuble de plusieurs étages ; que la créance invoquée apparaît suspecte ; que cet élément de gros-oeuvre ne pouvait incomber, sauf stipulation particulière, qu'au propriétaire des murs commerciaux, la SCI Pas du Loup ; que le contrat de bail commercial mettait à la charge de la société Les Nuits Blanches exclusivement les travaux d'installation et de décoration intérieure de la discothèque ; que cette convention écrite n'a pas été par la suite modifiée ; que la créance de la SCI Grand Coeur contre la société Les Nuits Blanches n'apparaît pas fondée ;

" que la passation en comptabilité de la facture critiquée, outre qu'elle portait atteinte au crédit qui s'attache à la comptabilité régulièrement tenue et générait ainsi un préjudice à caractère social, était de nature à déclencher l'application de la clause de garantie de passif consentie par Mme A... qui avait vocation à s'appliquer au-delà d'un passif de 700 000 francs, somme à laquelle ce passif avait été évalué dans l'acte de cession de parts ; que si, sans doute, Mme A... conservait la possibilité de contester cette facture, il n'en demeure pas moins qu'acceptée par Mariadec X..., elle était susceptible de conduire à l'application de la clause de garantie de passif et qu'ainsi elle était pour Mme A... au moins la cause d'un préjudice éventuel ;

" que les délits de faux et d'usage de faux nécessitent que soit établie l'intention frauduleuse ;

" qu'il apparaît qu'en droit, Mariadec X...dirigeait les trois sociétés concernées et plus particulièrement la SCI du Grand Coeur et la SARL Les Nuits Blanches ; qu'il y avait ainsi identité de personne entre l'auteur et le destinataire de la facture, tout contrôle par ce dernier étant dès lors aboli ;

" que la facture critiquée a été établie le 30 juin 1986 alors que, par acte du 25 juin 1986, M. et Mme A... avaient cédé leurs parts dans la SARL et Mme A..., démissionnaire de ses fonctions de gérante avec effet au 30 juin 1986 ; que la transmission de la facture au moment où Mme A... cessait ses fonctions et alors même que les travaux de construction étaient achevés depuis la fin de l'année 1984 apparaît surprenante ;

" que le faux et l'usage de faux commis par Mario X... en plaçant dans le dossier de la banque l'état des investissements en mentionnant l'escalier de secours révèlent que les prétentions de la SCI Grand Coeur étaient à ce point dépourvues de cause qu'il était nécessaire de recourir à la fraude pour prouver qu'elles étaient justifiées ; que dès lors cette facture du 30 juin 1986 a été elle-même émise alors que les responsables de la SCI étaient conscients qu'il s'agissait là d'une créance infondée ;

" que la dirigeante de droit de la SCI du Grand Coeur était Mariadec X... ; qu'elle était dirigeante de droit de la société Les Nuits Blanches et de la SCI Pas du Loup ; que loin d'être une gérante fictive pour les trois sociétés concernées, elle en assurait bien la direction ;

" que Mariadec X... a maintes fois déclaré que la facture avait été à bon droit transmise à la SARL Les Nuits Blanches car il s'agissait bien d'une dette de la SARL Les Nuits Blanches envers la société Sobrefim ; qu'en sa qualité de dirigeante de droit de cette société informée de son fonctionnement, elle ne pouvait ignorer cette facture ; qu'elle n'a jamais soutenu qu'elle avait été transmise à son insu ;

" de même qu'en sa qualité de gérante de la SARL Les Nuits Blanches exerçant dans la réalité les attributions inhérentes à cette charge, elle n'a pas manqué d'assurer le contrôle de cette facture et de la transmettre à M. Z... l'expert-comptable ; qu'elle n'a d'ailleurs jamais soutenu que cet acte de gestion avait été accompli à son insu ;

" que cette facture a été établie au bénéfice de la société Sobrefim alors qu'elle savait, compte tenu des informations dont elle disposait, ainsi qu'il a été démontré, que cette facture était fausse ; qu'elle s'est ainsi rendue coupable de faux ;

" qu'en sa qualité de gérante de la SARL Les Nuits Blanches, Mariadec X...a transmis ladite facture à l'expert-comptable sachant qu'elle était fausse afin qu'elle fût prise en charge par cette société ; qu'elle s'est ainsi rendue coupable d'usage de faux ;

" que Mario X... n'a pas contesté qu'il dirigeait en fait ces sociétés ; que cette participation de fait à l'administration des trois sociétés n'est nullement incompatible avec la direction de droit assurée par Mariadec X... ; que les procès-verbaux d'audition et d'interrogatoire au dossier témoignent dans son cas aussi de la connaissance qui était la sienne de la gestion de ces sociétés et des pouvoirs qu'il exerçait sur elles ; que dirigeant concurremment avec Mariadec X... ces sociétés et notamment la société Sobrefim, la SCI Grand Coeur et la SARL Les Nuits Blanches, il a en connaissance de cause émis la facture de 411 442, 79 francs adressée à la SARL Les Nuits Blanches et ensuite fait prendre en charge cette facture par ladite société, enfin produit cette facture dans le cadre d'une instance judiciaire dirigée par lui-même et la SARL Les Nuits Blanches contre Mme A... tentant ainsi de surprendre la religion des juges ;

" alors que, d'une part, Mariadec X... faisait valoir dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel délaissées que si elle avait le titre de dirigeante de droit de la SCI Grand Coeur, de la société Les Nuits Blanches et de la SCI Pas du Loup et connaissait le fonctionnement de ces sociétés, rien n'établit qu'elle dirigeait ces sociétés, dirigées en fait par Mario X... ; que l'administration de fait exercée par Mario X... exclut tout pouvoir de Mariadec X... sur les sociétés ; que, par suite, aucune infraction ne peut lui être imputée ;

" alors, d'autre part, que le faux en écriture par fabrication de convention, obligation ou décharge est constitué par l'altération de la vérité dans un document faisant titre ; qu'une simple facture sujette à vérification ne présente pas le caractère de faux punissable ; que, dès lors, en l'espèce, s'agissant d'une facture portée dans les écritures comptables, les juges du fond ont violé les textes visés au moyen en décidant qu'elle était constitutive de faux tout en admettant qu'elle était susceptible de vérification, de telles écritures, même erronées, étant insusceptibles de constituer le délit de faux par l'article 441-1 du Code pénal, en l'absence de toute valeur probatoire ;

" alors, en outre, que dans un chef péremptoire de leurs conclusions d'appel laissé sans réponse, les demandeurs soulignaient que les clauses du bail prévoyaient expressément que le bien loué devait servir à l'exploitation d'un commerce de night-club-bar, à charge pour le preneur de faire son affaire personnelle des autorisations nécessaires et suffisantes pour l'exploitation de son activité ; que si le preneur devait prendre les lieux loués dans leur état actuel..., sans pouvoir exiger aucune réparation à son entrée en jouissance, selon la jurisprudence de la Cour Suprême, le preneur est présumé avoir pris en charge les risques de non-conformité qu'il connaissait ou aurait dû connaître ; qu'ainsi, les travaux litigieux exigés par la commission de sécurité pour permettre l'exploitation dans les lieux loués du fonds de commerce de night-club incombaient à la société Les Nuits Blanches ; que, dès lors, rien n'établit que la facture litigieuse était un faux ;

" alors, enfin, qu'il n'existe de faux punissable et d'usage de faux qu'autant que la pièce contrefaite est susceptible d'occasionner à autrui un préjudice actuel ou possible ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que Mme A... conservait la possibilité de contester la facture litigieuse ; qu'elle était susceptible de conduire à l'application de la clause de garantie du passif et qu'elle était pour Mme A... la cause d'un préjudice éventuel ; qu'en se fondant sur des motifs purement hypothétiques et en se bornant à constater l'existence d'un préjudice éventuel, la cour d'appel a violé l'article 441-1 du Code pénal " ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Mario X... et son épouse, Mariadec Y..., étaient dirigeants, le premier, de fait, la seconde, de droit, de la société civile immobilière du Grand Coeur et qu'ils étaient également associés de la société à responsabilité limitée Les Nuits Blanches, dont Dominique A... était la gérante ;

Qu'à la suite d'une mésentente entre les associés de cette dernière société, Dominique A..., après avoir démissionné de ses fonctions, a cédé ses parts et s'est engagée, suivant certaines modalités, à garantir le passif social ; que, des travaux de gros oeuvre ayant été exécutés dans les locaux commerciaux loués à cette société, les dirigeants de la société civile immobilière du Grand Coeur, qui avait fait l'avance de leur coût, ont adressé à la société Les Nuits Blanches dont Mariadec Y... était devenue gérante, la facture d'un montant de 411 442, 79 francs, puis en ont réclamé en justice le paiement à Dominique A... en application de la clause de garantie du passif ;

Attendu que, pour condamner Mariadec Y... et Mario X... pour faux et usage de faux en écriture de commerce, les juges du fond énoncent que les prévenus avaient conscience que la facture qu'ils avaient émise ne devait pas être à la charge de la société Les Nuits Blanches ; qu'ils l'ont, en connaissance de cause, transmise à cette société, afin qu'elle fût prise en charge et qu'ils l'ont produite devant la juridiction civile au soutien de leur action contre Dominique A... pour obtenir condamnation de celle-ci au paiement du passif social, en tentant de surprendre la religion des juges ; qu'ils ajoutent que la facture litigieuse, acceptée par la destinataire et passée en comptabilité, présentait le caractère d'un titre entrant dans les prévisions des articles 150 et 151 du Code pénal alors en vigueur, et que sa production en vue d'obtenir l'application de la clause de garantie du passif était de nature à causer à la partie civile un préjudice au moins éventuel ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Sur le premier moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.