CE, 3e et 8e ch. réunies, 10 février 2023, n° 450877
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Goulard
Rapporteur :
M. Caron
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 450877, par une requête, enregistrée le 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Illumina demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler la décision du 9 mars 2021 par laquelle l’Autorité de la concurrence a adressé à la Commission européenne, sur le fondement de l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, une demande d’examen de son opération d’acquisition de la société Grail ; 2°) de mettre à la charge de l’Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 7611 du code de justice administrative. 2° Sous le n° 450880, par une requête, enregistrée le 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Grail demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler la décision du 9 mars 2021 par laquelle l’Autorité de la concurrence a adressé à la Commission européenne, sur le fondement de l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, une demande d’examen de son acquisition par la société Illumina ; 2°) de mettre à la charge de l’Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 7611 du code de justice administrative. Vu les autres pièces des dossiers ; Vu le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 ; le code des relations entre le public et l’administration ; le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes, les conclusions de Mme MarieGabrielle Merloz, rapporteure publique ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Illumina et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Grail ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l’instruction que la société Illumina, spécialisée dans le séquençage génomique, a annoncé le 21 septembre 2020 son projet de prise de contrôle exclusif de la société Grail, société spécialisée dans la mise au point de tests innovants de dépistage précoce du cancer, au sein de laquelle elle disposait déjà d’une participation minoritaire. Par une note du 19 février 2021, la Commission européenne a invité les Etats membres, sur le fondement du paragraphe 5 de l’article 22 du règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, à lui présenter une demande d’examen de l’opération d’acquisition de la société Grail par la société Illumina, au motif que cette opération répondait aux conditions énumérées au paragraphe 1 de cet article. Par un courrier du 9 mars 2021, l’Autorité de la concurrence a demandé à la Commission européenne, sur le fondement de ce même article, d’examiner cette opération. Par une lettre du 11 mars 2021, la Commission européenne a informé les deux sociétés requérantes de cette demande de l’Autorité de la concurrence. Par une décision du 19 avril 2021, la Commission européenne a ouvert une procédure d’examen de cette opération de concentration, sur le fondement de l’article 22 du règlement du 20 janvier 2004, à la demande de l’Autorité de la concurrence et d’autres autorités compétentes dans différents Etats membres de l’Union européenne. Les deux sociétés requérantes demandent l’annulation pour excès de pouvoir de la demande d’examen de l’opération de concentration entre la société Illumina et la société Grail du 9 mars 2021 adressée par l’Autorité de la concurrence à la Commission européenne.
2. Aux termes de l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 10 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises : « 1. Un ou plusieurs Etats membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension communautaire au sens de l’article 1er, mais qui affecte le commerce entre Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande. () 2. La Commission informe sans délai les autorités compétentes des Etats membres et les entreprises concernées de toute demande reçue conformément au paragraphe 1. / Tout autre Etat membre a le droit de se joindre à la demande initiale dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle la Commission l’a informé de la demande initiale. () 3. La Commission peut, dans un délai de dix jours ouvrables suivant l’expiration du délai fixé au paragraphe 2, décider d’examiner la concentration si elle estime que celleci affecte le commerce entre Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande. Si la Commission ne prend pas de décision dans ce délai, elle est réputée avoir adopté une décision d’examen de la concentration conformément à la demande. () Le ou les Etats membres ayant formulé la demande n’appliquent plus leur droit national de la concurrence à la concentration concernée. / 4. () L’article 7 est applicable pour autant que la concentration n’ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande a été déposée. () 5. La Commission peut informer un ou plusieurs Etats membres qu’elle considère qu’une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1. Dans ce cas, elle peut inviter ce ou ces Etats membres à présenter une demande sur la base du paragraphe 1 ».
3. Il résulte de ces dispositions que la demande, adressée par l’Autorité de la concurrence à la Commission européenne, tendant à l’examen d’une opération de concentration n’est pas détachable de la procédure d’examen de cette opération, menée par la Commission sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Dès lors, quels que soient les effets d’une telle demande pour les entreprises concernées, le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’une contestation dirigée contre cette demande d’examen. Par suite, le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour connaître des conclusions tendant à l’annulation d’une telle demande et les requêtes de la société Illumina et de la société Grail doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 7611 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes des sociétés Illumina et Grail sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Illumina, à la société Grail et à l’Autorité de la concurrence. Copie en sera adressée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.