Cass. com., 8 mars 2023, n° 21-18.722
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocat général :
Mme Guinamant
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 18 mars 2021), sur le fondement d'un acte notarié de prêt du 23 avril 2009, la société Banque populaire occitane SCBP (la banque) a, par un acte du 4 avril 2018 publié le 18 mai suivant, délivré un commandement de payer valant saisie immobilière à M. [W] sur l'immeuble lui appartenant.
2. Par un jugement d'orientation du 27 septembre 2018, un juge de l'exécution a fixé la créance de la banque à la somme de 166 509,21 euros, orienté la procédure de saisie immobilière en vente forcée et ordonné le renvoi de l'affaire à une audience d'adjudication ultérieure.
3. Le 27 novembre 2018, M. [W] a été mis en redressement judiciaire, la société [N] et associés (la société [N]) étant nommée en qualité de mandataire judiciaire.
4. Saisi par la banque, le juge de l'exécution a, par un jugement du 24 janvier 2019, constaté la suspension de la procédure de saisie immobilière en conséquence de ce redressement judiciaire.
5. Le 18 décembre 2019, la société [N], ès qualités, a formé tierce opposition à ce jugement, en demandant au juge de l'exécution de constater l'arrêt des poursuites du fait de l'ouverture du redressement judiciaire de M. [W] et, en conséquence, l'anéantissement rétroactif des actes de cette procédure d'exécution. La banque s'est opposée à ces demandes.
6. Le 21 janvier 2020, M. [W] a bénéficié d'un plan de redressement, la société [N] étant nommée commissaire à l'exécution du plan.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait grief à l'arrêt d'ordonner la rétractation du jugement du 24 janvier 2019, de constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière et l'anéantissement rétroactif des actes d'exécution forcée, dont le commandement aux fins de saisie immobilière, et de l'ensemble de la procédure de saisie immobilière, alors que « l'arrêt d'une saisie immobilière en cours à la date d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'emporte pas anéantissement rétroactif des actes de la procédure d'exécution forcée accomplis avant cette date ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, II et L. 631-14 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 622-21, II, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14, et les articles L. 642-18, alinéa 2, et L. 643-2, alinéas 1 et 3, du même code :
9. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire entraîne la suspension de la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement d'ouverture. Cette suspension emporte le maintien des actes de procédure et juridictionnels afférents à cette procédure intervenus avant le jugement d'ouverture.
10. Pour rétracter le jugement du 24 janvier 2019 ayant constaté la suspension de la saisie immobilière en cours par l'effet du jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W], puis constater l'arrêt de cette procédure d'exécution et l'anéantissement rétroactif des actes d'exécution forcée, dont le commandement aux fins de saisie immobilière, et de l'ensemble de la procédure de saisie immobilière, l'arrêt énonce qu'il résulte de l'article L. 622-21, II, susvisé qu'en matière de redressement judiciaire, toute procédure de saisie qui n'a pas produit son effet attributif au jour du jugement d'ouverture se trouve arrêtée, et non seulement suspendue comme en matière de liquidation judiciaire, et que les dispositions de l'article L. 642-18, alinéa 2, susvisé ne s'appliquent pas au redressement judiciaire, dès lors qu'elles sont insérées dans une partie du code de commerce relatif à la liquidation judiciaire et au rétablissement personnel, et qu'elles ne font référence qu'au liquidateur. Après avoir constaté que la procédure de saisie immobilière engagée par la banque n'avait pas produit son effet attributif à la date du jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W], l'arrêt en déduit, d'un côté, que ce jugement n'a pu qu'arrêter les poursuites en cours, ce qui justifie la rétractation du jugement du 24 janvier 2019 ayant constaté la suspension des poursuites, de l'autre, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la question de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement d'orientation en ce qu'il a fixé la créance de la banque et qu'il appartiendra aux organes de la procédure collective de trancher toute difficulté relative à la fixation des créances, cette demande n'ayant plus d'intérêt dès lors que, par l'effet de l'arrêt des poursuites, l'ensemble de la procédure de saisie immobilière se trouve rétroactivement anéanti, en ce compris le jugement d'orientation.
11. En statuant ainsi, alors que la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W] était seulement suspendue, de sorte que les actes de cette procédure intervenus avant le jugement d'ouverture conservaient leur fondement juridique et n'étaient pas rétroactivement anéantis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. La procédure de saisie immobilière en cours ayant seulement été suspendue par le jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W], doit être rejetée la tierce opposition formée par la société [N], ès qualités, qui tend à obtenir la rétractation du jugement du 24 janvier 2019 en ce qu'il a constaté la suspension de cette saisie immobilière, ainsi que les demandes de M. [W] et de la société [N], ès qualités, tendant à ce qu'il soit constaté que « l'arrêt » de cette procédure d'exécution emporte l'anéantissement rétroactif subséquent de la mesure d'exécution forcée et que le jugement d'orientation du 27 septembre 2018 n'a pas fixé la créance de la banque.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement entrepris, il déclare recevable la tierce opposition formée par la société [N] et associés, en qualité de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de M. [W], contre le jugement du juge de l'exécution du 24 janvier 2019, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement du 9 juillet 2020 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulouse ;
Y ajoutant, rejette les demandes de M. [W].