CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 14 juin 2022, n° 21/00676
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Courtaboeuf Ventures (SAS)
Défendeur :
Achadis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Texier, Mme Dubois-Stevant
Avocats :
Me Leboucq Bernard, Me Cohana, Me Fertier, Me Jourdan
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Elbee, créée en 2005, a pour activité le commerce électronique B to C. Elle éditait notamment le site marchand Delamaison.fr. En 2012, elle est passée sous le contrôle de la société Achadis, société de prise de participations du groupe Adeo.
A compter d'août 2017, la société Achadis a confié à une équipe de transition la direction de la société Elbee pour élaborer un plan de redressement et préparer une cession, puis à une banque d'affaires une mission de recherche d'un acquéreur des titres de la société Elbee.
La société Alandia, fonds d'investissements spécialisé dans le retournement d'entreprises en difficulté sélectionné par la société Achadis, s'est associée avec la société Guyenne capital pour constituer, le 19 décembre 2017, la société Delamaison international, laquelle a signé, le 11 janvier 2018, le contrat d'acquisition des titres de la société Elbee, au prix d'un euro symbolique, assorti d'une garantie d'actif et de passif et d'un engagement de maintenir la trésorerie nette à hauteur de 14 millions d'euros.
Après un courriel du 28 novembre 2018, par deux courriers séparés du 16 mai 2019, la société Delamaison international a, d'une part, informé la société Achadis des difficultés rencontrées après la cession qui n'avaient pu être anticipées et gérées en l'absence d'informations et l'a mise en demeure de répondre à son courrier sous huitaine, à défaut de quoi elle solliciterait en justice la nullité de la cession, et, d'autre part, demandé réparation sur le fondement de la garantie d'actif et de passif et de l'inexécution de l'engagement contractuel de céder la société Elbee avec une garantie de trésorerie nette de 14 millions d'euros.
Par lettre du 11 juin 2019, la société Achadis a contesté les griefs et opposé une fin de non-recevoir sur la garantie d'actif et de passif et l'engagement sur le niveau de trésorerie nette.
C'est dans ce contexte que la société Delamaison international a assigné la société Achadis devant le tribunal de commerce de Paris en nullité de la cession pour dol et paiement de dommages et intérêts.
Entre-temps, la société cédée, nouvellement dénommée Delamaison SAS, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 4 juin 2019 convertie en liquidation judiciaire le 17 septembre 2019.
Par jugement du 18 décembre 2020, le tribunal a débouté la société Delamaison internationale, désormais Courtaboeuf ventures, de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Achadis la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le tribunal a rejeté les demandes au titre du dol et du défaut d'information précontractuelle, à défaut d'informations dissimulées à l'acquéreur, et celles au titre de la garantie de passif et de l'engagement sur la trésorerie nette, faute d'avoir été formées dans les délais contractuels.
Par déclaration du 5 janvier 2021, la société Courtaboeuf ventures a fait appel de ce jugement.
Par dernières conclusions n° 2 déposées au greffe et notifiées par RPVA le 24 février 2022, la société
Courtaboeuf ventures demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau, :
- de prononcer la nullité de la cession du 11 janvier 2018 et de condamner la société Achadis à lui payer la somme de 11.450.000 euros en réparation du préjudice subi, subsidiairement la somme de 5.725.000 euros au titre de la perte de chance d'avoir pu réaliser une opération plus profitable,
- en tout état de cause de condamner la société Achadis à lui payer la somme de 900.000 euros correspondant au plafond de la garantie d'actif et de passif, déduction faite de la franchise, et celle de 2.199.801 euros au titre de l'engagement de garantie d'une trésorerie nette de 14.000.000 euros,
- de condamner la société Achadis à lui payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 50.000 euros au titre des frais engagés en première instance et celle de 50.000 euros au titre des frais engagés en appel, ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 1er juillet 2021, la société Achadis demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'aucune faute dolosive ne lui est imputable et qu'elle n'a pas violé ses obligations contractuelles résultant de l'acte d'acquisition des titres de la société Elbee du 11 janvier 2018, en conséquence, de débouter la société Courtaboeuf ventures de l'ensemble de ses demandes,
- subsidiairement, si la cour devait infirmer le jugement en jugeant qu'elle a commis une faute, de débouter la société Courtaboeuf ventures de sa demande d'annulation de la vente des titres et de la débouter de toutes ses demandes indemnitaires,
- en tout état de cause, de débouter la société Courtaboeuf ventures de l'ensemble de ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Courtaboeuf ventures à lui payer la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, de la condamner à lui payer la somme de 60.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en appel ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement.
SUR CE,
La société Courtaboeuf ventures soutient que le société Achadis s'est rendue coupable de réticence dolosive et qu'elle a a minima manqué à son obligation précontractuelle d'information. Elle invoque la dissimulation, délibérée, de graves dysfonctionnements du système de paiement et du système d'information, de la baisse des dépenses de marketing les six mois précédant la cession, du défaut de fonctionnement de l'outil de gestion clients CRM et d'une base clients moindre qu'annoncée, enfin d'éléments financiers tels que le défaut de déclaration des écotaxes depuis 2015, des factures non communiquées, un litige non provisionné, des stocks indiqués comme libres alors qu'ils ne l'étaient pas compte tenu d'une clause de réserve de propriété et du non-paiement des factures.
Elle prétend que ces informations étaient déterminantes de son consentement et de sa volonté d'assurer la pérennité et le retournement de l'entreprise compte tenu de la situation structurellement déficitaire de la société Elbee, que chacune d'elles a eu un impact sur le chiffre d'affaires et qu'il en a résulté une perte de marge opérationnelle d'un montant total de 6.045.216 euros, que le préjudice né du dol est certain et égal à la valeur qu'aurait dû avoir la société, soit 11,45 millions d'euros correspondant à 10 fois l'Ebitda 2020 résultant du plan d'affaires 2018-2020 établi par la société Achadis et retenu pour établir l'offre, alors que la société cédée a été liquidée.
Subsidiairement, si le caractère intentionnel de la réticence ne devait pas être retenu, la société Courtaboeuf ventures soutient que son préjudice, résultant alors de manquements à l'obligation précontractuelle d'information, est constitué d'une perte de chance de réaliser une opération profitable, perte qu'elle estime entre la valeur de l'entreprise à fin 2020 estimée (3.779.000 euros) et 50 % du préjudice total, soit 5.725.000 euros.
La société Achadis rappelle que les repreneurs de la société Elbee étaient des professionnels expérimentés, spécialistes du retournement d'entreprises et qu'ils ont été choisis à l'issue d'un processus de sélection au cours duquel des informations complètes et un rapport de 'vendor due diligence' de KPMG ont été mis à la disposition des candidats. Elle estime que l'obligation d'information du vendeur ne dispense pas l'acquéreur de toute diligence et que l'acquéreur est tenu de se renseigner par lui-même ou au moins d'analyser lui-même les documents qui lui sont remis et ce, d'autant plus lorsque l'acquéreur est un professionnel comme en l'espèce. Elle soutient qu'elle n'a pas manqué à son devoir d'information ni n'a commis de réticence dolosive, que l'appelante ne rapporte pas la preuve du caractère délibéré des prétendues dissimulations, que l'obligation précontractuelle d'information dépend de la qualité des deux parties et s'apprécie in concreto et qu'en l'espèce, les repreneurs étaient des professionnels du retournement d'entreprises qui connaissaient les informations importantes à prendre en compte.
1.1. Sur les dysfonctionnements du système de paiement
La société Courtaboeuf ventures prétend que le système de paiement du site internet violait les règles de conformité en matière de paiement sécurisé, que, dans le cadre de l'activité 'marketplace', le prestataire de paiement, Ogone, procédait aux encaissements sans cantonner les sommes perçues pour le compte de vendeurs, en contravention avec le code monétaire et financier, qu'Achadis n'ignorait pas cette situation mais ne l'en a pas informée, que la 'vendor due diligence' indiquait au contraire que le système était totalement sécurisé et moderne, qu'aucune solution permettant de remédier à ces défaillances n'était, avant la cession, en cours de déploiement, comme l'a retenu le tribunal, aucun contrat n'étant alors signé.
La société Achadis réplique que l'existence d'un groupe de travail interne visant à améliorer la sécurité des paiements, l'existence d'un paiement en trois fois sans frais et le recours à un nouveau prestataire de services de paiement étaient connus des repreneurs, compte tenu des documents mis à la disposition des candidats, qu'en décembre 2017 une solution était en cours de déploiement permettant la mise en conformité du système de paiement et qu'une solution de sécurisation en conformité avec les réglementations en vigueur avait ainsi été proposée au cessionnaire, qu'un contrat mettant la société Elbee en conformité avec la réglementation bancaire a été conclu avec un autre prestataire cinq jours après la cession la société Elbee, ce qui démontre que l'acquéreur n'a pas découvert les défauts affectant le système de paiement après la cession.
Un groupe de travail interne à la société Elbee consacré à la 'sécurité des paiements' a élaboré un rapport, mis à jour le 17 octobre 2017, qui traite notamment de l'amélioration du taux de fraude 'carte bancaire', de la mise en conformité avec des standards de sécurité des données du paiement par carte bancaire, dite 'PCI DSS', de la mise en conformité avec la réglementation bancaire relativement à l'activité 'marketplace' et du paiement en trois fois, alors géré en interne et non par un prestataire financier extérieur. Ce rapport constate que le système de paiement par carte bancaire ne respecte ni les standards de sécurité ni le principe de cantonnement des paiements faits pour les vendeurs de la 'marquet place' et que le paiement en trois fois mis en place en interne ne respecte pas non plus les standards de sécurité et a entraîné un taux d'impayés importants au démarrage. Il propose de retenir l'offre d'un prestataire de services, la société Be2Bill, permettant de remédier selon lui à l'ensemble de ces défaillances.
La société Elbee a négocié avec la société Be2Bill un contrat de service de paiement en vue de mettre en place un service de paiement sécurisé et conforme à la réglementation bancaire. Ce contrat n'a toutefois pas été signé au jour de la cession compte tenu du changement d'actionnariat en cours. Si les pièces produites montrent que les prestations proposées portaient sur les paiements par carte bleue et la gestion des flux de la 'marketplace', la cour n'y identifie pas de prestations propres au paiement en trois fois.
Les défauts affectant le système de paiement du site marchand, qui étaient susceptibles de conduire à des sanctions financières ou à l'arrêt du service de paiement, comme le mentionne le rapport du groupe de travail, étaient ainsi parfaitement connus de la direction de transition amenée à proposer un plan d'affaires en vue de la cession de la société.
Contrairement à ce qu'affirme la société Achadis, il ne résulte pas des pièces produites au débat que ces défauts ont été portés à la connaissance des candidats à la reprise et des repreneurs sélectionnés.
En effet il est constant que le rapport interne du groupe de travail n'était pas disponible dans la 'data room'. Ensuite, les explications données dans le plan d'affaires 2018-2020 présenté aux candidats dont elle se prévaut tendent à exposer les éléments déterminant l'évolution des frais généraux, parmi lesquels figure le passage à un nouveau système de paiement dont il est attendu une réduction du taux d'impayés clients : si ces documents évoquent la mise en place du paiement en trois fois et l'emploi d'un fournisseur de services de paiement pour gérer les flux des vendeurs de la 'marketplace' et désignent ce prestataire comme étant la société Be2Bill, c'est seulement du point de vue de l'objectif de réduction du taux d'impayés et non de celui d'une mise en conformité en termes de sécurité et de respect de la réglementation bancaire et aucune information n'y est délivrée quant à l'état du système de paiement tel que décrit dans le rapport interne du 17 octobre 2017.
Si la présentation de l'architecture informatique, datée du 6 juin 2017 et versée dans la 'data room', comprenddes éléments sur le système de paiement, elle a essentiellement pour objet de présenter l'existant et deux hypothèses d'un nouveau schéma informatique et, s'agissant du système de paiement, elle se borne à exposer qu'il doit être 'réenvisagé à 3 mois' et à titre 'd'indispensables' mentionne notamment la conformité PCI-DSS et ACPR. Ces éléments, compréhensibles par le personnel de la société Elbee, ne le sont pas pour un lecteur extérieur, à défaut de toute explication complémentaire. Ce document est impropre à éclairer les candidats repreneurs sur les défauts affectant le système de paiement.
La société Achadis n'a pas extrait d'autres documents de la 'data room' faisant état des défauts de conformité du système de paiement qui auraient ainsi été portés à la connaissance des candidats et l'intitulé des documents figurant dans cette 'data room' énumérés en pièce 3.3. de son dossier ne permet pas d'identifier, parmi eux, des pièces susceptibles de contenir une telle information de sorte que la circonstance que les repreneurs les ont consultés en quasi-totalité n'est pas de nature à démontrer qu'ils ont eu connaissance des défauts du système de paiement alors en place.
Ensuite, en décembre 2017 et au jour de la cession, aucune solution mettant un terme à ces défauts n'était en cours de déploiement puisqu'aucun contrat n'avait été signé avec la société Be2Bill et qu'il n'est pas certain que le contrat envisagé englobait le service de paiement en trois fois.
Le contrat conclu par la société Elbee après la cession avec un prestataire de services de paiement la mettant en conformité avec la réglementation bancaire s'agissant de la gestion des flux financiers de la 'marketplace', mais qui ne porte pas sur le paiement en trois fois proposé par la société Elbee en tant que vendeur à ses clients, l'a été non pas quelques jours après la cession, comme l'affirme la société Achadis, mais le 7 mai 2018 comme cela résulte du contrat produit par l'appelante. La conclusion de ce contrat ne vient donc pas établir que les repreneurs avaient connaissance à la date de la cession des défauts majeurs affectant le système de paiement.
Non seulement les dysfonctionnements constatés n'ont pas été portés à la connaissance des candidats mais le rapport de KPMG ('financial vendor due diligence') indique que l'environnement informatique de la société Elbee est 'professionnel' et sécurisé, étant notamment fait état, en termes très généraux, de plusieurs projets lancés les années précédentes pour améliorer et moderniser l'environnement informatique.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les défauts de conformité affectant le système de paiement du site marchand de la société Elbee ont été dissimulés à l'acquéreur. Le caractère délibéré de cette dissimulation est établi par la connaissance évidente du cédant des défaillances constatées et de leur caractère sérieux, compte tenu du rapport interne établi le17 octobre 2017, de l'absence de résolution avant la cession et de leur impact sur l'activité de la société Elbee, les règles de gestion pour compte de tiers sur l'activité 'marketplace' n'étant pas respectées et le service de paiement en trois fois étant géré en interne sans égard aux conditions de sécurité devant entourer ce service.
Toutefois la société Courtaboeuf ventures se borne à établir l'existence de ces défauts de conformité et leur dissimulation délibérée par la cédante et à affirmer que cette information était déterminante de son consentement sans en faire la démonstration. Elle n'expose pas en quoi elle aurait soit renoncé à l'opération, soit consenti à l'acquisition à d'autres conditions alors que la vente a été conclue au prix d'un euro, que la mise en conformité du système de paiement était peu complexe à mettre en place, puisque possible par la contractualisation des services concernés avec un tiers et faisable dans un temps rapproché de la réalisation de la cession, que les défauts de conformité n'empêchaient pas le site marchand de fonctionner, n'étant par ailleurs pas établi que les problèmes de sécurité constatés ont été à l'origine des attaques informatiques subies en mars 2018. Ces circonstances font douter, en l'absence de tout élément contraire apporté par l'appelante, qu'en ayant une connaissance complète des défauts de conformité les repreneurs auraient renoncé à leur offre ou auraient accepté de contracter à des conditions différentes. Il s'ensuit que le dol doit être écarté.
En revanche, la dissimulation des défauts affectant le système de paiement caractérise un manquement de la société Achadis à son obligation précontractuelle d'information, les repreneurs, bien que spécialistes du retournement d'entreprises et du commerce en ligne, n'étant pas en mesure, à défaut de communication spécifique sur ce point, d'identifier des défauts de conformité affectant un système de paiement.
1.2. Sur les dysfonctionnements du système d'information
La société Courtaboeuf ventures soutient que l'infrastructure des systèmes d'information était différente de celle décrite dans la 'vendor due diligence', la société Elbee n'ayant pas recours à un hébergement externe contrairement à ce qui avait été indiqué, et qu'elle n'était pas sécurisée contrairement à ce qu'affirmait le vendeur, qu'ainsi le site a été piraté en mars 2018, un vol de données des clients ayant permis ensuite une opération de 'phishing', que l'infrastructure n'était pas conforme aux règles de conservation des données bancaires et de protection des données personnelles, telles que résultant de la réglementation française et du RGPD, et qu'elle générait de nombreux dysfonctionnements.
La société Achadis réplique que des informations complètes et vérifiables sur le système d'information ont été transmises aux repreneurs et que les défaillances rencontrées ne sont pas dues à l'inexactitude d'informations mais aux mauvais choix stratégiques de la société Delamaison international, que le RGPD, invoqué par l'appelante, est entré en vigueur après la cession, en mai 2018, et qu'aucun lien n'est établi entre les incidents techniques et la baisse du chiffre d'affaires.
Le rapport 'vendor due diligence' établi par KPMG indique que l'hébergement des applications de e-commerce est externalisé et assuré par IBM Softlayer, le contrat pouvant être appliqué pour assurer la continuité de l'activité après la cession. La société Achadis produit le contrat correspondant à cette prestation, conclu entre la société Adeo et IBM Softlayer, et un contrat d'hébergement transitoire, conclu entre la société Adeo services, prestataire de services supports des sociétés du groupe Adeo, et la société Elbee aux termes duquel la première continue de fournir les services d'hébergement assurés par IBM et ce, pour une durée de six mois courant à compter de la réalisation de la cession de la société Elbee. Elle produit également des courriels échangés entre les sociétés Elbee et Adeo en juillet et août 2018 établissant que le contrat d'hébergement transitoire a été prolongé jusqu'au 31 août 2018 pour permettre le démantèlement de l'infrastructure en place, la mise en production d'une autre solution d'hébergement et la reprise des données.
Les repreneurs avaient donc connaissance de l'infrastructure du système d'information de la société Elbee avantla cession grâce au rapport KPMG et la description de cette infrastructure était conforme à la réalité.
Quant au défaut de conformité du système d'information aux règles de conservation des données bancaires et de protection des données personnelles, telles que résultant de la réglementation française et du RGPD, la société Achadis fait justement valoir que le RGPD est entré en vigueur le 25 mai 2018 après la cession et la société Courtaboeuf ventures n'expose pas en quoi la conservation de ces données n'était pas conforme à la réglementation française. La société Courtaboeuf ventures manque ainsi à établir les défauts de conformité allégués.
S'agissant de la sécurité du système d'information, celle propre à l'hébergement était assurée par la prestation offerte par la société IBM Softlayer jusqu'au 31 août 2018, date à laquelle l'infrastructure d'hébergement de la société Elbee a été totalement séparée de celle des sociétés du groupe Adeo. Par ailleurs, en dehors des mises en conformité nécessaires précédemment analysées (conformité PCI DSS et réglementation bancaire), le rapport établi par la société Supernova le 13 février 2018, invoquée par la société Courtaboeuf ventures, n'identifie pas de défaillance en termes de sécurité informatique de l'infrastructure ni n'explique en quoi les migrations proposées étaient indispensables à la poursuite d'activité. Il ne préconise pas non plus, comme le soutient l'appelante, 'une migration urgente', le schéma d'infrastructure résultant de la migration envisagée étant présenté comme 'idéal' et sa mise en place prévue à l'issue d'une période de quatre mois, et non comme nécessaire, prioritaire à toute autre action et urgent. La société Courtaboeuf ventures n'explique pas non plus en quoi le stockage des données sur un serveur interne, à le supposé établi, était dépourvu de protection particulière. Le piratage intervenu à la mi-mars 2018 n'est pas à lui seul probant de l'existence de défaillances dans la sécurité sans lesquelles il n'aurait pas été possible.
Quant aux supposés dysfonctionnements affectant l'infrastructure, l'audit du cabinet Apogea, invoqué par l'appelante, n'a pas porté sur cette infrastructure ou l'ensemble du système d'information mais a traité des seules applications Sage, qui sont des logiciels de gestion commerciale et de gestion comptable. Or, le plan d'affaires 2018-2020 présenté aux candidats à la reprise envisageait une refonte de ce système d'information, en proposant une externalisation, et les dépenses à prévoir. Par ailleurs, le mémorandum, également invoqué par l'appelante, relatif au site Decoclico, qui était logé et intégré au site de la société Elbee jusqu'à fin 2016, fait état de défaillances opérationnelles du site en 2016 mais ce document n'établit pas que de telles défaillances étaient toujours d'actualité lors du processus de vente de la société Elbee entamé un an plus tard.
Il s'ensuit que la société Courtaboeuf ventures manque à établir l'existence des défaillances du système d'information alléguées affectant sa sécurité qui lui auraient été dissimulées.
Enfin, la société Courtaboeuf ventures prétend ne pas avoir été informée du départ de M. [E] alors qu'il était chargé selon elle de l'intégralité du système d'information de la société Elbee. Or M. [E] était le responsable du seul pôle infrastructure et production de la direction des systèmes d'information de la société. Surtout, son nom figure en mode 'suppression apparente' dans la présentation, intégrée dans la 'data room', de l'architecture informatique et de ses possibles évolutions et, en annexe 8.10 (i) du contrat de cession, relative à la liste du personnel à jour au 7 décembre 2017, sont précisées, s'agissant de M. [E], sa date de sortie prévue et sa situation à date, à savoir sa démission et le préavis en cours, d'autre part. Il s'ensuit que les informations relatives au départ de M. [E] n'ont pas été dissimulées aux repreneurs.
Il résulte de tout ce qui précède que la société Achadis n'a fait preuve d'aucune réticence dolosive ni d'aucun manquement à son obligation précontractuelle d'information relativement au système d'information de la société Elbee.
1.3. Sur la baisse des dépenses d'achats de mots-clés sur les six mois précédant la cession
La société Courtaboeuf ventures soutient que la société Achadis a dissimulé la baisse des dépenses d'achat de mots clés auprès de Google au cours du deuxième semestre 2017, cette baisse étant de 34 % par rapport au budget 2016.
La société Achadis réplique qu'elle n'a jamais nié la réduction de ces dépenses et que cette baisse, souhaitée, était connue des repreneurs, l'information apparaissant dans le 'vendor due diligence', le 'mapping' détaillé des comptes figurant dans la 'data room' et le plan d'affaires complémentaire communiqué aux candidats repreneurs.
La société Courtaboeuf ventures expose que les achats de mots-clés au cours du 2ème semestre 2017 ont diminué de 559.000 euros par rapport au 2ème semestre 2016. Ce constat n'est pas contesté par la société Achadis.
Le plan d'affaires 2018-2020 communiqué aux candidats à la reprise reprend le montant des dépenses de 'marketing' en 2016 (7 millions d'euros) et en 2017 (le montant budgété à hauteur de 5,8 millions d'euros et le montant prévisionnel de dépenses de 5,6 millions d'euros). Si ces données ne sont pas détaillées et ne font pas apparaître de ligne spécifique aux achats de mots-clés, elles font clairement état de la baisse des dépenses de marketing entre 2016 et 2017. Le rapport de 'vendor due diligence' reprend, quant à lui, l'évolution des dépenses d'achats de mots-clés mais sur la seule période allant de 2012 à 2016 ; il expose clairement que le niveau élevé de ces dépenses en 2016 est une anomalie compte tenu de la diminution du nombre de références de produits proposés par le site, le nombre de ces achats atteignant 140 par produits en 2016 alors qu'il était de 102 en 2015. Il indique ainsi en page 11 que courant 2017 une optimisation des dépenses publicitaires et d'achats de mots-clés a été mise en oeuvre pour que celles-ci soient alignées sur le nombre de références proposées. En outre, le 'mapping' détaillé des comptes, figurant dans la 'data room' fait état de dépenses d'achats de mots-clés en 2017 de 2.250.797 euros. Si cette dernière donnée est peu exploitable par un candidat repreneur compte tenu de ce qu'elle figure dans des centaines de données rendues disponibles sur une courte période pendant l'accès à la 'data room', il n'en demeure pas moins que les documents de synthèse que sont le plan d'affaires et le rapport de 'vendor due diligence' communiqués aux candidats repreneurs comprenaient des informations suffisantes sur l'évolution de dépenses d'achats de mots-clés. Aucune volonté de dissimuler la baisse de ces dépenses ne saurait en tout cas être caractérisée à partir de ces pièces.
La cour relève en outre que la société Courtaboeuf ventures se borne à invoquer un lien de causalité entre la baisse des dépenses d''adwords' antérieure à la cession et celle du chiffre d'affaires de la société Elbee après la cession sans ni alléguer ni a fortiori établir que l'information prétendument dissimulée était déterminante de son consentement à l'acquisition de la société Elbee.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Courtaboeuf ventures manque à caractériser une réticence dolosive ou un manquement de la société Achadis à son obligation précontractuelle d'information relativement aux dépenses d'achats de mots-clés antérieures à la cession.
1.4. Sur le défaut de fonctionnement de l'outil de gestion clients CRM et de base clients moindre qu'annoncé
La société Courtaboeuf ventures soutient que le système de gestion de la relation clients n'était pas fonctionnel et que la société Achadis l'a délibérément trompée en prétendant qu'il existait 654.000 clients alors qu'ils n'étaient que 254.000 à être actifs.
L'appelante indique dans ses écritures qu''en raison d'un conflit l'opposant au groupe Adeo, ce CRM [outil de gestion clients] ne permet que l'envoi de lettres d'information aux clients. Par ailleurs les deux suites logicielles du CRM n'ont pas été installées en raison de leur coût. Le groupe Adeo avait donc choisi de passer par un prestataire en business intelligence pour programmer la récupération et la livraison des adresses des clients. Compte tenu de ces défauts la société Delamaison international a dû réaliser des investissements pour construire un nouveau système tout en devant partiellement rester sur le logiciel Salesforce'. La société Courtaboeuf ventures n'apporte aucune précision quant au conflit évoqué et ne se réfère à aucune pièce éclairant cette allégation ou rapportant la preuve l'ensemble de ces dires.
S'agissant du nombre de clients, la société Courtaboeuf ventures produit, sans explication, une extraction de données informatiques, datée du 25 avril 2019, dont la compréhension échappe au lecteur.
Le rapport de 'vendor due diligence' de KPMG fait état, en page 42, de 654.000 clients 'opt in available' et d'un nombre de clients actifs de 159.000 en 2016. Une distinction est ainsi clairement opérée entre les clients dits 'disponibles', c'est-à-dire potentiellement intéressés par le site, et les clients actifs. La société Courtaboeuf ventures, qui s'est présentée au moment de son offre comme ayant des compétences en matière de commerce en ligne, ne peut avoir ignoré cette distinction.
Aucune information trompeuse n'a ainsi été donnée à l'acquéreur et la société Achadis n'a pas non plus manqué sur ce point à son obligation précontractuelle d'information.
1.5. Sur les éléments financiers dissimulés
La société Courtaboeuf ventures prétend que lui ont été dissimulés les éléments suivants :
- le défaut de déclaration des écotaxes depuis 2015 qu'elle a dû régulariser à hauteur de 23.822 euros,
- la récupération du CICE 2017 d'un montant de 141.263 euros au bénéfice de la société Adeo dans le cadre de l'intégration fiscale de l'exercice 2017,
- la facturation par Engie/Enedis du 4ème trimestre 2017 correspondant à la consommation de gaz d'une période antérieure à l'acquisition pour un montant de 55.566 euros,
- une facture de régularisation des coûts de transport 2017 de la société Relais colis d'un montant de
110.587 euros,
- un litige avec la société Accolade d'un enjeu de 66.817 euros, mentionné dans le contrat d'acquisition mais non provisionné dans les comptes,
- un deuxième litige 'sous-jacent' avec M. [P],
- des stocks d'un montant de 1.659.236 euros indiqués comme libres à la date du 'closing' alors qu'ils ne l'étaient pas en raison d'une clause de réserve de propriété et du non-paiement des factures.
La société Achadis réplique qu'elle a fourni une information complète aux candidats repreneurs en ne limitant pas cette information aux comptes sociaux de sorte que l'appelante ne peut affirmer que des informations financières lui ont été volontairement cachées, que la société Courtaboeuf ventures fait état de montants sans en justifier (factures Engie/Enedis et Relais colis), que la réception de factures en janvier 2018 ne peut révéler des anomalies ou informations volontairement dissimulées révélatrices d'une intention frauduleuse, que les informations relatives au litige avec la société Accolade figuraient dans la 'data room', que le supposé litige avec M. [P] n'existant pas, aucune information n'avait à être communiquée, que le stock était bien libre de toute sûreté et pouvait être vendu sur le site, malgré la clause de réserve de propriété, de sorte qu'aucune des déclarations contenues dans le contrat de cession n'a été violée et qu'aucune volonté de dissimulation ne peut être caractérisée alors que la pratique des clauses de réserve de propriété est courante, ce que les repreneurs ne pouvaient ignorer.
S'agissant du défaut de déclaration des écotaxes depuis 2015, si la société Courtaboeuf ventures produit un échange de courriels entre la société Elbee et un organisme agréé à compter de mai 2017, dont l'un évoque une mise en demeure sans en rappeler ni la date ni le contenu, elle ne justifie ni des suites données ni de la dépense engagée à hauteur de 23.822 euros, en particulier quant à sa date. En tout cas, elle ne démontre nullement en quoi le défaut d'information sur cette situation a été déterminante de son consentement à acquérir la société Elbee dans les conditions contractuelles.
L'appelante ne produit pas non plus de pièces justifiant de la récupération du CICE 2017 par la société Adeo, de son montant et de sa dissimulation par la cédante alors que les repreneurs ont disposé des comptes sociaux, des rapports du commissaire aux comptes 2013 à 2016, des liasses fiscales de la société Elbee de 2012 à 2016.
Les factures de consommation de gaz et de la société Relais colis ne sont pas versées aux débats par l'appelante. La réception d'une facture après la cession ne peut pas, en toutes hypothèses, prouver à elle seule la dissimulation par le cédant d'une charge et ce, a fortiori lorsque cette dépense ressort de la gestion quotidienne de la société cédée et non d'une opération exceptionnelle non récurrente, comme le sont les deux dépenses invoquées en l'espèce.
La société Courtaboeuf ventures ne produit pas non plus de pièces relatives au litige avec M. [P] et la propre note interne de la société Delamaison, récapitulant les demandes financières formées contre la société Achadis (pièce 81 de l'appelante), indique que 'le cédant n'avait pas connaissance de ce litige qui est apparu pendant le mois d'août 2018" de sorte que la société Achadis n'a dissimulé aucune information aux repreneurs.
S'agissant du litige avec la société Accolade, la société Courtaboeuf ventures affirme elle-même dans ses écritures qu'elle ne reproche pas la dissimulation de son existence, ce litige étant au demeurant mentionné dans l'annexe 8.11 du contrat d'acquisition. Alors que le litige était ainsi connu des repreneurs, l'absence de provision dans les comptes sociaux, invoquée par la société Courtaboeuf ventures, n'est pas de nature à caractériser une réticence dolosive ou un manquement à l'obligation précontractuelle d'information.
Quant aux stocks, la cédante a déclaré dans le contrat de cession, en son article 8.6, que la société Elbee était 'valablement propriétaire de ses stocks de produits et marchandises, libres de toute sûreté et elle peut librement en disposer'. Il est acquis aux débats qu'au jour de la cession le stock représentait une valeur totale de 5,3 millions d'euros et qu'une partie était toujours soumise à une clause de réserve de propriété dès lors que la société Elbee ne s'était pas acquittée des factures correspondantes, soit qu'elles n'aient pas été reçues (à hauteur d'une valeur totale de 800.312,79 euros) soit qu'elles n'étaient pas échues (à hauteur d'une valeur totale de 858.923,38 euros) au jour de la cession. Si l'expression 'valablement propriétaire' est impropre pour décrire l'état de la totalité du stock et imprécis s'agissant des produits impayés au jour de la cession, celle sur leur libre disposition n'est ni inexacte ni trompeuse dès lors que tous les produits, y compris ceux impayés, pouvaient être revendus par la société Elbee, le mécanisme des clauses de réserve de propriété n'y faisant pas obstacle et aucune revendication n'étant alors exprimée auprès de la société Elbee. La société Courtaboeuf ventures invoque ainsi des revendications mais la seule pièce produite aux débats porte sur un questionnaire de l'administrateur judiciaire, postérieur au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société Elbee, devenue Delamaison, du 4 juin 2019, rempli le 28 juillet 2019 par son dirigeant et faisant suite à une revendication d'une société de meubles. Cette revendication a manifestement été formée en raison de l'ouverture d'une procédure collective et ce questionnaire ne permet pas d'établir que les produits revendiqués étaient déjà en stock au jour de la cession. Ce questionnaire révèle au demeurant qu'après la cession, la société Elbee a bien disposé librement, pour les revendre, de produits dont elle ne s'était pas acquittée du prix puisque son dirigeant confirme que des marchandises non payées au fournisseur revendiquant avaient été vendues à des clients qui avaient réglé leurs achats. En outre, la pratique des clauses de propriété est courante dans le secteur de la vente et l'un des repreneurs de la société Elbee s'est présenté comme un professionnel du commerce électronique de sorte qu'ils ne peuvent avoir ignoré cet usage et ses conséquences. Enfin, les candidats repreneurs ont disposé de toute l'information utile sur les stocks compte tenu des documents comptables figurant dans la 'data room' et ils n'allèguent aucune anomalie comptable dans le traitement du stock. Aucune dissimulation destinée à tromper l'acquéreur ni aucun manquement à l'obligation précontractuelle d'information ne sont donc établis s'agissant des stocks
Il résulte de tout ce qui précède que la société Courtaboeuf ventures manque à établir que la société Achadis a délibérément dissimulé des informations en vue de tromper son consentement et qu'elle a manqué à son obligation précontractuelle d'information.
En définitive, la société Courtaboeuf ventures ne rapporte pas la preuve d'une réticence dolosive de sorte que sa demande de nullité de la cession et sa demande indemnitaire fondée sur le dol doivent être rejetées. Elle établit en revanche que la société Achadis a manqué à son obligation précontractuelle d'information en ne l'informant pas des défauts de conformité affectant le système de paiement de la société Elbee.
1.6. Sur l'indemnisation
La société Courtaboeuf ventures soutient que son préjudice résultant des manquements de la société Achadis à son obligation précontractuelle d'information est constituée d'une perte de chance de réaliser une opération profitable. Elle estime ainsi le gain manqué à l'aune de la valeur espérée de l'entreprise en 2020 (11.450.000 euros) et de sa valeur au moment de la cession (3.779.000 euros) et situe la perte de chance entre 50 % du préjudice total (5.725.000 euros) et, a minima, 100 % de la valeur d'entreprise (3.779.000 euros).
La société Achadis soutient que la demande indemnitaire de la société Courtaboeuf ventures est irrecevable au motif qu'en tant que cessionnaire de parts sociales, elle ne peut obtenir la réparation de préjudices subis par la société Elbee cédée, que, sur le fond, la perte de chance indemnisable n'est pas celle de réaliser une opération profitable ou d'obtenir les gains attendus mais la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, qu'une telle perte de chance n'est pas demandée, qu'en outre, la perte de chance invoquée est directement liée à la mauvaise gestion de la société cédée après la cession, que son calcul est fantaisiste et qu'elle ne peut être d'un montant supérieur à la valeur prévisionnelle d'entreprise.
La société Courtaboeuf ventures se prévalant d'une perte de chance résultant de manquements à l'obligation précontractuelle d'information est recevable en sa demande indemnitaire.
Le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non par une perte de chance d'obtenir les gains attendus. Il s'ensuit que la société Courtaboeuf ventures est mal fondée à solliciter la réparation d'une perte de chance de réaliser une opération profitable.
Ensuite, la société Courtaboeuf ventures ne demande pas l'indemnisation d'une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses. Elle n'invoque pas un tel préjudice ni n'en établit l'existence en son principe et en son quantum. Ainsi, l'existence d'un préjudice indemnisable, né du manquement à l'obligation précontractuelle d'information constitué de la seule absence d'information quant aux défauts de conformité du système de paiement du site marchand, n'est pas démontrée. La demande indemnitaire de la société Courtaboeuf ventures formée à titre subsidiaire doit donc également être rejetée.
2. Sur les manquements aux obligations contractuelles
2.1. Sur la garantie d'actif et de passif
Sur le fondement des articles 8 et 9 du contrat de cession, la société Courtaboeuf ventures soutient qu'elle a, par courriel du 28 novembre 2018, notifié une réclamation conforme au contrat de cession et dans les délais impartis, que la société Achadis lui doit sa garantie au titre des stocks déclarés faussement comme étant la propriété de la société Elbee et des autres éléments financiers selon elle dissimulés, que le préjudice total est de 2.057.091 euros, que le plafond de la garantie et la franchise étant respectivement de 1.000.000 euros et de 100.000 euros, sa demande est limitée à la somme 900.000 euros.
La société Achadis soutient que la demande concernant les stocks n'est pas recevable en ce que ni le courriel du 28 novembre 2018 ni la lettre du 16 mai 2019 ne répondent aux exigences contractuelles d'engagement de la garantie, qu'elle est en outre infondée, aucune violation de l'article 8.6 n'étant établie.
L'article 9 du contrat de cession prévoit, en son § 4, le formalisme que l'acquéreur doit respecter pour mettre en oeuvre la garantie de passif. Il doit ainsi adresser au vendeur un avis écrit précisant quelle est la perte supportée par la société cédée au titre de laquelle une réclamation est formulée, le montant estimé de la perte et de l'indemnité réclamée, la nature de la déclaration inexacte ou de la garantie violée ayant conduit à une telle perte et tout autre élément de preuve raisonnablement nécessaire pour évaluer le bien-fondé de la réclamation et le calcul de l'indemnité ou l'estimation de la perte. En outre, toute réclamation doit être formulée après la date de réalisation et notifiée au vendeur dans les vingt jours ouvrés suivant le jour au cours duquel l'acquéreur a connaissance des faits ou événements à l'origine de cette réclamation. Enfin, le contrat stipule qu'une réclamation ne donnera lieu à aucune obligation d'indemnisation si la notification de cette réclamation est effectuée après la période de quinze mois suivant la date de réalisation au titre de la violation des déclarations données à l'article 8.
Il ressort de ces stipulations que le défaut de réclamation valablement notifiée dans le délai prescrit ne constitue pas une fin de non-recevoir mais une condition de fond de l'obligation d'indemnisation pesant sur le cédant.
Les parties s'accordent sur la date d'expiration de la garantie, soit le 11 avril 2019, la cession ayant été réalisée le 11 janvier 2018.
Il s'ensuit que le courrier du 16 mai 2019 adressé par le conseil de la société Courtaboeuf ventures à la société Achadis mettant notamment en oeuvre la garantie d'actif et de passif a été notifié hors délai de sorte que les réclamations qu'il comporte, fondées sur l'article 8, ne peuvent donner lieu à aucune indemnisation.
S'agissant du courriel du 28 novembre 2018, que la société Courtaboeuf ventures a adressé à la société Achadis à la suite d'une réunion tenue la veille, il est formulé comme suit : 'nous vous revenons suite à notre réunion du 27 novembre 2018 au cours de laquelle plusieurs points ont été évoqués et plus particulièrement concernant les éléments financiers post closing que nous considérons non conformes à nos accords passés en date du 14 novembre 2017, réitérés en date du 11 janvier 2018 et dont vous n'aviez peut-être pas eu connaissance au moment du closing. Ces éléments financiers portent sur deux volets, à savoir : un état des actifs non conformes à nos accords de cession, une gestion intermédiaire entre la signature du SPA et le transfert des titres, non conformes aux conventions communes en matière de fusion-acquisition (gestion en 'bon père de famille', information du cédant sur des opérations hors gestion courante, etc). Vous trouverez ci-dessous un tableau récapitulatif expliquant l'état des lieux'.
L'appelante ne précise ni dans ses écritures ni dans cette pièce à quel tableau ce courriel fait référence. Elle indique toutefois dans ses conclusions que 'ce courriel fait état de la perte supportée par la société [Elbee], soit 1.659.236 euros pour les stocks enregistrés non conformes à l'article 8.6 du contrat' et que le 'montant de l'indemnité réclamée est de 1.659.236 euros'. Si ces éléments (perte supportée et origine, déclaration de l'article 8.6 garantie, et montant de l'indemnité) figurent bien dans la lettre postérieure du 16 mai 2019, le courriel du 28 novembre 2018 n'en fait pas état. En outre, ce courriel a pour objet la transmission de l'état des lieux de ce que l'acquéreur considère comme non conforme 'aux accords de cession' sans exprimer aucune réclamation. Il s'ensuit que ce courriel ne vaut pas notification d'une réclamation conforme à l'article 9.4 du contrat.
Aucune réclamation n'ayant été notifiée dans les formes et délais prescrits par le contrat, aucune obligation d'indemnisation ne pèse sur la société Achadis.
Il résulte de tout ce qui précède que la fin de non-recevoir soulevée par la société Achadis doit être écartée et la demande de la société Courtaboeuf ventures rejetée.
2.2. Sur l'engagement relatif à la trésorerie nette
Invoquant l'article 4 du contrat de cession, la société Courtaboeuf ventures soutient que la société Achadis a garanti un montant de trésorerie nette de la société cédée au moins égal à 14.002.576 euros, qu'à la date de la cession, cette trésorerie n'était que de 11.802.775 euros et qu'en conséquence l'intimée doit l'indemniser de la différence.
La société Achadis soutient que cette demande n'est pas recevable en ce qu'elle ne répond pas aux exigences de forme visées à l'article 9.4 (b) et de délai prévues à l'article 9.4 (f) et qu'elle est en outre mal fondée dès lors que l'appelante ne rapporte pas la preuve du montant de trésorerie nette qu'elle allègue, qu'elle prend ainsi en compte des dettes non échues alors que la définition contractuelle prend en compte les seules dettes échues à la date de réalisation et qu'elle se heurte au rapport du cabinet Grant Thornton que la société Courtaboeuf ventures produit elle-même.
Aux termes de l'article 4 du contrat de cession, le vendeur garantit que la trésorerie nette de la société Elbee sera, un instant de raison après la réalisation, au moins égale à 14.000.000 euros. A l'article 8, le vendeur a également déclaré et garanti que chacune des déclarations et garanties énoncées à l'article 8 est sincère et exacte et à l'article 8.3. (b) figure la déclaration selon laquelle à la date du contrat la situation de la trésorerie nette de la société est supérieure à 14.000.000 euros. Enfin, en son article 9.4. (f), le contrat stipule que les garanties données à l'article 8.3.(b) expirent à l'issue d'une période de vingt jours ouvrés suivant la date de réalisation.
Il ressort de ces stipulations que le défaut de réclamation valablement notifiée dans le délai prescrit ne constitue pas une fin de non-recevoir mais une condition de fond de l'obligation d'indemnisation pesant sur le cédant.
La société Courtaboeuf ventures invoque comme seule notification de l'insuffisance de trésorerie nette la lettredu 16 mai 2019 adressée par son conseil à la société Achadis. Cette notification a été faite après l'expiration de la garantie intervenue 20 jours ouvrés après le contrat de cession conclu le 11 janvier 2018.
En outre, la société Courtaboeuf ventures ne s'explique pas sur le montant de 11.802.775 euros qu'elle affirme être celui de la trésorerie nette ni ne produit de pièces justifiant ce montant.
La garantie de la société Achadis ayant expiré avant que la société Courtaboeuf ventures ne forme de réclamation à ce titre et la société Courtaboeuf ventures ne rapportant pas la preuve de ses allégations, sa demande indemnitaire à ce titre doit également être rejetée.
En définitive, la cour rejetant l'ensemble des demandes de la société Courtaboeuf ventures, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
3. Sur les demandes accessoires
La société Courtaboeuf ventures succombant, le jugement sera également confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et à une indemnité procédurale, la cour y ajoutant sa condamnation aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par l'intimée en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Courtaboeuf ventures à payer à la société Achadis la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Courtaboeuf ventures aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.