Cass. com., 14 septembre 2022, n° 21-50.014
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
Mme Bélaval
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SAS Hannotin Avocats, SCP Thouin-Palat et Boucard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2020), M. [E], médecin, exerçait les fonctions de directeur général salarié du Centre national de transfusion sanguine, aux droits duquel se trouve l'Etablissement français du sang (l'EFS). Le 1er juin 1991, la Fondation nationale de tansfusion sanguine et M. [E] ont conclu deux conventions prévoyant le départ de M. [E] et le versement à son profit de diverses indemnités. Par un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 9 mai 2001, les conventions ont été annulées et M. [E] a été condamné à restituer l'intégralité des sommes qui lui avaient été versées en exécution de ces protocoles.
2. Le 24 mai 2012, M. [E] a été immatriculé au registre du commerce et des sociétés en tant que commerçant en vue d'exploiter un fonds de commerce. A la suite d'une déclaration de cessation des paiements du 21 août 2012, il a été mis en liquidation judiciaire le 19 septembre 2012, M. [M] étant désigné liquidateur, puis remplacé par la société MJS Partners, prise en la personne de M. [M]. A la demande du liquidateur et par un jugement du 26 février 2020, le tribunal a clôturé la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif et ordonné la radiation de M. [E] du registre du commerce et des sociétés.
Examen du moyen du pourvoi principal
Sur le moyen
Enoncé du moyen
3. Le ministère public fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement alors :
« 1°/ que consacre une fraude à la loi le juge de la procédure collective qui ordonne la clôture de la liquidation judiciaire, donc la purge de toutes les dettes du débiteur antérieures à l'ouverture de la procédure collective, quand il apparaît que la procédure collective avait été ouverte au bénéfice d'un débiteur qui n'avait pas une activité commerciale effective, avec un passif composé d'une unique créance, et en réaction (l'ouverture de la procédure collective) à une voie d'exécution pratiquée par son unique créancier sur l'unique actif du débiteur (des pensions de retraite), et que cette procédure collective n'a donné lieu à aucune diligence ni à la moindre tentative aux fins d'appréhension de cet unique actif ; qu'au cas présent, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que M. [Y] [E] avait été condamné, en 2001, sur renvoi de cassation d'un arrêt de la chambre sociale, à restituer les sommes versées en exécution d'une généreuse transaction qu'il avait obtenue du prédécesseur de l'Etablissement français du sang, que depuis 2007, M. [Y] [E], médecin de profession, a pris sa retraite et commencé à percevoir des retraites de base et complémentaire fruit de cotisations versées quand il oeuvrait au Centre national de transfusion sanguine (aux droits duquel vient l'EFS), que ce n'est que lorsque l'Etablissement français du sang, unique créancier de M. [Y] [E], a entamé une procédure aux fins de saisie de ses pensions de retraite, que le médecin retraité s'est inventé une activité commerciale à l'état de simple projet avorté, selon ses propres dires-pour s'immatriculer au Registre du commerce et des sociétés et se placer aussitôt sous le bénéfice de la liquidation judiciaire, que le mandataire judiciaire n'a rien fait, en dépit des relances insistantes de l'unique créancier (EFS), pour appréhender le seul actif de la procédure collective, à savoir les pensions de retraite, se contentant de demander, des années après l'ouverture de la procédure, sa clôture, permettant ainsi la purge de la seule et unique dette de M. [Y] [E] (plus de 1,6 millions d'euros dus à l'EFS ; qu'en faisant droit à cette demande, la cour d'appel a consacré une fraude flagrante au droit des procédures collectives, en violation du principe selon lequel la fraude corrompt tout, des articles L. 643-9 et L. 643-11 du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 6 du code civil ;
2°/ que s'il a été jugé que le liquidateur judiciaire devait, pour saisir les pensions de retraite du débiteur, se présenter devant le juge d'instance en étant muni d'un titre exécutoire constatant la créance de la liquidation judiciaire, et s'il a été jugé, en outre, que ni le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire ni l'état des créances ne pouvaient suppléer l'absence de titre, rendant ainsi juridiquement impossible la saisie des pensions de retraite du débiteur par le liquidateur judiciaire, cette jurisprudence a fait l'objet de vives controverses doctrinales ; qu'elle a été critiquée de façon quasi-unanime par la doctrine, qui a stigmatisé l'échappatoire ainsi créé de manière prétorienne au bénéfice d'un débiteur pourtant doté d'un actif ; qu'au cas présent, pour écarter la demande du ministère public tendant à ce que la procédure de liquidation judiciaire de M. [Y] [E] ne soit pas clôturée, à raison de la présence d'un actif consistant dans le droit au versement de pensions de retraite de base et complémentaire, les juges du fond ont relevé que le liquidateur judiciaire se trouvait, du fait de la jurisprudence précitée, dans une situation d'impossibilité de fait de réaliser cet actif par la biais d'une saisie ; qu'en statuant ainsi, cependant que la jurisprudence rendant, effectivement, la saisie impossible au liquidateur, doit être réévaluée, la cour d'appel a violé les articles L. 643-9 et L. 643-11 du code de commerce, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout ;
3°/ que lorsque l'actif du débiteur personne physique en liquidation judiciaire comporte une créance de pensions de retraite de base et complémentaire, le liquidateur judiciaire peut appréhender directement les sommes versées périodiquement par les organismes et caisses de retraite, sans avoir à mettre en oeuvre une saisie ; qu'il en va d'autant plus ainsi que les sommes en cause sont versées à cause de cotisations prélevées à raison de revenus versés en contrepartie d'une activité passée du débiteur personne physique, mais sont contemporaines de l'apparition du passif admis dans la procédure collective ; qu'au cas présent, M. [Y] [E] a effectué toute sa carrière au Centre national de transfusion sanguine, dont il était dirigeant lors de l'affaire du sang contaminé ; que ce sont des cotisations versées par le Centre national de transfusion sanguine, aux droits duquel vient l'Etablissement français du sang, qui justifient qu'il ait désormais droit au versement d'une pension de retraite, en partie d'ailleurs constituée par capitalisation (donc comme un revenu différé d'une activité passée, capitalisée en compte, sans aucune mutualisation avec le reste de la Nation) ; que la liquidation judiciaire de M. [Y] [E] a emporté un effet réel de saisie collective de son patrimoine, en ce compris son droit à versement de pensions de retraite, au bénéfice des créanciers ; que le liquidateur judiciaire avait dès lors droit d'appréhender directement, mois par mois, les sommes en cause, sans avoir à mettre en oeuvre une voie d'exécution, exactement comme le liquidateur judiciaire peut appréhender les sommes versées sur un compte espèces, un compte titre ou un contrat de capitalisation ; qu'en considérant au contraire que l'impasse dans laquelle se serait trouvé le liquidateur judiciaire pour réaliser cet actif résiderait dans la circonstance que toute appréhension directe, hors mise en oeuvre de la saisie de rémunérations, aurait été impossible, la cour d'appel a violé l'article L. 643-9 du code de commerce, ensemble le principe selon lequel la liquidation judiciaire a un effet réel ;
4°/ que la circonstance que la réalisation de l'actif d'un débiteur personne physique en procédure collective qui s'étale dans le temps n'est pas de nature à justifier la clôture anticipée de la liquidation judiciaire ; qu'en présence d'un actif consistant en le droit à Ia perception périodique de pensions de retraite, droit amené par définition à être capté mois après mois et année après année jusqu'au décès de la personne physique, il est logique et légitime que la réalisation de l'actif dure ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré que permettre le maintien de la procédure pour réalisation de cet actif reviendrait à laisser ouverte la procédure de liquidation judiciaire jusqu'au décès du débiteur, ce qui ne serait pas acceptable ; que ce motif, sauf à considérer que les pensions de retraite ne font en réalité pas partie de l'actif réalisable du débiteur personne physique, procède d'une violation de l'article L. 643-9 du code de commerce, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CEDH ;
5°/ qu'au surplus, il existe une solution simple permettant d'assurer la réalisation progressive de l'actif résidant dans les pensions de retraite tout en mettant fin à la procédure de liquidation judiciaire ; que cette solution consiste à nommer un mandataire ad hoc chargé de cette réalisation et de clore la procédure, conformément aux prévisions de l'article L. 643-9 du code de commerce ; qu'en retenant que la réalisation de l'actif de M. [Y] [E] entraînerait nécessairement le report sine die de la clôture de la procédure, cependant que la loi prévoit cette solution simple en pareil cas de figure, la cour d'appel a violé l'article L. 643-9 du code de commerce, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel à la CEDH ;
6°/ qu'il en va d'autant plus ainsi que toute approche du droit faisant intervenir les droits fondamentaux énoncés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, lorsque (ce qui est le cas en l'espèce du droit aux biens) le droit en cause est relatif et non absolu, mettre en oeuvre une pesée d'intérêts ; qu'au cas présent, la cour d'appel, si elle souhaitait se placer sur le terrain du droit au respect des biens de M. [Y] [E], ne pouvait pas faire l'économie d'une mise en balance de ce droit avec le droit, tout aussi important, de l'Etablissement français du sang de récupérer des sommes que M. [Y] [E], s'était fait indûment verser au terme d'une transaction dont la chambre sociale de la Cour de cassation a dit qu'elle était nulle ; qu'en retenant ainsi une approche déséquilibrée du droit invoqué, la cour d'appel a violé l'article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la CEDH ;
7°/ que si la loi permet la clôture anticipée de la liquidation judiciaire en présence d'un actif résiduel, c'est uniquement dans le cas où, par exception au principe selon lequel les liquidations judiciaires comportant un actif résiduel ne peuvent être clôturées, le coût de réalisation de l'actif résiduel excède le fruit de ladite réalisation ; qu'au cas présent, les juges du fond, pour indiquer être dans ce cas de clôture anticipée exceptionnelle, ont uniquement caractérisé une disproportion prétendue entre la créance de l'Etablissement français du sang et le montant mensuel des retraites de M. [Y] [E] (de près de 5 000 euros) ; qu'en se référant ainsi à une balance coûts/avantages différente de celle visée par la loi, la cour d'appel a violé l'article L. 643-9 du code de commerce, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CEDH ;
8°/ qu'il en va d'autant plus ainsi que dans ses conclusions en appel le ministère public avait souligné qu'une appréhension à bonne date, depuis le début, de la part saisissable des pensions de retraite de M. [Y] [E] aurait déjà permis de récupérer plus de 400 000 € soit un quart de la somme totale due par le débiteur, de sorte qu'en ne procédant pas à la recherche à laquelle elle était invitée, par comparaison des données prévues par la loi, la cour d'appel a violé de plus for les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir relevé qu'il n'est pas discuté que le passif exigible, d'un montant de 1 611 000 euros, n'est pas apuré, que le liquidateur ne dispose pas de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et que le seul actif susceptible de revenir à la liquidation judiciaire est constitué des pensions de retraite versées à M. [E] à hauteur d'un montant mensuel de 4 845,57 euros, l'arrêt retient exactement que, si la fraction saisissable des pensions de retraite du débiteur est concernée par l'effet réel de la procédure collective, le liquidateur doit, pour l'appréhender, mettre en oeuvre une procédure de saisie des rémunérations, que cette procédure exigeant pour aboutir, conformément à l'article R. 3252-1 du code du travail, que son initiateur soit muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, le liquidateur, qui ne dispose pas d'un tel titre, se trouve empêché d'y recourir. Par ces constatations et appréciations, faisant ressortir qu'en l'absence d'un actif réalisable, la poursuite des opérations de liquidation judiciaire était rendue impossible en raison d'une insuffisance d'actif au sens de l'article L. 643-9, alinéa 2, du code de commerce, la cour d'appel, qui était tenue dès lors de clôturer la liquidation judiciaire sans égard pour les circonstances dans lesquelles cette procédure avait été ouverte, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, légalement justifié sa décision.
5. Pour partie inopérant, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi.