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Décisions

Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-18.934

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Avocats :

SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Alain Bénabent

Poitiers, du 14 mai 2019

14 mai 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 14 mai 2019), la société Europcar International (la société Europcar) et la société Vendée cyclisme, gérant d'une équipe cycliste professionnelle (l'équipe), ont conclu, en 2010, un contrat de parrainage qui a été renouvelé jusqu'en 2015. Le 8 décembre 2014, la société Europcar a notifié à la société Vendée cyclisme sa décision de ne pas reconduire le contrat à l'issue de la saison 2015.

2. Conformément au règlement de l'Union cycliste internationale (l'UCI), une garantie à première demande a été constituée par la société Europcar auprès de la société Crédit agricole (la banque) afin de garantir le paiement des salaires des membres de l'équipe.

3. La garantie a été appelée à deux reprises par l'UCI, les 21 décembre 2015 et 20 janvier 2016, afin de régler les salaires impayés des mois d'octobre, novembre et décembre 2015 d'employés de l'équipe.

4. Après s'être acquittée auprès de la banque des sommes versées par celle-ci à l'UCI au titre de la garantie, la société Europcar a assigné la société Vendée cyclisme en remboursement de ces sommes. A titre reconventionnel, la société Vendée cyclisme a demandé la condamnation de la société Europcar à lui payer des dommages-intérêts au titre d'un manquement de cette dernière à l'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat de parrainage, alléguant le caractère abusif de son refus d'agréer un co-parrain.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable

Enoncé du moyen

5. La société Vendée cyclisme fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Europcar international certaines sommes en remboursement de la garantie à première demande, alors :

« 1°/ que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; que, par suite, le donneur d'ordre dans une garantie à première demande ne dispose d'un recours après paiement contre une autre personne que le bénéficiaire qu'à la condition que ce tiers se soit engagé à le rembourser ; qu'en l'espèce, pour affirmer que la société Europcar, donneur d'ordre dans le cadre d'une garantie à première demande dont l'Union cycliste internationale (UCI) était le bénéficiaire, est bien fondée à exercer un recours contre la société Vendée cyclisme, la cour d'appel a énoncé qu'il ressort de l'avenant n° 6 du 2 octobre 2014 à la garantie du 30 septembre 2011 que la banque s'est engagée sur instructions d'Europcar pour le compte de Vendée cyclisme à payer en faveur de l'UCI une somme visant à "garantir le paiement des sommes dues par l'UCI Pro Team Europcar (responsable financier SASP Vendée cyclisme) aux coureurs et autres créanciers visés par le règlement" ; qu'en statuant ainsi, quand la société Vendée cyclisme n'était pas partie à cet avenant conclu entre la banque et la société Europcar, de sorte qu'elle n'était pas liée par ses termes, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 2321 du même code ;

2°/ que l'existence d'une obligation contractuelle suppose une volonté non équivoque et délibérée de s'obliger ; que pour affirmer que la société Europcar est bien fondée à exercer un recours contre la société Vendée cyclisme au titre de la garantie à première demande en cause, la cour d'appel a énoncé, par motifs propres, que dans un courrier adressé le 11 janvier 2016 à la société Europcar, l'UCI relevait que l'équipe Pro Team Europcar avait renoncé à s'opposer à la mise en oeuvre de la garantie bancaire, laquelle correspondait aux salaires d'octobre et novembre 2015 et, par motifs adoptés, qu'en sa qualité de responsable financier, la société Vendée cyclisme ne peut feindre de ne pas avoir eu connaissance des différents avenants intervenus entre la société Europcar et la banque ; qu'en statuant par ces motifs impropres à établir une volonté non équivoque et délibérée de la société Vendée cyclisme de s'obliger envers la société Europcar à la rembourser après paiement du bénéficiaire par le garant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que pour valoir reconnaissance de dette, un acte doit manifester une volonté non équivoque de reconnaître le droit de celui qui l'invoque ; qu'en l'espèce, pour affirmer que la société Europcar est bien fondée à exercer un recours contre la société Vendée cyclisme au titre de la garantie à première demande en cause, la cour d'appel a énoncé, par motifs adoptés, que la société Vendée cyclisme a reconnu sa qualité de débitrice lorsqu'elle a déclaré que "nous nous conformons à nos accords" dans un courrier daté du 27 janvier 2016 envoyé à la société Europcar, en réponse à sa demande de remboursement au titre de ladite garantie et que, par suite, la société Vendée cyclisme s'est acquittée du paiement de la somme de 200 000 euros le 21 mars 2016 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si par ce courrier, la société Vendée cyclisme n'avait pas uniquement pris l'engagement de verser la somme de 200 000 euros à la société Europcar et non la totalité de la somme réglée par celle-ci en qualité du donneur d'ordre au bénéficiaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir relevé, par motifs adoptés, que la garantie bancaire a été délivrée en application du règlement de l'UCI, afin de garantir le paiement des salaires des membres de l'équipe, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il résulte de l'avenant n° 6 à la garantie bancaire, signé le 2 octobre 2014, que, bien qu'établie par la banque sur instructions de la société Europcar, la garantie a été constituée pour le compte de la société Vendée cyclisme. Il retient également, par motifs adoptés, qu'en déclarant, dans un courriel du 27 janvier 2016 adressé à la société Europcar en réponse à sa demande de remboursement au titre de la garantie, qu'elle se conformerait à leurs accords, la société Vendée cyclisme a reconnu sa qualité de débitrice, et qu'à la suite de ce courriel, elle s'est acquittée d'une somme de 200 000 euros. Il retient enfin, par motifs propres et adoptés, que la société Vendée cyclisme a reconnu qu'elle n'était pas en mesure de s'acquitter des salaires dus au titre des mois d'octobre à décembre, dont elle était normalement débitrice en sa qualité d'employeur, et que la garantie a été mise en oeuvre pour en assurer le paiement.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation de la volonté commune des parties et de l'ensemble des éléments de la cause que la cour a retenu que la société Vendée cyclisme était la débitrice finale des sommes ayant été payées par la banque en exécution de la garantie à première demande et devait en rembourser le montant à la société Europcar.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La société Europcar fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Vendée cyclisme une somme à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ; que le montant du concours financier contractuellement consenti par un parrain à un club sportif en contrepartie d'une promotion spécifique de son image relève de la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, à laquelle l'exigence de bonne foi ne permet pas de porter atteinte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reproché à la société Europcar d'avoir manqué à la bonne foi qui s'impose dans l'exécution d'un contrat de parrainage "en refusant d'augmenter sa contribution" malgré les difficultés de la société parrainée ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, pris en ses premier et troisième alinéas, dans leurs rédactions applicables à la cause ;

2°/ que la dénomination d'une équipe sportive constitue un élément essentiel d'un contrat de parrainage sportif, en ce qu'elle assure une particulière visibilité au parrain et constitue ainsi la contrepartie des concours financiers apportés par celui-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les sociétés Vendée cyclisme et Europcar étaient convenues, conformément à l'article IV de leur contrat de parrainage, que les éventuels co-parrains seraient tenus de faire référence au nom "Equipe Team Europcar" dans toutes les interventions sportives, commerciales et événementielles ; qu'il en résultait que le nom "Equipe Team Europcar" demeurerait intangible même en cas de co-parrainage ; que la cour d'appel a pourtant reproché à la société Europcar d'avoir abusé de son droit d'agrément en refusant le co-parrainage de la société Direct énergie, qui exigeait que l'équipe soit rebaptisée "Europcar direct énergie" ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque la dénomination de l'équipe relevait de la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, pris en ses premier et troisième alinéas, dans leurs rédactions applicables à la cause. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. La société Vendée cyclisme conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

11. Cependant, il ressort des conclusions d'appel de la société Europcar que celle-ci « ne pouvait que refuser la proposition de Vendée cyclisme qui revenait pour elle à renoncer à un droit (l'exclusivité prévue par le contrat de parrainage) sans aucune contrepartie », de sorte qu'elle a bien invoqué devant la cour d'appel les termes du contrat de parrainage.

12. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1134, alinéas 1er et 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

13. Pour dire la société Europcar responsable du préjudice économique subi par la société Vendée cyclisme, l'arrêt retient, d'une part, son refus d'augmenter sa contribution et, d'autre part, son refus d'agréer comme co-parrain la société Direct énergie, laquelle, en contrepartie de son soutien, sollicitait la modification du nom de l'équipe de « Team Europcar » en « Team Europcar direct énergie », et en déduit que la société Europcar a fait un usage abusif de ses droits et a manqué à la bonne foi qui s'impose dans l'exécution d'un contrat de parrainage.

14. En statuant ainsi, alors que l'exigence de bonne foi n'autorise pas le juge à porter atteinte aux conditions financières du parrainage et à la dénomination de l'équipe sous le seul nom du parrain, qui en est la contrepartie, telles que fixées par les parties, lesquelles constituent la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

17. Les refus de la société Europcar d'augmenter sa contribution et d'agréer un co-parrain qui sollicitait la modification substantielle de ses droits en tant que parrain principal, ne caractérisant aucun abus de sa part, aucune faute ne peut être retenue contre elle.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Europcar International à payer à la société Vendée cyclisme la somme de 475 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 14 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers.