Cass. crim., 22 novembre 2022, n° 21-86.010
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Avocat :
SCP Spinosi
Mme [G] [O] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-10, en date du 17 mars 2021, qui, pour pratique commerciale trompeuse, a condamné, la première, à six mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d'amende, la seconde, à 500 000 euros d'amende, a ordonné des mesures de publication et de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demanderesses, a été produit.
Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [G] [O] et de la société [1], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête a été diligentée, à la suite de plaintes de consommateurs qui s'estimaient trompés par la communication de la société [2], devenue société [1], agence de publicité dont l'activité intègre la vente par correspondance de produits alimentaires, via les enseignes « Délices et gourmandises » et « Les délices d'Annie », pour leur avoir fait miroiter des gains de loterie inexistants dans le cadre de publipostages.
3. Les comportements incriminés consistaient, notamment, en l'utilisation d'emballages, de vocabulaire et d'univers graphique propres à entretenir une confusion avec des documents officiels, présentant comme une certitude un événement hypothétique, soit le gain d'un lot de l'ordre de 9 000 euros, et entretenant l'amalgame entre participation au jeu et nécessité de passer commande.
4. Le tribunal correctionnel a déclaré la société et sa présidente, Mme [G] [O], coupables de pratique commerciale trompeuse, les a condamnées à diverses peines et à payer solidairement des sommes à quatre parties civiles en réparation de leurs préjudices matériels ou moraux.
5. Les prévenues et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en ses dispositions civiles, alors :
« 1°/ que seul le préjudice direct et personnel résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que, dès lors, en condamnant les prévenues à payer aux parties civiles, au titre de leur préjudice matériel, le montant des gains promis par les jeux dont elles avaient été destinataires, la cour d'appel, qui s'est placée sur le terrain quasi-contractuel pour fixer le montant de l'indemnisation, a méconnu la nature délictuelle de l'action civile et a violé les articles 2, 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;
2°/ que, en tout état de cause, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; qu'en confirmant le jugement déféré en ce qu'il a condamné les prévenues à payer à Mme [W] la somme de 52 895,24 euros en réparation de son préjudice matériel, comme correspondant à hauteur de 50 000 euros au montant des gains promis dans les « documents » reçus par celle-ci et à hauteur de 2 895,24 euros au montant des 154 commandes qu'elle a passées entre mars 2013 et septembre 2014 auprès de la société prévenue, sans constater que ces « documents » correspondaient aux jeux concernés par la prévention ni s'expliquer sur leur nombre et sur le montant du gain promis par chacun d'entre eux, et sans expliquer en quoi les 154 commandes passées par Mme [W], dont il n'est pas contesté qu'elle a reçu et consommé les produits commandés, s'analyseraient comme un préjudice résultant directement des faits dont les prévenues ont été déclarées coupables, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour confirmer le jugement sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué énonce, par motifs adoptés, que le préjudice matériel de Mme [H] [W] et de MM. [V] [E], [K] [S] et [J] [B] doit être réparé à hauteur de 50 000 euros, notamment, pour la première et de 8 000 euros pour le deuxième au titre des gains promis et non perçus, de 9 000 euros pour le troisième et de 5 000 euros pour le quatrième sans autre précision.
10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.
11. En premier lieu, l'absence de perception des gains promis n'est de nature à constituer par la déception qu'elle engendre, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, qu'un préjudice moral.
12. En second lieu, les juges n'ont pas suffisamment caractérisé l'intérêt patrimonial auquel les comportements sanctionnés avaient porté atteinte.
13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions civiles. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mars 2021, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.