CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 9 mars 2023, n° 21/06028
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Santerne Nord Tertiaire (SAS), Vinci Énergies France (SAS), Vinci Énergies (SA), Vinci (SA)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schmidt
Conseillers :
M. Barbier, Mme Tréard
Avocats :
Me Saint Esteben, Me Reille, Me Demoulins, Me Damelet, Me Davie, Me Boccon Gibod, Me Baechlin
Vu les déclarations de recours à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-D-05 du 4 mars 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la gestion technique des bâtiments de [Localité 14] métropole communauté urbaine, déposées au greffe le 7 avril 2021, par la société Santerne Nord Tertiaire (enregistrée sous le RG 21/06028) ainsi que par Vinci Energies France et Vinci Energies (enregistrée sous le RG 21/06031) et les mémoires déposés à leur soutien le 21 mai 2021;
Vu la déclaration de recours à l'encontre de la décision n° 21-D-05 précitée, déposée au greffe le 14 avril 2021 par la société Vinci SA (enregistrée sous le RG 21/06615) et le mémoire déposé à son soutien le 21 mai 2021;
Vu la jonction de ces recours sous le RG 21/06028 par une ordonnance du 14 avril 2021 rendue par le magistrat délégué par le premier Président de la cour d'appel de Paris ;
Vu les observations déposées au greffe le 8 mars 2022 par l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'économie ;
Vu les mémoires en réplique déposés au greffe le 8 novembre 2022 par les sociétés Santerne Nord Tertiaire,Vinci SA, ainsi que par Vinci Energies et Vinci Energies France ;
Vu l'avis du ministère public en date du 5 janvier 2023, communiqué le même jour aux requérantes, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 12 janvier 2023, les conseils des sociétés Santerne Nord Tertiaire, Vinci SA, Vinci Energies et Vinci Energies France, qui ont été mis en mesure de répliquer, les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'économie, puis le ministère public.
FAITS ET PROCÉDURE
I. LA PROCÉDURE INITIALE
1. La Brigade interrégionale d'enquête de concurrence (ci-après la « BIEC ») de [Localité 14] a rédigé un rapport administratif d'enquête le 4 septembre 2017, dans lequel elle a constaté la mise en œuvre par les sociétés Neu Automation (ci-après « Neu »), Société de téléphone et de télédistribution nord (ci-après « STTN ») et Santerne Nord Tertiaire (ci-après « Santerne ») de pratiques d'échanges d'informations confidentielles en réponse à deux appels d'offres tenus respectivement en 2013 et 2014, contraires à l'article L. 420-1 du code de commerce, dans le secteur de la gestion technique des bâtiments de [Localité 14] métropole communauté urbaine (ci-après « LMCU »), devenue Métropole européenne de [Localité 14] à compter du 1er janvier 2015 (ci-après « MEL »).
2. Ce rapport a été transmis par le ministre chargé de l'économie au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité »), lequel, par un courrier du 29 décembre 2017, a répondu qu'il n'entendait pas proposer à l'Autorité de se saisir d'office de cette affaire.
3. Faisant application des dispositions de l'article L. 464-9 du code de commerce, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (ci-après la « DGCCRF ») a engagé une procédure d'injonction et de transaction que les sociétés Neu et STTN ont acceptée et que la société Santerne Nord Tertiaire a refusée par un courrier du 17 décembre 2018.
4. Par une lettre enregistrée le 11 avril 2019, le ministre chargé de l'économie a saisi, en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du code de commerce, l'Autorité de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la gestion technique des bâtiments de LMCU reprochées à Santerne, seule société n'ayant pas souhaité transiger. Cette saisine a été enregistrée sous le numéro 19/0016 F.
5. Par une décision du 22 juin 2020, prise en application des articles L. 463-3 et R. 463-12 du code de commerce, le rapporteur général a décidé que l'affaire serait examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport.
6. Une notification des griefs a été envoyée aux sociétés Santerne, Vinci Energies France, Vinci Energies, Vinci et au commissaire du gouvernement le 22 juin 2020.
II. LE SECTEUR
7. La gestion technique des bâtiments (ci-après la « GTB ») correspond, dans le cadre de l'exploitation d'un bâtiment, à l'ensemble des services permettant d'assurer les trois fonctions suivantes :
la surveillance des installations techniques (équipements électriques, éclairage, chauffage, ventilation, climatisation, eau chaude, sanitaire, alarmes, contrôles d'accès, ascenseurs, etc.) afin d'en assurer la sécurité et la disponibilité ;
la supervision de ces installations, qui vise à assurer le confort des occupants en optimisant les coûts d'exploitation (mesures, comptages, réglage et programmation des équipements) ;
le suivi permettant de mesurer en détail les consommations du bâtiment et à mettre en place un plan de suivi (mesure de l'efficacité énergétique, bilan, pistes d'amélioration, etc.).
8. Pour la réalisation de ces différentes missions, le gestionnaire du bâtiment peut s'appuyer sur un système informatique de GTB qui fonctionne sur la base d'automates programmables et communicants permettant de suivre et de piloter à distance les équipements techniques d'un bâtiment.
9. Les systèmes de GTB reposent sur une organisation à trois niveaux, correspondant à :
un système « terrain » constitué de compteurs, de capteurs, de détecteurs ou encore d'actionneurs ;
un système « régulation » qui mesure, programme, règle et actionne les équipements ;
un système d' « archivage » qui communique, enregistre, traite et synthétise les informations.
10. Santerne précise dans ses écritures que deux types de logiciels de GTB coexistent :
les logiciels de GTB « fermés » ou « propriétaires » (protocole de communication fermé) développés spécifiquement par un constructeur et qui ne sont pas interopérables avec le matériel d'autres équipementiers, impliquant une configuration par programmation informatique ;
les logiciels de GTB « ouverts » (protocole de communication « ouvert ») qui reposent sur une structuration standardisée du développement informatique des logiciels.
11. Elle indique, ce point n'étant pas contesté devant la Cour, que le logiciel de GTB équipant les sites de LMCU fonctionnait avec un protocole fermé de fourniture Schneider Electric configuré et programmé depuis 2007 par Neu, lors de précédents appels d'offres lancés par LMCU.
12. La GTB constitue un marché émergent à fort enjeu économique et industriel qui est étroitement lié à la problématique de la transition énergétique.
III. LE MARCHÉ CONCERNÉ
13. Le marché public en cause concerne la maintenance et la transformation des installations de GTB de LMCU pour lequel cette dernière a lancé un appel d'offres le 11 avril 2014.
14. Cet appel d'offres de 2014 faisait suite à un appel d'offres lancé en 2013 déclaré infructueux, précédemment évoqué, dans le cadre duquel la DGCCRF avait identifié des échanges anticoncurrentiels entre Neu et STTN et transigé.
15. Le marché de l'appel d'offres lancé en 2014 comprenait, d'une part, des prestations forfaitaires (mise à niveau du logiciel de GTB et démontage de l'ancien système de GTB) et, d'autre part, des prestations hors forfait (maintenance préventive annuelle, mise à niveau du logiciel de GTB sur les sites non compris dans le forfait, maintenance curative sur bons de commande et commande de matériel sur bons de commande).
16. Le cahier des clauses techniques particulières (ci-après le « CCTP ») prévoyait que les domaines d'intervention du système de GTB de LMCU portaient entièrement sur les installations techniques (CVC : chauffage, ventilation et climatisation), électricité, alarmes techniques) et que le marché devait comprendre certaines prestations notamment décrites au paragraphe 21 de la décision attaquée.
17. Le cahier des clauses administratives particulières prévoyait que « le titulaire est habilité à sous-traiter l'exécution de certaines parties du marché (') L'entreprise sous-traitante devra obligatoirement être acceptée et ses conditions de paiement agréées par le pouvoir adjudicateur (') Toute sous-traitance occulte pourra être sanctionnée par la résiliation du marché aux frais et risques de l'entreprise titulaire du marché (article 32.1 du CCAG FCS) » (Annexe 11, Cahier des clauses administratives particulières, cote 516).
18. Le règlement de la consultation prévoyait que les dossiers de candidature devaient, notamment, comporter le bordereau de prix unitaire (« BPU ») valant détail quantitatif estimatif (le « DQE ») et retraçant les prix de certains équipements, matériels et prestations de l'offre, le cadre de mémoire technique détaillant la réponse technique proposée par le candidat, ainsi que plusieurs documents relatifs, par exemple, à la capacité technique, professionnelle et financière du candidat.
19. Il prévoyait que la durée de validité du marché était fixée à un an à compter de sa notification, reconductible de manière tacite trois fois pour une période d'un an, soit une durée maximum de quatre ans.
20. Il précisait également que les offres des candidats seraient analysées au regard des critères suivants :
le prix, à hauteur de 40 % de la note globale ;
la valeur technique, à hauteur de 60 % de la note globale (se ventilant de la manière suivante : 30 % au titre de la pertinence de la solution apportée par rapport au cahier des charges, 20 % au titre des moyens humains proposés et 10 % au titre de la pertinence de la méthode d'exploitation et de maintenance mise en œuvre) (annexe 11, règlement de consultation, cote 608).
21. Le 28 mai 2014, date limite de réception des offres, trois candidatures ont été déposées par Neu, Santerne tertiaire et santé et Eiffage énergie tertiaire nord.
22. Le 28 octobre 2014, le marché a été attribué à Neu.
IV. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE DANS LES PRATIQUES LITIGIEUSES
A. Santerne
23. Santerne a pour activité principale les travaux d'installations électriques et CVC.
24. Elle précise, dans ses écritures devant la Cour, ce point n'étant pas contesté, qu'elle regroupait, en 2014, trois établissements :
Santerne Aéronautique et Défense qui intervient dans le secteur des travaux de génie électrique sur les infrastructures aéroportuaires et/ou dans le secteur de la défense nationale et de la sécurité ;
Santerne Fluides qui intervient dans le secteur des travaux de génie climatique de bâtiments tertiaires (chauffage, ventilation, climatisation et plomberie) ;
Santerne Tertiaire et Santé qui est spécialisé dans les travaux de génie électrique pour les opérations tertiaires, plus particulièrement dans les domaines de la santé (public et privé), de l'enseignement (public et privé) et les grands ensembles immobiliers publics dans le Nord Pas de Calais. Son activité principale est l'installation électrique courants forts (alimentation électrique) et courants faibles (câblage information, pilotage de domotique). Il s'agit de l'établissement concerné par les pratiques.
25. À la date des pratiques relevées, Santerne était intégralement détenue par Vinci Energies France Nord, filiale à 100 % de Vinci Energies, dont le capital était détenu en quasi-totalité (99,34 %) par la société anonyme Vinci.
26. Le 18 avril 2016, Vinci Energies France Nord a fait l'objet d'une fusion absorption au profit de la société Vinci Energies France et a été radiée du RCS le 30 juin 2016.
27. Depuis, Santerne est une filiale à 100 % de Vinci Energies France, filiale à 100 % de Vinci Energies, dont le capital est quasi intégralement (99,34 %) détenu par la société anonyme Vinci.
28. En 2018, Santerne a réalisé un chiffre d'affaires de 37,9 millions d'euros.
29. Le chiffre d'affaires mondial consolidé du groupe Vinci pour 2018 atteignait 43,5 milliards d'euros.
B. Neu
30. Neu réalise des prestations de conseil, d'ingénierie et de réalisation en informatique et automatisme industriel et tertiaire.
31. Elle est intervenue, à compter de 2007, en qualité de sous-traitant de STTN, qui a été attributaire des appels d'offres sur les marchés de maintenance et de transformation des installations de GTB lancés par LMCU en 2005, puis 2008.
32. Elle a ensuite déposé sa candidature aux appels d'offres de 2013 et 2014, et été attributaire de l'appel d'offres de 2014.
33.Comme il a déjà été exposé, cette société a exécuté les obligations résultant de l'acceptation de la transaction proposée par la DGCCRF, concernant les appels d'offres lancés en 2013 et 2014, de sorte que l'action est éteinte à son égard conformément à l'article L. 464-9 du code de commerce.
V. LA PROCÉDURE EN CAUSE
34. Par la décision n° 21-D-05 du 4 mars 2021 (ci-après la « décision attaquée ») l'Autorité a dit établi que Santerne, en tant qu'auteur, et les sociétés Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci, en tant que sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à des échanges d'informations confidentielles avec Neu en vue de la passation du marché de maintenance et de transformation des installations de gestion technique des bâtiments de [Localité 14] métropole communauté urbaine 2014-2018.
35. Par son recours, Santerne demande à la Cour de :
juger que les services d'instruction et le Collège de l'Autorité ont violé les dispositions de l'article L. 464-9 du code de commerce ; que le grief retenu et sanctionné par l'Autorité est infondé, et, en conséquence, d'annuler la décision attaquée ;
à défaut, réformer la décision en toutes ses dispositions ;
à titre subsidiaire, juger que la responsabilité des pratiques n'est pas imputable à Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci et que les éléments pris en considération par l'Autorité pour déterminer le montant de la sanction sont erronés et, en conséquence, réformer l'article 2 de la décision attaquée et réduire le montant de la sanction qui lui a été infligée ;
en tout état de cause, ordonner le remboursement immédiat des frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et rappeler que la décision à intervenir constitue un titre de restitution des fonds indûment versés en vertu de l'exécution provisoire.
36. Par leur recours les sociétés Vinci Energies et Vinci Energies France (ci-après « les sociétés Vinci Energies ») demandent à la Cour de :
À titre principal
juger que l'Autorité a violé les dispositions de l'article L. 464-9 du code de commerce, en donnant « une géométrie variable » à la notion « d'entreprise » en droit de la concurrence selon qu'elle est mise en œuvre par l'administration ou par l'Autorité elle-même, annuler la décision attaquée et les mettre hors de cause ;
En tout état de cause
juger que la décision attaquée a méconnu les règles de la commande publique sur la sous-traitance ainsi que les principes du droit européen applicables en la matière, réformer la décision attaquée et, statuant à nouveau juger que le grief retenu à l'encontre de la société Santerne est infondé et, en conséquence, les mettre hors de cause ;
À titre subsidiaire
juger que le grief retenu à l'encontre de Santerne ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle par principe, en conséquence, réformer la décision attaquée et, statuant à nouveau, réduire le montant de la sanction infligée à Santerne et solidairement aux sociétés Vinci Energies, dès lors qu'au vu des observations de l'Autorité du 8 mars 2022, la pratique sanctionnée n'est plus une pratique d'interdiction per se ;
écarter le jeu de la présomption d'exercice d'une influence déterminante des sociétés Vinci Energies sur Santerne et les mettre hors de cause ;
juger que les éléments d'aggravation pris en considération par l'Autorité pour majorer le montant de la sanction de base infligée conduisent au prononcé d'une sanction disproportionnée en violation de l'article L. 464-2 du code de commerce et, en conséquence, réduire le montant de la sanction infligée.
37. Par son recours la société Vinci SA (ci-après « Vinci ») demande à la Cour de :
juger que l'Autorité a violé les dispositions de l'article L. 464-9 du code de commerce ; que la notification de griefs qui lui a été adressée est irrecevable ; que les pratiques sanctionnées ne peuvent lui être imputées, et, en conséquence, annuler la décision attaquée ;
À tout le moins
infirmer cette décision en la mettant hors de cause ;
En tout état de cause
ordonner le remboursement immédiat des sommes qu'elle a indûment versées ainsi que des frais de publication, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.
38. L'Autorité conclut au rejet des moyens et recours.
39.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public invitent également la Cour à rejeter le recours.
MOTIVATION
I. SUR LA VIOLATION, ALLÉGUÉE, DE L'ARTICLE L. 464-9 DU CODE DE COMMERCE ET L'ATTEINTE AUX DROITS FONDAMENTAUX DES PARTIES EN RÉSULTANT
40. Santerne, Vinci et les sociétés Vinci Energies (ci-après, ensemble le « groupe Vinci ») estiment, en premier lieu, que les services d'instruction, ont, en violation de l'article L. 464-9 du code de commerce, notifié le grief aux sociétés mères (Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci).
41. Le groupe Vinci fait valoir qu'en proposant la procédure de transaction à Santerne, la DIRECCTE a considéré qu'elle était une « entreprise » autonome, responsable des pratiques alléguées, puisqu'elle seule réalisait un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros et en déduit qu'elle seule pouvait, à la suite de son refus de transiger, faire l'objet d'une procédure devant l'Autorité en application de l'article L. 464-9 du code de commerce. Il rappelle également la position du rapporteur général de ne pas proposer à l'Autorité de se saisir d'office à réception du rapport administratif d'enquête qui n'imputait les pratiques qu'à la seule filiale Santerne. Il reproche en définitive à l'Autorité d'avoir excédé le champ de sa saisine, alors qu'elle était liée par la base légale de l'acte de saisine du ministre chargé de l'économie, qui ne lui permettait pas de rechercher la responsabilité des sociétés mères et invoque ainsi la violation des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du code de commerce.
42.Il estime également qu'un raisonnement fondé sur le caractère « facultatif » de l'imputation des pratiques aux sociétés mères lorsqu'il est fait application de l'article L. 464-9 précité génèrerait nécessairement des discriminations en ce qu'il permettrait au ministre de décider discrétionnairement de proposer à certaines filiales de grands groupes, non autonomes, une procédure de transaction et, pour d'autres, de saisir directement l'Autorité sur le fondement de l'article L. 462-5 du code de commerce, ce qui serait susceptible d'introduire une rupture d'égalité de traitement entre filiales de grands groupes et de violer le principe de sécurité juridique, en plaçant les filiales de grands groupes dans l'impossibilité d'appréhender le risque juridique auquel elles font face.
43. Il ajoute qu'une différence doit être faite entre les saisines intervenant sur le fondement de l'article L. 462-5 du code de commerce (en amont des attributions de l'Autorité) et celle mise en œuvre dans le cadre de l'article L. 464-9 du même code (en substitution de l'Autorité concernant ce qui est désigné comme des « micro-pratiques anticoncurrentielles »). Il estime que les actes de saisine de droit commun découlant du premier texte ne constituent pas un premier degré d'examen des pratiques ou, à tout le moins, ne sont pas suffisants pour permettre à l'Autorité de se soustraire à son obligation de qualification des pratiques, tandis que, dans le cadre du second, l'Autorité est saisie de pratiques déjà établies. Il considère que dans ce dernier cas il ne s'agit pas pour l'Autorité de réexaminer les pratiques qui relevaient des attributions du ministre et que le principe de saisine in rem ne permet pas pour autant à l'Autorité de s'exempter du périmètre de la saisine qui découle du fondement juridique sur lequel elle est saisie. Il ne s'agit pas de procédures distinctes et autonomes. (Pièce Vinci n° 6, consultation juridique).
44. Dans le même temps, le groupe Vinci se prévaut de la notion autonome d' « entreprise », issue du droit de l'Union en matière de concurrence, pour considérer que l'appréciation des seuils de chiffres d'affaires visés par l'article L. 464-9 précité ne saurait être limité au seul chiffre d'affaires réalisé par la société auteur des pratiques et renvoie à cet égard à l'avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence, par lequel le Conseil de la concurrence avait préconisé de ne pas viser « la personne morale » auteur des pratiques mais l'« entreprise », afin d'éviter que « des entreprises relativement importantes « ou des filiales de groupes puissants »[puissent] transiger avec les services ministériels à hauteur de 75 000 euros et se prémunir ainsi de toute poursuite sérieuse, la réforme ayant pour objet de donner plus d'efficacité à l'Autorité déboucherait paradoxalement sur une « contre-réforme » ayant pour effet d'anéantir le système de régulation indépendante créé en 1986 ». Il ajoute que le principe d'autonomie procédurale ne peut être utilement invoqué pour s'écarter de la notion d'entreprise au sens du droit de la concurrence, aucune distinction n'étant à opérer entre règle de fond et règle procédurale quant à l'interprétation de cette notion. Il déplore en définitive une application « à géométrie variable » entre le premier stade de la procédure et le second. Il relève que le terme « auteur » se retrouve dans d'autres dispositions du code et ne peut être interprété comme la volonté du législateur de consacrer une notion ad hoc, de même que la notion d'entreprise au sens du droit de la concurrence a déjà été retenue dans des domaines relevant de l'autonomie procédurale, comme la procédure de clémence.
45. Le groupe Vinci considère ainsi, en substance, que dans le cas où l'entreprise en cause est circonscrite à Santerne (considérée comme autonome), la compétence du ministre est justifiée au regard du chiffre d'affaires réalisé, mais que cette situation ne permet pas à l'Autorité de modifier sa saisine en notifiant des griefs aux sociétés mères. Le groupe Vinci relève qu'à l'inverse, dans le cas où Santerne est considérée comme non autonome, alors l'entreprise en cause est constituée de l'entité économique qu'elle compose avec ses sociétés mères, de sorte que la saisine de l'Autorité est viciée puisque le ministre chargé de l'économie est alors incompétent pour proposer de transiger puisque cette entité réalise un chiffre d'affaires excédant son seuil de compétence.
46. Le groupe Vinci soutient, en deuxième lieu, que l'application erronée de l'article L. 464-9 du code de commerce, qui vient d'être évoquée, est contraire aux droits de la défense et viole les principes fondamentaux de sécurité juridique, de confiance légitime et d'égalité de traitement. Il invoque en ce sens plusieurs arguments.
47. Il souligne, d'abord, que la procédure de transaction n'offre pas toutes les garanties indispensables au respect des principes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH ») en l'absence de séparation des fonctions d'instruction et de jugement, ainsi que de recours ouvert à l'entreprise concernée. Il considère que de telles atteintes seraient d'autant plus inacceptables si, après avoir refusé la transaction, l'entreprise se trouvait poursuivie, non pas seule mais avec ses sociétés mères, avec un risque d'aggravation de la sanction tenant à l'appartenance au groupe et/ou à la situation de réitération en résultant.
48. Il fait valoir, ensuite, que les sociétés mères (Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci) n'ont jamais été parties à la procédure devant la DIRECCTE et n'ont donc pas été en mesure de se défendre devant elle en présentant des observations pendant cette procédure ni, le cas échéant, d'accepter l'offre de transaction. Il relève également que la sanction de Santerne a été majorée de 70 % au titre de son appartenance à un groupe et de 15 % au titre de la réitération en raison de l'imputation du grief à ses sociétés mères, alors que le ministre n'avait engagé de poursuite qu'à l'égard de la seule filiale Santerne.
49. Le groupe Vinci déduit de l'ensemble de ces développements une atteinte aux droits de la défense et aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ainsi qu'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que la société mère de Neu réalisait, comme les sociétés Vinci Energies, un chiffre d'affaires supérieur au seuil de 50 millions d'euros prévu par l'article L. 464-9 du code de commerce.
50. L'Autorité fait valoir, en premier lieu, qu'elle n'était pas en charge de l'application de l'article L. 464-9 du code de commerce, qu'elle ne serait pas liée par une éventuelle erreur d'appréciation du ministre quand à celle-ci et qu'en l'occurrence elle est saisie in rem. Elle considère que si l'acte de saisine du ministre ne vise que Santerne, elle peut mettre en cause d'autres personnes morales si l'instruction révèle qu'elles ont participé aux pratiques concernées par la saisine. Elle estime que les articles L. 464-9, R. 464-9-1 et R. 464-9-3 du code de commerce n'impliquent pas que seules les sociétés mises en cause dans le cadre de la procédure devant la DGCCRF puissent être destinataires de la notification des griefs au stade de la procédure devant l'Autorité.
51. Elle soutient, en deuxième lieu, qu'en ce qu'il se réfère au terme « auteur », les seuils de chiffres d'affaires visés par l'article L. 464-9 du code de commerce doivent être calculés en tenant compte du chiffre d'affaires réalisé par les seules sociétés auteurs des pratiques, et non en fonction du chiffre d'affaires consolidé par les sociétés mères du groupe auquel ces sociétés appartiennent. Elle fait valoir que ce texte correspond à une règle procédurale qui vise à définir le champ de compétence du ministre chargé de l'économie, par référence à des seuils de chiffres d'affaires, et considère, compte tenu du principe d'autonomie procédurale reconnu aux États membres, que la notion d'« entreprise » visée par cet article ne se confond pas avec celle définie par la jurisprudence de l'Union. Elle invoque en ce sens un arrêt de la cour d'appel de Paris, (26 février 2015, RG n° 2013/06663, confirmé par l'arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2017, pourvoi n° 15-15.005) ayant reconnu l'interprétation spécifique de la notion d'« entreprise » au sens de l'article L. 464-2 du code de commerce, dans la mesure où cet article était une règle procédurale qui instituait un cadre distinct pour la détermination des sanctions pécuniaires. Elle ajoute que l'interprétation de l'article L. 464-9 précité, circonscrite à la détermination de la compétence du ministre, n'a pas pour effet de remettre en cause la notion d'entreprise au titre du champ d'application matériel, des règles de concurrence pour qualifier des pratiques anticoncurrentielles et leur imputabilité.
52. En troisième lieu, et en tout état de cause, à supposer même que le ministre chargé de l'économie ait outrepassé les compétences qui lui sont dévolues par cet article, elle estime que cela n'aurait ni pour effet d'affecter la validité de la saisine concernant les entreprises ayant refusé de transiger, ni la procédure menée par la suite devant l'Autorité, dans la mesure où aucune atteinte aux droits de la défense et aux principes généraux du droit n'est établie par les requérantes. Elle constate que les sociétés mères de Santerne ont pu déposer leurs observations et faire valoir leurs arguments.
53. Elle relève au surplus que le montant de la sanction encourue par Santerne devant l'Autorité à la suite de la saisine du ministre est bien supérieur aux seuils d'informations et de contrôle de ses sociétés mères (40 millions d'euros pour Vinci, 10 millions d'euros pour Vinci Énergies, 3 millions d'euros pour Vinci Énergie France), de sorte que Santerne aurait dû les informer avant de prendre la décision de refuser de transiger avec le ministre chargé de l'économie.
54. Ensuite, elle rappelle qu'aucune disposition du code de commerce n'interdit à l'Autorité de mettre en cause d'autres sociétés que celles visées par la saisine du ministre chargé de l'économie intervenant sur le fondement de l'article L. 464-9 du code de commerce et en déduit qu'aucune violation des principes de sécurité juridique et confiance légitime n'est établie.
55. Enfin, elle observe, d'une part, que la société mère de Neu n'est pas dans une situation comparable aux sociétés mères de Vinci (dans la mesure où Santerne a refusé de transiger avec le ministre de l'économie, alors que Neu a accepté sa proposition transactionnelle), d'autre part, et en tout état de cause, que nul ne peut invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d'autrui (TUE, 8 juillet 2008, T-54/03, Lafarge / Commission).
56. Le ministre chargé de l'économie fait valoir que les procédures menées par la DGCCRF et par l'Autorité sont distinctes et autonomes, que saisie in rem, cette dernière peut s'appuyer sur les éléments factuels recueillis par les services d'enquête de la DGCCRF sans pour autant être liée par la qualification des faits et leur imputabilité.
57. Il ajoute que le rapport d'enquête souligne la détention capitalistique de Santerne et d'autres éléments, qui sont précisément susceptibles, en cas de refus de transiger, de conduire l'Autorité à imputer les pratiques aux sociétés mères. Il en déduit qu'aucune assurance précise n'avait ainsi été délivrée concernant le fait que Santerne était l'unique mise en cause en tant qu'entreprise autonome. Il invite la Cour à rejeter l'ensemble des moyens.
58. Le ministère public considère que si l'action menée par la DGCCRF est complémentaire de celle de l'Autorité, plusieurs éléments font apparaitre une certaine autonomie des procédures menées sur le fondement de l'article L. 464-9 du code de commerce.
59. S'agissant de la saisine de l'Autorité, il relève, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 464-9-3 du code de commerce, « Les observations formulées par les entreprises destinataires de l'injonction ou de la transaction dans le cadre de la procédure ne sont pas transmises à l'Autorité de la concurrence » et, en second lieu que la Cour a déjà jugé que l'Autorité, saisie in rem (CA Paris, 30 janvier 2007, RG 06/00566), instruit l'objet de sa saisine en toute indépendance et n'est pas liée par les analyses ou qualifications envisagées au cours de la phase administrative d'enquête (CA Paris, 20 février 2020, RG 19/083377, § 56). Il rappelle, à titre d'illustration, l'arrêt de cette Cour rendu le 21 décembre 2017 (RG 16/06962) ayant confirmé une décision n° 16-D-02 dans laquelle des sociétés, qui n'avaient pas été mises en cause par le ministre, se sont vu imputer les infractions commises par leur filiale. Il ajoute que la sanction infligée par l'Autorité est décorrellée et, en général, supérieure à celle de la transaction proposée, voire supérieure au plafond légal de la transaction et observe, comme la décision attaquée, que l'article L. 464-9 précité ne précise pas que seule la société mise en cause dans le cadre de la procédure devant la DGCCRF doit être destinataire de la notification des griefs au stade de la procédure devant l'Autorité.
60. S'agissant de la notion d'entreprise visée par l'article L. 464-9 du code de commerce, il considère que les seuils de chiffre d'affaires visés par ce texte doivent être calculés en tenant compte du chiffre d'affaires réalisé par les seules sociétés auteurs des pratiques et renvoies-en ce sens au rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2008-1161 ayant instauré cette procédure.
61. Il souscrit, pour le surplus, à l'ensemble de l'analyse de la décision attaquée et des observations du ministre et de l'Autorité.
Sur ce, la Cour,
62. Aux termes de l'article L. 464-9 du code de commerce « [e]n cas de refus de transiger, le ministre chargé de l'économie saisit l'Autorité ».
63. De la même manière, l'article L. 462-5, I, du code de commerce prévoit que « [l]'Autorité de la concurrence peut être saisie par le ministre chargé de l'économie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ('), ou de faits susceptibles de constituer une telle pratique, (') ».
64. Qu'elle soit saisie en application de l'article L. 464-9 ou sur le fondement de l'article L. 462-5, I, du code de commerce, l'Autorité instruit l'objet de sa saisine en toute indépendance. Étant saisie « in rem » des faits portés à sa connaissance, il lui appartient de déterminer s'ils sont constitutifs de pratiques prohibées et, dans l'affirmative, d'en identifier les auteurs, sans être liée par les analyses ou qualifications envisagées au cours de la phase administrative antérieure. Elle ne saurait en effet être privée des prérogatives attachées à son statut d'autorité administrative indépendante.
65. La seule limite lui est imposée par l'article L. 464-9, alinéa 2, du code de commerce et réside dans les conséquences attachées à l'exécution d'une transaction acceptée par une autre partie dans la même procédure d'enquête. En effet, une telle situation éteint toute action devant l'Autorité « pour les mêmes faits ». Tel est le cas des agissements de Neu. En revanche, contrairement à ce qu'invoquent les requérantes, ce qui vaut pour l'acceptation d'une transaction ne vaut pas nécessairement pour son refus. Ainsi, il ne saurait être déduit de la circonstance que les sociétés mères de Neu ne peuvent plus faire l'objet de poursuites sur la base des faits commis par leur filiale, par application de l'alinéa 2 de l'article L. 464-9 du code de commerce, que la saisine de l'Autorité intervenue sur le fondement de l'alinéa 4, du même article, à la suite d'un refus de transiger d'une filiale, exclurait toute faculté de l'Autorité d'examiner l'imputabilité à ses sociétés mères des faits qui lui sont reprochés, sauf à ajouter au texte une limitation qu'il ne prévoit pas.
66. Le caractère automatique de la saisine de l'Autorité par le ministre après un refus de transiger est inhérent à la lettre de l'article L. 464-9, qui ne laisse au ministre aucune marge d'appréciation. Il ne modifie pas la nature « in rem » de cette saisine et les conséquences, déjà évoquées, qui y sont attachées. C'est ainsi à tort qu'il est soutenu que l'Autorité aurait excédé le champ de sa saisine en notifiant des griefs aux sociétés mères de Santerne. Il est également vain de la part des requérantes, pour les motifs qui précèdent, de prétendre que l'Autorité serait liée par la reconnaissance d'une autonomie d'action de la filiale qui découlerait du choix de la DGCCRF de ne proposer la transaction qu'à Santerne.
67. Il est tout aussi inopérant de prétendre que le ministre chargé de l'économie aurait méconnu les dispositions de l'article L. 464-9 précité lorsqu'il a proposé une transaction à Santerne et qu'il en résulterait la violation d'un ensemble de principes et droits fondamentaux de nature à vicier la présente procédure, pour les motifs qui suivent.
68. Il y a lieu de rappeler qu'aux termes de ce texte, « [l]e ministre chargé de l'économie peut enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 dont elles sont les auteurs lorsque ces pratiques ne concernent pas des faits relevant des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et sous réserve que le chiffre d'affaires que chacune d'entre elles a réalisé en France lors du dernier exercice clos ne dépasse pas 50 millions d'euros et que leurs chiffres d'affaires cumulés ne dépassent pas 200 millions d'euros. Le ministre chargé de l'économie peut également, dans les mêmes conditions, leur proposer de transiger. Le montant de la transaction ne peut excéder 150 000 € ou 5 % du dernier chiffre d'affaires connu en France si cette valeur est plus faible ». (Soulignement ajouté par la Cour)
69. D'abord, ce texte, qui est une disposition procédurale qui détermine le champ de compétence du ministre chargé de l'économie en matière d'injonction et transaction « lorsque ces pratiques affectent un marché de dimension locale » et « ne concernent pas des faits relevant des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne », devenus 101 et 102 du TFUE, est sans incidence sur le champ d'application matériel des règles de concurrence du droit de l'Union européenne. Il est donc vain d'invoquer la méconnaissance de ce droit à l'occasion de la mise en œuvre d'une telle disposition.
70. Ensuite, et en tout état de cause, la notion d'« entreprise », qui autorise l'imputation des pratiques anticoncurrentielles d'une filiale à sa société mère et permet d'engager la responsabilité de la seconde au titre de faits matériellement commis par la première, constitue une faculté, non une obligation. De sorte qu'il est tout aussi vain de prétendre que la notion d'entreprise employée à l'article L. 464-9 précité, reprise à l'article R. 464-9-3 du même code, imposerait de mettre en cause les sociétés mères des filiales non autonomes impliquées dans les pratiques et qu'ainsi le ministre chargé de l'économie aurait excédé sa compétence au regard des chiffres d'affaires réalisé par l'ensemble de ces sociétés.
71. Par ailleurs, dans la mesure où l'Autorité est informée préalablement de la procédure en cours, conformément à l'article D. 450-3 du code de commerce, et peut décider de se saisir des faits, la possibilité offerte au ministre chargé de l'économie de transiger avec la seule filiale d'un groupe de taille nationale, voire mondiale, ne prive pas cette dernière de toute action. La critique n'est donc pas fondée.
72. En l'espèce, en proposant une transaction à Santerne, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros, qu'il a identifiée comme auteur de pratiques qui n'ont pas été imputées, à ce stade, à ses sociétés mères, puis en saisissant l'Autorité après son refus de transiger, le ministre chargé de l'économie est resté dans les limites de sa compétence. Pour les motifs exposés au paragraphe 64 du présent arrêt, l'Autorité, pour sa part, a exercé la plénitude de ses pouvoirs, sans en méconnaitre les limites, en vidant sa saisine comme elle l'a fait. L'analyse qui précède n'est pas nouvelle, comme l'illustre l'application qui en a été faite dans la décision n° 16-D-02 du 27 janvier 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire par autocar dans le Bas-Rhin, dans laquelle l'Autorité a également imputé les pratiques en cause aux sociétés mères de filiales ayant refusé de transiger sans susciter la moindre controverse sur ce principe, tenu pour constant. Il s'ensuit qu'aucune méconnaissance du principe de sécurité juridique n'est caractérisé.
73. Ensuite, si le rapport administratif d'enquête établi par la DGCCRF a choisi de limiter son action à Santerne (§ 218), il n'en avait pas moins détaillé, aux paragraphes 35 et 184, la détention capitalistique de Santerne, filiale « à 100 % de Vinci énergies France ('), elle-même détenue à 100 % par Vinci énergies ('), à son tour détenue par Vinci (') » (cotes 33 et 78) et évoqué la question de l'autonomie de la filiale dans une partie consacrée à la présomption « d'influence déterminante » exercée par sa société mère (§ 178 à 184, cote 77). Au paragraphe 180, le rapport mentionne ainsi « Il est donc présumé que la SAS VINCI ENERGIES FRANCE NORD HOLDING exerçait pendant la période des pratiques une influence déterminante sur la SAS SANTERNE NORD TERTIAIRE, ainsi que son établissement SANTERNE TERTIAIRE ET SANTÉ ». Si, à ce stade de la procédure, seules ont été mises en cause les filiales, en qualité d'auteurs des pratiques, il ne peut se déduire de cette circonstance et pas davantage des termes du rapport d'enquête, que l'administration ait fourni des assurances précises, inconditionnelles et concordantes concernant le fait que la responsabilité des sociétés mères ne pourrait être recherchée en cas d'échec de la transaction. Le choix procédural d'ouvrir une voie transactionnelle à la filiale, identifiée comme auteur des pratiques, au regard de leur dimension locale et des autres éléments d'appréciation de l'affaire (gravité des faits, dommage à l'économie, gains procéduraux au bénéfice d'autres procédures), ne saurait induire, ni l'autonomie de cette filiale, ni l'impossibilité de notifier des griefs aux sociétés mères dans l'hypothèse d'une procédure contentieuse. Comme l'a justement relevé la décision attaquée, l'article L. 464-9 du code de commerce ne prévoit pas que seule la société mise en cause dans le cadre de la procédure devant la DGCCRF doit être destinataire de la notification des griefs au stade de la procédure devant l'Autorité. Les requérantes ne sont donc pas fondées à invoquer la violation du principe de confiance légitime.
74. Les sociétés mères du groupe Vinci invoquent également en vain une violation des droits de la défense et l'insuffisance de garanties offertes au cours de la phase administrative d'enquête menée par la DGCCRF pour respecter l'article 6 de la CSDH. En effet, il n'était, à ce stade, porté aucune accusation contre elles. Par ailleurs, elles ont, devant l'Autorité, eu accès au dossier et ont produit des éléments en réponse à la notification des griefs et en séance, puis fait encore valoir tous les moyens et éléments qu'elles souhaitaient à l'occasion de leur recours, tant sur la qualification des faits que sur leur imputabilité de sorte qu'aucune atteinte aux droits de leur défense n'est caractérisée.
75. La Cour ajoute qu'elles ne peuvent davantage exciper de la perte d'une chance de transiger, voire d'un droit à le faire, en déplorant le fait « qu'elles n'ont pas eu l'occasion d'en accepter les termes » alors que leur chiffre d'affaires les excluait du bénéfice de cette procédure.
76. Enfin, le groupe Vinci invoque en vain la violation du principe d'égalité de traitement, en comparant sa situation à celle de Neu et de sa société mère, dès lors que ces entreprises ne sont pas dans des situations identiques, dans la mesure où Neu a transigé, contrairement à Santerne.
77. Les moyens aux fins d'annulation sont rejetés.
II. SUR LA CARACTÉRISATION DU GRIEF NOTIFIÉ
78. La décision attaquée décrit aux paragraphes 25 à 37 les éléments établissant l'existence d'échanges d'informations entre Neu et Santerne à l'occasion de l'appel d'offres lancé en 2014 par LCMU, intervenus avant la date limite de remises des offres.
79. Ces contacts, non contestés dans leur matérialité et leur contenu, intervenus entre le 14 mai 2014 et le 27 mai 2014 (veille de la date limite de dépôt des offres), par téléphone et courriels, ressortent de :
courriels cotés au dossier : courriel de Santerne adressé à Neu du 14 mai 2014 (cote 1378), courriel en réponse de Neu adressé à Santerne le 23 mai 2014 (cotes 1502 à 1506), deux courriels de Neu du 23 mai 2014 complétant par pièces jointes (cotes 1529 et 1556), courriel du 26 mai 2014 de Neu transmettant à Santerne une version de son mémoire technique (cote 1383), courriel en réponse de Santerne du 26 mai 2014 (cote 1598), courriels en réponse de Neu du 26 mai 2014 (cotes 1598, 1599, 1601 à 1675) et deux courriels du 27 mai 2014 échangés entre Santerne et le directeur commercial de Neu (cote 1040) ;
et des déclarations du responsable du bureau d'études de Santerne: « nous avons contacté par téléphone Neu une fois le dossier de consultation en notre possession afin de faire une demande de prix en tant que fournisseur de matériel et de logiciel. À cette occasion, M. [I] [R] m'a indiqué que la société NEU allait candidater en direct » « par la suite, nous avons échangé des courriels avec M. [I] [R] afin qu'il nous communique les tarifs de NEU en tant que fournisseur ». (Cote 1373)
80. La nature des informations échangées est décrite aux paragraphes 38 à 40 de la décision attaquée, dont il ressort qu'elles ont concerné les prix unitaires de Neu et permis à Santerne de disposer de « 47 % de l'offre financière de Neu, hors partie forfaitaire relative à la migration du logiciel, et 24 % de son offre financière totale », outre « une part significative du mémoire technique de Neu », la décision attaquée constatant que « seules les parties relatives à la maintenance préventive et curative et à la prise en compte de la gestion de maintenance assistée par ordinateur (GMAO) de LMCU manquaient dans le document transmis le 26 mai 2014 ».
81. La décision attaquée dresse, aux paragraphes 41 à 46, l'écart de prix entre les « offres » communiquées par Neu à Santerne et les offres déposées par Neu et Santerne en réponse à l'appel d'offres, dont il ressort que le montant total de l'offre de Santerne était 1,6 fois supérieur à celui de Neu.
82. Les discussions ne portent pas sur la matérialité des échanges mais sur leur caractère anticoncurrentiel.
A. Sur le respect des règles de la commande publique et du droit de l'Union portant coordination des procédures de passation des marchés publics.
83. La décision attaquée rappelle que « [s]i la coopération d'entreprises indépendantes et concurrentes en vue de répondre à un appel d'offres n'est pas anticoncurrentielle en soi, cette coopération ne doit pas donner lieu à des échanges d'informations de nature à fausser la concurrence » (§ 55) et pose pour principe que « lorsque des entreprises ont échangé des informations confidentielles entre elles pour répondre à un appel d'offres dans le cadre d'un projet de contrat de sous-traitance, celles-ci ne peuvent plus soumissionner individuellement par la suite à ce même appel d'offres » (§ 56). Elle invoque en ce sens sa pratique décisionnelle (décision n° 07-D-47 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'équipement pour la navigation aérienne).
84. Santerne et les sociétés Vinci Energies se prévalent, à titre liminaire, du principe de libre accès à la commande publique pour contester le postulat sur lequel repose la décision attaquée qui correspond, selon elle, à une interdiction per se. Elles soutiennent que rien n'interdit, par principe, à un opérateur économique de se porter candidat à une procédure de passation et être un sous-traitant d'un autre candidat à cette même procédure.
85. Elles relèvent que l'article R. 2142-21 du code de la commande publique ne pose pas d'interdiction de principe des poly-candidatures mais offre au pouvoir adjudicateur une simple faculté de les interdire dans les documents de la consultation (et ce dans des hypothèses différentes relatives au cumul de dépôts d'offre en qualité de candidats individuel et de membre d'un ou plusieurs groupements, non en matière de sous-traitance). Elles soulignent que l'article L. 2193-4 du même code précise, pour la sous-traitance, que « [l]'opérateur économique peut recourir à la sous-traitance lors de la passation du marché » et que ce principe a déjà été rappelé par la Cour de Justice des Communautés Européennes (arrêt du18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom, C-314/01). Elles ajoutent que la Cour de justice a rappelé dans un arrêt du 8 février 2018 qu'une telle exclusion de principe des candidats qui se trouvent dans un tel rapport, va au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver une concurrence saine et loyale et s'avère donc contraire au principe de proportionnalité (CJUE, 8 février 2018, Lloyd's of London, C-144/17).
86. Elles soutiennent également que l'appréciation d'une pratique au regard des règles de concurrence ne saurait être effectuée de manière abstraite, comme l'a fait l'Autorité en considérant les échanges en cause comme interdits en eux-mêmes, et qu'elle doit prendre en considération, notamment, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question. Elles rappellent que, dans son avis n° 96-A-08 du 2 juillet 1996 relatif aux propositions formulées dans un rapport portant sur la réforme du droit de la commande publique (page 7), le Conseil de la concurrence avait indiqué que « les concertations entre entreprises en vue d'établir des liens de sous-traitance ou de co-traitance ne sont prohibées en elles-mêmes ni en droit communautaire ni en droit interne », que le tribunal administratif de Paris a retenu la même analyse en jugeant que cette situation « n'est pas anticoncurrentielle en soi » (TA Paris, 16 mars 2004, Sté Renault Véhicules Industriels c/ État, n° 030190216) et exige, comme la cour d'appel de Paris, un faisceau d'indices graves, précis et concordants afin de considérer qu'une entente serait établie. Elles considèrent que les échanges litigieux n'étaient pas de même nature que les échanges jugés anticoncurrentiels dans les affaires citées par l'Autorité, notamment en ce que les échanges litigieux étaient justifiés et limités à la sous-traitance (ne portant pas sur l'intégralité des bordereaux de prix et ne s'inscrivant pas dans un objectif de partage de marché avec émission d'une offre de couverture).
87. Elles constatent, ensuite, qu'à rebours de la décision attaquée, dans ses observations devant la Cour, l'Autorité ne soutient plus que les échanges d'information, dans le cadre d'une sous-traitance, entre deux soumissionnaires à un même marché feraient l'objet d'une interdiction per se mais qu'ils seraient anticoncurrentiels lorsque les entreprises en cause n'ont pas mis en place des mesures adéquates pour garantir que les deux offres seront établies de manière indépendante ni informé l'acheteur public du projet de sous-traitance. Or, elles estiment que cette grille d'analyse n'a jamais été évoquée par les services d'instruction dans leur notification de grief, pas plus qu'elle n'a été discutée devant le Collège lors de la séance, ni retenue dans la décision attaquée. Elles considèrent qu'un tel revirement de l'Autorité justifie à lui seul l'annulation de la décision attaquée, l'Autorité ne pouvant motiver a posteriori sa décision et n'ayant pas davantage suivi cette grille d'analyse (n'ayant pas recherché si Neu avait mis en place « des mesures adéquates » pour garantir l'indépendance de son offre et n'ayant pas pris en compte qu'il était démontré que LMCU ne pouvait ignorer l'existence d'un accord de sous-traitance entre Santerne et Neu).
88. L'Autorité fait valoir que la décision attaquée ne méconnait pas les principes du droit de l'Union européenne applicables en matière de commande publique. Elle considère, d'abord, que le groupe Vinci ne peut prétendre que la décision attaquée emporterait une interdiction de principe de tout contact avec un sous-traitant pressenti qui entendrait également déposer une offre à titre individuel, compte tenu des termes du paragraphe 54. Elle renvoie, ensuite, au paragraphe 56 pour rappeler que c'est en raison, et dans la mesure, des informations confidentielles qu'elles ont échangées entre elles pour répondre à un appel d'offres dans le cadre d'un projet de contrat de sous-traitance, que les entreprises ne peuvent plus soumissionner individuellement par la suite à ce même appel d'offres. Elle considère, enfin, que dans un tel cas de figure, afin d'éviter que les échanges d'informations en lien avec la sous-traitance revêtent un caractère anticoncurrentiel, les entreprises doivent prendre les mesures adéquates pour garantir que les deux offres seront établies de manière indépendante et que l'acheteur public soit informé du projet de sous-traitance. Elle constate, en l'espèce, qu'aucune mesure n'a été prise par Neu et Santerne pour garantir l'indépendance de leurs offres respectives. Elle rappelle également que les échanges d'informations litigieux dépassent ce qui est admissible au regard du droit de la concurrence, que l'acheteur public n'avait pas été informé du projet de sous-traitance, alors même que la prestation sous-traitée à Neu représentait 86 % de la valeur de l'offre finale de Santerne (décision attaquée, § 75), que Santerne avait quasiment doublé les prix transmis par Neu dans son offre finale et n'a pas réussi à établir le caractère incontournable de Neu pour répondre à l'appel d'offres. Elle invite en conséquence la Cour à rejeter le moyen.
89. Le ministère public est également d'avis que Santerne et les sociétés Vinci Energies échouent à démontrer que la décision attaquée a été prise en violation du cadre régissant le recours à la sous-traitance dans les marchés publics.
Sur ce, la Cour,
90. La Cour rappelle, en premier lieu, que le comportement des candidats à un appel d'offres est susceptible d'être qualifié de pratique anticoncurrentielle dès lors qu'il empêche, restreint ou fausse le jeu de la concurrence sur le marché pertinent, et ce alors même qu'il ne constitue pas une pratique illégale au regard des procédures de passation des marchés publics. Il importe peu, en conséquence, que le droit de la commande publique, comme le droit de l'Union portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, n'interdise pas à un candidat d'intervenir à un même appel d'offres à titre individuel et en qualité de sous-traitant d'un autre candidat. Cette circonstance n'est en effet pas de nature à soustraire les candidats à un appel d'offres au respect des règles de concurrence.
91. En l'espèce, la décision attaquée a, tout d'abord, admis que la « coopération d'entreprises indépendantes et concurrentes en vue de répondre à un appel d'offres n'est pas anticoncurrentielle en soi » (§ 55), contredisant l'affirmation du groupe Vinci selon laquelle elle aurait posé un principe d'interdiction per se (c'est-à-dire automatique et absolue) à l'égard des candidatures répondant à un même appel d'offres à titre individuel et en qualité de sous-traitant d'un autre candidat. Elle a, ensuite, rappelé que « cette coopération ne doit pas donner lieu à des échanges d'informations de nature à fausser la concurrence » (même §) et en a justement tiré pour conséquence que « lorsque des entreprises ont échangé des informations confidentielles entre elles », pour répondre à un appel d'offres dans le cadre d'un projet de contrat de sous-traitance, celles-ci ne peuvent plus soumissionner individuellement par la suite à ce même appel d'offres, dans la mesure où leurs offres ne sont pas indépendantes et la concurrence faussée (§ 56). (Soulignement ajouté par la Cour)
92. Contrairement à ce que prétendent Santerne et les sociétés Vinci Energies, cette exigence ne constitue pas une atteinte au principe de libre accès à la commande publique, ni au principe de proportionnalité garanti par le droit européen, dès lors qu'elle n'interdit pas de manière automatique et absolue le recours à la sous-traitance, ni même le cumul de candidatures à titre individuel et en qualité de sous-traitant d'un autre candidat. L'énoncé de principe de la décision attaquée se borne en effet à rappeler que l'échange d'informations confidentielles intervenu dans ce contexte entre des entreprises concurrentes ne leur permet plus d'élaborer une offre de manière indépendante et, par voie de conséquence, de soumettre une candidature individuelle au même appel d'offres dans des conditions conformes aux règles de concurrence.
93. À cet égard, il convient d'ajouter que la Cour de justice a précisément dit pour droit, dans l'arrêt invoqué par les requérantes (affaire Lloyd's of London précitée), que les principes qui découlent du TFUE et de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, ne s'opposent pas à une réglementation qui permet, « de les exclure s'il apparaît, sur la base d'éléments incontestables, que leurs offres n'ont pas été formulées de manière indépendante ». Ce sont ces principes que l'Autorité a appliqués dans la décision attaquée aux paragraphes 57 et suivants, en relevant les éléments qui, selon elle, démontrent que les échanges d'informations ont permis à Santerne d'établir son offre et qu'ainsi les offres n'ont pas été formulées de manière indépendante. La pertinence de cette motivation sera appréciée dans la partie B de l'arrêt.
94. En second lieu, la Cour relève, d'abord, que la décision attaquée n'est pas dépourvue de motivation, comme le confirment les développements qui précèdent, et que les principes qui y sont justement énoncés aux paragraphes 55 et suivants n'en justifient pas l'annulation.
95. Ensuite, contrairement à ce que soutiennent Santerne et les sociétés Vinci Energies, les observations déposées par l'Autorité devant la Cour ne constituent pas une motivation a posteriori de la décision attaquée, ni davantage un revirement d'analyse justifiant l'annulation de la décision attaquée. En effet, elles se bornent à répondre aux arguments des parties qui soutenaient qu'une interdiction per se avait été posée par la décision attaquée, en exposant en quoi celle-ci n'avait rien d'absolu et d'automatique. La décision attaquée n'encourt aucune annulation à ce titre.
96. Enfin, il n'y a pas davantage lieu de réformer la décision attaquée en ce qu'il ne serait plus reproché à Santerne « une interdiction per se mais la simple absence de mise en place de mesures adéquates pour empêcher un échange d'informations sensibles entre concurrents », dès lors que cette critique manque en fait. En effet, pour les motifs déjà exposés, la décision n'a pas posé d'interdiction per se, mais a sanctionné une situation révélant une absence d'indépendance des offres séparées déposées simultanément, sans qu'aucune preuve contraire n'ait été apportée.
97. Le moyen, qui n'est fondé dans aucune de ses composantes, est rejeté.
B. Sur le caractère anticoncurrentiel des échanges intervenus entre Santerne et Neu
98. Santerne rappelle, à titre préalable, que l'Autorité n'a établi aucun échange d'informations entre les trois soumissionnaires (Neu, Santerne et Eiffage Energie) visant au dépôt d'offres de couverture au profit de l'une d'entre elles. Elle souligne ensuite que les indices des prétendues pratiques se sont en réalité limités à neuf courriels échangés, dans le cadre d'une seule et même conversation entre les deux mêmes salariés de Santerne et de Neu, sur une période de 13 jours, et qui portaient sur le même thème, à savoir, la perspective affichée pour Santerne d'utiliser Neu comme sous-traitant dans l'hypothèse où elle serait attributaire du marché, sans jamais s'inscrire dans la perspective du dépôt d'une offre de couverture. Elle constate que l'Autorité n'a jamais démontré quel aurait été l'objet anticoncurrentiel des deux sociétés vis-à-vis de LCMU.
99. Elle maintient qu'au regard des spécificités du marché, Neu était un sous-traitant nécessaire pour déposer une offre compétitive et conforme aux attentes du maître de l'ouvrage (rappelant notamment que ses compétences indispensables étaient confirmées par les déclarations de Neu et de STTN Energies aux services d'enquête de la DIRECCTE. Elle ajoute qu'elle peut utiliser pour sa défense tous les procès-verbaux versés au dossier de l'instruction, y compris les déclarations faites par des entreprises ayant transigé. Elle constate que l'offre d'Eiffage Energie, qui était la seule à ne pas faire appel à Neu, a été considérée comme insuffisante techniquement alors qu'elle était largement mieux-disante en termes de prix. Elle souligne que leurs échanges se sont strictement limités aux prestations de sous-traitance pour lesquelles Neu était nécessaire et précise que, concrètement, dans le cadre de la sous-traitance envisagée, Santerne aurait assuré la fourniture et la pose de capteurs ainsi que le déploiement de toute la câblerie nécessaire tandis que Neu aurait notamment programmé ces capteurs pour les faire communiquer à la solution de GTB en place dans les bâtiments de LMCU.
100. Elle estime que, contrairement à ce qu'indique la décision attaquée, cette sous-traitance a été portée à la connaissance de LMCU et que ces échanges n'ont eu aucune incidence sur le choix libre et éclairé de l'attributaire par le maître de l'ouvrage. Elle considère également que la présente affaire s'inscrit dans un contexte factuel et juridique différent de celui de la pratique décisionnelle citée par l'Autorité (où le projet de sous-traitance n'était pas établi, l'intégralité du bordereau de prix avait été communiqué et avait conduit à des offres de couverture ou des répartitions de marché).
101. Santerne et les sociétés Vinci Energies font valoir que le simple fait qu'un candidat soumissionnaire obtienne d'un potentiel sous-traitant les informations techniques et financières relatives à son intervention, sans communication des autres aspects de l'offre, ni échange réciproque sur les termes et conditions de l'offre que le sous-traitant remet à titre individuel, n'emporte pas de préoccupation de principe en droit de la concurrence. Elles soutiennent que Santerne n'a, à aucun moment, communiqué ses propres prix, ni aucun élément de son offre, à Neu et que la seule communication qui a eu lieu, ne portait pas sur l'offre remise par Neu à LMCU dans le cadre de la consultation, mais seulement de l'offre de service de Neu au titre des prestations que Santerne entendait lui sous-traiter, pour lui permettre de formuler sa propre offre en connaissance de cause. Elles estiment que les communications sanctionnées par l'Autorité relevaient de la nécessaire information unilatérale qu'un candidat est en droit d'obtenir d'un potentiel sous-traitant, qu'il soit ou non candidat par ailleurs, et ce en parfaite conformité avec le droit de la commande publique et les principes de droit de l'Union européenne qui régissent la matière.
102. L'Autorité rappelle, d'abord, que la réalité des échanges n'est pas contestée par les requérantes, qu'elle correspond à au moins neuf courriels, échangés avant la date limite de remise des offres, par le biais desquels Neu a communiqué à Santerne une part très significative de son offre tant sur le plan financier (76 des 162 postes de prix unitaires, représentant près de 80 % de l'offre déposée) que technique. Elle souligne que les analyses des prix mentionnées dans la décision attaquée établissent l'existence d'un échange d'informations sensibles préalable au dépôt des offres entre les entreprises Santerne et Neu, qui s'est suivi par le dépôt d'une offre finale de Santerne très significativement supérieure par rapport à celle remise par Neu.
103. Ensuite, sur la nécessité technique de recourir à la sous-traitance, elle relève que la preuve n'en est pas rapportée tant au regard du règlement de la consultation que de l'offre autonome déposée par Eiffage. Sur ce point, elle fait valoir que la circonstance que l'offre d'Eiffage ait été rejetée par l'acheteur public ne permet pas de considérer que toute offre concurrente sans intervention de Neu aurait été jugée non-crédible d'un point de vue technique. Elle en déduit qu'il était loisible à Santerne de déposer une offre totalement autonome prévoyant le remplacement du logiciel de supervision sans avoir recours aux services de Neu, tout en se conformant aux attentes du maître d'ouvrage. Elle ajoute que Santerne ne peut valablement se fonder sur les déclarations de Neu et STTN auprès de la DIRECCTE pour soutenir que le recours à Neu serait incontournable pour déposer une offre crédible techniquement, dans la mesure où ces deux sociétés ont accepté la proposition de transaction du ministre chargé de l'économie et n'ont donc pas contesté le rapport administratif d'enquête de la DIRECCTE, qui indique très clairement que le caractère incontournable de Neu n'a pas été démontré.
104. Elle relève que si Santerne considère que la deuxième solution de GTB envisagée, sans l'intervention de Neu, aurait été nécessairement jugée non compétitive d'un point de vue financier, force est de constater que l'offre finale de Santerne incluant l'intervention de Neu n'était pas non plus compétitive compte tenu de la très forte majoration appliquée par Santerne sur les éléments de prix transmis par Neu, de sorte que Santerne aurait pu déposer une seule offre sans l'intervention de Neu.
105. Sur le caractère unilatéral et limité des échanges intervenus entre Neu et Santerne, elle renvoie aux paragraphes 73 à 78 de la décision attaquée et considère que l'accord de volonté ne fait aucun doute, Santerne ayant sollicité et obtenu de Neu des informations lui révélant une partie significative de son offre. Elle rappelle que pour retenir la qualification d'entente anticoncurrentielle, il n'est pas requis d'établir que l'échange d'informations a porté sur l'ensemble des offres. Elle souligne que le montant de l'offre de prix transmis par Neu à Santerne au titre de la sous-traitance (624 472,76 euros) représente près de 80 % du montant de l'offre finale qu'il a transmise à l'acheteur public (809 345,69 euros).
106. Enfin, s'agissant de la nécessaire connaissance de l'acheteur public concernant l'existence d'un accord de sous-traitance, elle estime que cette affirmation est directement contredite par les déclarations de la MEL et l'absence de renseignement portés dans les cadres relatifs à la sous-traitance dans les actes d'engagement déposés. Elle maintient que lorsque plusieurs entreprises ont étudié la possibilité d'une sous-traitance à l'occasion d'un marché et qu'elles présentent ensuite des offres distinctes en s'abstenant de mentionner le fait qu'elles ont échangé des informations, de tels comportements sont prohibés par l'article L. 420-1 du code de commerce dans la mesure où ils faussent le jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des opérateurs dans leurs décisions et en tendant à induire en erreur le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de ses choix.
107. Sur l'absence d'incidence des échanges sur le choix libre et éclairé de l'attributaire, elle renvoie aux paragraphes 82 à 87 de la décision attaquée et rappelle que le résultat de l'appel d'offres importe peu dès lors que les pratiques d'échanges d'informations lors de la passation d'un marché public diminuent l'incertitude dans laquelle doivent être les soumissionnaires et l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle ils auraient dû être soumis.
108. Elle ajoute que le caractère anticoncurrentiel attaché à une pratique étant distinct de l'intention, il est dès lors sans portée que les parties à l'échange n'aient pas eu l'intention de fausser le jeu de la concurrence et de déposer des offres de concurrence.
109. Le ministre chargé de l'économie rappelle la pratique décisionnelle selon laquelle « l'article L. 420-1 s'applique en matière de marchés avec appel d'offres dès lors que des échanges d'informations sont, notamment, survenus entre l'avis de parution et la date de remise des offres et ont par conséquent pu limiter l'indépendance des offres et, partant, la concurrence entre les entreprises soumissionnaires ». Il ajoute que la Cour de cassation a jugé que « le fait de soumissionner à un appel d'offres sans mentionner le recours à un sous-traitant implique que l'entreprise réalise elle-même les travaux et que, dans le cas contraire, elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence » (Com. 24 mars 1998, pourvoi n° 96-14.845).
110. Le ministère public partage ces analyses. Il ajoute, s'agissant de la connaissance de l'accord de sous-traitance par le maître d'ouvrage, que les éléments invoqués par Santerne sont insuffisants pour satisfaire aux obligations d'information du maître d'ouvrage qui lui incombent en application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article L. 2193-10 du code de la commande publique, dans la mesure où la société n'a pas renseigné de demande de déclaration de sous-traitance.
Sur ce, la Cour,
111. Aux termes de l'article L. 420-1 du code de commerce, « [s]ont prohibées ('), lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions (') ».
112. Comme l'a justement rappelé la décision attaquée, la faculté pour une entreprise de proposer une offre en coopération avec une autre, afin de s'adjoindre des compétences dont elle ne dispose pas en interne, n'est pas illicite en soi et peut avoir des effets « pro-concurrentiels » si elle permet à ces entreprises de concourir alors qu'elles n'auraient pas été capables de le faire isolément ou qu'elle leur permet de le faire sur la base d'une offre plus compétitive ou de meilleure qualité.
113. Toutefois, une telle coopération ne peut, pour autant, s'affranchir du respect des règles de la concurrence et ne doit pas fausser le libre jeu de celle qui doit s'exercer sur le marché pertinent, chaque offre déposée devant être élaborée en toute indépendance.
114. En l'espèce, s'agissant de la teneur des échanges et de leur contexte, il est constant qu'à la suite de l'appel d'offres lancé le 11 avril 2014, des échanges entre Neu et Santerne, non contestés, sont intervenus, lesquels n'ont pas porté sur l'intégralité des offres respectives déposées mais uniquement sur certaines données de Neu transmises à Santerne, à sa demande. Toutefois, cette circonstance, comme le fait que tous les soumissionnaires n'aient pas été impliqués dans les échanges, importe peu pour apprécier le caractère anticoncurrentiel des échanges dès lors, d'une part, qu'ils ont bien eu pour objet des informations sensibles en lien avec un appel d'offres en cours (en l'occurrence des éléments afférents à l'offre financière de Neu et au mémoire technique qu'elle a élaborée pour répondre à l'appel d'offres) et, d'autre part, qu'il est constant qu'ils sont intervenus avant que Neu et Santerne procèdent, chacune à titre individuel, au dépôt de leur offre, intervenu le 28 mai 2014 (réceptionnée à 10:34 pour Neu et 11:34 pour Santerne).
115. À cet égard, la Cour renvoie aux courriels échangés entre M. [Y] [C] (Responsable « B.E » au sein de Santerne) et M. [I] [R] (Ingénieur technico-commercial au sein de Neu), ayant pour objet « LMCU Forfait mise à niveau logiciel GTB et maintenance préventive »), ainsi qu'à leurs pièces jointes :
courriel du 14 mai 2014 adressé à 17h15 (cote 1409, annexe 21) qui était accompagné de pièces jointes (« [C] [Y].vcf ; 14DMG016P BPU.xIsx ; 14DMG016P CCTP.docx ; 14DMG016P CCTP Annexe 1 - Inventaire du materiel GTB.doc20 février 2023x ; 14DMG016P CCTP Annexe 2 - Vues GTB.docx ; 14DMG016P Cadre de mémoire technique.doc », transmettant « le BPU et le CCTP de l'affaire reprise en objet » et demandant à Neu de « faire parvenir votre offre ainsi que la partie mémoire technique correspondante pour le 21/05/14 au plus tard. » ;
courriel du 23 mai 2014 adressé en réponse à 11h58 (cote 1500), accompagné des pièces jointes : « 14DMG016PBPU-santerne.xlsx; SBO-vl-3-WebStation-FR-A4.pdf ; SBO-vl-3-ReportsSetver-FR-A4.pdf; SBO-vl-3-Enterprise-Server-FR-A4.pdf; SBO-vl-3-Automation-Server-FR-A4.pdf;SBO-vl-3-PowerSupply-FR-A4.pdf » , signalant « un problème pour mettre le coefficient vers la fin du fichier COEFFICIENT ET PRIX UNITAIRE POUR LES PIECES HORS BPU) » et la transmission ultérieure « d'un BPU corrigé » ainsi que du « mémoire dès que je l'ai terminé » et précisant que « pour l'acte d'engagement le prix forfaitaire de la migration est de 198 682,90 Euros » ;
courriels du 23 mai 2014 adressés à 12:11 et 12:12 complétant cette réponse (cotes 1529 et 1556), accompagnés chacun d'une pièce jointe (respectivement « SBO-vl-3-IOModules-FR-A4.zip » et « SBO-vl-3-WorkStation-FR-A4.pdf) » ;
courriel du 26 mai 2014 adressé à 01:16 (cote 1571), accompagné de pièces jointes (« 14DMG016P Cadre de mémoire technique.doc: 14DMG016P BPU.santerne.xIsx »), adressant à Santerne « le mémoire technique (sans la partie maintenance à votre charge), le bpu en ayant retiré la prestation de montage », précisant que « [p]our le prix de l'acte d'engagement, il faut prévoir la partie démontage matériel Siemens et montage programmation et matériel automate nouveau » et ajoutant que pour Neu « le prix passe à 209 939 Euros. Il faut de votre côté prévoir le montage (1 AS et quelques modules E/S) et surtout le démontage de l'existant ».
courriel du 26 mai 2014 adressé à 13:47 (cote 1598), en réponse à ces envois, par lequel Santerne réclame « les annexes dont vous faite référence dans le mémoire exemple CV et analyse fonctionnelle, merci de me les faire parvenir par retour. »
courriel du 26 mai 2014 adressé à 19:52 (cote 1598) satisfaisant cette demande, accompagné de pièces jointes (« SEF-EXE-CFA-ST-001 Analyse Fonctionnelle CFA poulina.pdf ; CV-Bruno-DERASSE.pdf ; CV-Cédric THELLIER.pdf: CV-Laurent BUISSON.pdf ; CV.Ludovic LEBACQUE.pdf ; CV-Mickael VARENNE.pdf »), précisant que « Comme convenu au téléphone, je vous adresse les annexes CV et analyse fonctionnelle. À votre disposition pour tout complément » ;
courriels du 27 mai 2014, adressé à 12h23 (cote 1040, annexe 14) : par lequel Santerne demande de « confirmer que votre solution de migration de logiciel, inclus la mise à jour à la dernière version à la fin du contrat » et celui envoyé à 14h49 (cote 1040, annexe 14) dans lequel Neu répond « [c]omme indiqué lors de notre entretien téléphonique, nous confirmons la mise à jour de la dernière version du logiciel à la fin du contrat ».
116. Il ressort du courriel du 26 mai 2014 adressé à 01:16 (cote 1571) que ces échanges n'ont pas eu pour objet d'élaborer une offre de couverture et qu'ils sont intervenus alors que Santerne envisageait la sous-traitance de certaines prestations à Neu, ainsi que le souligne l'interrogation de ce dernier, exprimée en ces termes :
« Une question d'ordre administratif, comment envisagez-vous la suite si vous avez l'affaire
De mon côté :
déclaration de Neu automation comme sous-traitant
Pas de négociation des prix remis après obtention de l'affaire
Merci de confirmer ce que vous envisagez à ce sujet
Si vous avez une question appelez moi. ».
117. S'agissant du contexte juridique, le Règlement de la consultation de l'appel d'offres lancé par LMCU (côtes 604 et suivantes) indique à l'article 2.5 que « le pouvoir adjudicateur interdit aux candidats de présenter leurs offres en agissant à la fois en qualité de candidats individuels et de membres d'un ou plusieurs groupement, conformément à l'article 51-VI-1 du code des marché publics », sans disposition particulière pour la sous-traitance, hormis concernant les pièces à joindre à l'offre (article 4) : « 11- pour chaque sous-traitant présenté dans l'offre : le DC4 complété et signé, les capacités techniques professionnelles et financières du sous-traitant, une déclaration sur l'honneur du sous-traitant indiquant qu'il ne tombe pas sous le coup d'une interdiction d'accéder aux marchés publics ».
118. Sur l'information du maître de l'ouvrage concernant le recours à la sous-traitance, il est constant qu'à l'occasion du dépôt de son offre (cote 2091) Santerne n'a pas renseigné de formulaire DC4 relatif à la sous-traitance et a laissé vierge l'acte d'engagement intitulé « Annexe n° à l'acte d'engagement en cas de sous-traitance » (cote 2095), ce que confirme la réponse transmise le 14 novembre 2019 par les services de la Métropole européenne de [Localité 14] (cote 2686, annexe 36), à la demande d'information des services d'instruction de l'Autorité selon laquelle « [r]enseignement pris suite à votre interrogation, mes collègues indiquent n'avoir pas eu connaissance de l'éventuelle coopération entre les 2 sociétés, y compris après dépôt des offres ni d'un échange entre les 2 sociétés ».
119. Toutefois, la « Documentation technique » remise par Santerne (cotes 2200 et suivantes), partie « 2-1 - Méthodologie mise en œuvre pour assurer la migration du système de supervision (planning, stratégie, impact) » (cote 2583), mentionne deux solutions : « 1° Solution : La solution SCHNEIDER proposée et réalisée par Neu Automation dont le descriptif suit » ; « 2ème solution : « Évolution vers un système autre plus ouvert ».
120. À cet égard le rapport d'analyse des offres a considéré que Santerne : « propose dans son mémoire, deux solutions pour assurer la prestation de migration. Les deux solutions répondent au cahier des charges » (cote 712).
121. Une description de la seconde solution est faite en ces termes : « Nous nous tenons à votre disposition pour étudier différentes solutions et trouver celle la plus adaptée à vos souhaits et vos attentes. Après quoi une analyse technico-financière sera proposée, en collaboration avec vos spécialistes. Cela pourrait vous permettre de gagner en accessibilité du système (protocole ouvert, évolutivité, passerelle, etc.), et ainsi vous permettre de mieux maitriser l'évolution de votre système global. Nous implémentons ce genre de solution notamment par le biais d'automates WAGO ou équivalent, adjoint d'une supervision multi protocoles de type PC VUE, PANORAMA ou équivalent.(documentation en annexe) ». (Cote 2588).
122. La première solution présentée dans la solution technique, la « solution Schneider », indique quant à elle : « solution retenue reprise de l'existant », dont l'architecture de supervision et la méthodologie de basculement sont présentées en détail aux cotes 2583 à 2587. Elle fait apparaitre plusieurs logos, dont celui de « NEU », dans le schéma de l'« architecture de supervision proposée », correspondant à l'« architecture définitive lorsque tous les sites seront migrés ». L'usage du logo de Neu dans le mémoire technique de Santerne (dont l'activité principale concerne les travaux d'installations électriques), dans le cadre d'une projection tournée vers l'avenir, induit une référence, ambiguë, au recours éventuel à la sous-traitance de Neu pour les postes relevant de sa spécialité (ingénierie et réalisation en informatique et automatisme industriel et tertiaire) dans l'hypothèse du choix de cette première solution, d'autant plus que Neu est l'opérateur historique « ayant réalisé la solution Schneider Electric » équipant le site de LMCU et en ayant assuré la maintenance depuis 2007, et qu'elle relève d'un système de logiciel de GTB fermé.
123. Il s'ensuit que la déclaration de sous-traitance était conditionnée au choix de la solution n° 1 par le pouvoir adjudicateur, de sorte que l'absence de dépôt du formulaire DC4, à ce stade, n'excluait pas toute possibilité de recourir à la sous-traitance, celle-ci devant simplement être déclarée et acceptée par le maître d'ouvrage avant l'exécution du marché.
124. C'est précisément l'objet du courriel du 26 mai 2014, précité (cote 1571), adressé par Neu :
« Une question d'ordre administratif, comment envisagez-vous la suite si vous avez l'affaire
De mon côté :
déclaration de Neu automation comme sous-traitant
Pas de négociation des prix remis après obtention de l'affaire
Merci de confirmer ce que vous envisagez à ce sujet
Si vous avez une question appelez moi. ».
125. Il n'en demeure pas moins que la sous-traitance envisagée n'a pas fait l'objet du dépôt d'une offre présentée conjointement par Santerne et Neu et qu'au regard des éléments transmis, l'information du maître de l'ouvrage ne peut être regardée comme explicite et non ambiguë lors du dépôt de l'offre.
126. Sur le caractère nécessaire de la sous-traitance, il n'est pas contesté que Neu dispose d'une expertise particulière en matière de matériel de GTB Schneider Electric équipant les installations concernées par l'appel d'offre lancé par LMCU, dès lors qu'elle est intervenue dès 2007 en qualité de sous-traitant de STTN Energie, attributaire des deux appels d'offres lancés par LMCU en 2005 (en matière de GTB) puis 2008 (pour la maintenance et la transformation de ses installations de GTB) (annexe 13, cote 748). Toutefois, Santerne n'établit ni que la transformation des installations concernées par l'appel d'offres ne pouvait s'orienter vers un « système plus ouvert » (l'alternative envisagée dans sa documentation technique démontrant le contraire) ni que le recours à la sous-traitance était le seul moyen pour déposer une offre conforme aux attentes du maître de l'ouvrage. À cet égard, l'appel d'offres publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics désigne l'objet du marché comme : « maintenance et transformation des installations de gestion technique des bâtiments ». L'« expression du besoin du maître d'ouvrage « figurant dans le « cahier des clauses techniques particulières » » vise, de manière large, la « fourniture, la modification de l'existant ou l'équipement d'un bâtiment» (cotes 1428 et suivantes) sans imposer aux candidats de rester entièrement captifs du système en place. Une partie « D.5.démontage ancienne GTB Siemens » (cote 1445) prévoie d'ailleurs que « [l]e titulaire du marché devra alors procéder au démontage de cette ancienne GTB en veillant aux points de contrôles encore en action et proposer une solution technique pour réhabiliter ces derniers dans une solution de GTB correspondant au cahier des charges. Le prix de cette prestation sera de type forfaitaire et effectuée dans le cadre de la migration du système de supervision ».
127. Il résulte également de l'existence des deux solutions différentes proposées dans le dossier de candidature de Santerne et des termes du rapport d'analyse, évoqué au paragraphe 120 du présent arrêt, que le recours à une solution alternative ne se heurtait, a priori, à aucun obstacle, étant rappelé que le coût de la solution alternative, invoqué comme un obstacle par Santerne, n'était pas un critère prépondérant (intervenant à 40 % dans la note globale contre 60 % pour la valeur technique).
128. Une troisième candidature autonome a d'ailleurs été déposée, sans prévoir de sous-traitance et il ne saurait être déduit du fait que la qualité technique de son offre a été revue à la baisse et qu'il n'a pas obtenu le marché, alors qu'il était le mieux disant, que la solution technique envisageable impliquait nécessairement une intervention de Neu. La Cour relève d'ailleurs qu'aux termes du rapport d'analyse des offres du 18 septembre 2014 (cote 707) le rejet de l'offre de ce troisième candidat s'explique par le fait qu'elle a été considérée comme « anormalement basse » et qu'il a été proposé de la rejeter en application de l'article 55 du code des marchés publics.
129. Le caractère nécessaire de la sous-traitance pour répondre à l'appel d'offres n'est donc pas établi.
130. Sur l'indépendance des offres déposées, il y a lieu de rappeler qu'en choisissant de soumissionner à un appel d'offres à titre individuel, les candidats s'engagent nécessairement à élaborer leurs offres de manière indépendante, ce que ne permet pas l'échange d'informations sensibles sur une partie de l'offre financière et le mémoire technique d'un concurrent.
131. En l'espèce, Santerne a déposé une candidature, à titre individuel, incluant deux solutions concurrentes, l'une reposant sur une connaissance fine de l'exploitation de l'existant, l'autre envisageant une évolution vers un système « autre plus ouvert » avec une analyse technico-financière proposée en collaboration avec les spécialistes du maître d'ouvrage (cote 2588).
132. Il ressort des pièces de la procédure, précisément analysés par l'Autorité aux paragraphes 38 à 40 de la décision attaquée, que les éléments transmis par Neu à Santerne (portant sur une partie de l'offre financière (prix unitaires de 76 postes sur 162 que comptaient le BPU) et du mémoire technique de Neu) ont servi à l'élaboration de l'offre de Santerne.
133. Santerne a d'ailleurs expliqué le différentiel de prix observé entre leurs deux offres (reposant sur la solution Schneider), notamment, par l'application de sa marge usuelle sur les postes chiffrés par Neu (cote 2623).
134. Par conséquent, le dépôt de deux dossiers de candidature séparées, incluant en apparence des offres indépendantes, a, dans les circonstances précitées, nécessairement faussé la concurrence et trompé le maître d'ouvrage sur l'intensité de celle qui s'est exercée dans le cadre de l'appel d'offres, peu important, au stade de la qualification, que cette situation ait eu un impact limité sur le choix de l'attributaire, que l'échange n'ait pas conduit à une coordination des offres ou à l'élaboration d'offre de couverture, ou que la communication se soit limitée à certains éléments seulement et que Neu n'ait pas eu connaissance des chiffrages envisagés par Santerne ou des éléments techniques prévus dans son offre.
135. Au regard de l'ensemble de ces développements, c'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu le caractère anticoncurrentiel des échanges litigieux, intervenus avant dépôt des offres.
136. Le moyen est rejeté.
III. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
137. Dans la décision attaquée, après s'être référée à la jurisprudence rendue sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et 101 et 102 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (« TFUE »), relative à la notion d'entreprise et aux principes définis en matière d'imputabilité de comportements de filiales à leur société mère, l'Autorité a, tout d'abord, retenu que la présomption selon laquelle les sociétés mères exercent une influence déterminante sur le comportement de leur filiale s'appliquait, en l'espèce, au regard des liens capitalistiques en cause. Elle a, ensuite, considéré que les éléments produits par les sociétés Vinci Energies et Vinci au soutien de l'existence d'une autonomie de Santerne n'étaient pas de nature à renverser cette présomption et qu'ils étaient contredits par certaines pièces du dossier Elle a, en conséquence, retenu que Vinci Energies France (qui s'est substituée à Vinci Energies France nord), Vinci Energies et Vinci étaient solidairement responsables des pratiques imputées à Santerne en tant que sociétés mères.
138. Les sociétés Vinci Energies soutiennent, en premier lieu, que la présomption d'influence déterminante issue du droit de l'Union est inapplicable lorsque seul le droit national est applicable et versent une consultation juridique au soutien de leur analyse. (Pièce Vinci Energies n° 5)
139. Elles ajoutent, en deuxième lieu, que lorsque le droit national est seul applicable, le recours à cette présomption rend nécessaire que ce point soit débattu contradictoirement durant la phase d'instruction, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Elles en déduisent le caractère irrégulier du recours à cette présomption dans la présente affaire.
140. Elles estiment, en troisième lieu, que l'Autorité n'est pas tenue d'appliquer cette présomption issue du droit de l'Union en droit français, ce que confirme, selon elles, l'approche adoptée en droit allemand.
141. Elles soulignent que l'Autorité a cru pouvoir déduire, par pure opportunité, qu'il fallait une unité de solutions avec le droit de l'Union sur cette question, considérant que la présomption d'imputabilité serait une règle de fond alors que les règles d'imputabilité et les règles de preuve sont distinctes. Elles font valoir qu'aucun des principes de primauté du droit de l'Union, d'équivalence et d'effectivité ne s'applique lorsque l'Autorité et le juge français appliquent uniquement une règle de fond issue de leur droit national. Elles ajoutent que le souci de « cohérence » ou « d'homogénéité » invoqué par l'Autorité pour recourir à cette présomption, est sans portée dès lors qu'elle n'est pas investie d'une mission de garante de la cohérence ou de l'homogénéité des règles de preuves entre les ordres juridiques français et européen.
142. Elles rappellent que les règles de charge de la preuve c'est-à-dire le droit processuel applicable pour assurer le respect de la règle de fond ' relèvent de l'autonomie de chaque ordre juridictionnel. Elles font valoir qu'en considérant que lorsqu'elle applique exclusivement le droit matériel interne de la concurrence (l'article L. 420-1 du code de commerce), elle se doit (ou même serait libre) de faire application du mode de preuve appartenant à l'ordre juridique européen, l'Autorité méconnaît le principe de droit français de la preuve selon lequel le droit processuel suit le droit matériel.
143. Elles soutiennent, en quatrième lieu, que l'Autorité aurait dû considérer que la présomption d'influence déterminante appliquée dans cette affaire viole le principe de présomption d'innocence et rechercher par elle-même si les sociétés Vinci Energies formaient une unité économique avec leur filiale Santerne et si cette dernière était dépourvue d'autonomie.
144. Elles font valoir, en cinquième lieu, que le recours à la présomption, dans la présente affaire, conduit à une contradiction de décisions avec la pratique antérieure de l'Autorité et repose sur un principe d'arbitraire. Elles invoquent ainsi les décisions de l'Autorité n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques et n° 11-D-13 du 05 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, qui concernaient des sociétés filiales du groupe Vinci qui se situaient au même niveau d'organisation du groupe que Santerne et dont l'Autorité avait constaté l'autonomie par rapport à leurs sociétés mères. Sur cette base, elles invoquent une obligation de motivation renforcée et renvoient en ce sens à la jurisprudence de l'Union, ainsi qu'à celle de la Cour (CA Paris, 20 mars 2012, RG n° 2011/01228).
145. Elles ajoutent que plusieurs pièces ou arguments produits en réponse à la notification de griefs n'ont pas reçu de réponse de l'Autorité dans la décision attaquée :
schéma de maîtrise des risques datant du mois de mai 2013 (Pièce n° 1) prévoyant un contrôle sur la conduite de l'activité des filiales pour des opérations d'une certaine importance avec des seuils d'information et de contrôle (dont l'appel d'offres de 2014 ne relève pas) ; l'argument est certes rappelé mais à aucun moment elle n'analyse, ni même ne cite les éléments produits, pas plus qu'elle ne cherche à apprécier leur pertinence dans le cadre du renversement de la présomption.
M. [W] [T], « chef d'entreprise » de l'établissement Santerne Tertiaire et Santé (établissement de Santerne Nord Tertiaire ayant soumissionné à l'appel d'offres de LMCU en 2014) avait seul le pouvoir de signer les dossiers de candidature à un appel d'offres.
146. Elles estiment qu'en ne procédant pas à l'examen de ces documents et en cantonnant son argumentaire à l'énoncé de généralités abstraites et de solutions adoptées dans le cadre d'autres affaires, l'Autorité a failli aux obligations d'analyse et de motivation qui lui incombaient et considèrent que ce défaut de motivation conduira la Cour à annuler ou réformer la décision attaquée et à les mettre hors de cause. Elles invoquent le bénéfice de l'arrêt Edison (TUE, 16 juin 2011, T-196/06).
147. Quant aux éléments concrets permettant de renverser la présomption, elles invoquent le statut de holding non-opérationnelle de Vinci Energies, détenant directement et indirectement de très nombreuses participations et filiales, dans le cadre d'une forte décentralisation des centres de décision et d'autonomie des filiales opérationnelles. Elles précisent que la branche dénommée Vinci Energies est organisée en trois divisions (Vinci Energies France, Vinci Energie Europe et Vinci Energies International & Systems), chacune fonctionnant de manière autonome. Elles ajoutent que Vinci Energies SA détenait ainsi directement 100 % du capital de la société Vinci Energies France SA ainsi que de 16 sociétés pôles de management (également holding non opérationnelles), qui elles-mêmes détiennent les filiales opérationnelles. Elles précisent le fonctionnement décentralisé des sociétés pôles de management à la tête d'un pôle régional et/ou métier et identifient les différents président et directeur au sein de ces différentes entités, comme au sein de Santerne. Elles soutiennent que Vinci Energies France était et reste organisée (après restructuration de 2016) autour de pôles de management, déchargeant complètement (sous réserve de seuils d'informations et de contrôle précités) les sociétés holdings non-opérationnelles Vinci Energies France et Vinci Energies de tout pouvoir de décision sur les activités des filiales opérationnelles. Elles précisent, d'une part, que Santerne bénéficiait de quatre directives générales (émanant notamment des sociétés Vinci Energies France nord et Vinci Energies France) et d'une délégation de pouvoir lui permettant de prendre les décisions nécessaires pour la conduite de son activité en toute autonomie et d'autre part, que l'intégralité des affaires conclues par Santerne en 2014 était sous le seuil d'information et de contrôle des sociétés mères (pièce n° 4). Elles en déduisent qu'elle se gérait de manière autonome.
148. Elles estiment ensuite que les éléments repris aux paragraphes 111 à 113 de la décision attaquée ne permettent pas de contredire ou d'affaiblir ceux apportés pour renverser la présomption. Elles relèvent notamment que M. [B] était, à l'époque des faits salarié de la société Vinci Energies France Nord, pôle de management sans activité opérationnelle, totalement indépendante de Vinci Energies France et, a fortiori, de Vinci Energies. Elles soulignent également que le seul fait de pouvoir bénéficier auprès des mêmes fournisseurs de conditions équivalentes à celles des autres entités de la branche Energies, ne signifie pas que Santerne Nord Tertiaire s'en trouverait privée d'autonomie financière ou commerciale. Elles ajoutent que le fait pour une entreprise de faire valoir qu'elle appartient à un groupe qui dispose d'une notoriété importante et d'un savoir-faire reconnu pour espérer remporter un appel d'offres ne permet pas de caractériser une absence d'autonomie.
149. Vinci fait valoir, en premier lieu, que les autorités de concurrence ne sauraient, pour imputer le comportement d'une société à une autre, se fonder sur la simple capacité d'influence déterminante, mais doivent démontrer l'exercice effectif d'une telle influence déterminante sur le fondement d'un ensemble d'éléments factuels concrets. Citant ensuite l'affaire General Quimica du 20 janvier 2011 (C-90/09), dans le cadre de laquelle la CJUE a rappelé que les éléments fournis par les entreprises doivent faire l'objet d' « une analyse spécifique » afin d' « apprécier tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre [la société mère et sa filiale] susceptible d'établir que cette dernière se comportait de manière autonome par rapport à sa société mère et que ces deux sociétés ne constituaient donc pas une entité économique unique », ainsi que l'affaire Elf Aquitaine du 29 septembre 2011 (C-521/09, § 165-167), elle invoque une obligation de motivation renforcée, incombant à l'Autorité, dans le cas précis où l'application de la présomption conduit à un changement d'analyse.
150. À cet égard, elle relève, comme les sociétés Vinci Energies, qu'elle ne forme pas une « unité économique » avec Santerne et que l'Autorité a toujours considéré que les sociétés opérationnelles au 3ème degré de Vinci (SA) étaient autonomes vis-à-vis d'elle, notamment dans la décision n° 11-D-02 (§ 616) où des pratiques étaient reprochées aux sociétés Pateu & Robert et Entreprise Degaine, toutes deux sociétés opérationnelles au 3ème degré de Vinci (S.A) et dans laquelle l'Autorité a retenu que « les éléments du dossier n'indiquent pas l'exercice effectif par les sociétés mères des groupes Vinci ['] d'une influence déterminante dans le comportement de leurs filiales sur le marché, et notamment, dans la définition de leur politique commerciale (') ». Elle considère que cette analyse est en tous points transposable à la présente affaire (même niveau que Santerne par rapport à Vinci (S.A), qui détient par ailleurs, très indirectement, le même pourcentage capitalistique). Elle en déduit que la définition de l' « unité économique » retenue par l'Autorité dans sa décision n° 11-D-02 aurait dû être répliquée dans la présente affaire.
151. Elle souligne que la seconde affaire, n° 11-D-13, impliquant les sociétés Entreprise Électrique, SDEL Massif Central, Darlavoix et Vinci Énergies Sud-Ouest, mises hors de cause, reste pertinente compte tenu du choix qui avait été fait de ne pas notifier de griefs aux sociétés mères. Elle renvoie également à nouveau à l'analyse de la DIRECCTE effectuée au cours de la première phase de la présente procédure, qui n'a pas imputé les pratiques aux sociétés mères.
152. Elle rappelle détenir des participations capitalistiques, directes ou indirectes, partielles ou totales, dans près de 3 000 sociétés, lesquelles opèrent dans des secteurs d'activités spécifiques et techniques et considère qu'il est matériellement et économiquement inconcevable de considérer qu'elle puisse exercer une influence déterminante sur chacune des sociétés. Elle indique que son fonctionnement décentralisé est mis en avant dans le Document d'Enregistrement Universel qu'elle édite chaque année, en raison de son statut de société cotée :
« Mise en œuvre décentralisée
Le Groupe a développé une organisation décentralisée, via un maillage de filiales fonctionnant de manière autonome. Cette organisation repose sur une forte responsabilisation des managers et de leurs équipes, les mieux à même d'identifier les enjeux et problématiques locales, ainsi que les solutions les plus adaptées pour y répondre. En phase avec cette organisation, chaque entité a la responsabilité, à l'intérieur du cadre commun fixé par le Groupe, d'établir ses référentiels et ses objectifs en matière de performance globale, en fonction de ses activités et enjeux propres. »
« Entreprises bien ancrées dans leurs territoires et la pertinence de son modèle managérial basé sur la décentralisation des responsabilités au plus près du terrain et des clients ». (Document 2020 de VINCI S.A., Section Gouvernance, pages 24 et 119).
153. Elle soutient que des éléments concrets démontrent l'autonomie de Santerne :
Santerne dispose de personnels et locaux distincts (siège en région Pas de Calais, tandis que celui de Vinci est dans les Hauts de Seine) ; exerce une activité opérationnelle, spécialisée dans les installations électriques et la mise en service des bâtiments localisés dans la région du Nord de la France et dispose d'une connaissance fine des marchés locaux de services sur lesquelles elle intervient ; comprend trois établissements distincts qui opèrent dans un secteur d'activité particulier, embauche et administre ses employés en pleine autonomie ; les dirigeants de Santerne disposant de larges prérogatives ;
Vinci est une société holding qui gère uniquement ses participations capitalistiques et financières ; ne dispose d'aucune compétence technique qui lui permettrait d'interférer, de quelque manière que ce soit, dans l'organisation et le fonctionnement de Santerne ;
154. Dans le même temps, elle relève l'absence de dirigeant commun aux deux sociétés, l'absence de référence à un lien de subordination entre les personnes impliquées dans les prétendues pratiques et les dirigeants et/ou salariés de Vinci (tant dans le rapport de la DIRECCTE que dans la notification de griefs) et une politique commerciale totalement décorrélée de celle de Vinci, ressortant:
d'un nom commercial (Santerne Nord Tertiaire) ne faisant aucune référence à celui de Vinci ;
d'un logo ne ressemblant pas à celui de Vinci ;
d'adresses e-mails des salariés de Santerne attachés au nom de domaine « santerne.fr » et non à celui de Vinci ;
dans ses communications internes et externes, Santerne utilise son propre nom commercial et son propre logo.
155. Vinci estime que si l'Autorité avait la faculté de recourir à la présomption de l'influence déterminante, elle avait cependant l'obligation de respecter le caractère réfragable attaché à cette présomption. Or, elle considère qu'elle n'a pas procédé à un examen effectif des éléments qu'elle a communiqués, qu'elle a dénaturé les constatations du rapport de la DIRECCTE et qu'elle a ainsi entaché sa décision d'un défaut de motivation.
156. Toutes ces sociétés font valoir que le groupe Vinci fonctionne de manière décentralisée, l'information et le contrôle des sociétés mères ne s'exerçant que pour les opérations dont les montants dépassent certains seuils, qui sont supérieurs au montant de l'appel d'offres en cause compris entre 200 000 euros et 800 000 euros, étant pour Vinci (SA) limité aux seules opérations qui comportent un « risque particulier distinctement identifié » à notifier au Comité des risques (pièce Vinci n° 1) pour les opérations excédant 40 millions d'euros, pour Vinci énergies une information pour les affaires de ses filiales représentant plus de 10 millions d'euros et un contrôle du comité de risques pour les prises d'affaires représentant plus de 40 millions d'euros étant prévu et, pour Vinci énergies France, l'information de la direction intervient pour les prises d'affaires de ses filiales représentant plus de 3 millions d'euros et le contrôle du comité de risques pour les prises d'affaires représentant plus de 5 millions d'euros.
157. Santerne partage l'ensemble de ces analyses et revendique également, sur la base des éléments et motifs qui précèdent, son autonomie sur le marché vis-à-vis de ses sociétés mères.
158. L'Autorité relève, en premier lieu, que les services d'instruction ont indiqué que le régime de présomption d'exercice d'influence déterminante était applicable au cas d'espèce aux paragraphes 101 à 108 de la notification de griefs (cotes 2 932 et 2 933), de sorte que les sociétés mères ont eu l'occasion d'exposer leurs arguments à deux reprises (par écrit à la notification des griefs, puis à l'oral en séance devant l'Autorité). Elle en déduit que l'argument selon lequel aucun débat contradictoire ne serait intervenu au stade de l'instruction manque en fait.
159. En deuxième lieu, elle fait valoir que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le droit processuel français n'interdit pas de recourir au régime de la présomption d'influence déterminante, qu'il en a été fait application pour la première fois dans l'affaire Orange Caraïbes lorsqu'elle a appliqué le droit de l'Union et le droit interne parallèlement (décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, paragraphes 407 et suivants, confirmée par les juridictions de contrôle) puis, de manière constante, y compris lorsqu'elle a fait application du seul droit interne (renvoyant à de nombreuses décisions, dont la décision n° 14-D-16 rendue le 18 novembre 2014 dans l'affaire du déménagement des militaires affectés en Martinique, confirmée par CA Paris 19 mai 2016, Mobilitas, n° 2014/25803, p. 6 et Com. 18 octobre 2017, pourvoi n° 16-19120).
160. En troisième lieu, elle constate qu'aucune solution contradictoire avec les décisions antérieures de n° 11-D-02 et n° 11-D-13, n'est établie dans la mesure où elle n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur l'autonomie des filiales du groupe Vinci dans ces deux affaires, en l'absence de notification de griefs aux sociétés mères. Elle rappelle, compte tenu du principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement, que le choix des services d'instruction de ne pas notifier de griefs aux sociétés de tête du groupe Vinci dans ces deux affaires ne peut pas s'analyser comme une décision du collège de l'Autorité consacrant l'autonomie des filiales du groupe Vinci vis-à-vis de leurs sociétés mères. Elle ajoute que les sociétés mises en cause dans la décision attaquée et dans la décision n° 11-D-02 ne sont pas les mêmes.
161. En quatrième, elle soutient que les éléments invoqués ne sont pas suffisants pour renverser la présomption. Elle invoque à cet égard l'existence d'une jurisprudence constante en application de laquelle le fait que les requérantes soient des holdings non opérationnelles qui détiennent un très grand nombre de filiales n'est pas suffisant à renverser la présomption d'exercice d'influence sur leur filiale (renvoyant en ce sens, notamment à Com. 18 octobre 2017, pourvoi n° 16-19.120). Elle souligne également que l'absence d'immixtion des sociétés mères dans l'élaboration de la politique commerciale de Santerne, et plus particulièrement dans sa réponse à l'appel d'offres litigieux, n'est pas non plus de nature à renverser la présomption pour les motifs rappelés au paragraphe 109 de la décision attaquée. Elle observe ensuite que la simple existence de procédures d'information et de contrôle au sein des différentes entités du groupe Vinci tend bien à démontrer l'existence d'une influence déterminante, de même que le « document d'enregistrement universel » de Vinci, qui révèle que les filiales de Vinci bénéficient d'une autonomie commerciale relative, dans la mesure où elles doivent agir « à l'intérieur du cadre commun fixé par le Groupe ». Elle ajoute que la candidature de Santerne à l'appel d'offres de 2014 fait en tout état de cause référence à de multiples reprises à ses sociétés mères, ce qui est de nature à infirmer l'allégation des requérantes selon lesquelles Santerne se présenterait comme une société autonome vis-à-vis des tiers. Elle rappelle à nouveau que M. [P] [B], président de Santerne, se présente lui-même sur les réseaux sociaux comme directeur régional chez Vinci énergies, laquelle, compte tenu de sa raison sociale et de la notoriété du groupe Vinci, ne saurait être perçue par les tiers comme autonome de la société Vinci Énergies dont elle est une filiale.
162. Le ministre chargé de l'économie souscrit à l'ensemble de cette analyse et rappelle les différents constats de ses services d'enquête établissant, outre des liens juridiques et économiques, l'existence de liens organisationnels unissant Vinci Energies France à Santerne.
163. Le ministère public partage cet avis. Il ajoute que la jurisprudence a établi qu'il n'est pas suffisant pour renverser la présomption d'influence déterminante de démontrer l'autonomie dans le secteur d'activité (CJUE, 8 mai 2013, Eni Spa, C-508/11, point 65), 1'autonomie de la gestion de la politique de commercialisation des produits concernés par l'infraction (Trib. UE, 14 juillet 2011, Total SA et Elf Aquitaine SA, T-190/06, point 64), ou encore l'autonomie de la définition de la stratégie commerciale dans la mesure où « la division des tâches constitue un phénomène normal qui ne suffit pas à renverser la présomption » (Ibid, point 71). Il en déduit que les arguments des requérantes selon lesquels Santerne disposerait d'une autonomie commerciale apparaissent inopérants.
Sur ce, la Cour,
164. En premier, la Cour rappelle qu'il ressort d'une jurisprudence constante, que lorsqu'une société mère détient, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l'Union européenne, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale (CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521/09 P, point 56, 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C-93/13 P et C-123/13 P, point 41 ; Com. 6 janvier 2015, pourvoi n° 13-22.477, 13-21.305, Bull. n° 1 ).
165. Certes, ce régime probatoire, issu de la jurisprudence européenne, ne s'impose à l'Autorité de la concurrence que lorsqu'elle fait une application combinée des articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, puisque la notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de l'Union de la concurrence et que l'interprétation qu'en donnent les juridictions européennes s'impose à l'autorité nationale de concurrence, ainsi qu'aux juridictions qui la contrôlent, lorsqu'il est fait application du droit de l'Union. Cependant, ni le principe d'autonomie ni aucune règle de procédure nationale n'interdit à l'Autorité de s'inspirer des principes issus du droit de l'Union, dans un souci de cohérence, afin de ne pas faire varier le standard de preuve retenu en droit interne selon que les règles du droit de l'Union sont ou non simultanément appliquées. Au travers de la mise en œuvre homogène des règles d'imputabilité, lorsque l'Autorité applique le seul droit interne de la concurrence et lorsqu'elle l'applique simultanément avec le droit de l'Union, l'Autorité concourt à la prévisibilité et à l'effectivité du droit de la concurrence dont elle est garante au niveau national. Aucune des critiques liées au cadre processuel du dossier n'est donc fondée et ne justifie l'annulation de la décision attaquée.
166. En deuxième lieu, la Cour relève, aux termes d'une jurisprudence toute aussi constante, qu'il suffit que l'Autorité de concurrence prouve que la totalité ou la quasi-totalité du capital d'une filiale est détenue, directement ou indirectement, par sa société mère pour considérer que ladite présomption s'applique, à moins que la société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (Com. 6 janvier 2015, pourvoi n° 13-22.477, 13-21.305, Bull. n° 1).
167. En vertu de cette présomption, l'exercice effectif d'une influence déterminante par la société mère sur sa filiale est considéré comme établi et l'Autorité est fondée à tenir la première responsable du comportement de la seconde, sans avoir à produire aucune preuve supplémentaire. C'est donc à tort que les requérantes soutiennent qu'il incombe à l'Autorité, dans une telle situation, d'établir l'exercice effectif d'une telle influence déterminante sur la base d'un ensemble d'éléments factuels concrets. C'est en effet sur la société mère, qui invoque l'autonomie d'une filiale dont elle détient la totalité ou la quasi-totalité du capital, que pèse la charge de la preuve.
168. À cet égard, c'est en vain que les sociétés mères en cause invoquent les décisions n° 11-D-02 et n° 11-D-13 et entendent se prévaloir de la définition de l'« unité économique » retenue à l'occasion desdites affaires dans la mesure où elles concernaient des périodes et des filiales différentes. Les éléments qu'elles invoquent pour renverser la présomption précitée doivent nécessairement être contemporains des pratiques, propres à la filiale concernée et être ainsi opérants pour apprécier le lien existant entre les sociétés considérées à la date des pratiques litigieuses. La décision n° 11-D-02 précitée, rendue le 26 janvier 2011, portait ainsi sur des pratiques intervenues en 1999/2001 et ne concernait pas Santerne mais d'autres filiales. De même, la décision n° 11-D-13 du 05 octobre 2011, relative à des pratiques intervenues en 2005, ne concerne pas non plus Santerne. Elle n'a par ailleurs pas donné lieu à sanction à l'égard des filiales du groupe Vinci, mises hors de cause, et n'a pas conduit l'Autorité à apprécier l'influence déterminante des sociétés mères sur leurs filiales. Ainsi, outre la différence portant sur les entités en cause, les décennies séparant ces pratiques ne permettent aucune comparaison utile sur le fonctionnement interne d'un groupe qui indique lui-même avoir fait l'objet de restructuration dans le temps.
169. La Cour rappelle, en outre, que l'Autorité n'est pas tenue de notifier des griefs à une société mère, pour des pratiques commises par l'une de ses filiales, de sorte que le choix de ses services de ne pas exercer cette faculté, dans d'autres procédures, ne saurait constituer, en lui-même, la reconnaissance de l'autonomie de la filiale concernée.
170. De même, pour les motifs déjà exposés en partie I, aux paragraphes 64 et suivants du présent arrêt, l'Autorité ne saurait davantage être liée, dans la présente instance, par le choix du ministre chargé de l'économie de proposer une transaction à Santerne, lors de la phase administrative, qui ne lui interdit pas d'apprécier les faits dont elle est saisie dans leur globalité. Les requérantes ne peuvent, pas plus, arguer d'une contradiction d'analyse entre les décisions de 2011 et la décision attaquée rendue en 2021. Elles ne peuvent, non plus, utilement invoquer de ce fait une violation des principes de sécurité juridique et confiance légitime, Santerne fut-elle située au même niveau dans l'organigramme du groupe avec un pourcentage de détention capitalistique similaire à celui des filiales alors poursuivies. Elles ne sauraient, davantage, invoquer un défaut de motivation tiré de comparaisons inopérantes.
171. En troisième lieu, aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, la présomption d'innocence n'exclut pas la possibilité de recourir à toute présomption dans la mesure où « tout système juridique connaît des présomptions de fait et de droit, la Convention n'y met évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les États membres à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil » (arrêt du 7 octobre 1988, requête 10519/83 Salabiaku c/ France, § 28 et suivants). En l'espèce, le fait qu'il soit difficile de renverser une présomption d'exercice effectif d'une influence déterminante n'implique pas, en soi, que celle-ci soit en fait irréfragable. En outre, les entités à l'égard desquelles la présomption opère sont les mieux à même de rechercher, dans leur propre sphère d'activités, les preuves permettant d'établir l'autonomie de leur filiale. Le grief tenant à l'atteinte portée à la présomption d'innocence par le recours à la présomption d'influence déterminante n'est pas fondé.
172. En quatrième lieu, au regard de la constance avec laquelle la présomption d'influence déterminante est appliquée par l'Autorité et, l'a été, notamment, entre 2013 et 2020, période contemporaine des faits litigieux et de la procédure en cause (en ce sens décisions n° 13-D-09 du 17 avril 2013 ; n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 ; n° 16-D-02 du 27 janvier 2016 ; n° 16-D-27 du 2 décembre 2016 ; n° 16-D-28 du 6 décembre 2016 ; n° 17-D-13 du 27 juillet 2017 ; n° 18-D-03 du 20 février 2018 ; n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 ; n° 20-D-05 du 23 mars 2020 et des termes de la notification de griefs qui a fait application de cette présomption à leur égard concernant leurs rapports avec Santerne, les sociétés mères qui ont été en mesure d'en discuter l'application, ne peuvent utilement invoquer ni un changement d'analyse de l'Autorité ni une absence de contradictoire.
173. En cinquième lieu, sur l'application de la présomption dans le cadre de la présente espèce, la Cour constate qu'il n'est pas contesté que Santerne est une filiale à 100 % de Vinci Energies France, laquelle appartient à 100 % à Vinci Energies dont le capital est détenu à plus de 99 % par Vinci. C'est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu que la présomption selon laquelle les sociétés mères exercent une influence déterminante sur le comportement des filiales dont elles détiennent, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital s'applique en l'espèce.
174. Sur le défaut de motivation reproché concernant les éléments invoqués pour renverser cette présomption, la Cour rappelle que l'obligation de motivation à laquelle est soumise l'Autorité impose un énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et permettent, d'une part, aux sociétés mises en cause de comprendre les raisons pour lesquelles les éléments qu'elles ont invoqués n'ont pas suffi à renverser la présomption, d'autre part, à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité.
175. En l'espèce, la décision attaquée a exposé le fondement juridique de son analyse (§ 88 à 93) et l'application de la présomption au cas d'espèce (§ 105). En revanche, après avoir énoncé un certain nombre de principes (§ 107 à 109) tirés de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle, elle n'a procédé à aucune application concrète des principes exposés ni à aucune analyse, même sommaire, des éléments invoqués par les requérantes, notamment le « Document d'Enregistrement Universel » ou les mécanismes de contrôle mis en place, se contentant de relever que d'autres éléments présents au dossier lui apparaissaient contredire l'autonomie de la filiale (§ 110 à 113). L'insuffisance de motifs conduit la Cour à annuler la décision attaquée sur la question de l'imputabilité des pratiques, et par voie de conséquence sur la sanction infligée dans ce contexte, mais ne peut suffire à mettre hors de cause les sociétés mères. Il y a donc lieu d'évoquer le fond.
176. S'agissant des éléments relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques précisément invoqués pour renverser cette présomption, la Cour relève, d'abord, que la circonstance que les sociétés mères en cause soient des sociétés holding non opérationnelles, détenant un nombre important de filiales, n'est pas elle-même suffisante pour renverser la présomption, comme le rappellent avec constance les juridictions nationales comme européennes (Com. 18 octobre 2017, pourvoi n° 16-19.120 ; CJUE, 5 mars 2015, C-93/13 P et C-123/13 P, Commission e.a. / Versalis e.a, point 43). En effet, l'imputation du comportement infractionnel d'une filiale à sa société mère ne requiert pas que la société mère dispose d'une compétence technique lui permettant d'interférer dans le domaine spécifique ayant fait l'objet de l'infraction.
177. L'application de la présomption s'applique en outre quel que soit le degré d'interposition entre l'auteur matériel et la société faitière, la responsabilité encourue par cette société mère demeurant une responsabilité personnelle.
178. En l'espèce, pour ce qui concerne Vinci, il a été rappelé plus haut que Santerne est une filiale à 100 % de Vinci Energies France, laquelle appartient à 100 % à Vinci Energies dont le capital est détenu à plus de 99 % par Vinci. Cette organisation capitalistique relève du choix de Vinci et ne saurait mettre en échec, sous le couvert d'une structuration stratégique, l'effectivité du droit de la concurrence et l'objectif de dissuasion nécessaires à la prévention de la commission des infractions.
179. Les éléments pertinents relatifs aux liens qui unissent la filiale à la société mère, étant susceptibles de varier selon les cas, ils ne peuvent faire l'objet d'une énumération exhaustive, ni d'une démonstration a contrario automatique. Ainsi, si certains indices corroborent habituellement l'influence déterminante de la société mère et une absence d'autonomie de la filiale (tels des personnels et locaux communs, une gestion commune des ressources humaines et une centralisation des décisions, l'usage d'un nom commercial évocateur de la société mère, de logos similaires, d'adresses e-mails attachés au nom de domaine de la société mère) il ne saurait être déduit, comme le fait Vinci, de la seule circonstance que de tels éléments n'auraient pas été constatés à l'égard de Santerne, une preuve suffisante de l'absence d'influence déterminante de ses sociétés mères, en particulier lorsque d'autres éléments de fait en contredisent la portée.
180. Comme il a été rappelé plus haut, il incombe à la société mère de démontrer que sa filiale dispose du pouvoir de définir sa propre stratégie industrielle et commerciale. Or, ainsi que le souligne à juste titre l'Autorité, la simple existence de procédures d'information et de contrôle au sein des différentes entités du groupe Vinci, loin de renverser la présomption, tend au contraire à démontrer l'existence d'une influence déterminante de chacune des sociétés mères. La circonstance que les seuils actuellement définis pour le déclenchement de ces procédures soient au-dessus du montant de l'appel d'offres en cause est indifférente. En effet, l'imputation du comportement infractionnel d'une filiale à sa société mère ne requiert pas que la société mère ait eu un rôle direct dans les pratiques litigieuses. Il est donc vain d'invoquer le rôle des pôles de management, déchargeant les sociétés holdings, concernant les décisions relatives aux activités des filiales opérationnelles.
181. De la même manière, l'application au sein du groupe d'un modèle d'organisation fondé sur une philosophie de délégation aux filiales ne constitue pas en lui-même un élément de preuve susceptible de démontrer l'autonomie de ces dernières : d'abord, parce qu'il tend à établir l'existence d'une stratégie définie au niveau de la société mère appliquée par les filiales, traduisant une influence déterminante de la holding sur ces dernières, ensuite, parce que le caractère effectif de la délégation est relatif. À cet égard, la Cour relève que, dans l'organigramme décentralisé présenté par le groupe Vinci, si « les directeurs et salariés des services support des pôles sont salariés de la société pôle de management » en revanche le directeur général de ces structures régionales « est employé par VINCI Energies Management France » (mémoire Vinci Energies note de bas de page n° 140). Il ressort également du mémoire de Vinci Energies (mémoire § 199) que si « [l]e « chef d'entreprise » de l'établissement Santerne Tertiaire et Santé était M. [W] [T]. Au niveau du pôle de management, le directeur responsable de l'établissement Santerne Tertiaire et Santé était M. [P] [B] », lequel appartenait au comité de direction de Vinci Energies France Nord qui détenait intégralement le capital de Santerne à la date des pratiques (Vinci Energies France Nord, étant également filiale à 100 % de Vinci Energies) et dont le directeur général était employé par Vinci Energies Management France (mémoire § 197, 198, soulignement ajouté par la Cour), également détenue par Vinci Energies à 100 %, elle-même détenue à 99,34 % par Vinci. Ces éléments révèlent un pouvoir de contrôle ascendant dans la structure pyramidale observée, ce que confirme encore l'existence même des « directives générales » évoquées par les sociétés Vinci Energies, délivrées du niveau national vers l'échelle régionale, puis locale. La Cour relève encore qu'après la restructuration de la division Vinci Energies France intervenue en 2016 « M. [P] [B] est resté directeur responsable des établissements Santerne Tertiaire et Santé et Santerne Fluide. Le seul changement à noter est le changement de président de la société Santerne Nord Tertiaire : M. [P] [B] est nommé président de la société en lieu et place de M. [E] [K] » (§ 211 du mémoire des sociétés Vinci Energies).
182. Le « Document d'Enregistrement Universel » invoqué par Vinci confirme également que la politique de décentralisation permet, certes, à chaque entité « d'établir ses référentiels et objectifs en matière de performance globale, en fonction de ses activités et enjeux propres « mais qu'elle le fait « à l'intérieur du cadre commun fixé par le Groupe ». Contrairement à ce que soutiennent les sociétés mères, cette incise ne saurait sérieusement être interprétée comme faisant référence « à son organisation décentralisée », qui est une notion antinomique de celle de « cadre commun » « fixé par le groupe ». Il importe peu, dès lors, que M. [T], chef de l'établissement Santerne Tertiaire et Santé à la date des pratiques, ait seul eu le pouvoir de signer les dossiers de candidature à un appel d'offres.
183. L'absence d'influence déterminante des sociétés mères est également concrètement contredite par plusieurs éléments figurant au dossier. D'abord, les déclarations de M. [N], chef d'entreprise de Santerne tertiaire et santé, faites au cours de l'enquête de la DGCCRF, qui indique que « [l]a stratégie d'entreprise de Santerne Tertiaire et Santé est élaborée conjointement avec mon directeur Monsieur [P] [B], de la société Vinci Énergies ainsi que les cadres demon entreprise (responsables d'affaires, responsable du bureau d'étude et responsable dupôle Gestion- secrétariat) » et que « « [n]ous disposons d'une base de données de chiffrage « OPTIMA » qui nous permet de bénéficier des remises dont le groupe VINCI ENERGIES dispose » (cotes 1370 et 1372). La circonstance que M. [N] n'ait pas été en poste à l'époque de l'appel d'offres (ayant succédé à M. [T] ultérieurement) est sans portée dès lors que nul ne remet en cause le fonctionnement qu'il décrit, ni davantage les fonctions qui étaient occupées par M. [B] au sein de la holding détenant directement Santerne et son rôle à l'égard de celle-ci, dans le contexte organisationnel rappelé dans le paragraphe qui précède. Comme le souligne le ministre chargé de l'économie, sans être contredit sur ce point, les informations recueillies au cours de l'enquête ont également établi, d'une part, que la base de référencement des fournisseurs est entretenue par Vinci Energies France Nord Holding (continuité économique assurée par la société Vinci Énergies France), d'autre part, que l'accès à cette base est nécessaire pour les devis et le traitement des ordres de commandes (annexe 4, rapport d'enquête de la DGCCRF, point 182). Certes, l'existence de certains bénéfices d'échelle liés à l'appartenance au groupe n'induit pas en lui-même une absence d'autonomie de la filiale, toutefois le mécanisme précité va bien au-delà et s'inscrit dans le mode de fonctionnement et d'organisation d'une filiale détenue en totalité par Vinci Energies France, elle-même détenue dans les conditions déjà évoquées par Vinci.
184. Ensuite, la candidature de Santerne à l'appel d'offres en cause fait référence à de nombreuses reprises à ses sociétés mères, indiquant notamment pouvoir s'appuyer « sur une synergie d'entreprises appartenant à Vinci Energies, laquelle permet la mise en place de solutions rapides avec les meilleures compétences humaines régionales. Cette spécificité nous offre une réactivité sans égale, quel que soit le type de renforcement nécessaire ; en production, en technicité, en encadrement » (cote 2117), être « filiale de Vinci Énergies » (cote 2114), adhérer « aux valeurs humanistes du Groupe Vinci » (cote 2113) soulignant qu'un « organisme du Groupe Vinci dispense les formations » (cote 2121) (soulignements ajoutés par la Cour). Ces références, qui ne se bornent pas à mettre en avant la seule notoriété du groupe auquel elle appartient mais à revendiquer une certaine interaction entre les sociétés du groupe, contredisent l'allégation selon laquelle Santerne se présenterait aux tiers comme une société totalement autonome.
185. À titre surabondant, la Cour relève que M. [P] [B] se présentait toujours au 21 septembre 2016 sur les réseaux sociaux comme directeur régional chez « Vinci Energies France Nord » (cote 1710) et qu'il résulte du mémoire des sociétés Vinci Energies :
qu'il y occupait, avant la restructuration intervenue au printemps 2016, un poste au comité de direction, comme directeur « Tertiaires » responsable de l'établissement Santerne Tertiaire et Santé, le directeur général étant employé par Vinci Energies Management France (§198/199, notes de bas de page 140),
que « la société tête de pôle VINCI Energies France Tertiaire Nord Est & Sécurité Incendie est (') à la suite de l'apport en nature du 18 mars 2016, la société qui a repris l'ensemble des activités d'unité fonctionnelle et de management de la société Vinci Energies France Nord, en ce compris ses salariés (') » ;
et qu'après cette restructuration, « M. [P] [B] est resté directeur responsable des établissements Santerne Tertiaire et Santé et Santerne Fluide. Le seul changement à noter est le changement de président de la société Santerne Nord Tertiaire : M. [P] [B] est nommé président de la société en lieu et place de M. [E] [K] » (§ 210 et 211) (soulignement ajouté).
186. Les éléments et arguments avancés ne permettant pas de renverser la présomption, les moyens sont rejetés.
IV. SUR LA SANCTION
A. Sur la gravité des pratiques et le dommage à l'économie
187. La décision attaquée a relevé que les pratiques, mises en œuvre à l'occasion de la passation d'un marché public, revêtaient un caractère instantané, de sorte qu'il y avait lieu d'appliquer la méthode prévue aux points 66 et 67 du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après « le communiqué sanctions »). L'infraction ayant été commise entre le 14 mai 2014 et le 27 mai 2014, elle a retenu comme valeur de référence le chiffre d'affaires total réalisé en France par Santerne pendant l'exercice 2014, soit 27 838 433 euros, auquel elle a appliqué un coefficient de 0,8 % prenant en compte une atteinte grave à l'ordre public économique portée par des pratiques mettant en échec le déroulement normal des procédures d'appel d'offres (§ 132) et le caractère limité du dommage à l'économie en résultant (§ 142).
188. Santerne conteste l'appréciation portée sur ces deux points. Concernant le premier, elle critique une affirmation, générale et déconnectée des spécificités du marché et des échanges concernés, la considérant comme inopérante pour démontrer la gravité des pratiques alléguées. Elle soutient que celles-ci, limitées à des échanges d'informations qui, compte tenu des spécificités du marché, n'ont eu aucune conséquence sur le résultat de l'appel d'offres et les prix pratiqués, ne présentaient aucun degré de gravité. Elle souligne l'absence de corrélation entre le fait de qualifier un accord de restrictif par son objet ou par ses effets et la détermination des sanctions susceptibles d'être infligées aux entreprises responsables, certaines restrictions par objet pouvant être considérées, au regard de l'ensemble des circonstances pertinentes, comme des infractions de gravité moindre, et se prévaut des conclusions de l'Avocat général M. [L], du 5 septembre 2019, déposées dans l'affaire Budapest Bank e.a (C-228/18, point 33). Concernant le second élément, elle estime que le dommage à l'économie est inexistant. Elle souligne en effet qu'en l'absence des pratiques Neu aurait été désignée attributaire du marché dans la mesure où la concurrence jouait principalement sur la valeur technique des offres proposées et que Neu disposait seule des compétences pour déposer une offre conforme aux attentes de LMCU. Elle ajoute que les pratiques en cause n'ont entraîné aucun surprix pour le maître de l'ouvrage qui, en tout état de cause n'a pas attribué le marché au moins-disant.
189. L'Autorité rappelle que la décision attaquée a démontré que Santerne avait participé à la mise en oeuvre d'une pratique concertée avec Neu consistant en des échanges d'informations confidentielles en vue de la passation d'un marché public et qu'ainsi, sur la base d'une jurisprudence constante, c'est sans commettre d'erreur de droit, qu'elle a considéré que cette pratique était grave par nature. Elle ajoute, renvoyant aux paragraphes 141 et 142 de la décision attaquée, que ces pratiques ont causé un dommage limité à l'économie, puisqu'il est envisageable qu'en l'absence d'échange d'informations, Santerne ait pu être incitée à proposer une offre financière inférieure à celle qu'elle a effectivement déposée.
190. Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse de la décision attaquée quant à la gravité des pratiques. S'agissant du dommage à l'économie, il renvoie à l'arrêt de la Cour (28 mars 2013, société Allez et Cie e.a. RG n° 11/20125, page 33) ayant jugé que « le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence ; qu'en effet, les pratiques dénoncées en l'espèce affectent le principe même de l'appel d'offres qui repose sur la loyauté des participants et constituent, en soi, une tromperie sur la réalité même de la concurrence dont elles faussent le libre jeu ». Il en déduit que la décision attaquée a justement retenu l'existence d'un dommage à l'économie, quoique limité.
191. Le ministère public considère que dans le contexte d'un appel d'offres, tout échange d'information susceptible de réduire l'incertitude d'un soumissionnaire sur le contenu des candidatures présentées par les autres soumissionnaires constitue une entente particulièrement grave. Il invite en conséquence la Cour à rejeter les recours.
Sur ce, la Cour,
192. Il résulte d'une jurisprudence constante que les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché, commises à l'occasion d'appels d'offres sont, par nature, parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles, en ce qu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises si elles s'étaient déterminées de manière indépendante.
193. Tel est bien le cas des échanges d'informations intervenus entre Neu et Santerne, antérieurs à la remise des offres, qui ont permis à Santerne, entreprise concurrente de Neu dans le cadre de cet appel d'offres, d'élaborer une offre ne prenant plus en compte seulement ses données propres mais celles, normalement confidentielles, de son concurrent.
194. Cette gravité intrinsèque n'exclut pas pour autant de prendre en compte l'ensemble des circonstances pertinentes pour apprécier le niveau de gravité de l'infraction en cause. Ainsi, si la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appel d'offres perturbe le secteur où ont lieu de telles pratiques et porte une atteinte grave à l'ordre public économique, renforcée par la durée pluriannuelle du marché public en cause qui fige la concurrence sur une période longue, il doit être tenu compte du fait qu'il n'est pas reproché à Santerne d'avoir élaboré une offre de couverture au bénéfice de Neu en vue d'une répartition de marchés et de la circonstance, non contredite par les éléments du dossier, qu'une sous-traitance était envisagée entre ces sociétés (confirmée par les termes de l'échange du 26 mai 2014, 01:16 précité, cote 1599) et que l'échange unilatéral d'informations est intervenu dans ce contexte spécifique. Il se déduit de l'ensemble de ces circonstances une gravité certaine, mais moindre que celle habituellement attachée aux ententes intervenues dans le cadre d'appels d'offres.
195. S'agissant de l'existence et de l'importance du dommage à l'économie pris en compte dans l'appréciation du montant de la sanction, il doit être rappelé, d'une part, que ce dommage ne peut être présumé (Com. 07 avril 2010, pourvois n° 09-65940 et autres) et, lorsqu'il est retenu, son existence doit être certaine même si un chiffrage précis n'est pas exigé (Com. 30 mai 2012, pourvoi n° 11-22.144), d'autre part, que l'existence d'un tel dommage n'est pas une condition nécessaire au prononcé d'une sanction, sauf à priver l'Autorité d'une partie de ses moyens de dissuasion lorsqu'elle parvient, notamment, à faire échec à une entente avant que celle-ci n'ait produit ses pleins effets ou lorsque la pratique n'a pas généré les effets escomptés ou potentiels. L'absence d'un tel dommage doit toutefois être prise en compte pour garantir la proportionnalité de la sanction.
196. En l'espèce, il ressort de la procédure, d'abord, que le montant estimatif du marché affecté était compris entre 200 000 euros et 800 000 euros hors taxes, que le montant estimé par Neu s'élevait à 809 345,69 euros au moment de l'appel d'offres et que celui effectivement exécuté s'était quant à lui élevé à 642 711,41 euros, soit un montant inférieur de plus de 20 % à celui initialement estimé. Il est également constant qu'aucun surprix pour le maître de l'ouvrage n'a été constaté et qu'une troisième offre "celle d'Eiffage" avait été déposée, non concernée par l'entente.
197. Tout en relevant qu'en l'absence d'échange d'informations, c'est-à-dire placée dans l'incertitude quant au contenu de l'offre de Neu, Santerne aurait pu être incitée à proposer une offre financière inférieure à celle qu'elle a effectivement déposée, la décision attaquée a relevé qu'au regard de l'écart de notation entre les deux offres par les services techniques de LMCU et de la nécessité alléguée par Santerne d'avoir recours à Neu, il était peu probable que l'offre de Santerne aurait été plus compétitive que celle de Neu. Aucun élément du dossier ne remet en cause cette analyse.
198. En cet état, l'existence d'un dommage certain à l'économie n'est pas établie.
199. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le coefficient doit être fixé à 0,5 %.
B. Sur la majoration tenant à l'appartenance de Santerne au groupe Vinci.
200. La décision attaquée a considéré, au paragraphe 152, que le montant de base de la sanction infligée devait être majoré de 70 % du fait de l'appartenance de Santerne au groupe Vinci.
201. Santerne et les sociétés Vinci Energie contestent, en premier lieu, le caractère automatique de la majoration (invoquant CA Paris, 28 mai 2015, n° 2014/09272 ; CA Paris, 26 janvier 2016, n° 2014/22811 et Com. 18 février 2014, n° 12-27643) et considèrent que le recours à la présomption d'influence ne suffit pas à démontrer le rôle actif du groupe dans les pratiques. Santerne ajoute qu'en l'absence d'influence déterminante exercée sur elle la décision sera réformée en ce qu'elle a appliqué une majoration au titre de l'appartenance à un groupe.
202. Elles estiment que l'objectif poursuivi par l'Autorité d'assurer un caractère répressif et dissuasif à la sanction infligée ne saurait pour autant justifier l'application automatique de ce cas de majoration, fondée sur la seule appartenance à un groupe.
203. Elles soutiennent, en deuxième lieu, que la décision attaquée ne comporte aucune justification du taux de 70 % retenu qui semble disproportionné par rapport à la pratique décisionnelle et la jurisprudence très récente de la cour d'appel de Paris et ne satisfait pas la condition de proportionnalité de l'article L. 464-2 du code de commerce. Elles demandent à la Cour d'écarter cette majoration.
204. L'Autorité soutient que ce taux de majoration de 70 % s'inscrit dans sa pratique décisionnelle (notamment l'affaire [F]-[M]), respecte le principe de proportionnalité et a été appliqué au regard de critères objectifs et transparents, à savoir le rapport entre la valeur des ventes et le chiffre d'affaires des entreprises mises en cause (en l'espèce, inférieur à 0,1 %).
205. Le ministre chargé de l'économie constate que la majoration est fondée sur une appréciation de la situation de l'unité économique en cause et approuve la décision attaquée.
Sur ce, la Cour,
206. Quant à l'application d'une majoration au titre de l'appartenance à un groupe, la Cour rappelle que conformément au troisième alinéa de l'article L. 464-2, alinéa 3 du code de commerce, les sanctions sont déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée et de façon motivée pour chaque sanction.
207. Cette exigence exclut, à l'égard d'une entreprise ayant agi de manière autonome, le relèvement automatique de la sanction en raison de sa seule appartenance à un groupe (Com. 21 octobre 2014, Bull. 2014, IV, n ° 152, pourvoi n° 13-16.602).
208.Il ne résulte pas de la jurisprudence invoquée par les sociétés du groupe Vinci l'obligation, pour l'Autorité, de démontrer en quoi l'appartenance à un groupe a joué un rôle dans la commission des pratiques lorsque les sociétés mères, auxquelles les pratiques ont été imputées, et la société auteur des pratiques constituent une entreprise unique au sens du droit de la concurrence.
209. En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent une absence d'autonomie de Santerne, qui constitue ainsi une entreprise unique avec ses sociétés mères. Par ailleurs, la puissance économique du groupe Vinci n'est pas contestée au regard du chiffre d'affaires mondial consolidé réalisé en 2018 de 43,5 milliards d'euros. Dès lors, il est justifié, dans le principe, de faire application de la majoration à l'égard d'une « entreprise » disposant d'une grande puissance économique, afin de garantir les objectifs de dissuasion et répression, le montant de base défini sur la base du chiffre d'affaires de Santerne (0,5 % de la valeur des ventes retenue, soit 139 192 euros) n'étant pas suffisant pour les satisfaire.
210. Quant au taux de majoration à appliquer, la Cour rappelle que les sanctions pécuniaires devant être déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionnés, leur fixation est nécessairement liée aux faits et au contexte propres à chaque espèce. Aussi convient-il d'écarter également les comparaisons opérées avec des décisions antérieures de l'Autorité pour contester l'application d'un taux de majoration de 70 % au titre de l'appartenance à un groupe.
211. Procédant au contrôle de proportionnalité qui lui incombe la Cour constate, d'abord, que l'application du coefficient de 70 % qui avait été retenu par l'Autorité conduisait à une assiette de sanction inférieure à 0,1 % du chiffre d'affaires total du groupe Vinci et, qu'après évocation de la Cour, l'application de ce coefficient aboutit à une majoration de 97 435 euros qui n'est pas davantage disproportionnée et permet de satisfaire les objectifs précités dans le respect de l'article L. 464-2 du code de commerce. Il convient en conséquence de retenir ce taux de majoration et de rejeter le surplus du moyen.
C. Sur la majoration tenant à la réitération.
212. La décision attaquée a constaté, au paragraphe 157, que Vinci a été sanctionnée par une décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Île-de-France et a retenu que ce constat d'infraction constituait le premier terme de la réitération, justifiant une majoration de 15 % de la sanction (§ 161).
213. Santerne et les sociétés Vinci Energies font valoir qu'elles n'ont jamais été sanctionnées et soutiennent que Vinci, société holding financière non opérationnelle, n'ayant exercé aucune influence déterminante sur Santerne, il ne saurait être retenu une situation de réitération sur la base de la décision n° 06-D-07 précitée.
214. Santerne estime, en tout état de cause, que, dans cette décision, Vinci a été sanctionnée en sa qualité de société absorbante, et non comme auteur des pratiques, pour des faits datant du début des années 1990 soit vingt avant les pratiques qui lui sont reprochées.
215. Les sociétés Vinci Energies ajoutent, en premier lieu, que seule Vinci Construction a été sanctionnée dans la décision n° 06-D-07 et en déduisent que le raisonnement de l'Autorité revient à considérer, à tort, que dès lors qu'une filiale d'un grand groupe a été sanctionnée en sa qualité d'auteur (solidairement avec ses sociétés mères), cette décision de sanction constitue ipso facto un cas de réitération pour l'ensemble des filiales de ce groupe. En deuxième lieu, elles font valoir que les pratiques concernées sont éloignées du cas d'espèce puisqu'il s'agissait de pratiques de répartitions de travaux publics, mises en œuvre entre 1991 et 1997 par le biais de « tours de table », qui n'ont rien à voir avec l'échange d'informations en cause, intervenu dans le cadre d'un projet de sous-traitance. En troisième lieu, elles relèvent que la décision n° 11-D-13 du 5 octobre 2011, déjà évoquée, plus récente que la décision n° 06-D-07, apparait plus pertinente pour juger de la propension du groupe Vinci et de sa branche Energie à se conformer aux règles de droit de la concurrence.
216. L'Autorité estime que les arguments des requérantes ne visent qu'à critiquer l'imputabilité des pratiques de Santerne à Vinci, dont le bien-fondé a déjà été démontré. Elle considère qu'aucune erreur de droit n'a été commise en majorant la sanction au titre de la réitération, les quatre critères cumulatifs prévus par le communiqué sanctions du 16 mai 2011 étant remplis en l'espèce et renvoie aux paragraphes 158 à 160 de la décision attaquée.
217. Le ministre chargé de l'économie partage cette analyse et ajoute que l'argument tiré de ce que la décision n° 11-D-13, plus récente que la décision n° 06-D-07 sur laquelle s'appuie la décision attaquée pour retenir la réitération, ait mis hors de cause des sociétés du groupe Vinci est inopérant au regard des conditions permettant de retenir une majoration à ce titre. Il approuve le taux de 15 % retenu, le considérant comme raisonnable notamment compte tenu du délai écoulé entre les deux pratiques.
Sur ce, la Cour,
218. La réitération est une circonstance aggravante, visée de façon autonome par le I de l'article L. 464-2 du code de commerce, permettant à l'Autorité de prendre en compte la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence et d'y apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion.
219. Selon une jurisprudence constante, la réitération peut être retenue pour de nouvelles pratiques similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction, sans que cette qualification n'exige une identité quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné. Cette circonstance aggravante s'apprécie suivant les mêmes règles que celles appliquées en matière d'imputabilité. (Com. 6 janvier 2015, pourvoi n° 13-22.477, 13-21.305, Bull. 2015, IV, n° 1).
220. La réitération peut ainsi être opposée au successeur économique d'une entité déjà condamnée (décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire (§ 150), recours rejetés par CA Paris 26 janvier 2010, RG 2009/03532 puis Com. 29 mars 2011, pourvoi n° 10-12.913)
221. Aux termes du Communiqué sanctions, « le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début de la nouvelle pratique est pris en compte pour apporter une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence ; l'Autorité n'entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à un organisme lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans » (point 51). Par ailleurs, en cas de réitération, le montant individualisé peut être « augmenté dans une proportion comprise entre 15 et 50 %, en fonction notamment du délai séparant le début de la nouvelle pratique du précédent constat d'infraction, et de la nature des différentes infractions en cause » (point 52 du communiqué).
222. En l'espèce, il n'est pas contesté que Santerne, Vinci Energies et Vinci Energies France n'ont pas déjà été sanctionnées par l'Autorité pour des pratiques identiques ou similaires.
223. En revanche, par la décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Île-de-France, Vinci SA a été sanctionnée au titre de pratiques constitutives d'une entente horizontale intervenue à l'occasion de procédures d'appels d'offres.
224. En premier lieu, la Cour relève, comme l'avait fait la décision attaquée, que de telles pratiques, qui n'ont pas besoin d'être identiques ou de présenter le même degré de gravité pour constituer le premier terme de la réitération, sont similaires à celles visées par le grief notifié aux requérantes, ce qui satisfait aux principes précités.
225. En deuxième lieu, Vinci SA, constituant, avec les sociétés Vinci Energies et Santerne, une « entreprise » au sens du droit de la concurrence, aucune erreur de droit ne résulte de la méthode consistant à apprécier la circonstance aggravante de réitération suivant les mêmes règles que celles appliquées en matière d'imputabilité.
226. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Vinci Energies, la décision n° 06-D-07 précitée n'a pas sanctionné la seule société Vinci Construction. Si la responsabilité de cette filiale a été retenue au paragraphe 765 de cette décision au titre de la continuité économique et fonctionnelle de GTM BTP, disparue à la date de la décision, l'infraction commise par Sogea a également été imputée à Vinci SA (§ 766), en application du même principe selon lequel la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de l'ensemble des éléments matériels ayant concouru à la commission de l'infraction et qui assure, en fait, la continuité économique et fonctionnelle de l'auteur des pratiques se voit imputer ces pratiques.
227. Il ne s'agit donc pas de rendre opposable à l'ensemble des filiales du groupe Vinci la sanction prononcée à l'encontre de la filiale Vinci Construction mais d'opposer aux seules requérantes la sanction précédemment infligée à Vinci SA, mise en cause dans la présente affaire en raison de l'influence déterminante exercée sur Santerne. La circonstance que Vinci SA n'a pas matériellement commis les premières pratiques concernées par la décision n° 06-D-07 est indifférente, dès lors qu'en 2006 sa responsabilité (et par suite sa connaissance des agissements prohibés en cause) a bien été établie pour des pratiques similaires à celles de la présente affaire.
228. En troisième lieu, il n'est pas contesté qu'à la date de début des pratiques imputées dans la présente affaire (le 14 mai 2014) la décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 était définitive.
229. La décision n°11-D-13, par laquelle l'Autorité a mis hors de cause d'autres filiales du groupe Vinci (Vinci Energies Sud-Ouest, Darlavoix, Saunier Duval Électricité massif central') concernant des pratiques portant sur des marchés passés entre 2003 et 2006, n'est pas de nature à remettre en cause ce constat.
230. En quatrième lieu, il convient de relever que le délai écoulé entre le constat de la première infraction (par décision du 21 mars 2006) et le début des pratiques (le 14 mai 2014) est d'un peu moins de 8 ans et trois mois, de sorte que ce constat peut être retenu comme le premier terme de la réitération, sans méconnaitre le principe de proportionnalité.
231. Il résulte de ce qui précède que les requérantes se trouvaient dans une situation de réitération, laquelle, au vu des circonstances de l'espèce, justifie une majoration de 15 % du montant de la sanction.
232. Le moyen est rejeté.
233. Le montant de la sanction, sur la base de 0,5 % de la valeur des ventes de référence, à laquelle a été appliquée une majoration de 70 % au titre de l'appartenance au groupe Vinci, puis une majoration de 15 % au titre de la réitération, est ainsi fixé par la Cour à la valeur arrondie de 272 000 euros.
D. Sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
234. Il est demandé à la Cour de condamner l'Autorité au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de :
Santerne ;
des sociétés Vinci Energies ;
et de Vinci.
235. Ces sociétés succombant, partiellement, en leur recours, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à leur bénéfice. Elles sont condamnées aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement,
REJETTE la demande d'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-D-05 du 4 mars 2021, fondée sur la violation de l'article L. 464-9 du code de commerce ;
REJETTE la demande de réformation de cette décision en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la société Santerne Nord Tertiaire en tant qu'auteur ;
ANNULE la décision n° 21-D-05 du 4 mars 2021, mais seulement en qu'elle a insuffisamment motivé l'imputabilité de la pratique de la société Santerne Nord Tertiaire à ses sociétés mères, Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci, et a infligé en conséquence une sanction pécuniaire à l'ensemble de ces sociétés ;
Statuant à nouveau sur l'imputabilité et la sanction prononcée, par l'effet dévolutif du recours :
DIT que les sociétés Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci, en tant que sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à des échanges d'informations confidentielles avec la société Neu Automation en vue de la passation du marché de maintenance et de transformation des installations de gestion technique des bâtiments de [Localité 14] métropole communauté urbaine 2014-2018 ;
DIT que l'existence d'un dommage certain à l'économie n'est pas établie, fixe à 0,5 % le coefficient applicable au montant de base traduisant la gravité des pratiques, à 70 % le coefficient de majoration au titre de l'appartenance à un groupe et à 15 % le coefficient de majoration au titre de la réitération ;
CONDAMNE solidairement les sociétés Santerne Nord Tertiaire, Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci SA au paiement d'une sanction pécuniaire de 272 000 euros ;
RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant le montant fixé par le présent arrêt devront être remboursées aux organismes concernés, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les sociétés Santerne Nord Tertiaire, Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci SA aux dépens.