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Décisions

CE, 9e et 10e sous-sect. réunies, 21 novembre 2011, n° 321356

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

Mme Isidoro

Rapporteur public :

M. Collin

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel, SCP Delvolve, Delvolve

CE n° 321356

20 novembre 2011

Vu la requête, enregistrée le 6 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE DELUBAC ET CIE, dont le siège est 16 place Saleon Terras au Cheylard (07160), représentée par son gérant ; la SOCIETE DELUBAC ET CIE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (CECEI) du 31 juillet 2008 subordonnant la modification de sa forme juridique en société en commandite par actions à la suppression des articles 13.1.1 alinéa 3, 29 alinéa 4 et 30 alinéa 3 de son projet de statuts ;

2°) d'enjoindre à ce comité de prendre, dans les quinze jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour, une décision sur la demande d'autorisation de la modification de sa forme juridique en société en commandite par actions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 ;

Vu le règlement n° 96-16 du Comité de la réglementation bancaire et financière du 20 décembre 1996 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la SOCIETE DELUBAC ET CIE et de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et de l'Autorité de contrôle prudentiel,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la SOCIETE DELUBAC ET CIE et à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et de l'Autorité de contrôle prudentiel ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant que, par délibération adoptée lors de sa séance du 18 avril 2008, le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement a, d'une part, autorisé la modification de la forme juridique de Delubac et Cie en société en commandite par actions, sous condition de la suppression des stipulations de l'article 13.1.1 alinéa 3 des projets de statuts permettant à un gérant révoqué de continuer à exercer ses fonctions jusqu'à son remplacement et la perception d'une éventuelle indemnité et des clauses des articles 29 alinéa 4 et 30 alinéa 3 limitant la possibilité pour un actionnaire de détenir 8 % ou plus des droits de vote exprimés aux assemblées générales, d'autre part, décidé que la banque devrait lui soumettre, pour autorisation préalable, tout projet de modification de ses statuts, au-delà même des clauses sur lesquelles portaient ces conditions particulières et, enfin, prorogé sa décision autorisant le franchissement indirect à la hausse des seuils du dixième et du cinquième des droits de vote aux assemblées de la banque par la société Cheylaroise de Participation ; que si cette décision a été signée par le président du comité, après mise en forme, le 31 juillet 2008, il ne résulte pas de cette circonstance, pour regrettable qu'elle soit, que le comité ou son président aurait pris une décision distincte de celle adoptée par le comité dans sa séance du 18 avril 2008 ; que, par suite, les conclusions de la SOCIETE DELUBAC ET CIE doivent être regardées comme dirigées contre la décision du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement du 18 avril 2008 ;

Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 511-10 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : "Avant d'exercer leur activité, les établissements de crédit doivent obtenir l'agrément délivré par le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement mentionné à l'article L. 612-1. / Le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement vérifie si l'entreprise satisfait aux obligations prévues aux articles L. 511-11, L. 511-13 et L. 511-40 et l'adéquation de la forme juridique de l'entreprise à l'activité d'établissement de crédit. Il prend en compte le programme d'activités de cette entreprise, les moyens techniques et financiers qu'elle prévoit de mettre en oeuvre ainsi que la qualité des apporteurs de capitaux et, le cas échéant, de leurs garants. / Le comité apprécie également l'aptitude de l'entreprise requérante à réaliser ses objectifs de développement dans des conditions compatibles avec le bon fonctionnement du système bancaire et qui assurent à la clientèle une sécurité satisfaisante" ; qu'aux termes du sixième alinéa du même article : "(...) le comité peut assortir l'agrément délivré de conditions particulières visant à préserver l'équilibre de la structure financière de l'établissement et le bon fonctionnement du système bancaire en tenant compte, le cas échéant, des objectifs de la surveillance complémentaire prévue par le chapitre VII du titre Ier du livre V du présent code. Il peut aussi subordonner l'octroi de l'agrément au respect d'engagements souscrits par l'établissement requérant" ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 511-12-1 du même code : "Toute modification des conditions auxquelles était subordonné l'agrément délivré à un établissement de crédit doit faire l'objet, selon les cas, d'une autorisation préalable du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, d'une déclaration ou d'une notification, dans les conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de l'économie. / Dans les cas où une autorisation doit être délivrée, elle peut, elle-même, être assortie de conditions particulières répondant aux finalités mentionnées au sixième alinéa de l'article L. 511-10 ou subordonnée au respect d'engagements pris par l'établissement" ; qu'en vertu de l'article 7 du règlement n° 96-16 du Comité de la réglementation bancaire et financière du 20 décembre 1996 relatif aux modifications de situation des établissements de crédit et des entreprises d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille, demeuré applicable par l'effet de l'article 47 de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière, les modifications apportées à la situation des entreprises assujetties portant sur la forme juridique de ces dernières étaient soumises à autorisation préalable du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement ;

Considérant, en premier lieu, que le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement tenait des dispositions précitées le pouvoir de subordonner l'autorisation d'une modification de la forme juridique de la SOCIETE DELUBAC ET CIE à la renonciation, par cet établissement, à la modification envisagée de certaines clauses de ses statuts, pour autant que cette exigence ait été justifiée par l'objectif de préservation de l'équilibre de la structure financière de l'établissement et du bon fonctionnement du système bancaire ; qu'en revanche, aucune disposition ne lui donnait compétence pour imposer à cet établissement de lui soumettre, pour autorisation préalable, tout projet de modification de ses statuts, au-delà des clauses contestées pour les motifs énoncés ci-dessus ; que, par suite, la décision attaquée du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement est entachée d'incompétence dans cette mesure ;

Considérant, en deuxième lieu, que s'il résulte du premier alinéa de l'article L. 225-125 du code de commerce que "Les statuts peuvent limiter le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées, sous la condition que cette limitation soit imposée à toutes les actions sans distinction de catégorie, autres que les actions à dividende prioritaire sans droit de vote", ces dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, sur le fondement des dispositions précitées du code monétaire et financier, exige de l'établissement de crédit, pour l'autoriser à modifier sa forme juridique, qu'il renonce à l'adoption d'une clause statutaire limitant le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées, dès lors qu'une telle clause, eu égard au niveau envisagé, aurait eu pour effet de modifier l'actionnariat de l'établissement dans des proportions susceptibles d'affecter l'équilibre de sa structure financière ;

Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la banque DELUBAC ET CIE avait modifié ses projets de statuts entre le 18 avril et le 31 juillet 2008 est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée qui, comme il a été indiqué ci-dessus, a été adoptée le 18 avril 2008 ;

Considérant, en dernier lieu, que la décision attaquée a subordonné l'autorisation de la modification de la forme juridique de la société requérante à la suppression des clauses de ses projets de statuts limitant la possibilité pour un actionnaire de détenir 8 % ou plus des droits de vote exprimés aux assemblées générales ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'un seuil de 20 % des droits de vote était trop bas manque en fait ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE DELUBAC ET CIE est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque en tant seulement que, par son article 3, celle-ci impose de soumettre au Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, pour autorisation préalable, tout projet de modification de ses statuts ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que l'exécution de la présente décision n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société requérante ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement de la somme que la SOCIETE DELUBAC ET CIE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : L'article 3 de la décision du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement du 18 avril 2008 est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE DELUBAC ET CIE est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DELUBAC ET CIE et à l'Autorité de contrôle prudentiel.