Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.778
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Le Dauphin
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Thouin-Palat et Boucard
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les actions de la société anonyme Acadomia groupe, devenue Domia Group (la société), sont admises aux négociations sur le marché libre de Nyse-Euronext ; que la société, ayant pour dirigeants M. X..., président du conseil d'administration, ainsi que MM. Y... et Z..., compte parmi ses actionnaires la société Madag et la société Capris ; que le 28 février 2007, l'assemblée générale des actionnaires a autorisé l'augmentation différée du capital par voie d'émission d'obligations à bons de souscription et/ ou d'acquisition d'actions remboursables (OBSAAR) ; que le 3 avril 2007, le conseil d'administration a décidé de procéder à l'émission d'un emprunt obligataire de 10 millions d'euros auquel étaient attachés 1 999 950 bons de souscription (les BSAAR) ; que les obligations ont été intégralement souscrites par deux établissements de crédit qui ont ensuite vendu les BSAAR à MM. X..., Y... et Z... ; que le 25 février 2008, ces derniers, agissant de concert avec la société Bastogne Invest, ont exercé 910 000 BSAAR, ce qui leur a permis de contrôler la société ; que lors de l'assemblée des actionnaires du 29 février 2008, le bureau, après avoir retenu que « la société Capris détenant à ce jour 192 339 actions de la société, agissant de concert avec les sociétés Madag, Satisfonds et M. A... » avait « franchi à la hausse, sans le déclarer à la société, le seuil de 5 % en mars 2007 », a limité les droits de vote de ces actionnaires à 123 027, correspondant à 5 % du capital de la société au mois de mars 2007 ; que le bureau a ajouté que le même groupe d'actionnaires, agissant de concert, avait franchi à la hausse les seuils de 10 %, 15 %, 20 % et 25 % sans les déclarer à la société ; que lors de l'assemblée générale du 20 février 2009, la même limitation des droits de vote a été appliquée à ces actionnaires ; que la société Madag et d'autres actionnaires ont assigné la société aux fins d'annulation de l'émission d'OBSAAR et des décisions de privation de droits de vote prises par le bureau de l'assemblée générale ; que le premier juge ayant rejeté ces demandes, la société Madag a relevé appel ; qu'en cause d'appel, elle a abandonné sa demande tendant à l'annulation de l'émission des OBSAAR et a, pour la première fois, demandé que soit constaté le caractère irrégulier de l'augmentation de capital réalisée en 2008 par l'exercice des BSAAR et prononcée la suspension corrélative des droits de vote et des droits à dividende attachés aux actions ainsi émises ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Madag fait grief à l'arrêt de déclarer cette demande irrecevable comme nouvelle alors, selon le moyen :
1°/ que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ; qu'en l'espèce, la société Madag avait sollicité en première instance l'annulation de l'émission, décidée le 3 avril 2007 par le conseil d'administration de la société Acadomia groupe, des obligations à bon de souscription et/ ou d'acquisition d'actions remboursables (OBSAAR), ultérieurement souscrites par les banques Crédit du Nord et LCL qui ont cédé les bons de souscription et d'achat d'actions (BSAAR) qui y étaient attachés à MM. X..., Y... et Z..., dirigeants de la société Acadomia groupe, à raison de l'irrégularité de la procédure tenant à l'absence d'établissement par les commissaires aux comptes de la société Acadomia groupe du rapport au conseil d'administration imposé par l'article L. 225-135 du code de commerce préalablement à toute augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription ; qu'en appel, ainsi que l'a constaté l'arrêt attaqué, la société Madag a persisté à invoquer le caractère irrégulier de la procédure d'émission des OBSAAR, faute d'établissement du rapport par les commissaires aux comptes, mais a substitué à sa demande d'annulation de l'émission des OBSAAR une demande tenant à la suspension des droits de vote et des droits à dividende attachés aux actions émises à la suite de l'exercice en 2008 par leurs bénéficiaires (MM. X..., Y... et Z...) des bons (BSAAR) attachés aux OBSAAR émises en 2007, en application de l'article L. 225-150 du code de commerce, issu de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 dont elle soulignait qu'elle était applicable à compter de son entrée en vigueur le 24 mars 2012 ; que pour déclarer cette demande irrecevable, la cour d'appel a retenu qu'elle laissait subsister l'émission obligataire et ne tendait dès lors pas aux mêmes fins que l'action en nullité des OBSAAR présentée en première instance qui avait pour effet de la mettre à néant ; qu'en statuant de la sorte, quand la demande de suspension des droits de vote et des droits au dividende attachés aux actions émises par l'exercice des BSAAR en 2008 avait pour objet d'obtenir la sanction de l'irrégularité de l'émission des OBSAAR décidée en 2007, à raison de l'absence d'établissement du rapport préalable au conseil d'administration par les commissaires aux comptes, de sorte qu'elle tendait aux mêmes fins que la demande présentée en première instance, la cour d'appel a violé l'article 565 du code de procédure civile ;
2°/ qu'à la nullité de plein droit de la décision d'émission de titres prise en violation de l'obligation d'établissement d'un rapport préalable du commissaire aux comptes (articles L. 225-135 et L. 225-145 du code de commerce dans sa version applicable à l'époque des faits litigieux), la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 a substitué une autre sanction, applicable elle aussi de droit, consistant en la privation des droits de vote attachés aux titres émis en violation de cette même formalité substantielle (article L. 225-150 du code de commerce), la nullité de l'émission des titres ou de l'opération de capital intervenue en violation de cette exigence devenant facultative (article L. 225-149-3) ; que ces derniers textes étant entrés en vigueur avant que le présent litige n'ait été porté en appel, la société Madag pouvait, sans que sa demande s'expose au grief de nouveauté, solliciter du juge qu'il prononce, en raison de l'irrégularité de l'augmentation de capital intervenue sans que la formalité du rapport du commissaire aux comptes ait été respectée, la suspension des droits de vote attachée aux actions émises, cette sanction n'étant que la conséquence désormais prévue par la loi de l'irrégularité qu'elle avait demandé au juge de constater tant en première instance qu'en appel ; en sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile, ensemble les textes susvisés ;
3°/ qu'est recevable même si elle présentée pour la première fois en appel la demande qui était virtuellement comprise dans les demandes soumises au premier juge, ou qui en constitue l'accessoire, la conséquence ou le complément ; que la demande formulée en appel par la société Madag tendant à voir constater le caractère irrégulier de l'augmentation de capital par l'exercice en 2008 des BSAAR, et à la suspension corrélative des droits de vote et des droits au dividende attachés aux actions ainsi émises, ne tendait qu'à voir tirer les conséquences de l'irrégularité affectant l'émission d'OBSAAR décidée le 3 avril 2007 par le conseil d'administration de la société Acadomia groupe, à raison de l'absence d'établissement du rapport préalable par les commissaires aux comptes ; que cette irrégularité était déjà invoquée par la société Madag à l'appui de sa demande, présentée en première instance, tendant à la nullité de l'émission des OBSAAR, laquelle, si elle avait abouti, aurait entraîné l'annulation de l'émission obligataire mais également celle des bons de souscription et/ ou d'acquisition d'actions remboursables (BSAAR), et par conséquent la suppression des droits de vote et à dividende attachés à ces actions ; qu'en déclarant néanmoins la demande de la société Madag tendant à voir constater le caractère irrégulier de l'augmentation de capital par l'exercice en 2008 des BSAAR, et à la suspension corrélative des droits de vote et des droits au dividende attachés aux actions ainsi émises irrecevable comme nouvelle, quand cette prétention était virtuellement comprise dans celle présentée en première instance dont elle ne constituait que le complément, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
4°/ que n'est pas nouvelle en cause d'appel la demande tendant au prononcé d'une sanction consistant en la privation d'un droit, lorsque cette sanction était nécessairement comprise dans la demande formulée en première instance ; que la demande en nullité de l'émission des OBSAAR, privant nécessairement les bénéficiaires des actions souscrites par exercice des BSAAR de tout droit de vote et de droit à dividendes, viole les articles 564 et 566 du code de procédure civile la cour d'appel qui retient que la société Madag ne pouvait se borner à solliciter en appel la suspension des droits de vote et à dividendes attachés aux titres litigieux, alors qu'elle avait sollicité en première instance la nullité de l'émission de ces titres ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu que la demande de la société Madag tendant à la suspension des droits de vote et des droits à dividende attachés aux actions émises à la suite de l'exercice, en 2008, des BSAAR, qui laissait subsister l'émission des OBSAAR, ne tendait pas aux mêmes fins que celle tendant à l'annulation de celle-ci, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions des articles 564 et 565 du code de procédure civile en déclarant cette prétention irrecevable comme nouvelle ;
Et attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que la société Madag ait fait valoir que cette demande entrait dans les prévisions de l'article 566 du code de procédure civile, dont elle ne s'est pas prévalue ; que les troisième et quatrième branches, nouvelles et mélangées de fait et de droit, sont irrecevables ;
D'où il suit que le moyen, pour partie non fondé, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Madag fait encore grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à l'annulation des décisions de privation de droits de vote prises à son égard alors, selon le moyen :
1°/ que l'article L. 233-7, I du code de commerce, qui oblige le titulaire des actions d'une société cotée sur un marché non réglementé à déclarer le nombre d'actions qu'il détient lorsqu'il vient à franchir, seul ou de concert, certains seuils de participation, ne s'applique que si les titres de cette société sont susceptibles d'être mis au porteur, et non pas si les statuts leur imposent la forme nominative, peu important que ces derniers titres, qui doivent être inscrits au compte tenu par leur émetteur, soient gérés par un intermédiaire habilité ; qu'en l'espèce, les statuts de la société Acadomia, comme la société Madag le faisait valoir dans ses conclusions, stipulaient que les valeurs mobilières émises par cette société revêtaient exclusivement la forme nominative ; que la cour d'appel, qui constate que les actions de la société Acadomia étaient constituées de titres obligatoirement nominatifs, et qui décide que l'obligation de déclaration en cas de franchissement des seuils prévus par l'article L. 233-7, I du code de commerce, leur était néanmoins applicable, au motif que ces titres étaient admis aux opérations d'Euroclear France, dépositaire central agréé, et que l'article 9 des statuts autorisait l'inscription en compte chez un intermédiaire habilité, a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 211-4 26 du code monétaire et financier, et les articles R. 211-1 et R. 211-4 du même code ;
2°/ que les statuts d'une société dont les titres sont nominatifs ne peuvent prévoir une obligation d'information de la société à la charge des actionnaires franchissant un certain seuil de participation dans le capital que la loi ne prévoit pas ; que ces mêmes statuts ne sauraient encore moins assortir cette obligation d'une sanction consistant en la privation du droit de vote attaché aux actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée, jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification, cette sanction n'étant prévue par la loi que pour les sociétés émettant des titres susceptibles d'être mis au porteur et pour les seuils inférieurs à 5 % ; en sorte qu'en validant la clause des statuts de la société Acadomia prévoyant qu'en cas de méconnaissance de l'obligation de déclarer le franchissement de certains seuils supérieurs à 5 %, les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée seraient privées du droit de vote pour toute assemblée d'actionnaires, et ce jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil, l'article 1844, alinéa 1 et 4 du code civil, ensemble l'article L. 233-7, I du code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que les titres de capital émis par la société étaient admis aux opérations d'Euroclear France, dépositaire central, et que les statuts prévoyaient leur inscription en compte chez un intermédiaire habilité, la cour d'appel en a exactement déduit que l'obligation de déclaration en cas de franchissement de certains seuils résultant des dispositions de l'article L. 233-7 du code de commerce était applicable à la société Madag ;
Attendu, d'autre part, que la seconde branche, qui critique des motifs surabondants, est inopérante ;
D'où il suit que le moyen, pour partie non fondé, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 233-7, L. 233-10 et L. 233-14 du code de commerce ;
Attendu qu'aucun texte n'attribue au bureau de l'assemblée des actionnaires le pouvoir de priver certains d'entre eux de leurs droits de vote au motif qu'ils n'auraient pas satisfait à l'obligation de notifier le franchissement d'un seuil de participation dés lors que l'existence de l'action de concert d'où résulterait cette obligation est contestée ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Madag tendant à l'annulation des décisions de privation de droits de vote prises à son égard par le bureau de l'assemblée des actionnaires de la société, l'arrêt, après avoir retenu que la présomption d'action de concert de l'article L. 233-10 du code de commerce joue notamment entre des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes, relève que les sociétés Madag et Capris sont contrôlées par le même groupe de dix-huit personnes physiques, qui détiennent le capital de cette dernière à l'exception d'une action, le capital de la société Madag étant détenu à 100 % par le groupe Superba lequel est contrôlé par le même groupe familial (C.../ A...), notamment via la société HFG ; que l'arrêt ajoute que M. A... est le gérant des sociétés Capris et HFG et le président du conseil d'administration de la société Madag ; qu'il relève encore que dans son courriel du 2 janvier 2008 à M. Z..., M. A... évoquait spontanément le « cumul » des actions des sociétés Madag et Capris ; que l'arrêt en déduit que c'est un cumul de présomptions autour de M. A... et HFG que le bureau de l'assemblée générale a pu constater sans excéder ses pouvoirs ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'existence de l'action de concert d'où serait résultée l'obligation de déclarer le franchissement d'un ou plusieurs seuils de participation n'avait pas été contestée lors de l'assemblée générale du 29 février 2008, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du quatrième moyen, non plus que sur le cinquième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Madag tendant à l'annulation des décisions de privation des droits de vote prises à son égard par le bureau de l'assemblée générale des actionnaires de la société Domia group, l'arrêt rendu le 29 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.