Cass. 3e civ., 19 janvier 2023, n° 22-18.514
COUR DE CASSATION
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Boyer
Avocat général :
Mme Morel-Coujard
Avocats :
SCP Delamarre et Jehannin, SCP Sevaux et Mathonnet
Faits et procédure
1. Sur assignation de la préfecture de la région Ile-de-France délivrée au visa de l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, un tribunal judiciaire a prononcé, avec exécution provisoire, la dissolution du fonds de dotation Passerelles (le fonds de dotation) et a désigné un liquidateur aux fins de procéder aux opérations de liquidation.
2. La décision de dissolution judiciaire a été déclarée en préfecture le 16 février 2021 et publiée au Journal officiel de la République française le 23 février suivant.
3. Le 26 janvier 2021, le fonds de dotation, représenté par son président, M. [U], a fait appel de cette décision.
4. Une ordonnance d'un conseiller de la mise en état a déclaré nulle la déclaration d'appel du fonds de dotation, représenté par M. [U], au motif que celui-ci n'avait plus le pouvoir de le représenter.
5. Un arrêt, statuant sur déféré, a dit nulle, pour défaut de pouvoir, la requête en déféré.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
6. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 6 avril 2022 par la cour d'appel de Paris, le fonds de dotation et M. [U] ont, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'article 140 VII et VIII de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, en ce qu'il ne prévoit pas qu'en cas de dissolution judiciairement ordonnée du fonds de dotation, les organes dirigeants du fonds conservent le droit d'exercer, au nom du fonds, les voies de recours judiciaires contre la décision ayant prononcé la dissolution du fonds, est-il conforme au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au principe d'égalité des citoyens devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et au principe de compétence exclusive du législateur pour fixer les règles applicables à l'état et la capacité des personnes ainsi que les règles relatives aux droits civiques et aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques posé par l'article 34 de la Constitution ? ».
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
7. La disposition contestée est applicable au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 en tant que le fonds de dotation et M. [U] soutiennent que le législateur aurait dû prévoir qu'un fonds de dotation ayant fait l'objet d'une dissolution judiciaire sur le fondement de ce texte peut exercer les voies de recours à l'encontre de cette décision en étant représenté par son dirigeant à la date du prononcé de celle-ci.
8. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
9. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
10. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
11. En premier lieu, toute personne morale dissoute conserve la personnalité morale et le droit d'ester en justice au titre de son droit propre à contester les décisions lui faisant grief et l'article 140, § VII et VIII, de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ne déroge pas à cette règle.
12. En second lieu, il résulte d'une jurisprudence constante qu'une personne morale, dépourvue de dirigeants en exercice pour quelque cause que ce soit, peut exercer le droit d'ester en justice par l'intermédiaire d'un mandataire ad hoc, désigné à la requête de tout intéressé y compris de son ancien dirigeant (Com. 16 mars 1999, pourvoi n° 96- 19. 078, Bull. 1999, IV, n° 66 ; Com. 2 juin 2004, pourvoi n° 03-11.090, Bull. 2004, IV, n° 113).
13. Il est également jugé, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008- 561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, que l'exercice de l'appel à titre conservatoire par le dirigeant sans pouvoir d'une personne morale peut être régularisé, non seulement durant le délai d'appel mais aussi durant un délai d'égale durée courant à compter de la date à laquelle la juridiction saisie a annulé la déclaration d'appel (2e Civ., 16 octobre 2014, pourvoi n° 13-22.088, Bull. 2014, II, n° 215 ; 2e Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-14.300, Bull 2017, II, n°116).
14. De même, si le dirigeant d'une personne morale dissoute est privé de ses pouvoirs à compter de la liquidation subséquente à sa dissolution, de sorte que cette personne morale ne peut former un pourvoi en cassation, au titre de ses droits propres, que par l'intermédiaire de son liquidateur amiable ou d'un mandataire ad hoc spécialement désigné, la régularisation du pourvoi, par substitution à l'ancien dirigeant en exercice de l'un ou de l'autre de ces organes, est admise jusqu'à l'expiration du délai imparti pour déposer le mémoire ampliatif (Com. 16 mars 1999, pourvoi n° 96-19.078, Bull. 1999, IV, n° 66 ; Com., 4 juillet 2000, pourvoi n° 97-17.171 ; Com., 29 mai 2001, pourvoi n° 98-14.031).
15. Un fonds de dotation dont la dissolution a été prononcée par une décision judiciaire, assortie de l'exécution provisoire, pouvant, nonobstant la désignation d'un liquidateur judiciaire aux fins de procéder aux opérations de liquidation, contester la décision de dissolution pendant les délais de recours de droit commun en sollicitant, dans les formes prévues pour la matière gracieuse, la désignation d'un mandataire ad hoc, susceptible de le représenter pour exercer son droit propre, cette faculté, assortie de la possibilité de régularisation du recours formé à titre conservatoire par le dirigeant en exercice à la date de la dissolution, admise par une jurisprudence établie, constante et publiée, ne porte pas une atteinte excessive et disproportionnée au droit au recours juridictionnel effectif résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
16. En troisième lieu, aucun texte de portée générale, auquel la disposition contestée dérogerait, ne confère au dirigeant d'une personne morale dissoute ou dont la dissolution a été judiciairement prononcée, avec exécution provisoire, le pouvoir de représenter celle-ci en justice.
17. L'article 140, § VII et VIII, de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ne privant pas le fonds de dotation du droit de contester sa dissolution, prononcée par une décision judiciaire, assortie de l'exécution provisoire, en étant représenté, dans les conditions du droit commun, par un mandataire ad hoc, désigné à la requête de tout intéressé y compris de son ancien dirigeant, le grief tiré d'une violation du principe d'égalité n'est pas fondé.
18. Enfin, faute pour la disposition contestée d'affecter un droit ou une liberté que la Constitution garantit, le grief d'inconstitutionnalité tiré de la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence est inopérant.
19. Il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux.
20. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.