Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 13 mars 2018, n° 17/16686

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'ARTISTIQUE CAUMARTIN (SA)

Défendeur :

SOCIÉTÉ DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur David PEYRON

Conseillers :

Madame Isabelle DOUILLET, Monsieur François THOMAS

Avocats :

Me Gérard D., SCP Jeanne B.

Paris, du 7 juill. 2017

7 juillet 2017

La société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) est une société civile qui a pour objet social l'exercice et l'administration de tous les droits relatifs à la représentation ou la reproduction des 'uvres de ses membres, et notamment la perception et la répartition des redevances provenant de l'exercice des dits droits. L'article 3 des statuts de la SACD précise qu'elle a pour objet :

« 1) La défense des droits de ses associés vis-à-vis de tous usagers et d'une manière générale la défense des intérêts moraux et matériels des membres de la Société et celle de la profession d'auteur ;

2) Une action culturelle par la mise en 'uvre des moyens propres à valoriser le répertoire de la Société et à en assurer la promotion auprès du public ;

3) L'exercice et l'administration dans tous pays de tous les droits relatifs à la représentation ou à la reproduction, sous quelque forme que ce soit, des 'uvres de ses membres, et notamment la perception et la répartition des redevances provenant de l'exercice desdits droits, y compris dans le cadre de l'article L.122-9 du code de la propriété intellectuelle ;

4) La mise en commun d'une partie des droits perçus ;

5) Des actions de prévoyance et de solidarité en faveur des différentes catégories d'associés, de leur famille et de leurs proches. ».

La société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN exploite le théâtre La Comédie Caumartin situé au [...].

Au cours des années 2011 à 2014, ont notamment été représentées dans ce théâtre, les pièces de trois auteurs membres de la SACD, à savoir :

J'aime beaucoup ce que vous faites de Carole G., du 1er décembre 2011 au 1er juillet 2012 ;
Fabrice E., Levez-vous de Fabrice E. du 18 septembre 2013 au 15 janvier 2014 ;
Amour et chipolatas de Jean-Luc L., du 1er juin 2011 au 7 janvier 2012.

Une demande en paiement de provisions a été présentée au président du tribunal de grande instance de Paris statuant en référé. Par ordonnance de référé du 7 juillet 2014, il a été fait partiellement droit aux demandes de la SACD, à hauteur de :

la somme de 35 447,96 euros pour le spectacle Fabrice E., levez-vous ! pour la période du 18 septembre 2013 au 5 Janvier 2014,
celle de 54 897,98 euros, pour les factures du 1er décembre 2011 au 1er juillet 2012 du spectacle J'aime beaucoup ce que vous faites.

Des procédures d'exécution ont été menées sur le fondement de cette ordonnance.

Par arrêt du 14 juin 2016, la cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance de référé et dit n'y avoir lieu à référé, notamment au motif que le juge des référés ne pouvait déterminer l'assiette du calcul des droits.

C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier de justice du 22 juin 2016, la SACD a assigné la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN à comparaître devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de 42 449,34 €, 13 189, 66 € et 2 896,56 €, soit une somme totale de 58 535,56 €, en règlement du solde des factures émises respectivement au titre des représentations des pièces J'aime beaucoup ce que vous faites pour la période allant du 1er décembre 2011 au 1er juillet 2012, Fabrice E., Levez-vous ! pour la période allant du 18 septembre 2013 au 5 janvier 2014 et Amour et chipolatas pour la période allant du 1er juin 2011 au 7 janvier 2012.

Par jugement du 7 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

condamné la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN à payer à la SACD, les sommes de
42 449,34 euros au titre des représentations de la pièce J'aime beaucoup ce que vous faites ;
13 189,66 euros au titre des représentations du spectacle Fabrice E., Levez-vous ! ;
2 896,56 euros au titre des représentations de la pièce Amour et chipolatas

avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 juin 2016 ;

rejeté toutes autres demandes ;
condamné la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN aux dépens et au paiement de la somme de 1500 euros pour frais irrépétibles au profit de la SACD ;
ordonné l'exécution provisoire.

Le 24 août 2017, la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt du 20 septembre 2017, la Cour de cassation a censuré l'arrêt rendu par la cour d'appel le 14 juin 2016. La procédure est actuellement pendante devant la cour de renvoi saisie le 20 novembre 2017 par la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmise le 15 janvier 2018 , la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN demande à la cour :

à titre liminaire, concernant le spectacle Fabrice E., levez-vous !, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur le recours en abus de position dominante enrôlée sous le n° RG : 17/15449 devant le tribunal de grande instance de Paris ;
à titre subsidiaire, sur le fond, d'infirmer le jugement entrepris, en toutes ses dispositions, et notamment, en ce qu'il l'a condamnée au paiement de droits d'auteur sur les trois spectacles en litige ;
de condamner la SACD à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmise le 16 janvier 2018 , la SACD demande à la cour :

à titre liminaire : de constater que la demande de sursis à statuer formulée par la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN est irrecevable et l'en débouter ;
sur les autres demandes : de dire la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN mal fondée en son appel et confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
de condamner la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN à lui payer la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2018 .

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;

Sur la demande de sursis à statuer de la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN concernant les sommes demandées au titre du spectacleFabrice E., levez-vous !

Considérant que la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN demande un sursis à statuer sur ce chef de demande, invoquant une instance qu'elle a engagée devant le tribunal de grande instance

de Paris dans laquelle elle a demandé que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;

Que la SACD objecte que cette demande est irrecevable en application des articles 771 et 914 du code de procédure civile et, en tout état de cause, purement dilatoire ;

Considérant qu'il résulte des articles 771 et 907 du code de procédure civile, que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le conseiller de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure, les parties n'étant plus recevables à soulever ces exceptions ultérieurement à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement à son dessaisissement ;

Que la demande de sursis à statuer constitue une exception de procédure en application de l'article 73 du code de procédure civile ;

Considérant que la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN a présenté sa demande de sursis à statuer le 23 novembre 2017 dans ses premières conclusions au fond mais n'a pas saisi le conseiller de la mise en état de conclusions d'incident aux fins de voir prononcer ce sursis à statuer ;

Que sa demande présentée devant la cour est par conséquent irrecevable ;

Sur le fond

Sur la demande concernant le spectacle Fabrice E., levez-vous !

Considérant que la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN conteste le principe même de la créance de la SACD, arguant qu'elle même n'est pas adhérente à la SACD et qu'elle n'est par conséquent nullement tenue à l'égard de celle-ci, mais seulement à l'égard du producteur du spectacle, la société KWET PRODUCTIONS à laquelle les droits d'auteur ont d'ailleurs été régulièrement versés ;

Que cependant, comme l'a exposé le tribunal, la SACD est constituée par et pour les auteurs et compositeurs d'oeuvres dramatiques, d'oeuvres audiovisuelles et d'images, qui a pour objet social, l'exercice et l'administration dans tous les pays de tous les droits relatifs à la représentation et à la reproduction sous quelque forme que ce soit, des oeuvres de ses membres et notamment la perception et la répartition des redevances provenant de l'exercice de ses droits (article 3-3 des statuts) ; qu'en application de l'article 1-II-1 des statuts, tout auteur dramatique, adhérent à la SACD fait apport à celle-ci de la gérance de son droit d'adaptation et de représentation dramatiques, qui comporte (article 2-I des statuts) :

la fixation par traité général avec toutes entreprises de spectacle vivant des conditions pécuniaires, des garanties et sanctions a minima pour l'exploitation des oeuvres des membres de la société,
la perception des droits d'auteur,
la répartition des droits perçus ;

qu'en outre, en application des dispositions de l'article L.132-21 du code de la propriété intellectuelle, l'entrepreneur de spectacle est tenu de déclarer à l'auteur ou à ses représentants, ses recettes ; qu'il doit également acquitter aux échéances prévues, entre les mains de l'auteur ou de ses représentants, le montant des redevances stipulées ;

Que l'argumentation de la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN, présentée pour la première fois devant la cour et relativement au seul spectacle Fabrice E., levez-vous !, selon laquelle elle ne doit rien à la SACD dans la mesure où elle n'est pas adhérente à cette société est inopérante, dès lors qu'il n'est pas contesté que les auteurs de l'oeuvre en cause sont eux même adhérents à la SACD, l'appelante n'ayant pas vocation à devenir membre de la SACD, laquelle est une société d'auteurs et non de théâtres ; que par ailleurs, en tant qu'exploitant de lieux de spectacles aménagés pour les représentations publiques et en tant que diffuseur de spectacles au sens de l'article D. 7122-1 du code du travail, la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN est soumise aux dispositions précitées de l'article L.132-21 du code de la propriété intellectuelle ; qu'enfin, s'il est avéré que la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN s'est acquittée de certaines sommes auprès de la société KWET PRODUCTIONS, celles-ci ont été déduites sur le décompte présenté par la SACD ;

Considérant, sur le montant de la créance de la SACD, que les pièces 5 et 13 produites par l'appelante pour soutenir qu'elle s'est acquittée de l'intégralité des sommes dues auprès de la société K-WET PRODUCTIONS ne concernent que le versement à cette dernière d'une somme de 22 258,30 € et que le tribunal a tenu compte du paiement à cette société K-WET PRODUCTIONS d'une somme - supérieure - de 73 539,56 € qui a donc été déduite de la somme réclamée par la SACD ; qu'en tout état de cause, ce versement de 22 258,30 € à la société K-WET PRODUCTIONS ne permet pas à la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN de prétendre que la SACD 'a reçu l'intégralité des droits d'auteur du spectacle' ;

Considérant, en définitive, que c'est à juste raison, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, que le tribunal a retenu que, déduction faite des règlements justifiés (83 027,67 €), la créance de la SACD à l'encontre de la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN, pour la période du 18 septembre 2013 au 15 janvier 2014, s'établissait à la somme de 13 189,66 € ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande concernant le spectacle J'aime beaucoup ce que vous faites

Considérant que la société appelante conteste le principe de la créance mais n'explicite pas ni n'étaye son affirmation selon laquelle elle serait intervenue auprès de la SACD en tant que mandataire du producteur, la société LE MELO D'AMELIE ; que par ailleurs, la cour fait sienne la motivation des premiers juges en ce qui concerne la 'contribution volontaire à l'équipement' qui est assise sur chaque place vendue et concrétise la participation de chaque spectateur à la maintenance du théâtre ; qu'il sera seulement ajouté qu'il est sans emport que la SACD ait, dans le passé, accepté de déduire de l'assiette de calcul des redevances dues cette contribution volontaire à l'équipement, ce qui ressort d'une unique facture établie le 23 décembre 2009 (pièce 12 de l'appelante), dès lors que la SACD a postérieurement, par un courrier du 22 juillet 2013, expressément informé la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN que « l'assiette de perception (...) pour les spectacles présentés au sein de votre théâtre et pour lesquels vous êtes responsable du règlement des droits n'inclut pas l'abattement de 90% de la contribution volontaire d'équipement » ;

Considérant, sur le montant des sommes dues, que c'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a retenu que, déduction faite des règlements justifiés (51 206,02 €), la créance de la SACD à l'encontre de la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN, pour la période du 1er décembre 2011 au 1er juillet 2012, s'établissait à la somme de 42 449,34 € ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande concernant le spectacle Amour et chipolatas

Considérant que la société appelante argue pour s'opposer à la demande qu'elle est 'intervenue auprès de la SACD en tant que mandataire du producteur, la société LE MELO D'AMELIE', sans plus d'explications ni de justifications ;

Que dans ses conditions, la cour adopte les motifs exacts et pertinents par lesquels le tribunal a retenu que, déduction faite des règlements justifiés (40 658, 57€), la créance de la SACD à l'encontre de la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN, pour la période dommages et intérêts 1er juin 2011 au 7 janvier 2012, s'établissait à la somme de 2 896,56 € ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;

Que la somme qui doit être mise à la charge de la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la SACD peut être équitablement fixée à 4 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer présentée devant la cour par la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN,

Condamne la société L'ARTISTIQUE CAUMARTIN aux dépens d'appel et au paiement à la SACD de la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.