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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 7 mars 2018, n° 17/15650

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

P., LES PRODUCTIONS DU DAUNOU (SARL)

Défendeur :

SOCIETE DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martine ROY-ZENATI

Conseiller :

Mme Christina DIAS DA SILVA

Avocats :

Me Gérard D., Me Virginie L., SCP Jeanne B., AARPI ASSOCIATION D'AVOCATS C. - B.

Paris, du 18 juill. 2017

18 juillet 2017

Le 22 septembre 2015, M. Jean-Marie C., auteur de la pièce intitulée 'Les amazones', a donné l'autorisation à la société L'artistique Caumartin 'de monter, représenter et reproduire son oeuvre sous forme d'un spectacle à Paris , à la Comédie Caumartin' en contrepartie d'une rémunération directement versée à l'auteur. Ce contrat a été transféré à la société Les productions du Daunou. La pièce 'Les amazones' a été jouée au Théâtre Daunou du 9 février au 18 juin 2016. La Société des auteurs et compositeurs dramatiques a alors réclamé le paiement des droits d'auteur en vain et a assigné la société Les productions du Daunou et sa gérante, Mme Denise P., le 16 mars 2017 devant le juge des référés.

Par ordonnance du 18 juillet 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :

- condamné la société Les productions du Daunou et Mme Denise P., in solidum, à payer à titre provisionnel à la SACD, la somme de 10.241 ,23 euros avec intérêts an taux légal à compter de l'assignation du 16 mars 2017,

- condamné la société Les productions du Daunou et Mme Denise P., in solidum, aux dépens et au paiement de la somme de 2.000 euros pour frais irrépétibles, au profit de la SACD,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 31 juillet 2017, la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par leurs conclusions transmises le 30 octobre 2017, ils demandent à la cour de :

- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de grande instance de Paris appelé à se prononcer sur la demande en abus de position dominante ;

- infirmer l'ordonnance de référé entreprise ;

- dire et juger la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. recevables et bien fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- dire et juger que les demandes de la SACD se heurtent à l'existence de contestations sérieuses ;

- en conséquence, dire n'y avoir lieu à référé ;

- débouter la SACD de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Les productions du Daunou ;

- débouter la SACD. de sa demande de condamnation in solidum à l'encontre de Mme Denise P. ;

- condamner la SACD à payer à la société Les productions du Daunou la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- condamner la SACD à payer à Mme Denise P. la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elles font valoir :

- qu'il y a lieu d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir du tribunal de grande instance de Paris saisi d'une action en abus de position dominante ;

- qu'il y a lieu de relever l'existence d'une contestation sérieuse tenant à la prétendue créance de la SACD dès lors qu'il est question d'une convention directe entre l'auteur et le théâtre, qu'il appartient à la SACD de se retourner contre ses membres en cas de conflit interne, que ses statuts ne sont pas opposables à un tiers non membre et que la société Les productions du Daunou ne transgresse pas les droits des auteurs tels qu'imposés par la loi de sorte que rien ne justifie une immixtion de la SACD dans sa gestion ;

- qu'il existe une contestation sérieuse tenant au montant de la créance dès lors que la base de calcul et les taxes applicables sont différentes ;

- que la cour doit débouter la SACD de sa demande de condamnation in solidum de Mme Denise P. dès lors que le juge a appliqué une notion extensive de la faute de gestion alors que cette dernière n'a fait que défendre les intérêts de sa société et que la demande de la SACD vise avant tout à la dénigrer dans son milieu professionnel et est donc abusive.

Par ses conclusions transmises le 18 décembre 2017, la SACD demande à la cour de :

- recevoir la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. en leur appel et les déclarer mal fondées ;

- rejeter la demande de sursis à statuer formulée par les appelantes ;

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

- condamner in solidum la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. à lui payer la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

- que la demande de sursis à statuer doit être rejetée dès lors que la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. ne démontrent pas en quoi il serait d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir du tribunal de grande instance de Paris amené à se prononcer sur la procédure en abus de position dominante ;

- qu'elle justifie d'un principe de créance incontestable à l'encontre de la société Les productions du Daunou dès lors que :

- les représentations en cause n'ont donné lieu au versement d'aucune rémunération au profit de l'auteur entre les mains de la SACD, l'un de ses membres ;

- cette dernière dispose donc d'une créance de redevances de droit d'auteur qu'elle est seule habilitée à percevoir conformément à sa mission statutaire ;

- en procédant à des paiements directs, la société Les productions du Daunou s'est délibérément opposée à la parfaite exécution par l'auteur de la pièce de ses engagements sociaux envers la SACD, adoptant ainsi un comportement manifestement fautif qui engage sa responsabilité civile délictuelle ;

- les arguments de la société Les productions du Daunou doivent être rejetés puisque :

* concernant les paiements directs entre les mains de l'auteur, ils sont contraires aux règles de la SACD et inopposables à cette dernière ;

* les statuts de la SACD sont parfaitement opposables aux appelantes dès lors qu'ils sont régulièrement publiés au RCS, que Mme Denise P. est une professionnelle avisée aux usages et à la pratique du théâtre et de la gestion collective mise en oeuvre par la SACD d'autant plus qu'elle est membre à titre personnel de la SACD de sorte qu'elle ne peut ignorer les dispositions statutaires ;

- que la créance qu'elle sollicite est incontestable en son montant dès lors qu'elle avait d'abord émis une facture calculé sur 100% de la jauge conformément à l'article 7-2 des conditions générales de la SACD, que depuis lors, la société Les productions du Daunou a versé aux débats un bordereau de recettes selon lequel le total des sommes dues au titre des représentations pour la période en cause s'élève à la somme de 10.241,23€, que la SACD est fondée à percevoir, en sus des droits d'auteur, la contribution à caractère social et administratif (CCSA), la cotisation de l'AGESSA (la sécurité sociale des artistes auteurs) et la taxe de formation continue pour la période en cours et que les appelantes ne démontrent pas en quoi le calcul effectué par la SACD serait erroné ;

- qu'elle dispose d'une créance à l'encontre de Mme Denise P. dès lors qu'en se dispensant d'obtenir une autorisation de représentation et en payant directement l'auteur, cette dernière a commis une faute de gestion de nature à engager sa responsabilité personnelle au titre de l'article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce d'autant plus qu'elle a incité M. Jean-Marie C. à méconnaître ses obligations statutaires, qu'elle a entravé la mission de perception de la SACD en procédant à des paiements directs et qu'elle persiste dans son comportement.

SUR CE, LA COUR,

Considérant, sur la demande de sursis à statuer, que l'appelante ne démontre aucunement en quoi l'intérêt d'une bonne administration de la justice commanderait qu'il soit sursis à statuer dans la présente affaire ;

Considérant qu'en application de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ;

Considérant qu'aux termes de l'article L 321-2 du code de la propriété intellectuelle, les organismes de gestion collective ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant ;

Qu'aux termes de l'article 3.3 des statuts de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, il est indiqué que celle-ci a pour objet 'L'exercice et l'administration dans tous pays de tous les droits relatifs à la représentation ou à la reproduction, sous quelque forme que ce soit, des oeuvres de ses membres, et notamment la perception et la répartition des redevances provenant de l'exercice desdits droits, y compris dans le cadre de l 'article L. 122-9 du code de la propriété intellectuelle" ;

Que l'article 1-II de ces statuts prévoit que tout auteur ou compositeur admis à y adhérer fait apport à la société du fait même de cette adhésion, en tous pays et pour la durée de la société, de la gérance de ses droits d'adaptation et de représentation dramatique ;

Qu'en application de l'article 2-I des mêmes statuts, la gérance des droits d'adaptation et de représentation dramatiques comporte :

'1) la fixation par traité général avec toutes entreprises de spectacle vivant des conditions de tous ordres et notamment des conditions pécuniaires, garanties et sanctions minima pour l'exploitation des oeuvres des membres de la Société ;

2) la perception des droits d 'auteur ;

3) la répartition des droits perçus. ' ;

Considérant que M. Jean-Marie C., auteur de la pièce intitulée 'les amazones' est adhérent de la SACD ;

Considérant que la société Les productions du Daunou exploite le théâtre où les représentations du spectacle ont eu lieu pendant la période du 9 février au 18 juin 2016 ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.7122-2 du code du travail, est entrepreneur de spectacles vivants toute personne qui exerce une activité d'exploitation de lieux de spectacles, de production ou de diffusion de spectacles, seul ou dans le cadre de contrats conclus avec d'autres entrepreneurs de spectacles vivants, quel que soit le mode de gestion, public ou privé, à but lucratif ou non, de ces activités ;

Considérant que l'article L. 132-21 du code de la propriété intellectuelle dispose que "L'entrepreneur de spectacles est tenu de déclarer à l'auteur ou à ses représentants le programme exact des représentations ou exécutions publiques et de leur fournir un état justifié de ses recettes. Il doit acquitter aux échéances prévues, entre les mains de l'auteur ou de ses représentants, le montant des redevances stipulées" ;

Considérant que l'appelante n'est pas fondée à invoquer l'inopposabi1ité des statuts de la SACD à son égard, dès lors que ceux ci ont été régulièrement publiés et sont donc opposables aux tiers ;

Considérant que l'article 12 du Règlement général de la SACD dispose que 'Dans le cadre de l'apport de la gérance de leurs droits d'adaptation et de représentation dramatiques, les membres de la Société s'interdisent de laisser représenter leurs 'uvres par une entreprise théâtrale qui n'aurait pas de traité avec la Société. Ils s'engagent à ne pas introduire dans leurs conventions particulières, de quelque manière que ce soit, des dispositions contraires, des conditions pécuniaires, garanties ou sanctions inférieures à celles des traités généraux. (')' ; qu'il en résulte que, conformément au principe de la gestion collective qui trouve sa raison d'être dans la nécessité pour les auteurs de se protéger, éventuellement contre eux-mêmes, face aux exploitants en position de leur imposer, lorsqu'ils sont isolés, des conditions économiques déséquilibrées, si l'auteur conserve, dans le cadre de l'apport en gérance, le droit d'autoriser ou d'interdire les représentations de son 'uvre, il s'oblige à ce que ses autorisations transitent par la SACD, afin que les vérifications nécessaires à la défense de ses intérêts comme à la perception exhaustive des redevances et cotisations dues, interviennent dans un cadre collectif ;

Considérant que c'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la société Les productions du Daunou ne pouvait rechercher un motif de contestation sérieuse dans le paiement qu'elle a fait entre les mains d'un tiers, en l'occurrence l'auteur, en vertu de l'acte sous seing privé qui la lie à ce dernier, car ce paiement n'est pas libératoire, dès lors qu'en application des dispositions de 1'article 1342-2 alinéa 1° du code civil, 'le paiement doit être fait au créancier ou à la personne désignée pour le recevoir", soit entre les mains de la SACD ;

Considérant que c'est donc à juste titre qu'en vertu des dispositions précitées, la SACD poursuit le recouvrement des droits d'auteur au titre de ce spectacle auprès de la société Les productions du Daunou, pris en sa qualité de diffuseur et d'exploitant de salle de spectacle et non de producteur ;

Considérant, sur la responsabilité personnelle de Mme P., que la condamnation in solidum de la gérante de la société défenderesse, avec la société Les productions du Daunou, a été prononcée sur le fondement des dispositions de 1'article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce, à raison de ses fautes personnelles commises dans sa gestion, à l'encontre de la SACD, du fait de son abstention volontaire de régler la dette ; qu'il apparaît avec l'évidence requise en référé qu'en se soustrayant volontairement au paiement des sommes dues à la SACD et en incitant l'auteur à se soustraire à ses obligations contractuelles envers la SACD, Mme P. a manifestement commis une faute personnelle de gestion délibérée, séparable de ses fonctions, en ce qu'elle se situe hors le champ d'une gestion conforme et adaptée ; que c'est donc à bon droit que Mme P. a été condamnée in solidum, avec la société Les productions du Daunou au paiement de la provision ordonnée par le premier juge ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'ordonnance entreprise doit être confirmée, le montant de la provision allouée ayant été calculé non plus forfaitairement mais sur la base du bordereau des recettes procurées par les représentations litigieuses, y incluant les sommes dues au titre de la contribution à caractère social et administratif (CCSA), la cotisation AGESSA et la taxe de formation continue, soit au total la somme de 10.241,23 euros TTC, selon les calculs détaillés par la SACD ;

Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ;

Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à la société intimée, contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci-après ;

Que parties perdantes la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. ne peuvent prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supporteront les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant

Condamne la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. in solidum à verser à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Les productions du Daunou et Mme Denise P. in solidum aux dépens, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.