ART, 18 mai 2001, n° 01−474
ART (DEVENUE L'ARCEP)
se prononçant sur le différend opposant 9 Télécom Réseau à France Télécom relatif aux modalités de l’interconnexion pour l’acheminement du trafic à destination des services à revenus partagés
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
L’Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34−8, L. 36−8 et R. 11−1 ;
Vu la décision n° 99−528 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;
Vu l’arrêté du 18 décembre 1997 modifié autorisant la société 9 Télécom Réseau à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu l’arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu la décision n° 00−813 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 28 juillet 2000 établissant pour 2001 la liste des opérateurs exerçant une influence significative sur le marché du service téléphonique fixe ;
Vu la demande de règlement d’un différend enregistrée le 8 janvier 2001, présentée par la société 9 Télécom Réseau, RCS Nanterre n° 413 741 976, dont le siège social est situé 38 quai du Point du Jour, 92100 Boulogne−Billancourt, représentée par Monsieur Bernard Marchant, Président, et assistée de Maître Florence Guthfreund−Roland, avocate ;
Dans sa saisine en date du 5 janvier 2001, la société 9 Télécom Réseau a saisi l’Autorité d’un différend l’opposant à France Télécom sur la facturation pour compte de tiers des services à revenus partagés.
9 Télécom Réseau estime que l’offre proposée par France Télécom, définie dans le cadre du catalogue d’interconnexion 2000 est inacceptable. Elle indique que cette solution est économiquement inefficace et discriminatoire par rapport aux conditions dont bénéficie France Télécom pour ses propres besoins. Elle précise que l’édition d’une facture spécifique pour les services des opérateurs tiers est génératrice de coûts et que l ’instauration d’un seuil de facturation, le fait que France Télécom refuse de fournir une prestation de recouvrement, le niveau des tarifs font que les conditions dans lesquelles France Télécom propose de facturer les services à revenus partagés des opérateurs tiers ne sont pas identiques à celles qu’elle offre à ses propres services.
9 Télécom Réseau indique que, bien que France Télécom se soit engagée dans son catalogue d’interconnexion pour l’année 2001 à apporter des modifications à son offre, elle craint une dérive du calendrier énoncé par l’Autorité dans sa décision d’approbation du catalogue en date du 27 octobre 2000, qui prévoit la transmission d’une offre susceptible d’être approuvée avant le 31 mars 2001 et sa mise en œuvre en septembre 2001.
9 Télécom Réseau demande ainsi que soit mise en œuvre sans délai une offre de facturation et de recouvrement pour compte de tiers techniquement similaire à celle proposée par France Télécom pour les services à coûts partagés et à un tarif n’excédant pas 8 % du montant perçu du client P, diminué de la rémunération d’accès PA versée à France Télécom pour le transport de la communication sur son réseau. Cette demande ne concerne que les paliers inférieurs ou égaux à 2,21 francs TTC la minute.
9 Télécom Réseau ajoute que France Télécom a les capacités de satisfaire sa demande puisqu’elle assure déjà cette prestation pour ses propres services à revenus partagés et pour les services à coûts partagés de 9 Télécom Réseau. En outre, France Télécom ne saurait faire un préalable de la nécessaire révision du cadre déontologique à la disponibilité de la prestation d’interconnexion demandée du fait des engagements que 9 Télécom Réseau a accepté de prendre au travers de mécanismes contractuels et de la limitation des paliers tarifaires à 2.21 francs TTC.
Concernant le prix de la prestation, 9 Télécom Réseau estime que le prix de 8 % demandé est raisonnable au regard du prix de la prestation symétrique que 9 Télécom Réseau offre à France Télécom pour la facturation et le recouvrement des services à revenus partagés de France Télécom accessibles du réseau de 9 Télécom Réseau. Ce prix est également raisonnable au regard du prix retenu par France Télécom pour la prestation de facturation/recouvrement des services à coûts partagés ( de 2 à 4 % de P−PA), de l’accès au service de renseignement de Sonera (7 % de P−PA), tel que fixé par la décision de l’Autorité n° 00−1194 en date du 15 novembre 2000, et des services d’accès à Internet (2 % de P).
9 Télécom Réseau précise que les négociations avec France Télécom relatives à cette demande ont échoué malgré de nombreuses réunions et des échanges de courriers qui se sont déroulés du 7 janvier 2000 au 8 décembre 2000.
Elle ajoute que ce différend sur la prestation de facturation/recouvrement pour compte de tiers constitue bien un désaccord portant sur une convention d’interconnexion dont l’Autorité s’est déjà reconnue compétente à l’occasion de précédentes décisions. Ni le fait que l’Autorité ait demandé à France Télécom de transmettre une nouvelle offre pour mars 2001 ni les concertations en cours avec les associations de consommateurs ne saurait constituer un obstacle à sa demande.
9 Télécom Réseau précise par ailleurs qu’elle fournit, en tant qu’opérateur de boucle locale, à France Télécom une prestation de facturation/recouvrement pour les services à revenus partagés de France Télécom, identique à ce qu’elle demande aujourd’hui à cette dernière.
En conséquence, 9 Télécom Réseau demande à l’Autorité de dire que :
- la demande de 9 Télécom Réseau est raisonnable et nécessaire pour lui permettre de fournir des services à revenus partagés dans des conditions non−discriminatoires ;
- France Télécom doit fournir à 9 Télécom Réseau une prestation répondant à trois caractéristiques principales : présence des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau sur la facture courante de France Télécom dans les mêmes conditions que les services de France Télécom, mise en œuvre par France Télécom du recouvrement pour le compte de 9 Télécom Réseau dans les mêmes conditions que pour ses propres services, rémunération globale pour l’ensemble de la prestation n’excédant pas 8 % de P−PA (où P représente le montant perçu du client final et PA la rémunération d’accès versée à France Télécom) ;
- France Télécom doit fournir la même prestation pour les services à revenus partagés accessibles sur l’ensemble des paliers tarifaires ouverts à l’interconnexion ;
- la convention d’interconnexion entre les parties devra être mise en conformité avec les conditions susvisées dans un délai de quinze jours après la décision de l’Autorité.
Vu la lettre du chef du service juridique de l’Autorité en date du 22 janvier 2001 communiquant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et le nom des rapporteurs ;
Vu les observations en défense enregistrées le 8 février 2001 présentées par la société France Télécom, RCS Paris n° 380 129 866, dont le siège social est situé 6, place d’Alleray, 75505 Paris Cedex 15, représentée par Monsieur Marc Fossier, Directeur des relations extérieures ;
Dans ses observations, France Télécom entend démontrer que :
- l’Autorité est incompétente matériellement à tout le moins partiellement pour statuer sur la demande présentée par 9 Télécom Réseau ;
- la demande présentée par 9 Télécom Réseau est doublement irrecevable ;
- l’offre de facturation pour compte de tiers proposée par France Télécom est raisonnable et ne saurait être refusée de bonne foi.
La prestation de recouvrement doit être distinguée de la prestation de facturation au regard du droit commun ; elle ne constitue pas une prestation d’interconnexion au regard des définitions françaises et communautaires de l’interconnexion de sorte qu’elle ne saurait relever de la compétence dévolue à l’Autorité par le législateur.
De plus, France Télécom précise que si l’article D. 99−9 du code des postes et télécommunications prévoit qu’un accord d’interconnexion doit inclure, au titre de la description des services d’interconnexion, les prestations de facturation pour compte de tiers, il ne pourrait en aucun cas être étendu à une quelconque obligation d’encaissement ni de recouvrement. France Télécom ne serait en aucun cas tenue au titre des obligations qui lui sont imposées par le droit français ou par le droit communautaire de proposer une prestation de recouvrement pour les services à revenus partagés.
France Télécom considère que l’incompétence de l’Autorité concerne non seulement la prestation de recouvrement mais aussi la demande d’inclusion des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau sur la facture courante de France Télécom qui conduirait implicitement à demander à France Télécom de procéder au recouvrement pour le compte de 9 Télécom Réseau.
Par ailleurs, France Télécom estime que la caractéristique particulière des services à revenus partagés réside dans les forts risques de dérives déontologiques. Si l’Autorité prenait position en faveur de 9 Télécom Réseau, elle prendrait nécessairement parti en faveur de solutions ayant des implications déontologiques fortes, ce qui n’entre pas dans sa compétence comme elle l’a déjà reconnu à plusieurs reprises.
Pour France Télécom, la demande est irrecevable dans la mesure où il n’y aurait pas eu échec des négociations avec 9 Télécom Réseau. Cette dernière aurait en effet refusé de négocier avec France Télécom en ne répondant pas à la demande de France Télécom d’obtenir la communication par 9 Télécom Réseau de ses prévisions d’activité en matière de revenus partagés nécessaires à la définition d’une offre adaptée aux besoins de 9 Télécom Réseau.
De plus, 9 Télécom Réseau se livrerait à un détournement de la procédure de règlement de différent en essayant d’obtenir avant ses concurrents une offre en cours de finalisation par France Télécom que celle ci transmettra à l’Autorité le 31 mars 2001 comme elle s’y est engagée dans la cadre de l’approbation du catalogue d’interconnexion pour l’année 2001.
France Télécom estime que la référence à l’article D. 99−11 du code des postes et télécommunications n’est pas appropriée dans la mesure ou il n’y a pas eu échec des négociations, et que les conditions de l’offre de facturation pour compte de tiers sont bien prévues au catalogue d’interconnexion.
France Télécom entend démontrer ensuite que l’offre de facturation qu’elle propose ne comporte pas d’éléments de discrimination comme le prétend 9 Télécom Réseau.
Elle rappelle la logique qui justifie les modalités qu’elle a retenues pour son offre ; les services à revenus partagés se caractérisent d’une part par un taux de contentieux élevé, évalué à 60 % des réclamations sur les factures. D’autre part, le fait que le cadre réglementaire en matière de déontologie ne soit pas étendu à l’ensemble des opérateurs crée un risque permanent de dérives déontologiques sur les contenus transportés par les opérateurs tiers. Pour ces raisons, France Télécom estime que son image pourrait être détériorée auprès des consommateurs si les modalités de facturation pour le compte des opérateurs n’étaient pas celles retenues dans son offre et en particulier si elle devait faire figurer les montants facturés pour les opérateurs sur sa facture courante. La solution avancée par 9 Télécom Réseau accentuerait en effet, dans l’esprit du public l’idée que les services à revenus partagés sont tous offerts par France Télécom. France Télécom rappelle ainsi que l’adaptation du cadre déontologique actuel par les pouvoirs publics constitue la condition préalable de la mise en œuvre de la facturation pour compte de tiers dans des conditions satisfaisantes et que, dans l’intervalle, les associations de consommateur ont réclamé une solution identique à celle qu’elle propose.
France Télécom ajoute que la prestation qu’elle propose, en ce qu’elle prévoit l’encaissement des factures, leur archivage et d’autres modalités indissociables va au delà des obligations réglementaires qu’elle aurait à respecter et qui ne sauraient en tout état de cause excéder une demande d’émission de facture pour les opérateurs.
De plus, France Télécom affirme que les trois éléments de discrimination (instauration d’un seuil de facturation, absence de prestation de recouvrement et prix de la prestation) mentionnés par 9 Télecom Réseau ne sont pas établis.
Sur le seuil de facturation, elle indique que les avancées qu’elle a faites. Elle assure à 9 Télecom Réseau que 75 % du chiffre d’affaires sera facturé immédiatement et que les 25 % restant ne pourront faire l’objet que d’un seul report, permettant ainsi à 9 Télécom Réseau de garantir des délais de reversement aux fournisseurs de service identiques à ceux proposés par France Télécom.
Sur la prestation de recouvrement, France Télécom rappelle au préalable que ce n’est pas une prestation d’interconnexion. Le fait que France Télécom ne réalise pas cette prestation a été accepté par l’Autorité depuis 1999 sans que la décision d’approbation du catalogue d’interconnexion pour l’année 2001 ne remette en cause cet accord. Enfin, France Télécom a effectué un travail de présélection de sociétés de recouvrement pour les opérateurs et 9 Télécom Réseau n’a jamais démontré que le recours à une telle société de recouvrement lui serait dommageable.
Sur le prix de la prestation, France Télécom présente un test de squeeze démontrant que les tarifs proposés par France Télécom permettent à 9 Télécom Réseau de dégager rapidement une marge significative sur les service à revenus partagés.
La solution de 9 Télécom Réseau est jugée inacceptable par France Télécom ; le principe de la facture unique entraînerait une atteinte grave aux intérêts légitimes de France Télécom au regard des risques crées par l’inadaptation du cadre réglementaire déontologique existant. Les tarifs proposés par 9 Télécom Réseau ne prennent pas en compte la spécificité des services à revenus partagés en terme de dérives déontologiques et d’impayés. France Télécom conteste par ailleurs les analogies faites avec les prestations proposées par France Télécom pour les services à coûts partagés et les services d’accès à Internet. L’invocation implicite par 9 Télécom Réseau d’un principe de réciprocité pour exiger la mise en place d’une prestation similaire à celle que 9 Télécom Réseau offre à France Télécom pour les services à revenus partagés de France Télécom n’est pas pertinente compte tenu de la situation radicalement différente des deux parties.
Vu les observations en réplique de la société 9 Télécom Réseau enregistrées le 26 février 2001 ;
Dans son mémoire en réplique du 26 février 2001, 9 Télécom Réseau confirme les termes de sa saisine et entend montrer que l’Autorité est compétente pour connaître des demandes de 9 Télécom Réseau, que ces demandes sont recevables et que 9 Télécom Réseau est fondée à demander une facture unique et une prestation de recouvrement.
9 Télécom Réseau indique que France Télécom méconnaît la décision de l’Autorité n° 00−1109 en date du 27 octobre 2000 approuvant le catalogue d’interconnexion 2001 et n’envisage pas de fournir une prestation de facturation pour compte de tiers incluant une facture unique et le recouvrement.
9 Télécom Réseau, en se référant à l’Article D. 99−9 du code et aux décisions de l’Autorité, affirme que la prestation de facturation pour compte de tiers est bien une prestation d’interconnexion et que la facture unique et le recouvrement sont des modalités de cette prestation. Elle en déduit que l’Autorité est compétente pour en connaître.
9 Télécom Réseau rejette le chef d’incompétence de l’Autorité concernant le cadre déontologique de la prestation en arguant du fait qu’elle ne demande en aucun cas à l’Autorité de statuer sur des clauses de telle nature. Elle indique être prête à mettre en place des garanties identiques à celles de France Télécom dans les contrats qu’elle conclut avec les fournisseurs de services afin de prendre en compte les problèmes déontologiques éventuels.
Elle maintient qu’il y a bien échec des négociations et que l’intégration prévue en septembre 2001 des montants facturés pour ses services à revenus partagés dans la facture de France Télécom n’empêche pas 9 Télécom Réseau de demander à bénéficier immédiatement de cette prestation. Elle ajoute que France Télécom a déjà été contrainte par la décision de l’Autorité du 27 octobre 2000 à fournir une prestation de facturation pour compte de tiers avec facture unique et recouvrement et que le fait de refuser cette prestation à 9 Télécom Réseau et donc de mettre en place un système d’information coûteux qui sera obsolète dans quelques mois n’a pas de sens économique.
9 Télécom Réseau indique qu’elle ne conteste pas la spécificité des services à revenus partagés qui sont susceptibles de générer un taux de contentieux plus élevé que les autres services. Toutefois, elle estime que ces spécificités ont été prises en compte dans la demande qu’elle fait au travers du tarif de 8 % qui tient compte d’un plus fort risque d’impayés et de l’engagement d’inclure des dispositions dans les contrats qu’elle conclura avec les prestataires de service, permettant de garantir la fourniture des services à revenus partagés selon des principes équivalents à ceux régissant les services fournis par l’intermédiaire de France Télécom.
Concernant le cadre déontologique, 9 Télécom Réseau expose que les modalités de facturation pour compte de tiers n’ont aucun impact sur les questions déontologiques et que seul le principe même de facturation, principe que France Télécom a déjà accepté au travers des propositions qu’elle a faite dans les catalogues d’interconnexion, pourrait éventuellement avoir un impact.
9 Télécom Réseau souligne que le fait que 25 % du chiffre d’affaires ne soit pas facturé immédiatement mais dans un délai de 4 mois, le fait que France Télécom ne fasse pas le recouvrement et qu’une chaîne de facturation spécifique pour les services des opérateurs ait été mise en place sont des éléments de nature à créer une discrimination entre les services de France Télécom et ceux des opérateurs tiers.
9 Télécom Réseau conteste les tests de squeeze réalisés par France Télécom et considère que l’évaluation faite par France Télécom du coût du recouvrement à 4 % du chiffre d’affaires n’est pas réaliste au regard des pertes importantes que subiront les opérateurs tiers, pertes dues au non recouvrement d’un grand nombre de factures de faible montant (les factures Audiotel de moins de 50 francs représentent 86 % du total des factures). Elle ajoute que l’existence de deux factures séparées conduit à un niveau d’impayés plus important car l’abonné sera moins enclin à payer ; de même la fixation d’un seuil décale la facturation des sommes et entraînera un taux de contestation plus fort.
Vu les secondes observations en défense de la société France Télécom enregistrées le 9 mars 2001 ;
Dans ses observations du 9 mars 2001, France Télécom rappelle ses arguments sur l’incompétence de l’Autorité et sur le fait que la prestation de recouvrement ne constitue pas une prestation d’interconnexion. Elle ajoute que la décision de l’Autorité en date du 27 octobre 2000 sur l’approbation du catalogue d’interconnexion de France Télécom ne saurait être invoquée pour en déduire que l’Autorité se serait reconnue compétente au regard de l’inclusion des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau sur la facture de France Télécom puisque l’Autorité s’est bornée à prendre acte de l’annonce faite par France Télécom d’intégrer les montants facturés des opérateurs tiers sur sa facture courante ; ce constat est dénué de toute portée juridique.
Sur l’incompétence de l’Autorité au regard des implications déontologiques de la demande de 9 Télécom Réseau, France Télécom précise que les clauses contractuelles figurant dans le projet de contrat relatif à la facturation pour compte de tiers ne modifient pas son analyse, ces clauses ayant pour seul objet de limiter les risques mais ne pouvant les supprimer.
France Télécom invoquant à nouveau le détournement de la procédure de règlement de différend par 9 Télécom Réseau qui chercherait à pouvoir disposer par avance de l’offre que France Télécom s’est engagée à présenter fin mars, souhaite dissiper un malentendu sur un dépassement de calendrier et présente les principales modalités techniques et tarifaires de son offre pour 2001.
Ainsi à partir de septembre 2001, la nouvelle facture courante de France Télécom comprendra :
- un document de synthèse portant le montant des prestations fournies par France Télécom, le montant des prestations fournies par les opérateurs tiers et l’appel à paiement unique (TIP) qui permettra au client de payer en une seule le fois le total des prestations de France Télécom et des opérateurs tiers ;
- un second document qui comprend la facturation des services de France Télécom ;
- un troisième document qui comprend la facturation des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau et des autres opérateurs tiers.
Au surplus France Télécom assurera l’encaissement des règlements qui lui seront adressés mais n’assurera pas le recouvrement des impayés.
France Télécom estime que sa nouvelle offre répond aux objectifs qui lui ont été assignés. Cette offre est conforme aux dispositions légales régissant la facturation qui impliquent que la facturation pour compte de tiers ne peut conduire à confondre dans la facture de France Télécom les services de France Télécom et ceux des opérateurs tiers et qui imposent que chaque opérateur facture en son nom. De plus sa proposition permet une garantie contre les risques de dérives déontologiques dans la mesure où France Télécom facture au nom de l’opérateur et que l’opérateur tiers est clairement identifié sur la facture. Elle répond aux besoins de 9 Télécom Réseau puisqu’elle a le même effet qu’une facture unique notamment avec l’appel à paiement unique. Elle ne comporte aucun risque de discrimination et n’impose pas de charges excessives à 9 Télécom Réseau; elle limite les cas d’impayés en proposant un TIP unique ou un prélèvement automatique commun dans la mesure où ces modes de paiement représentent 80 % des règlements opérés par les utilisateurs.
France Télécom rappelle que la solution préconisée par 9 Télécom Réseau est inacceptable ; elle ajoute par rapport aux arguments développés dans ses observations du 8 février 2001 que cette solution serait d’autant plus préjudiciable aux utilisateurs qu’elle a mis en place un dispositif de prévention consistant à signaler à ses clients, par téléphone ou par courrier, une augmentation importante de leur consommation, dispositif qui ne pourrait être étendu aux autres opérateurs.
France Télécom explique que la facturation unique demandée par 9 Télécom Réseau la conduirait à faire le recouvrement dans la mesure où une solution permettant à chaque opérateur de recouvrer la part de la somme facturée qui lui revient, en éditant autant de factures que nécessaires, serait globalement trop coûteuse pour France Télécom et les opérateurs et qu’elle ne pourrait être mise en place.
Vu la lettre du chef du service juridique en date du 12 mars 2001 adressant un questionnaire aux parties et fixant au 23 mars 2001 la date de clôture de remise des réponses ;
Vu la lettre de France Télécom en date du 19 mars 2001 demandant que la date de clôture de remise des réponses soit reportée au 26 mars 2001;
Vu la lettre du chef du service juridique en date du 20 mars 2001 reportant au 26 mars 2001 la date de clôture de remise des réponses et convoquant les parties à une audience devant le collège le 30 mars 2001 ;
Vu les réponses de France Télécom et de 9 Télécom Réseau au questionnaire du rapporteur enregistrées le 26 mars 2001 ;
Dans ses réponses au questionnaire, 9 Télécom
Réseau fournit des éléments sur les marchés allemand et britannique des services à revenus partagés.
9 Télécom Réseau décompose en tâches élémentaires la prestation de facturation pour compte de tiers et fournit ses coûts de réseau.
Elle confirme sa demande initiale d’une facture unique avec recouvrement et explicite les calculs qu’elle a réalisés pour obtenir un coût de la facturation/encaissement qu’elle évalue à 15 ou 16 % du chiffre d’affaires facturé et un coût du recouvrement qu’elle évalue à 27 % du chiffre d’affaires facturé, y compris le coût des créances irrécouvrables.
9 Télécom Réseau indique que la nouvelle offre présentée par France Télécom ne répond pas à ses besoins et reste discriminatoire ; elle estime que France Télécom n’a pas respecté les termes de la décision de l’Autorité d’approbation du catalogue d’interconnexion et que cette nouvelle offre n’est que la mise en œuvre d’un TIP unique et non l’intégration des montants facturés pour les opérateurs dans la facture courante de France Télécom. Elle ajoute que la nouvelle offre de France Télécom suscite des inquiétudes sur la pérennité de la mise en œuvre actuelle de la prestation de facturation pour compte de tiers pour les services à coûts partagés et les services d’accès à Internet et que les éléments de discrimination déjà évoqués sont toujours présents dans la nouvelle offre.
De plus, 9 Télécom Réseau répond à l’argument de France Télécom relatif à la législation en matière de facturation en s’étonnant que France Télécom prétende ne pas pourvoir offrir une prestation de facture unique sans violer les dispositions législatives relatives à la facturation alors qu’elle intègre sur sa propre facture les services à coûts partagés des opérateurs tiers.
Dans ses réponses au questionnaire, France Télécom décrit les conditions dans lesquelles sont fournis les services à revenus partagés en Allemagne et au Royaume Uni.
Elle précise qu’avec une facture unique et en l’absence de cession de créance, seul France Télécom, l’émetteur de la facture, a qualité pour effectuer son recouvrement. De plus, pour récupérer la TVA que France Télécom aurait alors acquittée, elle devrait procéder au recouvrement.
Elle ajoute que les clauses contractuelles prévues à l’article 7 de son projet de contrat ne permettent pas d’assurer un schéma juridique identique à celui proposé par France Télécom dans ses contrats Audiotel. En particulier les verrous introduits dans les contrats Audiotel (interdiction de contracter, suspension provisoire..) ne pourront être mis en place. Les fournisseurs de service profiteront de la situation en contractant avec plusieurs opérateurs pour fournir le même contenu au travers de plusieurs réseaux et contourneront ainsi les contraintes déontologiques. France Télécom estime que pour limiter ces risques, la seule solution est de responsabiliser les opérateurs tiers en faisant apparaître leur noms sur la facture.
Elle indique qu’elle a évalué le coût du recouvrement à partir de réponses des sociétés à sa consultation, décrit la façon dont une procédure de recouvrement est menée et donne un certain nombre d’éléments tarifaires pour confirmer les évaluations présentées dans ses observations précédentes.
Vu la demande de France Télécom, enregistrée le 26 mars 2001, et celle de 9 Télécom Réseau, enregistrée le 29 mars 2001, tendant toutes deux à ce que l’audience devant le collège ne soit pas publique, en application des dispositions de l’article 14 du règlement intérieur ;
Après avoir entendu, le 30 mars 2001, lors de l’audience devant le collège :
− le rapport de M. Olivier Mirwasser, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties,
− les observations de M. Christophe Roy, assisté de Me Guthfreund−Roland, avocate, pour 9 Télécom Réseau,
− les observations de M. Jean−Daniel Lallemand, assisté de M. Denis Leboeuf, pour France Télécom,
En présence de M. Jean−Marc Salmon, rapporteur adjoint, et de MM. Jean Marimbert, Philippe Distler, François Lions, Ivan Luben, et Aymeril Hoang, agents de l'Autorité,
de M. Antoine Le Gal, pour 9 Télécom Réseau,
de MM. Cyrille Van Der Voort, François Buge et Christian Gacon, pour France Télécom,
Vu la décision n° 01−353 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 4 avril 2001 prorogeant le délai dans lequel l’Autorité doit se prononcer sur le différend opposant 9 Télécom Réseau à France Télécom ;
Vu la décision n° 01−416 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 25 avril 2001 prorogeant le délai dans lequel l’Autorité doit se prononcer sur le différend opposant 9 Télécom Réseau à France Télécom ;
Le collège en ayant délibéré le 18 mai 2001, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité ;
Sur l’exception d’incompétence tirée de ce que la prestation de recouvrement demandée par 9 Télécom Réseau ne constituerait pas une prestation d’interconnexion :
Aux termes de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications : " En cas de refus d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de télécommunications, l’Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l’une ou l’autre des parties. "
Il résulte de l’instruction, et notamment de la saisine de 9 Télécom Réseau, que cet opérateur demande à France Télécom, dans le cadre de l’interconnexion entre leurs réseaux respectifs pour l’acheminement des communications à destination des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau, de lui fournir d’une part une prestation de facturation pour compte de tiers, qui matériellement serait effectuée par l’insertion, sur la facture courante de France Télécom, de la facturation de ces services et dans les mêmes conditions que les propres services à revenus partagés de France Télécom, et d’autre part le recouvrement par France Télécom des montants facturés pour le compte de 9 Télécom Réseau selon les mêmes modalités que celles retenues pour ses propres services.
Une telle demande doit être regardée, dans son ensemble, et sans qu’il soit utile de distinguer, au regard des conditions de recevabilité énoncées à l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications précité, entre les prestations qui doivent figurer dans les accords d’interconnexion et celles qu’il est loisible aux parties contractantes d’y inclure, comme relevant des modalités techniques et financières d’une prestation d’interconnexion. Un échec des négociations portant sur la conclusion d’une convention
d’interconnexion existant, comme il sera dit, à la date de la saisine de l’Autorité, il s’ensuit que celle−ci a été compétemment saisie, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications, du différend entre 9 Télécom Réseau et France Télécom.
Au surplus, France Télécom ne saurait utilement soutenir que l’Autorité serait matériellement incompétente pour se prononcer sur la demande de 9 Télécom Réseau au motif que les dispositions de l’article D. 99−9 du code des postes et télécommunications imposeraient de ne faire figurer dans les accords d’interconnexion, au titre de la description des services d’interconnexion fournies et des rémunérations correspondantes, que les prestations de facturation pour compte de tiers, à l’exclusion de toute prestation de recouvrement pour compte de tiers, dès lors que ces dispositions, si elles imposent un contenu minimum des accords d’interconnexion, ne limitent pas le nombre ni la nature des prestations qui peuvent y être incluses.
Sur l’exception d’incompétence tirée de ce que la demande de 9 Télécom Réseau aurait des implications déontologiques :
Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications que l’Autorité, lorsqu’elle est saisie sur le fondement de cet article, doit statuer sur les seules demandes qui lui sont présentées et qui délimitent le différend dont elle est saisie par l’une ou l’autre des parties, et non sur l’intégralité des questions incidentes que pourraient éventuellement soulever les faits portés à sa connaissance.
Il résulte de l’instruction que 9 Télécom Réseau a saisi l’Autorité, sur le fondement des dispositions législatives précitées, d’une demande de règlement de différend relative à la fourniture d’une prestation de facturation pour compte de tiers au bénéfice des services à revenus partagés dans le cadre de l’interconnexion pour l’acheminement des communications à destination des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau, et non d’une demande portant sur des règles de déontologie. La circonstance, à la supposer établie, que le présent règlement de différend pourrait avoir des implications déontologiques est sans incidence, au regard des dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunica−tions, sur la compétence de l’Autorité, qui au demeurant n’est pas compétente pour connaître du respect de règles de nature déontologiques.
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’absence d’échec des négociations commerciales entre France Télécom et 9 Télécom Réseau :
Il résulte de l’instruction que, à l’issue de négociations entre les parties portant sur les conditions financières de l’interconnexion pour l’acheminement des communications à destination des services à revenus partagés, par un courrier en date du 5 décembre 2000, 9 Télécom Réseau a demandé à France Télécom la modification des conditions financières de son offre en souhaitant que " France Télécom lui propose dès aujourd’hui une offre de facturation/recouvrement pour compte de tiers pour ses services à revenus partagés " ; que, par un courrier en date du 19 décembre 2000, France Télécom a entendu ne faire droit à cette demande qu’en ce qui concerne l’évolution de l’offre, refusant ainsi d’accéder à la demande de 9 Télécom Réseau ; que par un courrier en date du 4 janvier 2001, 9 Télécom Réseau a réitéré ses demandes, auxquelles France Télécom a entendu ne pas donner suite par un courrier en date du 5 janvier 2001.
Il s’ensuit que cet échange de lettres doit être regardé comme un échec des négociations portant sur la conclusion d'une convention d'interconnexion.
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de ce que 9 Télécom Réseau aurait commis un détournement de procédure :
France Télécom soutient que 9 Télécom Réseau aurait commis un détournement de procédure en saisissant l’Autorité d’une demande de règlement de différend sur le fondement des dispositions susrappelées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications alors même que l’Autorité avait, dans sa décision n° 00−1109 en date du 27 octobre 2000 approuvant l’offre technique et tarifaire d’interconnexion de France Télécom pour 2001, demandé à France Télécom " d’établir et de transmettre à l’Autorité avant le 31 mars 2001 les modalités techniques et tarifaires correspondantes, incluant notamment les prestations de recouvrement ".
La circonstance que l’Autorité a, par la décision n° 00−1109 susmentionnée et sur le fondement des dispositions de l’article L. 34−8 II du code, approuvé l’offre technique et tarifaire d’interconnexion de France Télécom pour 2001 en demandant à France Télécom de la compléter pour ce qui concerne les modalités techniques et tarifaires applicables aux services à revenus partagés est sans incidence sur la recevabilité de la saisine de 9 Télécom Réseau, déposée dans le cadre des dispositions relatives à une autre compétence de l’Autorité, qui lui a été dévolue par les dispositions de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications. Les compétences conférées par le législateur à l’Autorité aux fins de réguler le marché des télécommunications ne sauraient avoir pour effet d’interdire à un opérateur de demander à l’Autorité de régler un différend, dès lors que sa saisine respecte les conditions édictées par les dispositions susrappelées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications.
Il résulte de tout ce qui précède que la saisine susvisée de 9 Télécom Réseau est recevable.
Sur la demande de 9 Télécom Réseau tendant à ce que France Télécom lui fournisse une prestation d’interconnexion entre leur réseaux pour l’acheminement des communications à destination des services à revenus partagés dont les conditions financières incluent une prestation de facturation et de recouvrement pour compte de tiers :
Sur le régime applicable à la prestation de facturation et de recouvrement pour compte de tiers pour l’acheminement de communications à destination des services à revenus partagés dans le cadre de la prestation d’interconnexion demandée par 9 Télécom Réseau :
Aux termes des dispositions de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications : " les exploitants de réseaux ouverts au public font droit dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires aux demandes d’interconnexion des titulaires d’une autorisation délivrée en application des articles L. 33−1 et L. 34−1.
La demande d'interconnexion ne peut être refusée si elle est raisonnable au regard, d'une part, des besoins du demandeur, d'autre part, des capacités de l'exploitant à la satisfaire. Le refus d'interconnexion est motivé " ; aux termes des dispositions de l’article D. 99−9 du même code : " Les accords d’interconnexion précisent au minimum, sauf accord particulier de l’Autorité de régulation des télécommunications : (…) Au titre de la description des services d’interconnexion fournis et des rémunérations correspondantes : (…) − les prestations de facturation pour compte de tiers ; " ; aux termes des dispositions de l’article D. 99−12 du même code : " les modalités techniques et financières des services d’interconnexion qu’ils offrent, à conditions équivalentes, aux autres opérateurs, notamment la qualité technique des prestations, les délais de mise à disposition et la disponibilité de ces prestations doivent être équivalentes à celles retenues le cas échéant pour leurs propres services ou ceux de leurs filiales ou partenaires. "
Il ressort des pièces du dossier que 9 Télécom Réseau souhaite proposer aux fournisseurs de services de télécommunications exploitant des services à revenus partagés une offre comprenant principalement l’hébergement du service, l’acheminement vers ce service par un numéro attribué à 9 Télécom Réseau ainsi que la facturation et le recouvrement du service. 9 Télécom Réseau a ainsi demandé à France Télécom de lui fournir une prestation d’interconnexion pour l’acheminement de communications à destination des services à revenus partagés. Les conditions financières de la demande d’interconnexion formulée par 9 Télécom Réseau incluent une prestation de facturation et de recouvrement pour compte de tiers des recettes des communications à destination des services à revenus partagés.
Il est constant, en premier lieu, que la prestation de facturation pour compte de tiers des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau constitue l’une des conditions financières de l’interconnexion entre le réseau de France Télécom et celui de 9 Télécom Réseau pour l’acheminement des communications à destination des services à revenus partagés fournis par 9 Télécom Réseau. France Télécom a ainsi proposé, dans le cadre des catalogues d’interconnexion pour l’année 2000 et 2001, une prestation de facturation pour compte de tiers pour ces services. Elle ne conteste pas, dans le présent différend, devoir fournir une telle prestation.
Il résulte de la combinaison des dispositions législatives et réglementaires précitées que France Télécom doit fournir une telle prestation de facturation pour le compte de 9 Télécom Réseau dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires par rapport à celles dont bénéficient ses propres services, afin de permettre la fourniture de services à revenus partagés par cet opérateur, pour laquelle l’égalité des conditions de concurrence est garantie.
En second lieu, il est constant que l’interconnexion entre deux réseaux de télécommunications ouverts au public exige, pour chaque catégorie de services de télécommunications acheminés entre les deux réseaux, la détermination de conditions techniques et financières spécifiques afin de permettre à l’ensemble des utilisateurs de communiquer librement entre eux, quels que soient les réseaux auxquels ils sont raccordés ou les services qu’ils utilisent. La circonstance que les dispositions précitées de l’article D. 99−9 du code des postes et télécommunications ne mentionnent pas expressément, au titre des prestations devant être incluses dans les accords d’interconnexion, la prestation de recouvrement pour compte de tiers, telle que demandée par 9 Télécom Réseau, qui a pour objet spécifique le recouvrement des montants dus au titre des communications acheminées entre les réseaux respectifs interconnectés de France Télécom et de 9 Télécom Réseau et à destination des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau, ne saurait avoir pour conséquence d’exclure une telle prestation du régime juridique de l’interconnexion, lesdites dispositions réglementaires précisant ce que les accords d’interconnexion doivent inclure au minimum. Dès lors, la demande de 9 Télécom Réseau de bénéficier d’une prestation de recouvrement pour compte de tiers des services à revenus partagés doit être appréciée sous l’empire du régime juridique de l’interconnexion, tel qu’il découle des dispositions de l’article L. 34−8 précitées du code des postes et télécommunications.
L’Autorité s’est ainsi attachée, dans la présente décision, à ce que les conditions dans lesquelles cette prestation doit être fournie garantissent l’égalité des conditions de concurrence. Elle estime en effet qu’une telle égalité ne serait pas garantie si les modalités de la prestation de facturation pour compte de tiers avaient pour conséquence d’empêcher un opérateur efficace de faire des offres concurrentes de celles proposées par France Télécom aux fournisseurs de service à revenus partagés.
Sur les questions de nature déontologique
L’Autorité souhaite lever toute ambiguïté sur les implications de sa décision sur le respect par les fournisseurs de service des recommandations pertinentes en matière de déontologie.
9 Télécom Réseau a confirmé dans ses écritures qu’elle était prête à accepter les clauses déontologiques proposées par France Télécom dans son projet de contrat. Ces clauses permettent de garantir par contrat, comme l’ont demandé les diverses associations de consommateurs, que le cadre dans lequel les services à revenus partagés seront fournis par les opérateurs tiers sera équivalent à celui dans lequel France Télécom fournit ses propres services à revenus partagés.
Toutefois, France Télécom a indiqué, dans ses réponses au questionnaire enregistrées le 26 mars 2001, qu’elle estimait que l’insertion de telles stipulations n’était pas suffisante parce qu’elle n’assurait pas que les précautions introduites dans les contrats Audiotel soient mises en place par 9 Télécom Réseau et qu’elle n’était pas en mesure de contrôler l’application réelle des clauses acceptées par 9 Télécom Réseau. Elle a précisé que, dans ces conditions, il était nécessaire de responsabiliser les opérateurs en faisant apparaître clairement leur nom sur la facture. Elle affirme de plus qu’une telle disposition est de nature à limiter les risques de détérioration de l’image de France Télécom.
Cette préoccupation supplémentaire de France Télécom, relative à la transparence de la facturation qu’elle serait amenée à faire pour les opérateurs tiers, répond à un souhait des consommateurs. Elle n’est pas à proprement parler de nature déontologique mais vise à renforcer la lisibilité de la facture produite par France Télécom et à mieux renseigner le consommateur sur les services qui lui ont été fournis. En ce sens, elle est légitime et pourrait même se traduire par la mention non seulement du nom des opérateurs tiers sur la facture mais aussi des fournisseurs de service, y compris ceux dont les services sont délivrés par l’intermédiaire du réseau de France Télécom. L’Autorité estime toutefois qu’elle ne doit pas conduire pour autant à dégager France Télécom du respect du principe de non−discrimination défini à l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications. Elle s’est donc attachée dans la suite de la présente décision à laisser assez de liberté à France Télécom pour définir des modalités de facturation lui permettant de répondre au souhait des consommateurs tout en définissant un cadre compatible avec le respect du principe de non discrimination.
Sur les conditions proposées par France Télécom à 9 Télécom Réseau en matière de facturation et de recouvrement au regard de l’égalité des conditions de concurrence et du principe de non discrimination :
Sur l’offre de facturation pour compte de tiers proposée par France Télécom à 9 Télécom Réseau :
Pour ses propres services, France Télécom a choisi de faire figurer les montants des services à revenus partagés sur sa facture courante, lui permettant ainsi de limiter les coûts qu’elle encourt pour la réalisation de cette intégration à un montant qui ne saurait être supérieur à 2 % du chiffre d’affaires facturé. En effet, le tarif consenti par France Télécom aux opérateurs lorsqu’elle leur fournit une prestation de facturation et le recouvrement pour les services d’accès à Internet et qui consiste dans l’intégration des montants de ces services sur sa facture courante est de 2 % du chiffre d’affaires facturé. Par ailleurs, lors de l’audience en date du 30 mars 2001, France Télécom a indiqué que le coût de revient moyen d’une facture s’établissait à 1,50 francs hors taxes, incluant la production, l’édition, les frais d’envoi, l’encaissement et les frais de réponse au client. Sur la base d’un montant moyen de facture évalué à 350 francs hors taxes environ d’après les données publiées par France Télécom dans ses rapports d’activité 1999 et 2000, l’Autorité a estimé le coût pour France Télécom de sa propre facturation à 1,5/350 soit environ 0,5 % du chiffre d’affaires facturé. Le coût pour France Télécom de la facturation de ce service peut donc être estimé entre 0,5 et 2 % du chiffre d’affaires facturé.
Il ressort également des pièces du dossier que les modalités de facturation proposées par France Télécom à 9 Télécom Réseau sont différentes de celles que France Télécom utilise pour ses propres besoins et consistent à faire apparaître les montants facturés pour les services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau sur une facture annexe ; un document récapitulatif mentionne les montants de la facture de l’ensemble des services de France Télécom et ceux de 9 Télécom Réseau et propose un titre de paiement unique.
Le coût, pour 9 Télécom Réseau, de la prestation proposée par France Télécom peut être évalué à 14 % du chiffre d’affaires facturé. Cette évaluation est fondée sur la formule proposée par France Télécom et s’appuie sur les paramètres fournis par France Télécom et sur le chiffre d’affaires prévisionnel des opérateurs tiers indiqué par 9 Télécom Réseau dans son mémoire en réplique du 26 mars 2001. La formule de calcul est R=aN+bA avec N égal au nombre de factures établies au nom de chaque opérateur, A égal au chiffre d’affaires facturé pour le compte de l’opérateur, a égal à 0,11 euro et b égal à 6 %. Ainsi, avec l’estimation de 90 millions de factures avancée par France Télécom et un chiffre d’affaires prévisionnel de 800 millions de francs environ avancé par 9 Télécom Réseau et qui n’a pas contesté par France Télécom, le calcul donne une rémunération de la prestation pour l’ensemble des opérateurs alternatifs égale à 113 millions de francs soit 14 % du chiffre d’affaires facturé. Ce coût de facturation qui correspond à celui présenté par 9 Télécom Réseau dans ses mémoires n’a pas été contesté par France Télécom qui a simplement indiqué qu’elle consentait à plafonner ce coût à 9 % pendant la première année.
Ainsi, la prestation de facturation pour compte de tiers proposée par France Télécom induit pour 9 Télécom Réseau des coûts nettement plus importants que ceux que France Télécom encoure lorsqu’elle facture pour ses propres besoins les services à revenus partagés. France Télécom bénéficie donc de conditions beaucoup plus avantageuses que celles qu’elle propose à 9 Télécom Réseau, lui permettant d’en tirer un avantage concurrentiel substantiel.
Il s’ensuit que les conditions de l’offre de facturation pour compte de tiers proposée par France Télécom à 9 Télécom Réseau sont discriminatoires.
Sur les conditions équitables que France Télécom doit proposer à 9 Télécom Réseau
Au regard des éléments échangés dans le cadre de cette procédure, il appartient à l’Autorité de régler le différend en précisant des conditions techniques et financières de la prestation de facturation pour compte de tiers, dans le cadre de l’interconnexion entre leurs réseaux respectifs pour l’acheminement des communications à destination des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau, qui soient objectives, transparentes et non discriminatoires et permettent que les services à revenus partagés fournis par 9 Télécom Réseau soient traités dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie France Télécom pour ses propres services.
Comme démontré ci−dessus, France Télécom ne fournit pas à 9 Télécom Réseau une prestation de facturation pour compte de tiers dans les conditions définies par le cadre réglementaire et doit donc modifier son offre. Elle doit proposer une prestation qui permette à 9 Télécom Réseau d’offrir ses services dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie France Télécom ; compte tenu de l’évaluation faite ci−dessus des coûts que France Télécom encoure lorsqu’elle utilise la facture courante pour faire figurer les montants de ses propres services, cette prestation ne pourra en équité être tarifée à un prix excédant 1,5 % du chiffre d’affaire facturé. Cette prestation comprend, comme précisé par France Télécom dans son mémoire enregistré en date du 9 mars 2001, l’inclusion des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau dans la facture courante, l’appel à paiement par un titre interbancaire de paiement (TIP) unique, l’encaissement des paiements et les modalités associées, la mise en place d’un service client, l’archivage des factures et la fourniture des éléments nécessaires au recouvrement des impayés.
Sur l’offre de recouvrement proposée par France Télécom à 9 Télécom Réseau :
9 Télécom Réseau a demandé que France Télécom lui fournisse une prestation de facturation et de recouvrement de la même façon qu’elle le fait pour ses propres besoins à un tarif n’excédant pas 8 % du montant perçu du client P, diminué de la rémunération d’interconnexion PA versée à France Télécom pour l’acheminement de la communication sur son réseau.
Il ressort des pièces du dossier que France Télécom a considéré qu’elle a fait une proposition à 9 Télécom Réseau lui permettant de procéder aux opérations de recouvrement dans des conditions équivalentes à celles qu’elle a retenues pour ses propres services. Dans cette proposition, le recouvrement des montants impayés des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau et des autres opérateurs tiers serait effectué par une société spécifique à qui France Télécom transmettrait les informations nécessaires. La prestation de cette société consisterait dans la relance des abonnés qui n’auraient pas payé les montants des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau, puis à l’engagement éventuel d’une procédure contentieuse (mise en demeure et recours à un huissier). France Télécom a évalué à 4 % du chiffre d’affaires facturé le coût d’une telle prestation pour 9 Télécom Réseau.
9 Télécom Réseau a indiqué que la prestation proposée par France Télécom conduirait à augmenter significativement le nombre d’impayés ; elle a contesté l’évaluation du coût faite par France Télécom et estime un tel coût à 27 % du chiffre d’affaire facturé. Elle n’a toutefois apporté aucun commencement de preuve permettant de justifier un tel écart dans les évaluations alors que le coût avancé par France Télécom résulte d’une consultation des entreprises susceptibles de réaliser le recouvrement.
Compte tenu du montant de la prestation de facturation de France Télécom pour les services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau fixé ci−dessus, l’Autorité estime que la prestation proposée par France Télécom est susceptible de répondre aux besoins de 9 Télécom Réseau et lui permet de proposer aux fournisseurs de services des offres dans des conditions de concurrence équitable. Il n’y a dès lors pas lieu de demander à France Télécom de procéder elle−même au recouvrement des montants impayés et la demande de 9 Télécom Réseau sur ce point doit en conséquence être rejetée.
Sur la demande de 9 Télécom Réseau de faire figurer les services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau sur la facture courante de France Télécom, dans les mêmes conditions que les services à revenus partagés de France Télécom;
Dans ses écritures du 9 mars 2001, France Télécom précise qu’à compter de septembre 2001, la nouvelle facture courante de France Télécom comprendra :
- un document de synthèse agrégeant le montant des prestations fournies par France Télécom, le montant des prestations fournies par les opérateurs tiers et l’appel à paiement unique (TIP) qui permettra au client de payer en une seule le fois le total des prestations de France Télécom et des opérateurs tiers ;
- un second document qui comprend la facturation de l’ensemble des services de France Télécom, y compris ses propres services à revenus partagés ;
- un troisième document qui comprend la facturation des services à revenus partagés des autres opérateurs tiers, dont 9 Télécom Réseau.
L’inclusion des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau dans la facture courante de France Télécom, dans les mêmes conditions que les services à revenus partagés de France Télécom répond au principe de non discrimination. Il est donc équitable de faire droit à la demande de 9 Télécom Réseau. Afin de respecter le principe de non discrimination, tel qu’il découle des dispositions réglementaires susrappelées, cette inclusion dans la facture courante peut être mise en œuvre:
- soit par l’inclusion des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau dans la facture des services France Télécom. Ceci conduirait à imposer de fait à cette dernière le recouvrement des services présents sur sa facture, qui constituent par définition sa propre créance. Cette demande de 9 Télécom Réseau doit donc être rejetée par voie de conséquence.
- soit par l’inclusion des services à revenus partagés de France Télécom dans le troisième document de la facture courante, au même titre et dans les mêmes conditions que les services à revenus partagés des opérateurs tiers. En effet, les modalités telles que proposées par France Télécom sont discriminatoires en ce que la facturation de ses propres services à revenus partagés n’est pas dissociée de la facturation de ses autres services, contrairement à celle des services à revenus partagés des opérateurs tiers.
Au regard du principe de non discrimination, l’Autorité considère que cette deuxième solution est équitable.
Décide :
Article 1 − France Télécom devra faire droit à la demande d’interconnexion de 9 Télécom Réseau incluant une prestation de facturation des services à revenus partagés de 9 Télécom Réseau tarifés à des paliers inférieurs à 2,21 F TTC par minute pour l’acheminement des communications à destination de ces services. La rémunération de France Télécom au titre de la prestation de facturation, comprenant notamment l’appel à paiement par un titre interbancaire de paiement (TIP) unique, l’encaissement des paiements et les modalités associées, la mise en place d’un service client, l’archivage des factures et la fourniture des éléments nécessaires au recouvrement des impayés, est fixée à un tarif de 1,5 % du chiffre d’affaires facturé.
Article 2 − France Télécom devra inclure ses propres services à revenus partagés dans les mêmes conditions que ceux des opérateurs tiers, sur le troisième document de la facture courante telle que décrite par France Télécom dans son mémoire enregistré le 9 mars 2001, d’ici le 1er septembre 2001.
Article 3 − Le surplus des conclusions présentées par la société 9 Télécom Réseau est rejeté.
Article 4 − Les parties exécuteront la présente décision et mettront toute convention conclue entre elles en conformité avec celle−ci dans un délai de quatre semaines à compter de sa notification.
Article 5 − Le chef du service juridique ou son adjoint est chargé de notifier à 9 Télécom Réseau et France Télécom la présente décision qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.