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Décisions

Cass. crim., 24 novembre 1998, n° 98-83.247

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Batut

Avocat général :

M. Le Foyer de Costil

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Metz, ch. d'acc., du 19 mars 1998

19 mars 1998

Attendu que, le demandeur ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait le 23 mars 1998, le droit de se pourvoir contre l'arrêt du 19 mars, le second pourvoi est irrecevable ;

Sur le pourvoi formé le 23 mars 1998 :

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 80, 81, 151, 171, 173, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité de X... ;

" aux motifs qu'à la suite de l'accident du travail survenu le 2 février 1996 à l'entreprise X... de Folschviller, à l'origine des blessures ayant occasionné une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois à Y..., travailleur temporaire, ainsi que de la constatation d'infractions à la sécurité du travail par les enquêteurs mise à disposition des salariés d'équipement de travail comportant des éléments dangereux le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Sarreguemines a requis le 28 novembre 1996 l'ouverture d'une information contre Z... et autres du chef de blessures involontaires entraînant une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois et infractions au droit du travail en matière de sécurité ; que le magistrat instructeur a ordonné le 3 décembre 1996 une expertise médicale et confié aux enquêteurs, le 4 décembre 1996, une commission rogatoire aux fins de poursuivre l'enquête sur les faits de blessures involontaires au préjudice de Y... et d'infractions au Code du travail relatives à la sécurité ; que le juge d'instruction demandait notamment de procéder aux actes suivants : "saisie sous forme de scellés ouverts au sein de la société X... des documents suivants : facture d'achat, certificat de conformité, notice d'instructions relatives à la machine à emballer Record Gazzella n° 609356, contrats de mise à disposition de personnel temporaire pour la période 1er janvier 1995 2 janvier 1996, déclarations d'accidents du travail pour la même période, rapport d'enquête de l'accident Y... du service de prévention de la CRAM, compte rendu de la réunion du CHS-CT relatif à l'accident ; concernant le travail temporaire, vous établirez un tableau, pour la période ci-dessus, comportant les mentions suivantes : nom du salarié temporaire, qualification, date du début du contrat, date de fin de contrat, motif du recours ; vous déterminerez si au sein de la société X... les salariés temporaires et en particulier Y..., ont bénéficié d'une formation à la sécurité, sous quelles formes et qui a dispensé cette formation ; au sein de la société A..., agence de Saint-Avold, vous saisirez sous forme de scellés ouverts les contrats de travail des salariés temporaires détachés au sein de X... pendant la période ci-dessus ; vous compléterez le tableau ci-dessus en y portant également les dates des visites médicales d'embauche des salariés ; vous saisirez également la copie des bulletins de salaire Y... ; vous déterminerez pour quelle raison Y... n'a pas bénéficié d'une visite médicale d'embauche au sein de la société A..." ; qu'à la suite des investigations effectuées sur commission rogatoire, le magistrat instructeur communiquait le 27 juin 1997 la procédure au ministère public, des infractions nouvelles étant apparues de marchandage, d'infractions à la médecine du Travail, d'infractions relatives à la formation, à la sécurité des travailleurs temporaires ; que, par requête en nullité déposée le 23 décembre 1997, X... soutient que le juge d'instruction a instruit au-delà du cadre de sa saisine en sollicitant par commission rogatoire des investigations relatives au travail temporaire dans son entreprise, investigations qui ont entraîné le réquisitoire supplétif du 30 juin 1997 et sa mise en examen du chef de marchandage ;

que si l'article 80 du Code de procédure pénale interdit au juge d'instruction d'informer sur des faits étrangers à sa saisine, ce texte ne fait pas obstacle à ce que soient prescrites des vérifications en relation avec la recherche des faits poursuivis, fussent-elles de nature à conduire à caractériser des infractions nouvelles ; qu'il importe seulement que les nouveaux faits ne donnent pas lieu, en l'état, contre quiconque, à des actes de poursuite et que les procès-verbaux qui les constatent soient adressés au ministère public, conformément à l'article 80, alinéa 3, du Code de procédure pénale, dès qu'il en résulte des indices suffisamment graves et concordants d'une infraction à la loi, le procureur de la République, qui seul, exerce l'action publique, étant alors libre de les poursuivre ou de les classer sans suite et, dans la mesure où il les poursuit, de délivrer un réquisitoire supplétif au juge d'instruction qui lui a communiqué ces faits nouveaux ou de requérir l'ouverture d'une information distincte par réquisitoire introductif qui pourra être confiée, le cas échéant, à un autre juge d'instruction ; qu'en l'espèce, s'agissant d'un accident du travail concernant un travailleur intérimaire et alors que le rapport de l'inspection du travail (D. 16) adressé au procureur de la République le 27 juin 1996, joint au procès-verbal 58-96, de la direction départementale du Travail visé au réquisitoire introductif du procureur de la République du tribunal de grande instance de Sarreguemines du 28 novembre 1996, signalant les pratiques de la société X... recourant systématiquement à des salariés sous statut précaire comme l'était Y..., était tout à fait normal, dans le cadre de la saisine du juge d'instruction, de faire des vérifications sur toutes les circonstances entourant les faits dont il était saisi et, notamment les conditions d'embauche de cette salariée et plus généralement des salariés de l'entreprise, l'accident étant relatif à un problème de sécurité, celui-ci s'appréciant distinctement suivant que la victime est une salariée, qui connaît bien le travail pour le faire depuis de longues années ou suivant que celui-ci est intérimaire, ne disposant peut-être pas de la formation ou de l'habileté requise, étant employé depuis un temps plus restreint ; qu'il est évident que ces investigations légitimement menées par le magistrat instructeur ou par les enquêteurs à qui avait été confiée une commission rogatoire dans les limites de sa saisine initiale, pouvaient révéler d'autres faits susceptibles d'une qualification pénale ;

" 1o alors que le juge d'instruction ne peut informer qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République ; qu'en l'espèce, le réquisitoire introductif prescrivant au magistrat instructeur d'informer des chefs de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 3 mois et d'infractions aux règles de la sécurité ayant consisté en la mise à la disposition de salariés d'équipements de travail comportant des éléments dangereux, ce dernier ne pouvait, sans excéder sa saisine, faire procéder sur commission rogatoire à des saisies sous forme de scellés de l'ensemble des contrats de travail des salariés temporaires détachés au sein de l'entreprise, tous actes coercitifs destinés à établir la preuve du délit de marchandage et nécessitant la mise en mouvement préalable de l'action publique ;

" 2o alors que le marchandage intéressant exclusivement les rapports contractuels entre l'entrepreneur principal et les salariés mis à sa disposition par le biais d'opérations de fourniture de main-d'oeuvre à but lucratif, ne saurait en aucun cas constituer une circonstance du délit de blessures involontaires et d'infractions aux règles d'hygiène et de sécurité des travailleurs et par conséquent justifier des investigations hors saisine " ;

Vu les articles 80, 81, alinéa 1, 151, alinéa 3, ensemble l'article 86 du Code de procédure pénale ;

Attendu que les pouvoirs accordés au juge d'instruction par l'article 81, premier alinéa, du Code de procédure pénale et qui lui permettent de procéder, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité, sont limités aux seuls faits dont il est régulièrement saisi en application des articles 80 et 86 de ce Code ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'une travailleuse intérimaire, mise à la disposition de la société X..., a été blessée au cours d'une opération de manutention réalisée à proximité d'une machine équipée d'un soudeur thermique ; que, dans son rapport adressé au procureur de la République, l'inspecteur du Travail a indiqué que l'origine de l'accident résidait dans la neutralisation du système de protection de cet appareil ; qu'il a souligné, par ailleurs, que la société employait des salariés temporaires dans des conditions irrégulières qu'il a décrites, pouvant caractériser les délits de marchandage ou de prêt illicite de main-d'oeuvre ;

Attendu qu'une information a été ouverte contre le directeur d'exploitation de la société, bénéficiaire d'une délégation de pouvoirs en matière de sécurité, et contre tous autres, pour blessures involontaires et pour infraction à l'article L. 233-5-1 du Code du travail, lequel prévoit que les équipements de travail et les moyens de protection doivent être mis en service et maintenus de manière à préserver la sécurité des travailleurs ;

Attendu que le juge d'instruction a aussitôt délivré une commission rogatoire aux services de la gendarmerie, leur donnant mission, notamment, de procéder, dans les locaux de la société X..., à la saisie, sous forme de scellés ouverts, des contrats de mise à disposition du personnel temporaire pour l'année 1995, de dresser, pour la même période, un tableau comportant toutes les indications nécessaires à la vérification des conditions d'embauche et d'exécution des contrats de travail des salariés temporaires, et de déterminer s'ils avaient bénéficié d'une formation à la sécurité, ainsi que les modalités de celle-ci ; que le magistrat a fait également procéder à la saisie, dans les locaux de l'entreprise de travail temporaire, des contrats de travail des salariés détachés au sein de la société X..., avec précision de la date des visites médicales d'embauche les concernant et des raisons pour lesquelles la victime n'avait pas bénéficié de cette mesure ;

Attendu qu'au vu des résultats de la commission rogatoire, le juge d'instruction a transmis la procédure au procureur de la République qui a pris des réquisitions supplétives contre X..., président de la société, pour marchandage, contre le responsable de l'agence de travail temporaire, pour absence de visite médicale d'embauche de travailleurs temporaires, et contre le directeur d'exploitation de la société X..., pour défaut de formation à la sécurité des salariés mis à la disposition de celle-ci par ladite agence ;

Attendu que, saisie par X..., mis en examen du chef précité, d'une requête en annulation de la procédure suivie contre lui, fondée sur un excès de pouvoir du magistrat instructeur, la chambre d'accusation, pour écarter la demande, se prononce par les motifs exactement reproduits au moyen ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le juge d'instruction avait procédé à des actes d'instruction à l'égard de faits dont il n'était pas saisi, la chambre d'accusation a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

I. Sur le pourvoi du 1er avril 1998 :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

II. Sur le pourvoi du 23 mars 1998 :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Metz, en date du 19 mars 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nancy.