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Décisions

Cass. crim., 13 mars 1997, n° 95-85.766

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. de Larosière de Champfeu

Avocat général :

M. Cotte

Avocat :

SCP Waquet, Farge et Hazan

Cass. crim. n° 95-85.766

12 mars 1997

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Rachid X..., pris de la violation des articles 80 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, du 3 juin 1994, a refusé de prononcer l'annulation du réquisitoire introductif du 18 décembre 1992 (D 8) ;

" aux motifs qu'il résulte des éléments du dossier de la procédure, et notamment de l'étude des procès-verbaux de police sur lesquels s'appuie le réquisitoire introductif, que lors de l'ouverture de la procédure d'information, aujourd'hui contestée, l'enquête policière avait suffisamment établi l'existence d'indices sérieux, précis et concordants laissant présumer que des infractions à la législation sur les produits stupéfiants avaient été commises et se commettaient dans la région lyonnaise ;

" alors qu'il résulte de l'article 80, alinéa 1er, du Code de procédure pénale que le réquisitoire introductif, qui détermine la saisine du magistrat instructeur, doit indiquer la qualification des faits poursuivis et viser lesdits faits, ou à tout le moins les pièces jointes qui contiennent l'objet exact et l'étendue de cette saisine ; qu'en l'espèce il résulte des pièces de la procédure que le réquisitoire introductif du 18 décembre 1992 a été délivré à raison "d'infractions à la législation sur les stupéfiants" et visait des procès-verbaux de police ne permettant pas de déterminer si le juge d'instruction était saisi de faits d'importation, d'exportation, de détention, offre, cession, acquisition ou usage de produits stupéfiants, voire de faits d'entente ; que, dès lors, en omettant de constater la nullité du réquisitoire introductif, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés " ;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité du réquisitoire introductif, la chambre d'accusation énonce que l'information a été ouverte au vu d'une enquête préliminaire qui a permis de recueillir des indices sérieux, précis et concordants laissant présumer que plusieurs personnes, dont certaines avaient déjà été condamnées pour trafic de stupéfiants, importaient du cannabis, pour le revendre dans l'agglomération lyonnaise ;

Attendu qu'en statuant ainsi, par une analyse souveraine des pièces annexées au réquisitoire introductif, lequel satisfait en la forme aux conditions essentielles de son existence légale, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;

Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Rachid X..., pris de la violation des articles 105, 171 et 802 du Code de procédure pénale, 593 de ce Code, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense :

" en ce que l'arrêt rendu le 3 juin 1994 par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon a refusé d'annuler les procès-verbaux d'audition de Rachid X... des 12 et 13 octobre 1993 (D 291, D 292, D 293), le procès-verbal de première comparution de l'intéressé du 15 octobre 1993 (D 295) et toute la procédure subséquente ;

" aux motifs que Rachid X... qui, lors des auditions dans le cadre de la commission rogatoire, a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés et qui a pu bénéficier de l'assistance de son conseil, lequel a immédiatement fait les observations qu'il estimait devoir faire, ne démontre pas en quoi ces auditions auraient porté atteinte à ses intérêts ; qu'en outre Rachid X... a été informé, dès le 12 octobre 1993, de la nature de l'infraction reprochée et des charges pesant sur lui en raison des déclarations, faites le même jour, par Moussa Y... et Malika Z..., et a pu régulièrement bénéficier d'un entretien avec son conseil au cours de sa garde à vue ;

" alors que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent être entendues comme témoins ; que tel était bien le cas de Rachid X... lors des auditions des 12 et 13 octobre 1993, dès lors que la chambre d'accusation constate elle-même qu'il existait contre lui, dès le 12 octobre 1993, des charges résultant des déclarations de Moussa Y... et Malika Z... ; que, de surcroît, les éléments sur lesquels s'est fondé le magistrat instructeur pour le mettre en examen, postérieurement aux auditions litigieuses, étaient tous antérieurs au mois de juin 1993 (notamment une conversation téléphonique enregistrée le 5 avril 1993, laissant présumer, d'après les constatations de la chambre d'accusation, "un entretien relatif à la vente de produits stupéfiants où apparaissait un prénommé Rachid") ; que la nullité résultant de la méconnaissance de cette prescription, qui n'est plus subordonnée à la démonstration de l'existence d'un dessein tendant à faire échec aux droits de la défense, est établie par l'atteinte nécessaire portée aux droits de la défense ; que, notamment, en l'espèce, si l'intéressé a pu être assisté de son avocat pendant sa garde à vue et être informé des charges résultant contre lui de l'audition de 2 suspects, il n'a néanmoins pas été averti de son droit de ne faire aucune déclaration, son avocat n'a pu avoir accès au dossier et il n'a pas été informé des autres charges existant déjà contre lui ; qu'il a été ainsi manifestement porté atteinte à ses intérêts, en sorte que la chambre d'accusation ne pouvait refuser de constater la nullité du procès-verbal d'interrogatoire et de toute la procédure subséquente " ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité prise d'une mise en examen tardive, la chambre d'accusation énonce que Rachid X..., lors de son audition comme témoin, en octobre 1993, par les enquêteurs agissant sur commission rogatoire, a nié toute participation aux faits poursuivis et qu'il a bénéficié de l'assistance d'un avocat au cours de sa garde à vue ; que l'arrêt retient qu'aucune atteinte n'ayant été portée aux droits de l'intéressé, l'annulation de la procédure n'est pas encourue ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le magistrat instructeur a la faculté de ne mettre en examen une personne déterminée qu'après s'être éclairé, notamment en faisant procéder à son audition en qualité de témoin, sur sa participation aux agissements incriminés dans des conditions pouvant engager sa responsabilité pénale, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

II. Sur les pourvois formés contre l'arrêt du 28 mars 1995 :

Vu le mémoire ampliatif et le mémoire personnel produits ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Rachid X..., pris de la violation des articles 265 du Code pénal abrogé, 112-1, 222-36, 222-40, 450-1 et 450-3 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, violation des principes relatifs à l'application de la loi pénale dans le temps :

" en ce que la cour d'appel de Lyon, par un arrêt du 28 mars 1995, a déclaré Rachid X... coupable d'association de malfaiteurs et a prononcé son interdiction définitive du territoire national ;

" aux motifs que l'article 450-3 du Code pénal prévoit que peuvent être prononcées à l'encontre des personnes physiques coupables de l'infraction prévue par l'article 450-1 du Code pénal les autres peines complémentaires encourues pour les crimes et les délits que le groupement ou l'entente avait pour but de préparer ; que l'interdiction définitive ou temporaire de 10 ans au plus du territoire national figure au titre des peines complémentaires de l'importation de stupéfiants ; qu'il a profité de son séjour en France pour se livrer à des faits dont la particulière gravité a été caractérisée ci-dessus ; que l'ordre public ne saurait tolérer leur maintien sur le territoire national ;

" alors que le délit d'association en vue de commettre un trafic de stupéfiants, prévu par l'article L. 627 du Code de la santé publique, a été abrogé par le nouveau Code pénal et n'existe plus que comme circonstance aggravante d'un trafic commis à titre principal ; qu'à cet égard la loi nouvelle, qui ne permet pas de poursuivre à titre principal une association établie en vue de la seule préparation du délit d'importation de stupéfiants, comporte des dispositions plus douces qui s'appliquent aux faits antérieurs à son entrée en vigueur non encore définitivement jugés ; qu'en conséquence seules les dispositions de l'ancien article 265 du Code pénal, en vigueur à la date des faits, réprimant l'association de malfaiteurs, permettaient de poursuivre et condamner Rachid X..., dès lors que ces dispositions ont été reprises par le nouvel article 450-1 ; que, néanmoins, l'article 265 de l'ancien Code pénal ne prévoyait pas la peine de l'interdiction du territoire national pour les personnes déclarées coupables du délit d'association de malfaiteurs ; que, dès lors, en prononçant à l'encontre de Rachid X..., déclaré coupable d'association de malfaiteurs, une interdiction définitive du territoire, la cour d'appel a méconnu le principe de non-rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus sévère " ;

Attendu que, pour requalifier en association de malfaiteurs les faits de participation à une bande organisée en vue d'une importation de stupéfiants, les juges du second degré énoncent que cette qualification ne correspond plus à une infraction depuis le 1er mars 1994 ; qu'ils ajoutent que Rachid X... a formé avec plusieurs coprévenus un groupement qui a recherché des acheteurs en France et pris contact avec des fournisseurs à l'étranger, en vue d'importer du cannabis ; que l'arrêt retient que ces agissements, réprimés, avant le 1er mars 1994, sous la qualification de participation à une entente ou à une association formée en vue d'importer des stupéfiants, sont, depuis cette date, incriminés par l'article 450-1 du Code pénal ;

Que la cour d'appel relève que l'interdiction définitive du territoire français est encourue, en vertu, tant de l'article L. 630-1 du Code de la santé publique, applicable avant le 1er mars 1994, que des articles 222-36, 222-48, 450-1, 450-3 du Code pénal, en vigueur depuis cette date ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs la juridiction du second degré a justifié sa décision ;

Qu'en effet l'association ou l'entente formée en vue de commettre un trafic de stupéfiants, définie, avant le 1er mars 1994, par l'article L. 627 du Code de la santé publique, entre désormais dans les prévisions du délit d'association de malfaiteurs, qui, selon l'article 450-1 du Code pénal, réprime la participation à tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis de 10 ans d'emprisonnement ;

Que, selon l'article 450-3 de ce Code, une personne ayant participé à une association de malfaiteurs peut être condamnée aux peines complémentaires encourues pour l'infraction que le groupement ou l'entente avait pour objet de préparer ;

Que le moyen ne peut donc qu'être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Rachid X..., pris de la violation des articles 131-26, 131-30, 112-1 du nouveau Code pénal, 4, 42 de l'ancien Code pénal, L. 626 du Code de la santé publique, 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

" en ce que la cour d'appel de Lyon a condamné Rachid X... du chef d'association de malfaiteurs et tentative d'importation de stupéfiants, faits commis courant 1992 et 1993, à l'interdiction définitive du territoire national et à l'interdiction des droits civiques figurant aux alinéas 1, 2, 3 et 4 de l'article 131-26 du Code pénal ;

" aux motifs qu'il convient d'ordonner, conformément à l'ancien article L. 627, alinéa 7, du Code de la santé publique et du nouvel article 222-45 du Code pénal, l'interdiction des droits civiques figurant aux alinéas 1, 2, 3 et 4 de l'article 131-26 du Code pénal et relatifs au droit de vote, à l'éligibilité, au droit d'exercer une fonction juridictionnelle, ou d'être expert devant une juridiction, de représenter ou d'assister une partie devant la justice, de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations ; que le prévenu, Rachid X..., est de nationalité étrangère, qu'il a profité de son séjour en France pour se livrer à des faits dont la particulière gravité a été caractérisée ; que l'ordre public ne saurait tolérer son maintien sur le territoire national ;

" alors, d'une part, que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle les faits ont été commis ; qu'une loi édictant une peine complémentaire nouvelle ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur ; que l'article 131-26.3° du nouveau Code pénal, qui porte sur le droit de représenter ou d'assister une partie devant la justice, n'est entré en vigueur que le 1er mars 1994, et que ce droit n'était pas compris dans ceux énumérés par l'article 42 du Code pénal alors applicable ; que, dès lors, la condamnation à l'interdiction des droits visés au 3° de l'article 131-26 du Code pénal est illégale ;

" et alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui a prononcé à l'encontre de Rachid X... la peine de l'interdiction définitive du territoire national, sans rechercher si l'atteinte ainsi portée à sa vie familiale et privée n'était pas disproportionnée par rapport au trouble prétendu causé par sa présence sur le territoire national que la mesure d'interdiction était susceptible de réparer, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;

Et sur le moyen unique de cassation proposé par Moussa Y..., pris de la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le quatrième moyen proposé pour Rachid X..., pris en sa seconde branche, et sur le moyen proposé par Moussa Y... :

Attendu qu'il ne résulte d'aucunes conclusions ni des mentions du jugement et de l'arrêt que les intéressés aient soutenu devant les juges du fond que l'interdiction du territoire français portait à leur vie familiale une atteinte excessive au regard du trouble à l'ordre public que cette mesure visait à réparer ;

Que les griefs, nouveaux et mélangés de fait, sont irrecevables ;

Mais sur le quatrième moyen proposé pour Rachid X..., pris en sa première branche :

Et sur le même moyen, relevé d'office en ce qui concerne Moussa Y... :

Vu lesdits articles ;

Attendu que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date à laquelle les faits ont été commis ; qu'une loi édictant une peine complémentaire nouvelle ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur ;

Attendu qu'en faisant application aux prévenus des dispositions de l'article 131-26.1° à 4°, du Code pénal, les juges du second degré ont prononcé, pour des infractions commises avant le 1er mars 1994, la peine complémentaire de l'interdiction de représenter ou d'assister une partie devant la justice ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que cette mesure n'est entrée en vigueur qu'à compter du 1er mars 1994 et que ce droit n'était pas compris dans ceux énumérés par l'article 42 du Code pénal alors applicable, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

Que la cassation est, dès lors, encourue de chef ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, et en ses seules dispositions ayant prononcé à l'encontre de Rachid X... et de Moussa Y... la peine complémentaire de l'interdiction de représenter ou d'assister une partie devant la justice, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 28 mars 1995, toutes autres dispositions de l'arrêt étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.