Cass. crim., 30 mars 2016, n° 15-85.797
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Durin-Karsenty
Avocat général :
M. Cuny
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Rousseau et Tapie
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties, pris de la violation de l'article 174 du code de procédure pénale ;
Attendu que, lorsqu'une irrégularité constitue une cause de nullité de la procédure, doivent être annulés les actes et les pièces dont l'acte annulé est le support nécessaire ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, que, le 7 février 2013, Mme Y..., capitaine au sein de l'armée de terre, a porté plainte auprès du procureur de la République, à l'encontre du commandant de régiment, M. X..., du chef de harcèlement moral ; que, lors de l'enquête préliminaire ouverte sur instructions du ministère public, Mme Y... a dénoncé en outre des faits de viol commis le 14 février 2012, par M. X..., lors d'un déplacement professionnel ; qu'à l'issue de sa garde à vue, ce dernier a été déféré au procureur de la République qui a saisi le juge d'instruction d'un réquisitoire introductif, le visant nommément des chefs de viol par une personne abusant de son autorité et harcèlement moral ;
Attendu qu'à la suite de réquisitions du procureur de la République, le juge d'instruction a saisi la chambre de l'instruction d'une demande aux fins d'annulation d'actes de la procédure, au motif que le réquisitoire introductif n'avait pas été précédé de l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée, prévu par l'article 698-1 du code de procédure pénale, à peine de nullité ; que, par arrêt du 20 février 2014, devenu irrévocable, la chambre de l'instruction a considéré que la dénonciation des faits de viol échappait aux dispositions précitées, en ce qu'ils étaient détachables du service et des missions d'un militaire, mais que ceux de harcèlement moral ne l'étaient pas, et qu'à défaut de l'avis préalable de l'autorité militaire, la nullité était encourue ; que, par suite, elle a annulé le réquisitoire introductif en ce qu'il visait le délit de harcèlement moral et les actes postérieurs qui en étaient la conséquence ;
Attendu que, plusieurs pièces de la procédure étant parvenues postérieurement à la procédure d'annulation, le juge d'instruction a, de nouveau, saisi la juridiction du second degré, sur réquisitions conformes, en vue de leur annulation pour le même motif ; que, par mémoire distinct et motivé, la partie civile a saisi cette juridiction d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité des dispositions de l'article 698-1, alinéas 1 et 2, et de l'article 698-2, alinéa 1er, du code de procédure pénale au regard du principe d'égalité devant la loi, de l'égalité des armes et du droit au procès équitable garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; que la chambre de l'instruction a transmis la question à la Cour de cassation, qui, par arrêt du 20 janvier 2015, l'a renvoyée au Conseil constitutionnel ; que, par décision n° 2015-461 QPC du 24 avril 2015, le Conseil constitutionnel a considéré que les premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 et le premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale sont conformes à la Constitution ; que l'affaire ayant été à nouveau examinée par la chambre de l'instruction, Mme Y... a soutenu, dans son mémoire, que les dispositions de l'article 698-1, alinéas 1 et 2, dudit code étaient contraires aux articles 6, § 1, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, méconnaissant le droit à un procès équitable, le droit à un recours effectif et l'interdiction de discrimination ;
Attendu que, pour écarter l'application de l'article 698-1, alinéa 2 précité et dire n'y avoir lieu à annulation, l'arrêt attaqué retient en substance que la sanction de la nullité prévue par l'article susvisé peut avoir pour conséquence de porter atteinte à l'essence même du droit de la partie civile à un procès équitable en ce qu'elle fait courir un risque majeur de déperdition des preuves et peut conduire à des situations de prescription de l'action publique ; qu'elle peut entraîner un allongement des procédures et le dépassement du délai raisonnable ; qu'une telle annulation intervient dans le seul intérêt du mis en examen, fait peser le risque d'un déni de justice, constitue une rupture d'égalité des armes et une atteinte au procès équitable ; que les juges en déduisent que l'alinéa 2 de l'article 698-1 dudit code est incompatible avec les articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et qu'il convient d'en écarter l'application ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le réquisitoire introductif avait été partiellement annulé par un précédent arrêt de la chambre de l'instruction, en date du 20 février 2014, et que, cet arrêt étant irrévocable, comme la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, il lui appartenait, au besoin d'office, d'annuler ceux des actes postérieurs dont le réquisitoire était le support nécessaire, la délivrance d'un réquisitoire supplétif, le 28 octobre 2015, du chef du même délit de harcèlement moral étant sans incidence sur la régularité des actes antérieurs, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 10 septembre 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.