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Décisions

Cass. 1re civ., 9 décembre 2020, n° 19-14.016

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

Mme Le Gall

Avocat général :

M. Sudre

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gadiou et Chevallier

Paris, du 15 janv. 2019

15 janvier 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2019), après avoir sollicité les conseils de M. Q..., avocat (l'avocat), M. et Mme N... ont consenti à leurs enfants, par acte reçu le 12 janvier 2008 par M. I..., notaire (le notaire), une donation portant sur 10 800 actions de la société CAFF en pleine propriété et 66 816 actions en nue-propriété, en demandant de bénéficier, au titre de la transmission de ces dernières, de l'exonération à hauteur de 75 % des droits d'enregistrement prévue à l'article 787 B du code général des impôts.

2. Un procès-verbal d'assemblée générale ordinaire de la société CAFF du 30 juin 2008 a mentionné la mise en place d'une nouvelle règle de gouvernance concernant les décisions sur les opérations. Ce procès-verbal n'a pas été suivi d'une mise à jour des statuts de la société.

3. Le 21 octobre 2011, l'administration fiscale a notifié à M. et Mme N... une proposition de rectification des droits d'enregistrement au motif que l'obligation prévue au dernier alinéa de l'article 787 B du code général des impôts, de limiter, dans les statuts, le droit de vote de l'usufruitier aux seules décisions portant sur l'affectation des résultats, n'avait pas été respectée. Un jugement du 14 février 2014, confirmé par un arrêt du 6 mars 2017, a rejeté la réclamation de M. et Mme N... tendant à obtenir la décharge de l'imposition mise à leur charge.

4. M. et Mme N... ont assigné l'avocat et le notaire en responsabilité et indemnisation.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. L'avocat fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec le notaire, à payer une certaine somme à M. et Mme N... à titre de dommages-intérêts, alors « que l'avocat ayant manqué à son devoir d'information et de conseil n'engage sa responsabilité que pour autant qu'il existe un lien de causalité direct entre son manquement et le préjudice subi par son client ; qu'en l'espèce, pour imputer au manquement de l'avocat à son devoir d'information et de conseil, le préjudice de M. et Mme N... tenant dans la perte de chance d'avoir pu bénéficier de l'exonération de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de la valeur des actions de société données à leurs enfants avec réserve d'usufruit, faute d'avoir respecté les conditions posées par l'article 787 B du code général des impôts selon lesquelles l'exonération s'applique, dans cette hypothèse particulière « à la condition que les droits de vote de l'usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l'affectation des bénéfices », la cour d'appel, après avoir rappelé que l'avocat avait indiqué, dans sa consultation du 20 avril 2006, les conditions posées par l'article 787 B du code général des impôts, a retenu que « le fait que [M. et Mme N...] aient acté en assemblée générale du 30 juin 2008 une nouvelle règle de gouvernance consécutive à la donation est bien la preuve de leur volonté de se conformer aux dispositions légales », que « M. et Mme N... ignoraient (
) la nécessité de modifier les statuts » et encore que le fait que l'avocat n'était pas chargé du suivi et de la mise à jour des documents juridiques afférents à la société était indifférent ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme il lui était demandé, si le préjudice de perte de chance subi trouvait son origine non pas dans l'ignorance de la règle par M. et Mme N..., qui a été portée à leur connaissance par la consultation établie par l'avocat le 20 avril 2006 et qu'ils ont partiellement appliquée en modifiant les droits de vote par voie d'assemblée générale ordinaire, mais dans la mauvaise mise en oeuvre par les clients de l'avocat de cette règle qu'ils connaissaient, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute reprochée à l'avocat et le préjudice subi par M. et Mme N..., a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1151 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient que l'intérêt de l'opération était de permettre à M. et Mme N... de bénéficier d'une exonération des droits de mutation, que l'avocat avait été chargé d'un mission à caractère général y compris fiscale, que, si sa première consultation mentionnait que l'application du dispositif fiscal était subordonnée à la condition que les statuts limitent le droit de vote de l'usufruitier aux décisions concernant l'affectation des bénéfices, les deux consultations suivantes n'en faisaient plus état tout en rappelant les autres conditions à remplir et qu'un manquement de l'avocat à son obligation d'informer de manière complète et précise ses clients est caractérisé.

7. Par ces énonciations, dont elle a déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que l'absence de modification des statuts ayant conduit à la privation de l'avantage fiscal escompté par M. et Mme N... était consécutive au manquement de l'avocat, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de condamner celui-ci à réparer le préjudice subi par ses clients.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8. Le notaire fait grief à l'arrêt de dire qu'il a commis une faute dans l'exécution de son devoir d'information et de conseil à l'égard de M. et Mme N..., de le condamner, in solidum avec l'avocat, à leur verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts, et de dire que dans leurs rapports entre eux, l'avocat et le notaire seraient tenus à hauteur de moitié chacun du montant des dommages-intérêts alloués, alors :

« 1°/ qu'un notaire n'est pas tenu de conseiller ses clients sur les conditions de réalisation d'un acte qu'elles ont choisi de ne pas lui confier et pour lequel elles étaient assistées par un tiers professionnel ; qu'en retenant, pour imputer au notaire les conséquences fiscales de la modification des statuts qui ne permettait pas de bénéficier du régime fiscal de faveur escompté, qu'il était « indifférent » que le notaire n'ait pas participé à cette modification cependant que les parties avaient fait le choix de réaliser cette modification des statuts sans recourir aux services de l'officier ministériel, probablement pour économiser ses honoraires, et en étant assistées d'un avocat spécialiste des questions fiscales, de sorte que ce professionnel n'était pas tenu de formuler un conseil sur cet acte ni d'assurer son efficacité, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu1240, du code civil ;

2°/ que la faute de la victime qui participe à la survenance du préjudice produit, à l'égard du responsable, un effet exonératoire ; qu'en condamnant le notaire à indemniser M. et Mme N... sans rechercher, comme elle y était invitée, si ceux-ci n'avaient pas commis une faute, ayant participé à la réalisation du préjudice dont ils demandaient réparation, en procédant, par eux-mêmes, à la modification des statuts de la société sans prendre connaissance de la première consultation précisant les conditions litigieuses pour bénéficier du régime fiscal de faveur en cause établie par l'avocat, ni suivre les indications précises qu'elle comportait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Ayant retenu que le notaire, chargé de la rédaction de l'acte de donation, n'ignorait pas le but poursuivi par M. et Mme N... de bénéficier de l'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit prévue à l'article 787 B du code général des impôts à l'occasion de la transmission des action en nue-propriété à leurs enfants, et que, s'il avait rappelé les conditions à satisfaire pour bénéficier de celle-ci, il n'avait pas mentionné celle concernant la limitation statutaire du droit de vote de l'usufruitier, le seul visa du texte ne pouvant en tenir lieu, la cour d'appel en a justement déduit qu'il avait commis une faute dans l'exécution de son devoir d'information et de conseil.

10. Et sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante, elle a légalement justifié sa décision en retenant que l'absence de modification des statuts ayant conduit à la privation de l'avantage fiscal escompté par M. et Mme N... était consécutive aux seuls manquements conjugués de l'avocat et du notaire et en les condamnant in solidum à réparer le préjudice subi par ces derniers.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.