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Décisions

ART, 30 juin 2000, n° 00−603

ART (DEVENUE L'ARCEP)

se prononçant sur un différend entre Linx et France Télécom relatif à l'interconnexion pour l'acheminement du trafic Internet à destination de numéros de type 0860PQMCDU payants pour l'appelant

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

ART n° 00−603

29 juin 2000

L’Autorité de régulation des télécommunications,

Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34−8, L. 36−8 et R. 11−1, D. 97−4, D. 97−8 ;

Vu l’arrêté du 9 novembre 1999 autorisant la société Linx à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu l’arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu la décision n° 99−528 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;

Vu la demande de règlement d’un différend enregistrée le 3 avril 2000, présentée par la société Linx, RCS Paris n° 421 938 861, dont le siège social est situé 24, rue Emile Menier, 75116 Paris, représentée par Monsieur Franck Brunel, Président du conseil d’administration ;

Linx demande à l’Autorité de :

  • Constater l’échec des négociations commerciales entre Linx et France Télécom.
  • Constater que la demande d’interconnexion formulée par Linx est raisonnable.
  • Constater que France Télécom refuse l’interconnexion à Linx.
  • Constater que Linx subit de la part de France Télécom un traitement discriminatoire.
  • Se prononcer sur le différend exposé et d’ordonner à France Télécom de proposer à Linx, dans les quinze jours suivant le prononcé de la décision, un avenant à la convention d’interconnexion dont les conditions techniques et tarifaires sont identiques aux protocoles conclu entre France Télécom et d’autres opérateurs de réseaux tiers durant l’année 1999.

Linx soutient que sa demande d’interconnexion est raisonnable au regard de ses besoins car correspondant à une optimisation de son architecture d’interconnexion. Linx considère ainsi que France Télécom lui oppose un refus non motivé à une demande raisonnable d’interconnexion. Linx considère en outre subir un traitement discriminatoire dans la mesure où des protocoles d’accord entre France Télécom et des opérateurs tiers prévoyant la prestation d’interconnexion demandée par Linx sont toujours juridiquement valables. Enfin, Linx rappelle que l’article L. 34−8−II 2° du code des postes et télécommunications prévoit que l’usage du réseau de France Télécom est proposé aux autres opérateurs à un tarif orienté vers les coûts et se réfère à un passage de la décision de l’Autorité d’approbation du catalogue d’interconnexion 2000 de France Télécom, ayant trait aux majorations commerciales.

Vu la lettre de la société Linx enregistrée le 6 avril 2000, communiquant des pièces manquantes à la saisine ;

Vu la lettre du chef du service juridique de l’Autorité en date du 17 avril 2000 communiquant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et le nom des rapporteurs ; Vu la lettre de la société France Télécom enregistrée le 27 avril 2000, demandant un délai supplémentaire pour le dépôt de ses observations en défense ;

Vu la lettre du chef du service juridique de l’Autorité en date du 28 avril 2000 accordant un délai de 3 jours à la société France Télécom pour le dépôt de ses observations en défense ; Vu les observations en défense enregistrées le 5 mai 2000 présentées par la société France Télécom, RCS Paris n° 380 129 866, dont le siège social est situé 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par Monsieur Gérard Moine, Directeur des relations extérieures ;

France Télécom demande à l’Autorité de dire :

  • Qu’il n’existe, en l’état de la discussion et en raison du contexte présenté, aucun échec de négociation qui porterait sur une demande fondée
  • Qu’il n’y a pas de refus d’interconnexion de la part de France Télécom dans la mesure où elle a fait une offre d’interconnexion à la société Linx répondant à ses besoins.
  • Que France Télécom n’est pas discriminatoire dans la mesure où elle ne pouvait pas signer avec Linx, un avenant à la convention d’interconnexion sans méconnaître le principe de non−discrimination à l’égard de l’ensemble des opérateurs.
  • Que Linx ne rapporte pas la preuve que sa demande est d’une nature telle qu’elle ne peut être assimilée aux demandes individuelles des opérateurs et pour laquelle une offre raisonnable a été présentée dans l’intérêt et l’équité de tous les opérateurs y compris de France Télécom.
  • De constater ainsi que l’offre de France Télécom n’apparaît pas déraisonnable et conforme à la pratique.

France Télécom considère qu’il n’est pas légitime, au regard de l’article D. 99−6 du code des postes et télécommunications, que Linx soit en possession d’informations concernant les relations contractuelles de France Télécom avec des opérateurs tiers, et souhaite que l’Autorité prenne des mesures à l’encontre des opérateurs qui aurait violé les dispositions de l’article précité. Sur le fond, France Télécom considère qu’il n’y a pas refus d’interconnexion dans la mesure où elle aurait fait une proposition d’interconnexion directe à Linx. France Télécom ne considère pas que Linx subit un traitement discriminatoire dans la mesure où la situation de Linx, qui a conclu une convention d’interconnexion avec France Télécom le 15 février 2000, n’est pas comparable à celle des autres opérateurs liés juridiquement à France Télécom en 1999 sur les accès commutés à Internet. En outre, France Télécom précise que les protocoles d’accord relatifs à une offre d’interconnexion indirecte pour l’accès commuté à Internet via des numéros payants pour l’appelant, acte juridique distinct de la convention d’interconnexion, ont été tous résiliés avant le 20 janvier 2000, donc avant la conclusion de la convention d’interconnexion avec Linx. France Télécom soutient que sa proposition d’utiliser un schéma d’interconnexion directe est raisonnable et équitable pour Linx. France Télécom constate que Linx ne démontre pas que cette proposition est contraire à ses intérêts. Elle rappelle la similitude à l’interconnexion des prestations entre l’acheminement du trafic Internet pour les numéros géographiques et non géographiques, et souligne que la charge de terminaison d’appel a été définie dans la décision de l’Autorité se prononçant sur le différend Cégétel Entreprises – France Télécom. Enfin, France Télécom considère qu’étant donné qu’elle assure la facturation et le recouvrement, l’appelant n’a pas conscience de l’intervention de l’opérateur tiers dans aucun des deux schémas d’interconnexion, directe ou indirecte. France Télécom précise que plusieurs opérateurs ont accepté son offre.

Vu les observations en réplique de la société Linx enregistrées le 22 mai 2000 ;

Linx conclut aux mêmes fins que sa saisine par les mêmes moyens que précédemment et demande en outre à l’Autorité de :

  • Dire que France Télécom ne peut répondre à une demande raisonnable d’interconnexion par une autre demande d’interconnexion, et qu’une telle pratique est constitutive d’un refus d’interconnexion dès lors que France Télécom ne rapporte pas la preuve que la demande initiale est déraisonnable et qu’elle ne dispose pas des capacités à la satisfaire.
  • Dire qu’il appartient à France Télécom de proposer à Linx une offre d’interconnexion indirecte, et ordonner à France Télécom de proposer à Linx, dans les quinze jours suivant le prononcé de la décision se prononçant sur le présent différend, un avenant à la convention d’interconnexion dont les conditions techniques et tarifaires sont identiques aux protocoles conclus entre France Télécom et d’autres opérateurs de réseaux tiers durant l’année 1999 ou, le cas échéant, reprenant les principes que l’Autorité serait amenée à définir dans le cadre de règlements de différends relatifs à l’interconnexion indirecte pour la collecte de trafic d’accès commuté à Internet soumis par d’autres opérateurs, dont la résolution interviendrait antérieurement au prononcé de la décision de l’Autorité relative au présent litige.

Linx conteste la prétendue violation du secret des affaires. D’une part, elle souligne que l’article D.99−6 ne s’applique que pour les filiales des opérateurs concernés. D’autre part, les informations relatives aux protocoles d’accord utilisées par Linx ont été recueillis au travers de documents publics, ou de contributions présentées par des opérateurs tiers lors des travaux multilatéraux organisés par l’Autorité. Linx demande que les accusations de France Télécom soient qualifiées de diffamatoires. Concernant sa demande d’interconnexion, Linx considère que l’offre d’interconnexion directe proposée par France Télécom est avant tout financière. Elle peut sembler pertinente pour un opérateur de boucle locale mais ne répond pas aux besoins de Linx, opérateur de transit. Linx vise à démontrer par une analyse de la structure de ses coûts et des tarifs d’interconnexion que les modalités financières de l’interconnexion directe lui sont défavorables. Linx estime que l’interconnexion indirecte est plus à même de satisfaire ses besoins parce que, d’une part, elle permet l’orientation vers les coûts des tarifs d’interconnexion prévus par l’article L. 34−8−II du code des postes et télécommunications, ce qui n’est pas le cas en interconnexion directe, d’autre part, elle permet à l’opérateur de réseau tiers de conserver la maîtrise du dimensionnement et de l’architecture des interfaces d’interconnexion avec France Télécom. Linx retrace le contexte du différend survenu avec France Télécom : c’est Linx qui a sollicité France Télécom en vue d’obtenir une offre d’interconnexion indirecte et la demande d’offre de terminaison d’appel de France Télécom formulée postérieurement ne répond pas à la demande de Linx, France Télécom n’ayant pas démontré le caractère déraisonnable de cette demande. Linx conclut que France Télécom a opposé un refus à sa demande d’interconnexion. Concernant le traitement discriminatoire dont Linx considère avoir été victime, Linx estime que France Télécom a usé de manœuvres dilatoires afin d’empêcher Linx d’avoir accès à des offres utilisées par d’autres opérateurs. Par ailleurs, les protocoles d’accord relatifs à ces offres n’étaient pas résiliés à la date de la demande d’interconnexion indirecte de Linx.

Vu les secondes observations en défense de la société France Télécom enregistrées le 31 mai 2000 ;

France Télécom conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens que précédemment, et demande en outre à l’Autorité de décider :

  • Qu’une offre de terminaison d’appel doit être proposée à France Télécom par Linx respectant le principe de la décision n° 99−539 en date du 18 juin 1999 de l’Autorité se prononçant sur un différend entre Cégétel Entreprises et France Télécom, à savoir 3,8 centimes par minute sans modulation horaire, pour le trafic écoulé par Linx à partir du 17 septembre 1999.
  • Que, dans le cas où elle opterait dans sa décision de règlement de différends, pour un mode d’interconnexion indirecte, elle précise qu’une majoration de 1 centime par minute s’applique au tarif d’interconnexion perçue par France Télécom.

France Télécom maintient que Linx ne peut se prévaloir d’informations relatives à des accords contractuels entre France Télécom et des opérateurs tiers sans violer le principe de confidentialité de ces accords et renouvèle ses demandes de mesures à l’encontre des opérateurs qui auraient violé ces obligations. France Télécom s’oppose aux arguments de Linx sur le caractère raisonnable de sa demande d’interconnexion, rappelant que les modes d’interconnexion directe et indirecte lui semblent correspondre aux mêmes prestations techniques et que sa proposition de schéma d’interconnexion directe lui semble répondre aux besoins et aux préoccupations de Linx. Concernant l’orientation vers les coûts des tarifs d’interconnexion dans le schéma indirect, France Télécom renouvèle sa demande d’appliquer une majoration service spécial. Sur la question de la maîtrise du dimensionnement des liens d’interconnexion, France Télécom propose de mettre en place un processus similaire à celui retenu par Level 3 et Bell Atlantic aux Etats−Unis. Sur la préoccupation de l’architecture des interfaces d’interconnexion et la possibilité de mutualiser les trafics, France Télécom considère qu’étant donnés les trafics en jeu, une mutualisation ne permettrait pas de réaliser des économies d’échelle.

Vu les observations en duplique de la société Linx enregistrées le 13 juin 2000 ;

Linx conclut aux mêmes fins que sa saisine et ses précédents mémoires par les mêmes moyens que précédemment. De surcroît, Linx conteste la demande de France Télécom sur la prétendue violation du secret des affaires. Sur la forme, Linx considère que les arguments de France Télécom lui sont inopposables car relevant de dispositions prévues par une convention conclue entre France Télécom et un opérateur tiers, et parce que l’Autorité ne serait pas compétente pour prendre des mesures à l’encontre d’opérateurs qui auraient violé des obligations contenues dans des conventions d’ordre privé. Sur le fond, Linx souligne à nouveau avoir tiré ses informations de documents publiés dans des organes officiels. Linx conteste par ailleurs que l’offre de France Télécom de schéma d’interconnexion directe réponde à ses besoins. En premier lieu, Linx vise à démontrer que les schémas d’interconnexion directe et indirecte ne sont pas équivalents. Linx ne signifie pas que seul le schéma d’interconnexion indirecte peut convenir aux opérateurs de réseau tiers, mais estime que les deux modes d’interconnexion doivent être pérennisés. En ce qui concerne la relation entre l’appelant et le prestataire de service, Linx considère qu’elle existe et vise à le démontrer en fournissant des courriers échangés avec France Télécom et l’Autorité, suite à des plaintes émanant de ses clients. Concernant le processus de dimensionnement des liens d’interconnexion évoqué par France Télécom, Linx n’estime pas cette proposition suffisamment précise et constate qu’elle requiert encore un délai de négociation indéterminé, alors que les conditions d’interconnexion indirecte sont définies dans le catalogue d’interconnexion 2000 de France Télécom. Concernant la majoration service spécial demandée par France Télécom, Linx cite l’avis tarifaire n° 99−289 de l’Autorité sur le forfait Internet et la décision d’approbation du catalogue d’interconnexion 2000 de France Télécom et s’en remet à la décision n°00−489 du 26 mai 2000 se prononçant sur un règlement de différend entre 9 Télécom Réseau et France Télécom. Sur le caractère raisonnable de sa demande d’interconnexion indirecte, Linx cite certains passages de décisions de l’Autorité relatifs au schéma d’interconnexion indirecte. Linx rappelle ensuite les raisons d’ordre technique, économique, et commercial qui la conduisent à préférer l’interconnexion indirecte.

Vu la lettre du chef du service juridique en date du 13 juin 2000 fixant au 16 juin 2000 la date de clôture de remise de nouvelles observations de la société France Télécom et convoquant les parties à une audience devant le collège le 21 juin 2000 adressée aux parties ;

Vu la demande de la société France Télécom, enregistrée le 15 juin 2000, et celle de la société Linx enregistrée le 19 juin , toutes deux tendant à ce que l'audience du 21 juin 2000 ne soit pas publique, en application des dispositions de l'article 14 du règlement intérieur;

Vu les nouvelles observations en défense de France Télécom enregistrées le 16 juin 2000 ;

France Télécom présente de nouvelles conclusions en demandant à l’Autorité de bien vouloir constater :

  • Qu’il n’y a pas de refus d’interconnexion de la part de France Télécom dans la mesure où elle a fait une offre d’interconnexion à la société Linx répondant à ses besoins.
  • Que France Télécom n’est pas discriminatoire dans la mesure où elle ne pouvait pas signer avec Linx, un avenant à la convention d’interconnexion sans méconnaître le principe de non−discrimination à l’égard de l’ensemble des opérateurs.
  • Que la proposition de France Télécom pour le calcul du revenu moyen pour l’année 2000 et les années à venir est légitime.
  • Que c’est sur cette base et dans le respect des dispositions de la décision n° 00−489 du 26 mai 2000 de l’Autorité que France Télécom soumettra un accord d’interconnexion à la société Linx.

France Télécom estime que Linx commet plusieurs incohérences dans son précédent mémoire, sur la similitude des deux modes d’interconnexion, sur la relation entre l’appelant et l’opérateur dans le schéma d’interconnexion indirecte, et sur les aspects techniques de l’interconnexion directe. France Télécom indique son intention d’appliquer la décision n°00−489 du 26 mai 2000 en proposant à Linx un contrat pour l’acheminement des numéros 0860 payant pour l’appelant sur la base d’une interconnexion indirecte prenant en compte les tarifs d’interconnexion avec une majoration de 0,1 centime. France Télécom propose de calculer des revenus moyens en reprenant la méthode décrite par l’Autorité dans la décision précitée, mais en distinguant le revenu moyen des clients professionnels du revenu moyen des clients résidentiels, en appliquant le gradient horaire caractérisant le trafic de Linx, et enfin en retranchant les frais de gestion des options tarifaires.

Après avoir entendu, le 21 juin 2000, lors de l’audience devant le collège :

  • le rapport de M. Olivier Esper, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties,
  • les observations de M. Franck Brunel, pour la société Linx,
  • les observations de M. Eric Debroeck, pour la société France Télécom,

En présence de M. Jean−Marc Salmon, rapporteur adjoint, de MM. Pierre−Alain Jeanneney, directeur général, Philippe Distler, Ivan Luben, et Aymeril Hoang pour l'Autorité de régulation des télécommunications,

de M. Alexandre Archambault, pour la société Linx,

de Mme Gaëlle Levu, et de MM Christian Gacon, Michel Seiler et Philippe Tatoud, pour la société France Télécom,

Le collège en ayant délibéré le 30 juin 2000, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité ;

Adopte la présente délibération fondée sur les faits et les moyens exposés ci−après: Sur la recevabilité de la saisine de la société Linx :

Aux termes de l'article L. 36−8 du code des postes et télécommunications : " En cas de refus d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de télécommunications, l'Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l'une ou l’autre des parties. (…) ".

Il ressort des pièces du dossier que, par lettre en date du 15 décembre 1999, la société LINX a adressé à la société France Télécom une demande d’interconnexion indirecte avec facturation / recouvrement pour compte de tiers pour l’acheminement du trafic Internet à destination des numéros non géographiques de la forme 086092MCDU payants pour l’appelant. Or il ressort des termes de la lettre de la société France Télécom en date du 8 mars 2000 que cette dernière n’a pas fait droit à la demande d’interconnexion susmentionnée de la société Linx et qu’ainsi cette lettre doit être regardée comme un refus d'interconnexion au sens des dispositions précitées de l'article L. 36−8 du code des postes et télécommunications.

La circonstance que la société France Télécom ait demandé à la société Linx une offre de terminaison d’appel pour l’acheminement du même type de trafic à destination des mêmes numéros ne saurait être regardée comme faisant droit à la demande d’interconnexion susmentionnée de la société Linx.

Il résulte de ce qui précède que la demande de règlement de différend susvisée, présentée par la société Linx, est recevable.

Sur le caractère raisonnable au sens de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications de la demande d’interconnexion indirecte avec facturation / recouvrement pour compte de tiers pour l’acheminement du trafic Internet à destination des numéros non géographiques de la forme 0860PQMCDU de la société Linx :

Aux termes de l'article L. 34−8 du code des postes et télécommunications : "I. (…) La demande d'interconnexion ne peut être refusée si elle est raisonnable au regard, d'une part, des besoins du demandeur, d'autre part, des capacités de l'exploitant à la satisfaire. (…) II. − Les exploitants de réseaux ouverts au public figurant sur la liste établie en application du 7 de l'article L. 36−7 sont tenus de publier, dans les conditions déterminées par leur cahier des charges, une offre technique et tarifaire d'interconnexion approuvée préalablement par l'Autorité de régulation des télécommunications. Les tarifs d'interconnexion rémunèrent l'usage effectif du réseau de transport et de desserte, et reflètent les coûts correspondants (…)".

En premier lieu, une telle demande apparaît raisonnable au regard des capacités de France Télécom à la satisfaire. Il ressort des pièces du dossier que la société France Télécom n’a jamais soutenu que cette demande d’interconnexion de la société Linx n’était pas raisonnable au regard de la capacité de la société France Télécom à la satisfaire. Dans ses mémoires successifs, la société France Télécom ne conteste pas disposer des capacités à satisfaire cette prestation. Au demeurant, la société France Télécom avait conclu en 1999 des conventions prévoyant la fourniture de cette prestation à d’autres opérateurs et a accepté, dans ses dernières observations enregistrées le 16 juin 2000, de faire droit à la demande d’interconnexion de la société Linx.

En second lieu, la demande de prestation d’interconnexion indirecte de la société Linx apparaît raisonnable au regard de ses besoins. En effet, le choix entre les schémas d’interconnexion directe ou indirecte n’est pas neutre pour les opérateurs. D’un point de vue économique, dans un schéma d’interconnexion indirecte, l’opérateur tiers interconnecté rémunère la société France Télécom pour l’utilisation de son réseau pour collecter du trafic à destination de ses services d’accès à Internet. Dans ce cas, l’opérateur tiers interconnecté dispose d’une meilleure maîtrise des paramètres économiques (reversements aux fournisseurs d’accès à Internet, marges). En effet, en application des dispositions précitées du II de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications, la charge d’interconnexion reversée à la société France Télécom doit être orientée vers les coûts de cette dernière. Au contraire, en interconnexion directe, c’est l’opérateur tiers interconnecté qui est rémunéré pour sa prestation d’acheminement du trafic. D’un point de vue technique, dans le schéma d’interconnexion indirecte, l’opérateur tiers interconnecté choisit les points d’interconnexion et les capacités des liens d’interconnexion. Au contraire, en interconnexion directe, la société France Télécom est responsable du choix de ces paramètres. D’un point de vue commercial, le schéma d’interconnexion indirecte laisse une marge de manœuvre plus importante à l’opérateur tiers interconnecté (définition des services, tarifs, relations avec les abonnés), et permet le développement d’offres innovantes et concurrentielles.

Il résulte de tout ce qui précède que la demande d’interconnexion de la société Linx est raisonnable au sens de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications et que la société France Télécom doit ainsi faire droit à la demande d’interconnexion indirecte avec facturation / recouvrement pour compte de tiers pour l’acheminement du trafic Internet à destination des numéros non géographiques de la forme 086092MCDU de la société Linx.

Sur le caractère discriminatoire du refus d’interconnexion de la société France Télécom opposé à la société Linx :

Aux termes de l'article L. 34−8 du code des postes et télécommunications : " Les exploitants de réseaux ouverts au public font droit, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, aux demandes d'interconnexion des titulaires d'une autorisation délivrée en application des articles L. 33−1 et L. 34−1. (…)".

La société France Télécom soutient, sans être contredite, qu’à la date à laquelle elle a opposé un refus d’interconnexion à la société Linx, elle avait manifesté à tous les opérateurs concernés sa volonté de résilier les conventions ayant pour objet la même prestation d’intercon−nexion que celle demandée par la société Linx à la société France Télécom. Il s’ensuit qu’en tout état de cause le refus opposé par France Télécom d’offrir la prestation d’interconnexion demandée par la société Linx ne saurait être regardé comme une discrimination au sens des dispositions de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications.

Sur la demande de la société Linx tendant à ce que l’Autorité dise que France Télécom devra faire droit à la demande d’interconnexion de la société Linx sous la forme d’un avenant à la convention d’interconnexion déjà conclue entre les parties :

Il résulte de ce qui précède que la société France Télécom doit offrir à la société Linx la prestation d'interconnexion indirecte avec facturation / recouvrement pour compte de tiers demandée. La convention d'interconnexion liant les deux parties devra en conséquence être mise en conformité avec la présente décision.

Sur la demande de la société France Télécom tendant à ce que l’Autorité dise qu’une offre de terminaison d’appel doit être proposée à la société France Télécom par la société Linx respectant le principe de la décision n° 99−539 en date du 18 juin 1999 de l’Autorité se prononçant sur un différend entre la société Cégétel Entreprises et la société France Télécom :

Il appartient à l'Autorité, en application des dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications, de préciser les conditions équitables d’ordre technique et financier dans lesquelles l’interconnexion doit être assurée. La prestation d’interconnexion indirecte demandée par la société Linx à la société France Télécom et la prestation d’interconnexion directe demandée par la société France Télécom à la société Linx, en substitution, sont exclusives l’une de l’autre. Or, comme cela a été souligné précédemment, le schéma d’interconnexion indirecte permet à l’opérateur tiers interconnecté de disposer d’une maîtrise de son offre de collecte et de transport de trafic Internet, sinon comparable à celle dont dispose la société France Télécom, du moins meilleure qu’avec le schéma d’interconnexion directe. L’Autorité considère équitable que, pour collecter le trafic à destination de ses services Internet accessibles par des numéros non géographiques, la société Linx puisse recourir à une prestation d’interconnexion indirecte fournie par la société France Télécom, de préférence à un schéma d’interconnexion directe.

Au surplus, dans son dernier mémoire enregistré le 16 juin 2000, la demande susmentionnée de la société France Télécom ne figure plus au nombre de ses conclusions, et la société France Télécom a indiqué qu’elle " soumettra un accord d’interconnexion à la société Linx ".

Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la société France Télécom tendant à ce que l’Autorité dise qu’une offre de terminaison d’appel doit être proposée à la société France Télécom par la société Linx, respectant le principe de la décision n° 99−539 en date du 18 juin 1999 de l’Autorité se prononçant sur un différend entre la société Cégétel Entreprises et la société France Télécom, doit être rejetée.

Sur les demandes présentées par la société France Télécom tendant d’une part à ce que l’Autorité considère équitables les conditions financières proposées par la société France Télécom dans ses observations en date du 16 juin 2000 et relatives au calcul du revenu moyen pour l’année 2000 et d’autre part à ce que l’Autorité dise, le cas échéant, qu’une majoration de 1 centime par minute s’applique au tarif d’interconnexion perçue par France Télécom dans le cadre de la prestation d’interconnexion demandée par la société Linx :

Si les conclusions des parties peuvent être modifiées ou des demandes additionnelles peuvent être présentées au cours de la procédure, pour autant qu’elles respectent les conditions de recevabilité énoncées à l’article L. 36−8 précité du code des postes et télécommunications et qu’elles présentent, avec la demande initiale, un lien suffisant, il ne ressort cependant d'aucune pièce du dossier qu'à la date des demandes susmentionnées de la société France Télécom un refus ait été opposé par la société Linx à ces demandes, qui relèvent des conditions financières de la prestation d’interconnexion demandée par la société Linx, ni même qu'une négociation ait été engagée par les deux parties sur ces conditions financières. Il suit de là que les demandes de la société France Télécom, qui méconnaissent les dispositions susmentionnées de l'article L. 36−8, sont irrecevables.

Sur la demande de la société France Télécom tendant à ce que l’Autorité prenne les mesures nécessaires à l’encontre des opérateurs qui auraient violé le principe général de confidentialité inscrit dans les textes et sur la demande de la société Linx tendant à ce que les accusations de la société France Télécom soient qualifiées de diffamatoires :

S’il incombe aux opérateurs, le cas échéant, de respecter les secrets protégés par la loi, et notamment le secret des affaires, il n’appartient pas à l’Autorité, au titre de la compétence d’attribution qui lui a été dévolue par les dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications, ni de prendre " les mesures nécessaires à l’encontre des opérateurs qui auraient violé le principe général de confidentialité inscrit dans les textes " ni de qualifier de diffamatoires les allégations des parties.

Décide :

Article 1 − La société France Télécom doit faire droit à la demande d'interconnexion indirecte, avec facturation / recouvrement pour compte de tiers, de la société Linx pour l'acheminement du trafic Internet à destination des numéros de la forme 0860PQMCDU payants pour l'appelant de la société Linx.

Article 2 − Le surplus des conclusions présentées par la société Linx et par la société France Télécom est rejeté.

Article 3 − Les parties mettront toute convention d’interconnexion conclue entre elles en conformité avec la présente décision dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.

Article 4 − Le chef du service juridique est chargé de notifier aux sociétés Linx et France Télécom la présente décision qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.