ART, 7 juillet 2000, n° 00−703
ART (DEVENUE L'ARCEP)
se prononçant sur un différend entre ICS France et France Télécom relatif à l’exécution d’un contrat de vente en gros de trafic international
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
L’Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 36−8 et L. 34−8;
Vu la décision n° 99−528 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;
Vu la demande de règlement d’un différend enregistrée le 27 avril 2000 présentée par la société anonyme ICS France, RCS Paris B 415 219 000, dont le siège est situé 13, rue de Turin, 75008 Paris, représentée par M. Baskaran Allirajah, Président Directeur Général ;
ICS France demande à l’Autorité :
− d’intervenir dans le cadre de la procédure de différend: ;
− de solliciter les explications de France Télécom ;
− de donner à la présente saisine la suite qu’il appartiendra à l’Autorité de définir.
ICS France reproche à France Télécom, avec qui elle a conclu un contrat de vente en gros de trafic international, de violer les dispositions d’un protocole conclu avec France Télécom le 18 octobre 1999 ; ce protocole organise leur relations contractuelles au lieu et place des précédents contrats conclu les 5 mai 1998 et 6 août 1999.
ICS France rappelle qu’à la suite du contrat conclu le 6 août 1999, France Télécom avait voulu modifier unilatéralement les conditions tarifaires y figurant et avait suspendu le service fourni à ICS France vers certaines destinations. Le juge des référés saisi avait ordonné l’exécution du contrat par France Télécom jusqu’au jugement au fond. Une demande de règlement de différend avait été déposée auprès de l’Autorité. Les parties ayant transigé, cette saisine avait été retirée par ICS France, ainsi que toutes les autres procédures en cours entre les parties.
Le contrat du 18 octobre 1999 susmentionné a été le fruit de cette transaction.
D’après les termes de la saisine d’ICS France, France Télécom invoque à son encontre une créance (d’un montant de 23 millions de francs). ICS France estime que le calcul de cette créance est erroné, du fait que les tarifs appliqués dans des factures en cause ne sont pas ceux ayant fait l’objet des accords : elle en a donc contesté le montant auprès de France Télécom.
En outre, France Télécom menacerait ICS France de suspendre la fourniture de tous service, y compris ceux ne relevant pas de l’accord de vente en gros (accès Numéris contractés dans le cadre des abonnements professionnels de France Télécom).
France Télécom a alors saisi le TGI et a obtenu, le 6 avril 2000, une ordonnance de saisie sur le compte bancaire d’ICS France. ICS France soutient que France Télécom a, lors de cette procédure, présenté un décompte inexact de ses créances ; en outre certaines sommes n’auraient pas encore été exigibles à la date de l’ordonnance, l’ordonnance étant intervenue avant la date de paiement prévue au contrat.
ICS France précise qu’elle a saisi le juge de l’exécution du TGI le 17 avril 2000 à qui il appartient de statuer sur le montant de la dette d’ICS France envers France Télécom et sur l’annulation de la saisie. Par ailleurs, le Tribunal de Commerce a également été saisi en référé, le 17 avril, afin de faire enjoindre à France Télécom la poursuite de l’exécution du contrat de vente en gros en cours ainsi que des autres contrats.
ICS France estime que France Télécom en faisant notamment saisir ses comptes " a créé volontairement une situation de péril artificiel afin d’exercer une très forte pression sur son client voire de tenter de l’éliminer en tentant de légitimer, après une tentative d’incident de paiement, une coupure des services ".
ICS France justifie sa demande de règlement de différent auprès de l’Autorité par sa crainte que France Télécom n’invoque une défaillance contractuelle pour suspendre unilatéralement tout service, y compris ceux " ne relevant pas de la vente en gros, ni des relations régies par des relations contractuelles entre professionnels " et souligne l'urgence à régler le différend en raison de cette menace.
Vu la lettre du chef du service juridique de l’Autorité en date du 28 avril 2000 fixant au vendredi 19 mai 2000 à 18 heures le délai pour le dépôt des observations en défense ;
Vu les observations en défense enregistrées le 19 mai 2000 présentées par France Télécom, société anonyme dont le siège social est 6, place d’Alleray, à Paris (15e), représentée par M. Gérard Moine, directeur des relations extérieures;
France Télécom demande à l’Autorité de rejeter la demande d'ICS France :
En premier lieu, elle estime que la demande de règlement de différend formulée par ICS France " est très générale et imprécise ".
En deuxième lieu, France Télécom conteste la version des faits présentés par ICS France. Elle soutient que le litige ne relève pas de la compétence de l’Autorité puisque qu'il ne porte ni sur une convention d’interconnexion ni sur un accord d’accès spécial pour lesquels l’Autorité est compétente au titre e l’article L. 36−8. Le litige trouve son origine dans l’inexécution par ICS France des dispositions contenues dans le contrat, ce qui aurait entraîné, de la part de France Télécom une hypothèse de suspension des prestations fournies par France Télécom dans le cadre d’accords commerciaux.
En troisième lieu, le litige portant sur l’exécution et l’interprétation d’un contrat, l’Autorité de régulation des télécommunications ne pourrait en connaître, sa compétence d’attribution issue du code des postes et télécommunications ne lui permettant pas de traiter ces questions.
France Télécom considère donc qu'il appartient au juge judiciaire seul, en l'occurrence le tribunal de commerce et le tribunal de grande instance de Paris, déjà saisis des faits en cause, de connaître d'un litige relatif à l'interprétation et à l'exécution des contrats.
Enfin, France Télécom remarque qu'il n'a pas lieu d'invoquer l'urgence dans cette affaire, le service n'ayant pas été interrompu malgré le montant important de la dette d'ICS France à son égard.
Vu la lettre du chef du service juridique de l’Autorité en date du 19 mai 2000 fixant au lundi 5 juin à 18 heures le délai pour le dépôt des observations en réplique et communiquant aux parties le nom des rapporteurs ;
Vu les observations en réplique, enregistrées le 2 juin 2000, déposées par la Société ICS France ;
ICS France conclut aux mêmes fins que sa saisine par les mêmes moyens que précédemment.
ICS France soutient que le litige ne "porte nullement sur l'interprétation des conventions passées entres les parties, mais sur les conditions dans lesquelles France Télécom entendait mettre en œuvre les mesures coercitives prévus par les contrats et qu'il appartient bien à l'Autorité d'en connaître au titre des dispositions de l'article L.36−8 du code des postes et des télécommunications.
ICS France justifie sa demande de règlement " par les conditions dans lesquelles France Télécom, use de sa position dominante techniquement incontournable sur le marché de la vente en gros, et de la collecte locale puis l'acheminement du trafic international, pour en menaçant systématiquement de coupure exercer une très forte pression sur ses clients opérateurs "et rappelle l'urgence à trancher le différend.
Vu la lettre du chef du service juridique de l’Autorité en date du 06 juin 2000 fixant au jeudi 15 juin 2000 à 18 heures le délai pour le dépôt des réponses aux observations en réplique ;
Vu la lettre de France Télécom enregistrée à l’Autorité le 15 juin 2000 par laquelle elle déclarait renoncer à conclure en réplique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu, le 7 juillet 2000, lors de l’audience devant le collège :
− le rapport de M. Olivier Esper, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
− les observation de Mme Hoffmann pour la société ICS France ;
− les observations de M. Debroeck pour la société France Télécom
En présence, pour l’Autorité, de M. Pierre−Alain Jeanneney, directeur général, Ivan Luben, chef du service juridique, Jérôme Poulain et, pour France Télécom, Mme Estryn et MM. Perot et Corzat.
Le collège en ayant délibéré le 7 juillet 2000, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l’Autorité ;
Adopte la présente délibération fondée sur les faits et les moyens exposés ci−après : Sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la saisine :
Aux termes de l’article L. 36.8−I du code des postes et télécommunications, " en cas de refus d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de télécommunications, l’Autorité de régulation des télécommunication peut−être saisie du différend par l’une ou l’autre des parties ".
Il ressort des pièces du dossier que la société ICS France, détentrice d’une autorisation de fournisseur de service téléphonique au public sur le fondement de l’article L. 34−1 du code des postes et télécommunications, a conclu le 5 mai 1998 avec la société France Télécom un contrat de vente en gros de trafic téléphonique international, qui doit être regardé comme un accord d’accès au sens de l’article L. 34−8−II du code des postes et télécommunications et qu’à ce titre, les différends y afférents peuvent être portés devant l’Autorité au titre de l’article L. 36−8 du même code.
Ce contrat, d’une durée d’un an, renouvelable une fois par tacite reconduction, fixait et organisait les conditions de cette revente. Ce contrat a fait l’objet le 23 décembre 1998 de deux avenants, le premier définissant une nouvelle modalité de caution appliquée à ICS France sous forme d’un dépôt de garantie, le second définissant les nouvelles conditions tarifaires appliquées à ICS France pour certaines catégories de communication téléphonique et modifiant l’annexe de la convention.
Avant même que le terme du premier contrat soit échu, un nouveau contrat a été signé le 6 août 1999. Un désaccord sur les tarifs et le montant des factures a conduit la société ICS France à introduire par correspondance en date du 21 septembre 1999 une première procédure de règlement de différend devant l'Autorité. Cependant la procédure n'a pas été menée à son terme, les représentant des deux sociétés étant parvenus à un protocole d'accord le 18 octobre 1999 annulant et remplaçant le contrat du 6 août 1999.
Ce nouveau protocole d’accord constitue donc une nouvelle convention d’accès entre France Télécom et ICS France.
A la suite d’un différend portant sur les montants qui seraient dus par la société ICS France à France Télécom, et que celle−là soutient être erronés, France Télécom a obtenu qu’une saisie conservatoire soit effectuée sur le compte bancaire de la société ICS France en vertu d’une ordonnance du Tribunal de Grande Instance de Paris, en date du 6 avril 1999. ICS France a alors assigné France Télécom d’une part en référé devant le juge d’exécution du Tribunal de Grande Instance le 19 mai 2000 pour obtenir l’annulation de la saisie et subsidiairement le cantonnement de la saisie aux sommes qu’elle estime devoir à France Télécom et d’autre part devant le Tribunal de Commerce le 25 mai 2000 pour obtenir le maintien des services fournis par France Télécom à ICS France dans leur intégralité.
En premier lieu, le calcul des montants figurant dans les factures, dus en application du tarif convenu contractuellement, relèvent de " l’exécution d’une convention d’accès à un réseau de télécommunications " au sens des dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications.
Cependant, il ressort des termes mêmes de la saisine d’ICS France et de ses différents mémoires qu’elle a entendu exclure explicitement du champ de sa saisine la question de l’application du protocole d’accord conclu le 18 octobre 1999, et notamment celle du respect du tarif convenu entre les parties et du caractère erroné de la créance invoquée par France Télécom, pour la réserver à l’examen du juge judiciaire. Elle a en effet précisé que " cela sera ultérieurement tranché par les juridictions compétentes ", et que " les différends suscités relèvent des juridictions saisies ".
En second lieu, la société ICS France soutient que l’intervention de l’Autorité de régulation des télécommunications porte sur " les conditions dans lesquelles France Télécom use de sa position dominante techniquement incontournable (…) en menaçant systématiquement de coupure pour exercer une très forte pression sur ses clients opérateurs ".
Or, il n’appartient pas à l’Autorité, sur le fondement des compétences qui lui ont été dévolues par les dispositions de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications, de se prononcer sur l’abus allégué de position dominante de France Télécom.
Il résulte de tout ce qui précède que la saisine susvisée de la société ICS France doit être rejetée.
Pour ses motifs :
Décide :
Article 1 − La demande de règlement de différend présentée par ICS France est rejetée.
Article 2 − Le chef du service juridique est chargé de notifier aux sociétés ICS France et France Télécom la présente décision sera rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi.