ART, 30 mai 2000, n° 00−515
ART (DEVENUE L'ARCEP)
se prononçant sur une demande de mesures conservatoires déposée par Siris dans le cadre du différend l’opposant à France Télécom relatif à l'interconnexion pour l'acheminement du trafic Internet à destination de numéros de type 0860PQMCDU payants pour l'appelant
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
L’Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34−8, L. 36−8, R. 11−1, D. 97−4, D. 97−8 ;
Vu l’arrêté du 18 décembre 1997 autorisant la société Siris à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu l’arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu la décision n° 99−528 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;
Vu la demande de règlement d’un différend enregistrée le 5 mai 2000 présentée par la société Siris, RCS Nanterre n° 400 820 304, dont le siège social est situé 54 place de l’Ellipse à la Défense 7 Valmy, Espace 21 – Bâtiment 3, 92983 Paris La Défense Cedex, représentée par Monsieur Olivier Campenon, président du directoire ;
Vu la demande de mesures conservatoires, enregistrée le 5 mai 2000, présentée par la société Siris accessoirement à sa demande de règlement de différend ;
Le différend porte sur la prestation d’interconnexion prévue par le protocole d’accord conclu par les deux parties le 28 juillet 1999 et que France Télécom a résilié avec effet au 28 juillet 2000. Siris demande, au titre des mesures conservatoires, que l’Autorité :
- constate que France Télécom a remis en cause de manière unilatérale et inattendue l’interconnexion indirecte pour l’acheminement du trafic Internet de Siris après avoir pourtant débattu de longs mois avec Siris et l’ensemble de la profession avant de proposer ce mode d’interconnexion ;
- constate que Siris a organisé une partie de son activité en fonction de l’existence de ce mode d’interconnexion et que malgré sa réactivité elle ne peut faire face en quelques semaines à ce changement d’architecture ;
- constate que la résiliation du protocole du 28 juillet 1999 dans un tel contexte constitue une atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications au sens des dispositions de l’article L.36−8 du code des postes et télécommunications ;
- en conséquence, ordonne à titre de mesure conservatoire à France Télécom d’appliquer le protocole d’accord signé le 28 juillet 1999 jusqu’au 31 décembre 2000, ou subsidiairement jusqu’à la notification de la décision de règlement du différend par l’Autorité ou toute autre date.
Siris soutient qu’elle est fondée à demander des mesures conservatoires au titre de l’article L.36−8 du code des postes et télécommunications, qui prévoit qu’"en cas d’atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications, l’Autorité peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner des mesures conservatoires en vue notamment d’assurer la continuité du fonctionnement des réseaux". D’une part, Siris considère que la résiliation du protocole d’accord constitue une atteinte grave aux règles régissant le secteur des télécommunications dans la mesure où la volte−face de France Télécom sur l’interconnexion indirecte remet en cause la visibilité que les diverses mesures prises par l’Autorité tendent à garantir aux acteurs et porte gravement atteinte au développement du marché de l’accès à Internet. D’autre part, Siris considère que la résiliation du protocole d’accord constitue une atteinte immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications dans la mesure où Siris ne peut pas, malgré sa forte réactivité, passer en quelques semaines d’un schéma d’interconnexion indirecte à un schéma d’interconnexion directe.
Vu la lettre du chef du service juridique en date du 9 mai 2000 fixant au 18 mai 2000 la date de clôture de remise des observations de France Télécom en réponse à la demande de mesures conservatoires de Siris;
Vu la lettre en date du 17 mai 2000 du chef du service juridique de l’Autorité de régulation des télécommunications rappelant le calendrier prévisionnel de production des observations déterminé le 15 mai 2000 d’un commun accord par les deux parties;
Vu les observations en réponse à la demande de mesures conservatoires de Siris, enregistrées le 18 mai 2000, présentées par France Télécom, RCS Paris n° 380 129 866, dont le siège social est situé 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par Monsieur Gérard Moine, directeur des relations extérieures ;
France Télécom demande à l’Autorité :
- de constater qu’il n’y a pas eu échec des négociations ni refus d’interconnexion entre France Télécom et Siris ; que, par suite, la saisine au fond étant irrecevable, la demande de mesures conservatoires, accessoire à cette saisine au fond, doit être rejetée ;
- de constater qu’aucune des conditions requises pour le prononcé de mesures conservatoires ne sont réunies ;
- de constater que c’est de bon droit que France Télécom a résilié le protocole d’accord du 28 juillet 1999 ;
- En conséquence de rejeter les demandes de mesures conservatoires de Siris.
France Télécom soutient que l’Autorité ne peut prononcer de mesures conservatoires que sous trois conditions. En premier lieu les demandes de mesures conservatoires doivent être accessoires à la saisine au fond, ce qui supposerait que la saisine au fond soit recevable. France Télécom considère que tel n’est pas le cas, dans la mesure où il n’y a ni échec des négociations ni refus d’interconnexion entre Siris et France Télécom. En outre, France Télécom considère que les demandes de mesures conservatoires sont trop similaires aux demandes au fond pour être considérées comme accessoires à la saisine au fond.
En second lieu, les demandes de mesures conservatoires doivent porter sur des faits constituant une atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications. France Télécom conteste l’atteinte grave aux règles régissant le secteur des télécommunications dans la mesure où les propositions de France Télécom s’appuient sur la décision de l’Autorité portant sur le différend Cégétel Entreprises – France Télécom. France Télécom conteste également l’atteinte immédiate dans la mesure où Siris aurait précisé à France Télécom, par un courrier en date du 19 avril 2000, qu’elle lui ferait parvenir une offre de terminaison d’appel, et dans la mesure où France Télécom considère avoir toujours défendu l’idée d’étudier les problèmes de migration entre les deux schémas d’interconnexion.
Enfin, les mesures conservatoires ne pourraient être ordonnées que dans le but d’assurer la continuité de fonctionnement du réseau. En l’occurrence, France Télécom conteste le risque de discontinuité dans le fonctionnement des réseaux, le passage d’un schéma d’interconnexion à l’autre ne provoquant pas une rupture dans l’écoulement du trafic.
Vu la convocation en date du 22 mai 2000 à une audience devant le collège le 26 mai 2000 adressée à France Télécom et Siris ;
Vu la demande de Siris, enregistrée le 24 mai 2000, et celle de France Télécom, enregistrée le 25 mai 2000, toutes deux tendant à ce que l'audience du 26 mai 2000 ne soit pas publique, en application des dispositions de l'article 14 du règlement intérieur ;
Après avoir entendu, le 26 mai 2000, lors de l’audience devant le collège :
− le rapport de M. Olivier Esper, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties,
− les observations de M.Olivier Campenon, assisté de M. Gilles Brunschwig, pour Siris,
− les observations de M. Eric Debroeck, pour France Télécom, En présence :
− de M. Jean−Marc Salmon, rapporteur adjoint, et de MM. Pierre−Alain Jeanneney, directeur général, Ivan Luben et Aymeril Hoang pour l'Autorité de régulation des télécommunications,
− de Mme Marie−Agnès Dequidt, pour Siris,
− de Mme Laurence Coste et de MM. Michel Seiler et Christian Gacon, pour France Télécom,
Le collège en ayant délibéré le 30 mai 2000, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité ;
Adopte la présente délibération fondée sur les faits et les moyens exposés ci−après : Par ces motifs :
Aux termes des dispositions de l'article L. 36−8 du code des postes et télécommunications: "(…) En cas d'atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications, l'autorité peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner des mesures conservatoires en vue notamment d'assurer la continuité du fonctionnement des réseaux. (…)".
Il ressort des pièces du dossier que le protocole litigieux signé par France Télécom et Siris le 28 juillet 1999 a été résilié par France Télécom en date du 25 avril 2000 avec effet au 28 juillet 2000. Siris bénéficiera ainsi, ce qu'elle ne conteste pas, du mécanisme d'interconnexion indirecte pour l'acheminement du trafic Internet à destination des numéros de la tranche 0860PQMCDU non gratuits pour l'appelant jusqu'au 28 juillet 2000. Il s'ensuit que, si l’atteinte aux règles régissant le secteur des télécommunications paraît grave, Siris n'est néanmoins pas fondée à soutenir que la résiliation du protocole susmentionné par France Télécom serait constitutive d'une atteinte immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications. En conséquence, l’une au moins des conditions cumulatives exigées par les dispositions sus rappelées de l'article L. 36−8 du code des postes et télécommunications pour que puissent être ordonnées des mesures conservatoires n'étant pas satisfaite, la demande de Siris doit être rejetée.
Au demeurant, il résulte notamment du calendrier prévisionnel fixant les dates de production des observations, accepté par les deux parties lors de la réunion du 15 mai 2000, que le différend devrait être en état d’être réglé au fond par l’Autorité avant le 28 juillet 2000, date d’effet de la résiliation du protocole susmentionné.
Décide :
Article 1 − La demande de Siris tendant à ce que des mesures conservatoires soient ordonnées est rejetée.
Article 2 − Le directeur général de l’Autorité est chargé de l’exécution de la présente décision qui sera notifiée à Siris et France Télécom et rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi.