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Décisions

ART, 20 juillet 2000, n° 00−974

ART (DEVENUE L'ARCEP)

se prononçant sur un différend entre Bouygues Télécom et France Télécom relatif à l'interconnexion pour l'acheminement du trafic international à destination du réseau radioélectrique de Bouygues Télécom

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

ART n° 00−974

19 juillet 2000

L’Autorité de régulation des télécommunications,

Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34−8, L. 36−8, R. 11−1, D. 97−4 et D. 97−8 ;

Vu l’arrêté du 8 décembre 1994 portant autorisation d’établissement d’un réseau radioélectrique ouvert au public en vue de l’exploitation d’un service de communication personnelle DCS F3 modifié ;

Vu l’arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu la décision n° 99−528 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;

Vu la décision n° 99−1078 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 15 décembre 1999 approuvant l’offre technique et tarifaire d’interconnexion de France Télécom pour 2000 ;

Vu la demande de règlement d’un différend enregistrée le 20 juin 2000, présentée par la société Bouygues Télécom , RCS Versailles n° 397 480 930, dont le siège social est situé 51, avenue de l’Europe, 78140 Vélizy−Villacoublay, représentée par Monsieur René Russo, Vice−Président ;

Le différend porte sur le niveau de la rémunération versée par France Télécom à Bouygues Télécom pour l’acheminement du trafic sur le réseau de Bouygues Télécom provenant de l’international.

Bouygues Télécom estime en effet que la prestation de terminaison d’appel sur son réseau est une prestation d’interconnexion, que l’appel provienne du territoire national ou de l’international, et donc que la charge de terminaison d’appel est une redevance d’interconnexion. Dès lors, elle considère que la prestation de terminaison d’appel est identique que l’appel provienne du territoire national ou de l’international et doit en conséquence faire l’objet d’une rémunération identique.

Elle indique qu’elle a accepté jusqu’à fin 1997 une situation dans laquelle la rémunération de la terminaison d’appel du trafic provenant de l’international était inférieure à celle provenant des appels nationaux dans la mesure où d’une part le volume de trafic provenant de l’international était faible et d’autre part elle souhaitait que les négociations aboutissent rapidement pour l’ensemble de la convention d’interconnexion. En revanche, aujourd’hui, elle estime que cette dissymétrie lui fait subir un préjudice trop important du fait du reroutage du trafic par l’international qu’il permet, qui est amené à prendre une ampleur considérable avec l’introduction de la sélection de transporteur vers les mobiles.

Bouygues Télécom fait état des négociations conduites avec France Télécom sur cette question et demande à l’Autorité de constater l’échec des négociations.

Elle ajoute qu’au regard tant du droit de l’interconnexion que des dispositions de l’ordonnance n° 86−1243 du 1er décembre 1986, elle doit avoir la liberté de fixer ses tarifs de terminaison d’appels. Selon elle, la situation qui a perduré jusqu’à fin 1997 revenait pour France Télécom à imposer le tarif de terminaison d’appel de Bouygues Télécom pour les appels internationaux sur la base des recettes perçues par France Télécom dans le cadre de ses accords avec ses homologues étrangers relatifs aux niveaux des taxes de répartition. Bouygues Télécom estime ne pas avoir à subir les conséquences de tels accords. Elle ajoute que c’est à France Télécom de prendre en compte dans le cadre de ses négociations internationales le niveau des charges de terminaison d’appels fixé par les opérateurs mobiles sur le territoire national. Elle précise que ce point est conforme aux diverses recommandations pertinentes de l’UIT relatives à la prise en compte des coûts dans les négociations commerciales. Elle estime par ailleurs que l’Autorité a dans des recommandations récentes reconnu que la rémunération perçue au titre de la terminaison d’appels ne devait plus, à terme, dépendre de la provenance des appels.

Elle demande donc à l’Autorité d’une part de confirmer le principe d’un alignement des charges de terminaison pour les appels entrants internationaux sur les charges de terminaison pour les appels entrants nationaux, d’autre part de fixer à titre provisoire et jusqu’au 1er janvier 2001 la rémunération au titre des appels entrants internationaux à 1,38 francs hors taxes par minute. Bouygues Télécom demande en outre que cette rémunération soit fixée par avenant à la convention d’interconnexion.

Vu les observations en défense enregistrées le 21 juillet 2000 présentées par France Télécom, RCS Paris n° 380 129 866, dont le siège social est situé 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par Monsieur Gérard Moine, Directeur des relations extérieures ;

Dans ses observations, France Télécom expose le contexte des négociations ; elle fait valoir que la rémunération perçue par Bouygues Télécom au titre des appels internationaux sur les dix derniers mois de 1999 (mars à décembre) est passée de 26 centimes à 69 centimes par minute, montant qui résulte de l’application du mécanisme de reversement fixé à 90 % du montant des surcharges " mobiles " par l’Autorité dans sa décision n° 99−197 en date du 1er mars 1999 se prononçant sur un différend entre la Société Française du Radiotéléphone et France Télécom. France Télécom estime que Bouygues Télécom omet de citer cette évolution de sa rémunération, qui témoigne des efforts entrepris par France Télécom dans ses négociations avec les opérateurs étrangers.

De plus, France Télécom estime que l’Autorité n’a pas compétence pour se prononcer sur des questions touchant aux relations commerciales entre France Télécom et les opérateurs étrangers, et ne peut, sans méconnaître sa compétence, considérer le reversement assuré par France Télécom comme une charge d’interconnexion.

Par ailleurs, il n’y aurait, selon France Télécom, ni refus d’interconnexion de sa part, ni échec des négociations entre les parties, France Télécom ayant au contraire cherché à remédier à la situation des appels entrants internationaux en appliquant le système de reversement défini par l’Autorité dans la décision précitée.

France Télécom estime, en tout état de cause, que si un différend existe sur le montant du reversement au titre des appels internationaux, il ne relève pas de la compétence que l’Autorité détient au titre de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications, la prestation technique réalisée par France Télécom consistant en une seule prestation de transit entre le réseau de l’opérateur étranger et celui de Bouygues Télécom, prestation pour laquelle France Télécom n’a aucun moyen d’imposer aux opérateurs étrangers le versement de surcharges mobiles.

France Télécom estime par ailleurs que l’origine de l’appel peut justifier l’application d’un tarif de terminaison différencié, ce que l’Autorité aurait implicitement admis en conditionnant, dans l’arbitrage SFR, le versement à l’existence d’accords conclus entre France Télécom et les opérateurs étrangers. France Télécom relève en outre que les arguments de Bouygues Télécom relatifs au principe de liberté de fixation des prix au titre de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ne relèvent pas de la réglementation de l’interconnexion et sont dès lors inopérants.

France Télécom estime enfin que les arguments de Bouygues Télécom relatifs aux dispositions des recommandations de l’UIT et du règlement international des télécommunications contiennent plusieurs erreurs d’interprétation . En particulier, les dispositions relatives à la prise en compte des coûts dans les négociations commerciales n’auraient pas de force contraignante. France Télécom souligne à cet égard la différence de nature entre les charges d’interconnexion et les taxes de répartition, ces dernières, négociées bilatéralement dans un cadre commercial, ne faisant l’objet d’aucune régulation.

Par ailleurs, France Télécom estime que la demande de Bouygues Télécom de percevoir une charge de terminaison indépendante de l’origine de l’appel serait inéquitable pour France Télécom dans la mesure où d’une part Bouygues Télécom dispose d’offres alternatives, par la possibilité de conclure des accords d’interconnexion avec les opérateurs étrangers, ou de souscrire à l’offre dite "open transit mobile to mobile" de France Télécom, d’autre part, du point de vue économique, France Télécom se verrait contrainte de reverser à Bouygues Télécom une charge qu’elle n’est pas assurée de percevoir, ce qui la conduirait à subventionner l’activité mobile de cet opérateur ; le versement de surcharges étant réciproque, il s’apparenterait également selon France Télécom à une subvention de l’activité des opérateurs mobiles étrangers.

Sur l’argument de Bouygues Télécom tendant à faire valoir que dans plusieurs pays européens le montant des charges de terminaison est indépendant de l’origine de l’appel, France Télécom estime que cet argument méconnaît le fait que les charges de terminaison au titre du trafic national ont connu des baisses significatives dans ces pays, se rapprochant ainsi de celles versées au titre du trafic en provenance de l’international.

Vu les observations en réplique de Bouygues Télécom enregistrées le 4 août 2000 ;

Dans ses observations, Bouygues Télécom estime qu’il y a bien échec des négociations puisque France Télécom a proposé que le système de rémunération provisoire défini par l’Autorité dans la décision susmentionnée s’applique et que Bouygues Télécom a refusé cette proposition estimant qu’elle conduisait à une rémunération insuffisante de sa terminaison d’appel et qu’elle méconnaissait sa capacité à en déterminer librement le niveau.

Bouygues Télécom indique par ailleurs que l’échec des négociations s’inscrit bien dans le cadre de l’interconnexion car la prestation évoquée entre bien dans le champ des définitions communautaires et nationales, qu’elle fait l’objet de la convention signée par France Télécom et Bouygues Télécom au titre de l’interconnexion en 1996 et que la décision du 1er mars 1999 de l’Autorité a clairement établi qu’elle relevait de l’interconnexion.

A la suggestion de France Télécom indiquant que Bouygues Télécom pouvait conclure directement des accords avec les opérateurs étrangers ou utiliser une autre offre de France Télécom, Bouygues Télécom répond en précisant qu’elle ne peut conclure de tels accords dès lors que les opérateurs historiques étrangers paieraient moins cher la terminaison d’appels au travers de leur accord avec France Télécom et qu’il n’est pas possible pour Bouygues d’interrompre totalement sa relation avec France Télécom.

Bouygues Télécom estime enfin que les 1,38 francs hors taxes par minute demandés sont raisonnables :

  • ils se situent dans la fourchette des terminaisons d’appels des opérateurs mobiles en Europe, citées par France Télécom ;
  • France Télécom perçoit déjà une surcharge lui permettant de reverser plus de 1,38 francs hors taxes par minute pour 90 % du trafic international entrant dans le réseau de Bouygues
  • l’application de seuils ne devrait pas exister pour la majeure partie de ce trafic puisque des surcharges sont exigées dès la première minute pour le trafic sortant, dans le cadre de l’offre d’interconnexion internationale de France Télécom.

Bouygues Télécom conclut à ce que l’Autorité " fixe la rémunération de Bouygues Télécom au titre des appels entrants internationaux à 1,38 francs hors taxes par minute à compter du 1er juin 1999, et à titre provisoire ; confirme le principe d’un alignement des charges de terminaison pour les appels entrants internationaux avec les charges de terminaison pour les appels entrants nationaux".

Vu les secondes observations en défense de France Télécom enregistrées le 18 août 2000 ;

Dans ses nouvelles observations, France Télécom conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens que précédemment. France Télécom précise que l’Autorité ne peut se déclarer compétente sur le présent litige, dans la mesure où elle ne peut se prononcer sur le montant des reversements et plus généralement sur les relations bilatérales entre France Télécom et les opérateurs étrangers.

Sur les arguments de Bouygues Télécom tendant à démontrer l’échec des négociations, France Télécom estime au contraire avoir fait ses meilleurs efforts pour faire bénéficier Bouygues Télécom d’un reversement supérieur à celui initialement prévu dans la convention d’interconnexion de 1996, les difficultés liées à la négociation des surcharges ne permettant pas à France Télécom d’aller au−delà.

Sur les raisons qui expliqueraient, selon Bouygues Télécom, l’échec des négociations, France Télécom fait valoir, s’agissant du non−respect des recommandations de l’Autorité contenues dans un communiqué de presse du 30 juin 1999, que ces dispositions n’ont aucune valeur juridique ; qu’au demeurant la baisse des charges de terminaison d’appel au titre du trafic national également recommandée par l’Autorité n’a pas été significativement suivie par les opérateurs mobiles.

Par ailleurs, France Télécom estime que Bouygues Télécom n’apporte aucun élément corroborant son argument selon lequel le montant de 69 centimes perçu au titre des appels internationaux serait très inférieur à ses coûts.

Enfin, sur l’absence de transparence sur les relations entre France Télécom et les opérateurs étrangers, France Télécom rappelle que ces relations sont couvertes par le secret commercial.

France Télécom précise en outre que le système d’information qu’elle a développé ne lui permet pas de connaître, selon l’opérateur d’origine, le pourcentage d’appel destiné à chacun des opérateurs mobiles français, mais se déclare prête, si nécessaire, à fait auditer ses calculs.

Sur la nature de la prestation assurée par Bouygues Télécom, France Télécom précise qu’elle ne nie pas que cette prestation relève de l’interconnexion, qu’elle concerne la terminaison du trafic en provenance de l’international ou du trafic national ; elle fait valoir cependant que, pour ce qui concerne le trafic en provenance de l’international, la prestation assurée par France Télécom est spécifique et consiste en une prestation de transit. Dès lors, et France Télécom n’étant pas en mesure, contrairement au trafic national, de financer les reversements destinés aux opérateurs mobiles au titre du trafic international, elle supporterait une charge excessive si elle était tenue de reverser une charge de terminaison identique.

Sur le caractère qu’elle estime non raisonnable de la demande de Bouygues Télécom, France Télécom précise en premier lieu qu’il lui est impossible de négocier avec les opérateurs étrangers une surcharge supérieure au montant actuellement négocié avec certains de […]i DTS. Par ailleurs, le DTS étant soumis aux variations monétaires, France Télécom estime qu’il serait inéquitable qu’elle supporte seule le risque lié aux variations des taux de change ; à cet égard, un mécanisme de partage des surcharges, ainsi que l’Autorité l’avait fixé dans la décision SFR devrait être prévu.

France Télécom explique que le contexte des négociations internationales est particulièrement complexe du fait du niveau élevé des charges de terminaison d’appel des opérateurs mobiles français ; elle rappelle à nouveau que Bouygues Télécom dispose de solutions alternatives par la possibilité de négocier directement avec les opérateurs étrangers.

Vu les observations en duplique de Bouygues Télécom enregistrées le 25 août 2000 ;

Dans ses observations, Bouygues Télécom estime que France Télécom reconnaît que la prestation de terminaison d’appel pour les appels provenant de l’international est une prestation d’interconnexion et dès lors que le présent litige, survenu entre deux opérateurs nationaux, et relatif à une prestation d’interconnexion entre dans le champ de compétence de l’Autorité. Les éléments fournis par France Télécom sur les répercussions de l’issue du litige sur ses négociations internationales sont des éléments d’appréciation qui ne remettent pas en cause la compétence de l’Autorité. Elle précise par ailleurs que France Télécom n’a pas contesté la compétence de l’Autorité lors de la décision de l’Autorité relative au différend entre France Télécom et SFR qui a conclu que la prestation de terminaison d’appel était une prestation d’interconnexion et établi un système provisoire pour la rémunération de la terminaison d’appels provenant de l’international.

Bouygues Télécom estime que France Télécom n’apporte pas la preuve du caractère déraisonnable de sa demande de rémunération à 1,38 francs hors taxes par minute : d’une part, pour les appels sortants du réseau de Bouygues Télécom vers les réseaux mobiles étrangers la surtaxe appliquée permet de reverser un montant supérieur à 1,38 francs hors taxes par minute ; d’autre part le montant de […]i DTS, qui constitue pour France Télécom le montant maximal de surcharge mobile qu’elle peut négocier avec les opérateurs étrangers permet aussi de reverser une somme supérieure à 1,38 francs hors taxes par minute ; enfin, France Télécom aurait déjà négocié des surcharges mobiles pour des destinations représentant plus de 70 % du trafic international entrant.

Bouygues Télécom demande à nouveau à ce que l’Autorité : "fixe la rémunération de Bouygues Télécom au titre des appels entrants internationaux à 1,38 francs hors taxes par minute à compter du 1er juin 1999, et à titre provisoire ; confirme le principe d’un alignement des charges de terminaison pour les appels entrants internationaux avec les charges de terminaison pour les appels entrants nationaux".

Vu la convocation en date du 29 août 2000 à une audience devant le collège le 15 septembre 2000 adressée à France Télécom et Bouygues Télécom;

Vu la lettre du chef du service juridique en date du 30 août 2000 adressant un questionnaire aux parties et fixant au 8 septembre 2000 la date de clôture de remise des réponses ;

Vu les nouvelles observations en défense de France Télécom enregistrées le 1er septembre 2000 ;

Dans ses nouvelles observations, France Télécom conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens que précédemment. Ainsi, France Télécom tente de démontrer que l’Autorité ne peut faire droit à la demande de Bouygues Télécom qui conduirait cette dernière à reverser un montant qu’elle ne perçoit pas, et sur le niveau duquel l’Autorité n’a pas compétence.

France Télécom estime également que la demande de Bouygues Télécom ferait peser sur France Télécom des charges excessives au sens de l’article D. 99−10 du code des postes et télécommunications. Elle conduirait France Télécom à reverser une surcharge pour chaque minute de trafic, ignorant ainsi l’existence de seuils dans certains accords internationaux voire l’inexistence de surcharges dans d’autres.

France Télécom précise néanmoins que les négociations sont aujourd’hui suffisamment avancées, au point que la plupart des opérateurs étrangers admettent la suppression des seuils de trafic. En revanche la question des surcharges fait l’objet aujourd’hui de plusieurs litiges relatifs à leur recouvrement, différant d’autant leur versement effectif.

France Télécom rappelle qu’au demeurant elle ne saurait être en mesure de négocier des surcharges supérieures à un montant de […]i DTS ; dès lors, la fixation par l’Autorité d’un montant supérieur, pour la rémunération de Bouygues Télécom au titre des appels internationaux, ferait peser sur France Télécom des charges excessives au sens de l’article D. 99−10 précité.

Par ailleurs, dans la mesure où France Télécom supporterait, outre le coût de transit, des coûts de gestion liés notamment à la conduite des négociations internationales, elle estime qu’il serait inéquitable pour elle d’avoir à reverser la totalité des surcharges perçues auprès des opérateurs étrangers.

Pour ces motifs, France Télécom demande à l’Autorité de se déclarer incompétente pour statuer sur le présent litige et de rejeter l’ensemble des demandes de Bouygues Télécom.

Vu les réponses au questionnaire de Bouygues Télécom et de France Télécom enregistrées le 8 septembre 2000 ;

Dans sa réponse au questionnaire, Bouygues Télécom estime que la situation dans la plupart des pays européens, va s’orienter vers un alignement des montants des charges de terminaison au titre des appels internationaux et nationaux.

Sur l’existence de solutions alternatives, Bouygues Télécom indique ne pas être en mesure de conclure des accords viables avec les opérateurs mobiles étrangers ou des transporteurs alternatifs, tant que France Télécom propose une offre de transit intégrant une charge de terminaison d’appel international vers le réseau de Bouygues Télécom au niveau actuel, objet du présent litige.

Sur le fait que le montant de 1,38 francs hors taxes par minute n’impose pas une charge excessive pour France Télécom, Bouygues Télécom estime que dans le cas de la terminaison d’appel sur un réseau mobile, France Télécom supporte des coûts moins élevés que ceux qu’elle supporte dans le cas d’une terminaison sur un réseau fixe et qui sont couverts par la quote−part qu’elle perçoit des opérateurs étrangers ; ces coûts évités permettent à France Télécom de reverser à Bouygues Télécom une partie de la quote−part perçue.

Sur le cas particulier des terminaisons vers des abonnés en "roaming" sur le réseau de Bouygues Télécom, Bouygues Télécom estime que le montant de 1,38 francs hors taxes demandé doit s’appliquer à l’ensemble du trafic international entrant, y compris les appels à destination de "roamers" sur le réseau de Bouygues Télécom.

Enfin, Bouygues Télécom précise qu’elle demande à l’Autorité de confirmer le principe de l’alignement des charges, mais en laissant aux parties le soin de négocier la date à laquelle il pourra être effectif.

Dans sa réponse au questionnaire, France Télécom estime que la tendance va vers un alignement des charges de terminaison, ceci avant tout grâce à une baisse des charges de terminaison nationales.

Sur l’évolution des accords internationaux, France Télécom estime qu’aujourd’hui les surcharges sont négociées pour la quasi−totalité du trafic et que les seuils sont amenés à disparaître relativement rapidement ; cependant, des problèmes subsistent vers certaines destinations dont le système de facturation des opérateurs n’est pas adapté, ainsi que sur la question du recouvrement des surcharges

Sur le niveau des surcharges, France Télécom fournit les montants négociés et le seuil d’application correspondant à […]i destinations.

Sur le fait que les surcharges sont appliquées pour le trafic sortant dès la première minute dans le cadre de l’offre d’interconnexion internationale de France Télécom, France Télécom indique qu’elle a mis en place un mécanisme a posteriori permettant aux opérateurs de bénéficier de l’application des seuils définis dans les accords internationaux.

Vu la demande de France Télécom, enregistrée le 7 septembre 2000, et celle de Bouygues Télécom enregistrée le 13 septembre 2000 , toutes deux tendant à ce que l'audience du 15 septembre 2000 ne soit pas publique, en application des dispositions de l'article 14 du règlement intérieur;

Après avoir entendu, le 15 septembre 2000, lors de l’audience devant le collège :

− le rapport de M. Olivier Mirwasser, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties,

− les observations de M. René Russo, pour Bouygues Télécom,

− les observations de M. Jean−Daniel Lallemand, assisté de MM. Christian Boinot et Smaïl Metadjer, pour France Télécom,

En présence de Mme Ingrid Malfait, rapporteur adjoint, et de MM. Pierre−Alain Jeanneney, directeur général, Philippe Distler, François Lions, Ivan Luben, Mathias Collot et Aymeril Hoang pour l'Autorité de régulation des télécommunications,

- de Mme Corinne Coscas et de MM. Emmanuel Forest et Emmanuel Micol, pour Bouygues Télécom, assistés de Maître Winston Maxwell, avocat,

- de Mme Laurence Coste et de MM. Michel Seiler et Philippe Tatoud, pour France Télécom,

Le collège en ayant délibéré le 20 septembre 2000, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité ;

Adopte la présente délibération fondée sur les faits et les moyens exposés ci−après :

Sur la compétence de l'Autorité pour se prononcer sur le tarif de la terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels en provenance de l’international :

Aux termes du III de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications : "Les litiges relatifs aux refus d'interconnexion, aux conventions d'interconnexion et aux conditions d'accès peuvent être soumis à l'Autorité de régulation des télécommunications conformément à l'article L. 36−8"; aux termes du I de l’article L. 36−8 du même code : "En cas de refus d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de télécommunications, l'Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l'une ou l'autre des parties. L'autorité se prononce, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, après avoir mis les parties à même de présenter leurs observations. Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès spécial doivent être assurés. (…)".

Il résulte de l'instruction que le présent différend est relatif au tarif de la terminaison sur le réseau de Bouygues Télécom pour les appels qui proviennent de pays étrangers et qui sont acheminés par France Télécom jusqu’au point d’interconnexion entre ces deux réseaux. Le litige porte ainsi sur les conditions financières d’une convention d’interconnexion conclue entre deux opérateurs exerçant leurs activités en vertu d'une autorisation délivrée en application de l’article L. 33−1 du code des postes et télécommunications pour établir et exploiter un réseau sur le territoire national.

La circonstance que la rémunération versée à France Télécom pour l'acheminement du trafic en provenance de l'étranger vers le réseau de Bouygues Télécom relève pour partie d'accords d'interconnexion internationaux, si elle peut influer sur la détermination en équité du tarif de la terminaison d’appel, objet du présent litige, est néanmoins sans incidence sur la compétence de l’Autorité pour régler le présent litige.

Il s'ensuit que l’Autorité est compétente, sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 34−8 et L. 36−8 du code des postes et télécommunications, pour régler le présent différend entre les parties.

Sur la recevabilité de la demande présentée par Bouygues Télécom tendant à ce que l'Autorité dise qu'il est équitable de fixer, à titre provisoire, à 1,38 francs hors taxes par minute le tarif de la terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels en provenance de l’international :

Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier en date du 13 mai 1998, Bouygues Télécom a entendu négocier une modification du tarif de la terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels en provenance de l’international fixé entre les parties dans un avenant à la convention d’interconnexion conclue le 20 février 1996 ; par un courrier en date du 25 août 1999, Bouygues Télécom a proposé à France Télécom de fixer ce tarif " selon les étapes suivantes : rétroactivement au 1er juin 1999 : 1,22 F HT/mn, facturé à la seconde ; à partir du 1er juillet 2000 : 1,38 F HT/mn, facturé à la seconde ; au plus tard au 1er juillet 2001 au même niveau qu’une terminaison nationale ". Par un courrier en date du 1er octobre 1999, France Télécom a informé Bouygues Télécom de son refus d’accepter la proposition précitée. Par un courrier en date du 27 janvier 2000, Bouygues Télécom a réitéré sa proposition à France Télécom, qui l’a à nouveau refusée par un courrier en date du 18 février 2000.

Ce désaccord entre les parties sur la négociation de modalités financières nouvelles pour le tarif d’interconnexion des appels entrants sur le réseau de Bouygues Télécom en provenance de l’international acheminés par France Télécom doit être regardé comme un désaccord sur la conclusion d’un avenant modifiant la convention d’interconnexion en vigueur entre les parties au sens des dispositions précitées de l'article L. 36−8 du code des postes et télécommunications.

Il résulte de ce qui précède que la demande de règlement de différend susvisée, présentée par la société Bouygues Télécom, est recevable.

Sur le principe d’une rémunération de la prestation d’interconnexion de terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels provenant de l’international, dénommée par la suite "charge de terminaison d’appel international", alignée sur la charge de terminaison pour les appels acheminés sur le territoire national, dénommée par la suite "charge de terminaison d’appel national".

Aux termes de l’article D. 99−10 du code des postes et télécommunications : "Les conditions tarifaires des conventions d'interconnexion respectent les principes d'objectivité, de transparence et de non-discrimination. Elles ne doivent pas conduire à imposer indûment aux opérateurs utilisant l'interconnexion des charges excessives. Elles doivent pouvoir être justifiées sur demande de l'Autorité de régulation des télécommunications. Les opérateurs fournissent l'interconnexion dans des conditions non discriminatoires, y compris vis-à-vis de leurs propres services, filiales ou partenaires".

L’alignement des charges est souhaitable, afin de limiter un recours abusif au reroutage des appels fixe vers mobile par l’international et permettre aux opérateurs mobiles de recouvrer les coûts qu’ils supportent au titre de la terminaison des appels internationaux. Les conditions devraient être réunies pour que les parties puissent trouver un accord sur sa mise en œuvre effective au plus tard le 31 décembre 2001 ainsi qu’elles l’ont indiqué lors de l’audience du 15 septembre 2000.

Sur un plan technique, la prestation de terminaison d’appel est similaire et ne devrait pas conduire à une tarification différente. Toutefois, un alignement des charges de terminaison en l’état actuel du niveau de la charge de terminaison d’appel national ferait supporter une charge excessive à France Télécom au sens de l’article D. 99−10 précité. L’alignement ne pourra être effectif qu’à la condition que la charge de terminaison d’appel national se rapproche du montant de la charge de terminaison d’appel international.

Sur la demande présentée par Bouygues Télécom tendant à ce que l'Autorité dise qu'il est équitable de fixer à 1,38 francs hors taxes par minute le tarif de la terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels en provenance de l’international à partir du 1er juin 1999 :

Afin que le montant demandé ne constitue pas une charge excessive pour France Télécom au sens de l’article D. 99−10 précité, il apparaît nécessaire de s’assurer qu’il n’excède pas les recettes que France Télécom est en mesure de négocier dans les accords internationaux et qu’elle peut reverser à Bouygues Télécom. Pour estimer le caractère excessif de la charge demandée par Bouygues, l’Autorité s’est attachée à évaluer quels étaient les éléments de nature à empêcher France Télécom de signer des accords prévoyant une surcharge suffisante.

En premier lieu, il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’à la date du 1er juin 1999 les parties étaient en désaccord sur ce point. Il s’ensuit que, pour la période comprise entre le 1er juin 1999 et le 1er octobre 1999, la demande susmentionnée n’est pas recevable au sens des dispositions précitées de l’article L. 36−8 du code des postes et télécommunications.

Au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il soit possible de fixer, pour la période allant du 1er juin 1999 au 31 décembre 1999, de manière équitable ce tarif d’interconnexion à 1,38 francs hors taxes par minute. France Télécom a indiqué avoir commencé les discussions avec les opérateurs étrangers pour introduire des surcharges au début de l’année 1999. Ces accords ont, dans un premier temps, prévu des seuils de trafic en dessous desquels la surcharge n’était pas versée. Cette situation a conduit à ce que France Télécom ne soit en mesure de reverser à Bouygues Télécom en décembre 1999 qu’un montant de l’ordre de 0,69 francs hors taxes par minute. Dans ces conditions, le versement d’un montant de 1,38 francs hors taxes par minute pour la période du 1er juin 1999 au 31 décembre 1999 ferait peser une charge excessive sur France Télécom.

En second lieu, les pièces versées au dossier par France Télécom relatives aux recettes perçues aujourd’hui dans le cadre des accords internationaux pour les appels vers les réseaux mobiles montrent l’évolution rapide de ces recettes du fait des modifications des accords sans toutefois en indiquer le niveau actuel. France Télécom a en effet indiqué avoir, depuis plus d’un an, ouvert des négociations avec ses différents homologues étrangers afin d’introduire des mécanismes de surcharge appliqués aux appels vers les réseaux mobiles. Elle a indiqué que […]i accords avaient été conclus en 1999 et que ce nombre était passé à […]i au milieu de l’année 2000. France Télécom a ajouté que, pour des raisons techniques, des seuils de trafic en dessous desquels la surcharge n’est pas appliquée ont été définis en phase d’initialisation des accords.

Dans ses écritures, France Télécom a communiqué une liste de 14 pays qui concentrent […]i % du trafic international vers Bouygues Télécom. Il s’agit pour […]i % de l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume−Uni, la Suisse, la Belgique, les Etats−Unis, le Canada et pour […]i % du Maghreb, des Pays−Bas, du Luxembourg, du Portugal, de la Suède et de la Grèce. France Télécom n’a pas fourni d’élément sur les […]i % de trafic restant. Dans ses réponses au questionnaire, France Télécom indique, pour chacune de ces destinations, le montant de la surcharge et le seuil de trafic appliqué lorsqu’il existe. La majeure partie de ces accords intègrent une surcharge de […]i DTS. Seuls les accords avec les pays du Maghreb et le Portugal ne prévoient pas le mécanisme de surcharge et ceux avec le Royaume−Uni, les Etats−Unis, le Canada et la Suisse prévoient des seuils.

Par ailleurs, France Télécom constate, page 4 de son mémoire en date du 1er septembre 2000, que " les négociations commerciales conduisent à ce que plusieurs opérateurs, dont les principaux, acceptent la suppression de seuils " et reconnaît ainsi que le mécanisme de seuil disparaît, notamment avec les principaux opérateurs. France Télécom a observé ainsi une baisse de […]i % des accords signés avec seuil depuis le début de l’année 2000. Elle indique poursuivre sa politique d’introduction des surcharges et de suppression des seuils. Elle souligne toutefois que la négociation de ces accords avec les opérateurs des pays en voie de développement sera longue dans la mesure où ces pays ne sont pas confrontés à la question du niveau de la terminaison d’appel sur les réseaux mobiles. Elle estime par ailleurs que cette surcharge ne pourra dépasser […]i DTS soit la valeur de […]i francs hors taxes au cours actuel du DTS.

Ainsi, il ressort des pièces du dossier que la recette perçue par France Télécom évolue en fonction de la signature des accords internationaux ; une surcharge de l’ordre de 0,15 DTS existe ou existera dans l’ensemble des accords entre France Télécom et les opérateurs étrangers à l’exception de ceux conclus avec les opérateurs des pays en voie de développement ; à court terme, l’application de seuils sera supprimée dans la plupart des accords, ce que ne conteste pas France Télécom ; le montant de 0,15 DTS constitue un plafond dans les négociations commerciales entre opérateurs ; France Télécom n’apporte aucun autre élément démontrant précisément en quoi le montant demandé par Bouygues Télécom constituerait une charge excessive.

Dans ces conditions, eu égard à la faculté qu’a France Télécom de négocier des accords internationaux comprenant une surcharge mobile de 0,15 DTS pour 90 % du trafic à une échéance que l’Autorité considère raisonnable de fixer au 1er janvier 2001, compte tenu de la spécificité du trafic issu des pays en voie de développement et en faisant l’hypothèse réaliste que ce trafic n’excède pas 10 % du trafic international vers le réseau de Bouygues Télécom, une charge de terminaison d’appel international sur le réseau de Bouygues Télécom inférieure ou égale à 0,15 DTS sur 90 % du trafic soit 1,26 francs hors taxes par minute n’est pas excessive au sens des dispositions précitées de l’article D. 99−10 du code des postes et télécommunications.

Toutefois, la suppression des seuils n’étant pas encore effective dans l’ensemble des accords internationaux, et en l’absence d’éléments quantitatifs communiqués par France Télécom sur les effets de ces seuils sur la recette moyenne perçue des opérateurs étrangers, l’Autorité estime qu’il est équitable de fixer, pour la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2000, le montant de la charge de terminaison d’appel international à 1,05 francs hors taxes par minute dès la première minute.

Il suit de là qu’il est équitable :

  • de fixer à 1,05 francs hors taxes par minute le montant de la rémunération de la prestation d’interconnexion de terminaison d’appel sur le réseau de Bouygues Télécom pour les appels provenant de l’international entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2000 ;
  • de fixer à 1,26 francs hors taxes par minute le montant de la rémunération de la prestation d’interconnexion de terminaison d’appel sur le réseau de Bouygues Télécom pour les appels provenant de l’international entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2001, sauf accord entre les parties pour déroger à ce montant.

Décide :

Article 1 − Le tarif d’interconnexion pour la rémunération de la terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels en provenance de l’international est fixé à 1,05 francs hors taxes par minute, facturé à la seconde, entre le 1er janvier 2000 et jusqu’au 31 décembre 2000.

Article 2 − Le tarif d’interconnexion pour la rémunération de la terminaison d’appel sur le réseau radioélectrique de Bouygues Télécom pour les appels en provenance de l’international est fixé à 1,26 francs hors taxes par minute, facturé à la seconde, entre le 1er janvier 2001 et jusqu’au 31 décembre 2001, sauf accord entre les parties pour déroger à ce montant.

Article 3 − Le surplus des conclusions présentées par la société Bouygues Télécom et par la société France Télécom est rejeté.

Article 4 − Les parties mettront toute convention d’interconnexion conclue entre elles en conformité avec la présente décision dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.

Article 5 − Le chef du service juridique ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés Bouygues Télécom et France Télécom la présente décision qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.