Décisions

CJUE, 2e ch., 16 mars 2023, n° C-449/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Towercast SASU

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l’économie, Tivana Topco SA, Tivana Midco SARL, TDF Infrastructure Holding SAS, TDF Infrastructure SAS, Tivana France Holdings SAS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Prechal

Juges :

Mme Arastey Sahún, M. Biltgen, M. Wahl (rapporteur), M. Passer

Avocat général :

Mme Kokott

Avocats :

Me Mèle, Me Théophile, Me Hamon, Me Rameau, Me Calvet, Me Chevalier, Me Helfer, Me Salat-Baroux, Me Trifounovitch

CJUE n° C-449/21

15 mars 2023

LA COUR (deuxième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Towercast SASU à l’Autorité de la concurrence (France) et au ministre chargé de l’économie (France), au sujet d’une décision de rejet de plainte de Towercast pour abus de position dominante.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CEE) no 4064/89

3 Le règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), est entré en vigueur le 21 septembre 1990. Aux termes des considérants 6 à 8 de ce règlement :

« (6) considérant que les articles 85 et 86 [du traité CEE], tout en étant applicables, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, à certaines concentrations, ne suffisent toutefois pas pour saisir toutes les opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité ;

(7) considérant que, dès lors, il y a lieu de créer un instrument juridique nouveau sous forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les opérations de concentration en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté [économique européenne] et qui soit le seul applicable à de telles concentrations ;

(8) considérant que ce règlement doit par conséquent être fondé non seulement sur l’article 87 [du traité CEE] mais principalement sur l’article 235 du traité [CEE], en vertu duquel la Communauté peut se doter des pouvoirs d’action additionnels nécessaires à la réalisation de ses objectifs, également en ce qui concerne les concentrations sur les marchés des produits agricoles énumérés à l’annexe II du traité [CEE] ».

4 L’article 22 dudit règlement disposait :

« 1. Le présent règlement est seul applicable aux opérations de concentration telles que définies à l’article 3.

2. Les règlements no 17 [du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité [CEE] (JO 1962, 13, p. 204)], (CEE) no 1017/68 [du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO 1968, L 175, p. 1)], (CEE) no 4056/86 [du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité [CEE] aux transports maritimes (JO 1986, L 378, p. 4)] et (CEE) no 3975/87 [du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO 1987, L 374, p. 1)] ne sont pas applicables aux concentrations telles que définies à l’article 3.

3. Si la Commission [européenne] constate, à la demande d’un État membre, qu’une opération de concentration, telle que définie à l’article 3 mais sans dimension communautaire au sens de l’article 1er, crée ou renforce une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le territoire de l’État membre concerné, elle peut, dans la mesure où cette concentration affecte le commerce entre États membres, prendre les décisions prévues à l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa et paragraphes 3 et 4.

[...]

5. La Commission ne prend, en application du paragraphe 3, que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le territoire de l’État membre à la demande duquel elle est intervenue.

[...] »

Le règlement no 139/2004

5 Sans préjudice des dispositions transitoires énoncées à son article 26, paragraphe 2, le règlement no 139/2004 a abrogé et remplacé, avec effet au 1er mai 2004, le règlement no 4064/89.

6 Les considérants 2, 5 à 9, 20 et 24 du règlement no 139/2004 énoncent :

« (2) En vue de la réalisation des finalités du traité [CE], l’article 3, paragraphe 1, point g), assigne comme objectif à la Communauté [européenne] l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur. [...]

[...]

(5) Il convient [...] de s’assurer que le processus de restructuration n’entraîne pas de préjudice durable pour la concurrence. Par conséquent, le droit communautaire doit comporter des dispositions applicables aux concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

(6) Un instrument juridique spécifique est donc nécessaire sous la forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté et qui soit le seul applicable à de telles concentrations. Le règlement [no 4064/89] a permis de développer une politique communautaire dans ce domaine. Il convient toutefois aujourd’hui, à la lumière de l’expérience acquise, de refondre ce règlement par des dispositions législatives adaptées aux défis d’un marché plus intégré et de l’élargissement futur de l’Union européenne. Conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5 [CE], le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif, qui est de faire en sorte que la concurrence ne soit pas faussée dans le marché commun, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

(7) Les articles 81 et 82 [CE], tout en étant applicables, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, à certaines concentrations, ne suffisent pas pour contrôler toutes les opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité [CE]. Le présent règlement devrait par conséquent être fondé non seulement sur l’article 83 [CE], mais principalement sur l’article 308 [CE], en vertu duquel la Communauté peut se doter des pouvoirs d’action additionnels nécessaires à la réalisation de ses objectifs, également en ce qui concerne les concentrations sur les marchés des produits agricoles énumérés à l’annexe I du traité [CE].

(8) Les dispositions à arrêter dans le présent règlement devraient s’appliquer aux modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières nationales d’un État membre. Ces concentrations devraient, en règle générale, être examinées exclusivement au niveau de la Communauté, en application du système du “guichet unique” et conformément au principe de subsidiarité. [...]

(9) Il convient de définir le champ d’application du présent règlement en fonction de l’étendue géographique de l’activité des entreprises concernées et de le limiter par des seuils quantitatifs afin de couvrir les concentrations qui revêtent une dimension communautaire. [...]

[...]

(20) Il est utile de définir la notion de concentration de telle sorte qu’elle couvre les opérations entraînant un changement durable du contrôle des entreprises concernées et donc de la structure du marché. Il convient par conséquent d’inclure dans le champ d’application du présent règlement toutes les entreprises communes accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome. Il convient en outre de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref.

[...]

(24) Pour garantir un régime dans lequel la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun, aux fins d’une politique menée conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, le présent règlement doit permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations du point de vue de leur effet sur la concurrence dans la Communauté. En conséquence, le règlement [no 4064/89] a établi le principe selon lequel les concentrations de dimension communautaire qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci serait entravée de manière significative devraient être déclarées incompatibles avec le marché commun. »

7 L’article 1er du règlement no 139/2004 fixe son champ d’application en ces termes :

« 1. Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 5, et de l’article 22, le présent règlement s’applique à toutes les concentrations de dimension communautaire telles qu’elles sont définies au présent article.

2. Une concentration est de dimension communautaire lorsque :

a) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’euros, et

b) le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’euros,

à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même État membre.

3. Une concentration qui n’atteint pas les seuils fixés au paragraphe 2 est de dimension communautaire lorsque :

a) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 2,5 milliards d’euros ;

b) dans chacun d’au moins trois États membres, le chiffre d’affaires total réalisé par toutes les entreprises concernées est supérieur à 100 millions d’euros ;

c) dans chacun d’au moins trois États membres inclus aux fins du point b), le chiffre d’affaires total réalisé individuellement par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 25 millions d’euros, et

d) le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 100 millions d’euros,

à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans la Communauté à l’intérieur d’un seul et même État membre.

[...] »

8 L’article 3 de ce règlement définit la notion de « concentration » dans les termes suivants :

« 1. Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :

a) de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou

b) de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.

2. Le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment :

a) des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ;

b) des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise.

3. Le contrôle est acquis par la ou les personnes ou entreprises :

a) qui sont titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ou

b) qui, n’étant pas titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ont le pouvoir d’exercer les droits qui en découlent.

[...] »

9 L’article 21 dudit règlement, intitulé « Application du règlement et compétence », énonce :

« 1. Le présent règlement est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3, et les règlements du Conseil (CE) no 1/2003 [,du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1)], [nos 1017/68, 4056/86 et 3975/87] ne sont pas applicables, sauf aux entreprises communes qui n’ont pas de dimension communautaire et qui ont pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel d’entreprises qui restent indépendantes.

2. Sous réserve du contrôle de la Cour [...], la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues au présent règlement.

3. Les États membres n’appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux concentrations de dimension communautaire.

[...] »

10 L’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, intitulé « Renvoi à la Commission », dispose :

« 1. Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension communautaire au sens de l’article 1er, mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande.

Une telle demande doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé. »

Le règlement no 1/2003

11 L’article 3 du règlement no 1/2003, intitulé « Rapport entre les articles [101] et [102 TFUE] et les droits nationaux de la concurrence », dispose :

« 1. [...] Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l’article [102 TFUE], elles appliquent également l’article [102 TFUE].

2. [...] Le présent règlement n’empêche pas les États membres d’adopter et de mettre en œuvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d’une entreprise.

3. Sans préjudice des principes généraux et des autres dispositions du droit [de l’Union], les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas lorsque les autorités de concurrence et les juridictions des États membres appliquent la législation nationale relative au contrôle des concentrations [...] »

12 L’article 5, premier alinéa, de ce règlement prévoit que « [l]es autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les [articles 101 et 102 TFUE] dans des cas individuels » et peuvent, à cette fin, adopter des décisions i) ordonnant la cessation d’une infraction, ii) ordonnant des mesures provisoires, iii) acceptant des engagements et iv) infligeant des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Le droit français

13 Aux termes de l’article L. 420-2du code de commerce :

« Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 4421 à L. 442-3ou en accords de gamme. »

14 L’article L. 490-9 du code de commerce énonce :

« Pour l’application des articles [101] à [103 TFUE], le ministre chargé de l’économie et les fonctionnaires qu’il a désignés ou habilités conformément aux dispositions du présent livre, d’une part, l’Autorité de la concurrence, d’autre part, disposent des pouvoirs respectifs qui leur sont reconnus par les articles du présent livre et du règlement [no 139/2004] et par le règlement [no 1/2003]. Les règles de procédure prévues par ces textes leur sont applicables. »

15 Le droit français prévoit en outre une procédure de contrôle obligatoire ex ante des opérations de concentration dans les conditions fixées par le code de commerce, l’article L. 430-1 de ce code définissant ce qu’est une concentration et l’article L. 430-2 fixant les seuils de chiffre d’affaires à partir desquels le contrôle national des concentrations est applicable.

16 L’article L. 430-9 du code de commerce dispose par ailleurs que « [l]’Autorité de la concurrence peut, en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique, enjoindre, par décision motivée, à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l’objet de la procédure prévue au présent titre ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

17 Le 13 octobre 2016, Télédiffusion de France (TDF), qui fournit en France des services de diffusion de la télévision numérique terrestre (TNT), a pris le contrôle exclusif d’Itas, société également active dans le secteur de la diffusion de la TNT, en acquérant l’intégralité des actions de cette dernière.

18 L’opération d’acquisition d’Itas, située en dessous des seuils définis à l’article 1er du règlement no 139/2004 et à l’article L. 430-2 du code de commerce, n’avait pas fait l’objet d’une notification, ni d’un examen au titre du contrôle préalable des concentrations. Cette opération n’a pas davantage donné lieu à une procédure de renvoi à la Commission en application de l’article 22 du règlement no 139/2004.

19 Le 15 novembre 2017, l’Autorité de la concurrence a été saisie par Towercast, société qui fournit des services de diffusion de la TNT en France, d’une plainte relative à une pratique mise en œuvre dans le secteur de la diffusion hertzienne terrestre. Towercast alléguait que la prise de contrôle d’Itas par TDF, le 13 octobre 2016, constituait un abus de position dominante, en ce qu’elle entravait la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion de la TNT en renforçant significativement la position dominante de TDF sur ces marchés.

20 Le 25 juin 2018, une notification de griefs a été adressée à TDF infrastructure et à TDF infrastructure Holding, ainsi qu’à Tivana France Holdings, à Tivana Midco et à Tivana Topco (ci-après, pris ensemble, « Tivana »), leur reprochant « à la date du 13 octobre 2016, en tant que constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, d’avoir abusé de la position dominante détenue par celle-ci sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT, en prenant le contrôle exclusif du groupe Itas », cette pratique étant susceptible d’avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT, pratique prohibée à l’article L.420-2 du code de commerce et à l’article 102 TFUE.

21 Par la décision no 20-D-01, du 16 janvier 2020, l’Autorité de la concurrence a décidé que le grief notifié contre les sociétés du groupe TDF n’était pas établi et qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure concernée. Adoptant une analyse différente de celle retenue par ses services d’instruction, cette autorité a considéré, en substance, que l’adoption du règlement no 4064/89 avait tracé une ligne de partage nette entre le contrôle des concentrations et le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et que le règlement no 139/2004, qui lui a succédé, s’appliquait à titre exclusif aux concentrations telles que définies à l’article 3 de ce règlement et rendait sans objet l’application de l’article 102 TFUE à une opération de concentration, en l’absence d’un comportement abusif de l’entreprise mise en cause détachable de cette opération.

22 Le 9 mars 2020, Towercast a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

23 À l’appui de ce recours, Towercast se fonde sur l’arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, EU:C:1973:22), arguant que, par cet arrêt, la Cour avait jugé que la Commission pouvait légalement appliquer aux opérations de concentration entre entreprises l’article 86 du traité CEE (devenu article 82 CE, lui-même devenu article 102 TFUE). Towercast estime que les principes énoncés dans cet arrêt sont toujours pertinents. L’institution d’un contrôle préalable des concentrations par les règlements nos 4064/89 et 139/2004 n’aurait pas rendu sans objet l’application de l’article 102 TFUE à une concentration qui ne revêt pas de dimension communautaire. Le règlement no 139/2004 ne s’appliquerait exclusivement que pour les concentrations qui se trouvent dans son champ d’application, c’est-à-dire celles de dimension communautaire ou renvoyées à la Commission par les autorités nationales de concurrence. Elle se prévaut de l’effet direct de l’article 102 TFUE et revendique, concernant les opérations de concentration situées sous les seuils, un contrôle ex post de compatibilité avec cet article.

24 L’Autorité de la concurrence maintient l’analyse développée dans sa décision devant la juridiction de renvoi, notamment concernant la portée de la jurisprudence issue de l’arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, EU:C:1973:22), laquelle est devenue, selon elle, sans objet depuis la création d’un régime spécifique de contrôle applicable aux opérations de concentration. Elle estime que le mécanisme ainsi instauré exclut, par essence, l’examen ex post applicable aux pratiques anticoncurrentielles. Elle fait valoir que l’article 3 du règlement no 139/2004 définit les opérations de concentration selon un critère matériel, sans référence aux seuils de l’article 1er de celui-ci, de sorte que son champ d’application ne saurait être restreint aux opérations de concentration de dimension communautaire, situées au-dessus de ces seuils.

25 La juridiction de renvoi relève que l’article 102 TFUE est une disposition d’effet direct dont l’application n’est pas subordonnée à l’adoption préalable d’un règlement procédural. Elle observe aussi que le considérant 7 du règlement no 139/2004 précise que « [l]es articles [101 et 102 TFUE], tout en étant applicables, selon la jurisprudence de la Cour [...], à certaines concentrations, ne suffisent pas pour contrôler toutes les opérations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussée visé par le traité ». Dès lors, elle s’interroge sur le fait de savoir si l’exclusion prévue à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 s’applique également aux opérations de concentration qui n’ont fait l’objet d’aucun contrôle ex ante.

26 La juridiction de renvoi fait observer que, si la Cour a indiqué, dans l’arrêt du 7 septembre 2017, Austria Asphalt (C 248/16, EU:C:2017:643), que le règlement no 139/2004 est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3 de ce règlement, pour lesquelles le règlement no 1/2003 ne trouve, en principe, pas à s’appliquer, la Cour n’a pas explicité les exceptions qui pourraient être apportées à ce principe et ne s’est pas prononcée sur le fait de savoir si l’interprétation retenue dans l’arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, EU:C:1973:22), est encore susceptible d’application, en particulier aux opérations de concentration situées en dessous des seuils de contrôle obligatoire, qui n’ont fait l’objet d’aucune analyse dans le cadre d’un contrôle ex ante obligatoire ni d’aucune demande de renvoi à la Commission en application de l’article 22 du règlement no 139/2004.

27 La juridiction de renvoi considère qu’un doute subsiste dès lors quant à l’interprétation qu’il convient de donner à ces dernières dispositions, concernant l’impossibilité de faire « en principe » une application autonome des règles de concurrence issues du droit primaire à une opération qui, comme en l’occurrence, premièrement, est susceptible de répondre à la définition donnée à l’article 3 du règlement no 139/2004, deuxièmement, n’a donné lieu à aucun contrôle préventif, tant sur le fondement du droit de l’Union que sur celui du droit national applicable aux opérations de concentration, et, troisièmement, ne s’expose ainsi, en raison du fait qu’une telle opération se situe en dessous des seuils de contrôle ex ante, à aucun risque d’application cumulative des règlements nos 139/2004 et 1/2003 ou de contradiction résultant d’une double analyse ex ante et ex post.

28 Cette juridiction relève, en outre, que l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 a été appliqué de façon hétérogène dans différents États membres.

29 C’est dans ces conditions que la cour d’appel de Paris (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 21, paragraphe 1, du règlement [no 139/2004] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une opération de concentration, dépourvue de dimension communautaire au sens de l’article 1er du règlement précité, située en dessous des seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission européenne en application de l’article 22 dudit règlement, soit analysée par une autorité nationale de concurrence comme constitutive d’un abus de position dominante prohibé par l’article 102 TFUE, au regard de la structure de la concurrence sur un marché de dimension nationale ? »

Sur la question préjudicielle

30 Par sa question, la juridiction de renvoi demande si l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une opération de concentration d’entreprises, dépourvue de dimension communautaire, au sens de l’article 1er de ce règlement, située en dessous des seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission en application de l’article 22 dudit règlement, soit analysée par une autorité nationale de concurrence comme constitutive d’un abus de position dominante prohibé à l’article 102 TFUE au regard de la structure de la concurrence sur un marché de dimension nationale.

31 Selon une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation [arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C 24/19, EU:C:2020:503, point 37 ainsi que jurisprudence citée].

32 S’agissant, tout d’abord, du libellé de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il en ressort que ce règlement « est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3 », pour lesquelles le règlement no 1/2003 ne trouve, en principe, pas à s’appliquer.

33 L’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 tend donc à régir le champ d’application de ce règlement en ce qui concerne l’examen des opérations de concentrations par rapport à celui des autres actes de droit dérivé de l’Union en matière de concurrence.

34 En revanche, l’examen du libellé de cette disposition ne répond pas à la question de savoir si les dispositions du droit primaire, et, en particulier, l’article 102 TFUE, demeurent applicables à une opération de concentration d’entreprises, au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004, notamment dans l’hypothèse, telle que celle en cause au principal, où la concentration concernée n’a, d’une part, pas atteint les seuils de contrôle prévus par le droit de l’Union ainsi que par les droits nationaux et, d’autre part, pas fait l’objet d’un renvoi à la Commission en vertu de l’article 22 de ce règlement, de telle sorte qu’aucun contrôle ex ante au regard du droit des concentrations n’a été effectué.

35 S’agissant, ensuite, de la genèse de l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement, cette disposition, qui reprend mutatis mutandis la teneur de l’article 22 du règlement no 4064/89, précédemment applicable, traduit la volonté du législateur de l’Union, rappelée au considérant 7 de ce dernier règlement, de préciser que les autres règlements mettant en œuvre le droit de la concurrence cessent, en principe, d’être applicables à l’ensemble des opérations de concentration, à savoir aussi bien aux opérations constitutives d’un abus de position dominante qu’aux opérations de concentration qui confèrent aux entreprises intéressées le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective dans le marché intérieur.

36 Enfin, s’agissant des objectifs et de l’économie générale du règlement no 139/2004, il y a lieu de relever que, ainsi que son considérant 5 l’énonce, ce règlement vise à garantir que les restructurations des entreprises, notamment sous la forme de concentrations, n’entraînent pas de préjudice durable pour la concurrence. Par conséquent, le droit de l’Union doit comporter des dispositions applicables aux concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Le législateur de l’Union a, à cet égard, entendu préciser que le règlement no 139/2004 constitue le seul instrument procédural applicable à l’examen préalable et centralisé des concentrations, qui, ainsi que le considérant 6 de celui-ci l’énonce, doit permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, point 21, et du 31 mai 2018, Ernst & Young, C 633/16, EU:C:2018:371, point 41).

37 Si, en vertu du système du « guichet unique » instauré par ce règlement, celui-ci constitue un instrument procédural spécifique ayant vocation à s’appliquer à titre exclusif aux concentrations d’entreprises impliquant des modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières nationales d’un État membre, ainsi qu’il ressort du considérant 8 dudit règlement, il ne saurait toutefois en être déduit que ce législateur a entendu rendre sans objet le contrôle opéré au niveau national d’une opération de concentration au regard de l’article 102 TFUE.

38 Il est ainsi précisé, au considérant 7 du règlement no 139/2004, que « [l]es articles [101] et [102 TFUE], tout en étant applicables, [...] ne suffisent pas pour contrôler toutes les opérations de concentrations qui risquent de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussé visé par le traité ».

39 Il ressort de cette dernière indication que, loin de priver les autorités compétentes des États membres de la possibilité de faire application des dispositions du traité en matière de concurrence aux concentrations, telles que définies à l’article 3 du règlement no 139/2004, ce dernier règlement fait partie d’un ensemble législatif visant à mettre en œuvre les articles 101 et 102 TFUE ainsi qu’à établir un système de contrôle garantissant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur de l’Union (arrêts du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, point 31, et du 31 mai 2018, Ernst & Young, C 633/16, EU:C:2018:371, point 55).

40 Il convient aussi de rappeler que, en vue de combler les lacunes du système de protection contre les distorsions de concurrence qui peuvent résulter des restructurations des entreprises, ce règlement a été adopté sur le fondement de l’article 83 CE (devenu article 103 TFUE), qui a trait aux règlements ou aux directives qui peuvent être pris en vue de l’application des principes figurant aux articles 101 et 102 TFUE, et de l’article 308 CE (devenu article 352 TFUE), en vertu duquel l’Union peut se doter des pouvoirs d’action additionnels nécessaires à la réalisation de ses objectifs. Si le fonctionnement et l’économie de la protection offerte par le droit de l’Union contre les distorsions de concurrence éventuellement induites par les opérations de concentration vont, pour des raisons de sécurité juridique, dans le sens d’une application prioritaire du mécanisme de contrôle préalable des concentrations telles que définies à l’article 3 du règlement no 139/2004, cela ne saurait pour autant exclure la possibilité pour une autorité de la concurrence d’appréhender, dans certaines circonstances, une opération de concentration sous l’angle de l’article 102 TFUE.

41 Il résulte ainsi de l’économie du règlement no 139/2004 que, bien que celui-ci mette en place un contrôle ex ante des opérations de concentration de dimension communautaire, il n’exclut pas pour autant un contrôle ex post des opérations de concentration n’atteignant pas ce seuil. S’il est vrai que l’article 3 de ce règlement retient une définition matérielle de la concentration d’entreprise sans référence aux seuils mentionnés dans ce dernier, ledit règlement doit être lu à la lumière de son contexte, et notamment de l’article 1er et des considérants 7 et 9 de celui-ci. Il en ressort, d’une part, que le même règlement ne s’applique qu’aux concentrations de dimension communautaire et, d’autre part, qu’il est admis que certaines concentrations peuvent, tout à la fois, échapper à un contrôle ex ante et faire l’objet d’un contrôle ex post.

42 L’interprétation défendue en l’occurrence par l’Autorité de la concurrence, Tivana et TDF ainsi que par les gouvernements français et néerlandais revient en définitive à écarter l’applicabilité directe d’une disposition du droit primaire en raison de l’adoption d’un acte de droit dérivé visant certains comportements d’entreprises sur le marché.

43 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 102 TFUE, est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

44 Il est bien établi que cet article est une disposition d’effet direct dont l’application n’est pas subordonnée à l’adoption préalable d’un règlement procédural. Ledit article engendre des droits à l’égard des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a., C 724/17, EU:C:2019:204, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

45 Dans ce contexte, il importe également de préciser que l’abus de position dominante n’est susceptible d’aucune exemption, de quelque façon que ce soit ; un tel abus est simplement interdit par le traité. Il incombe, selon les cas de figure, aux autorités nationales compétentes ou à la Commission de tirer les conséquences de cette interdiction dans le cadre de l’exercice de leurs compétences (arrêt du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU:C:1989:140, point 32).

46 S’agissant de la liste des pratiques et des comportements visés par l’article 102 TFUE, la Cour a jugé que celle-ci n’était pas limitative, de telle sorte que l’énumération des pratiques abusives figurant à cette disposition n’épuise pas les modes d’exploitation abusive de position dominante interdits par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, EU:C:1973:22, point 26, et du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, point 26).

47 Ainsi que la Commission l’a souligné, l’inapplicabilité du règlement no 1/2003, et en particulier de l’article 5 de celui-ci qui a trait à la compétence des autorités de concurrence des États membres pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux opérations de concentration définies à l’article 3 du règlement no 139/2004, ne saurait aboutir à interdire aux autorités nationales de concurrence d’appliquer l’article 102 TFUE à des concentrations.

48 En effet, nonobstant le principe d’application exclusive du règlement no 139/2004 aux opérations de concentration, énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement, c’est bien le droit procédural des États membres qui trouve à s’appliquer aux concentrations de dimension non communautaire.

49 Certes, l’application dans l’arrêt 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, EU:C:1973:22), de l’article 86 du traité CEE (devenu article 82 CE, lui-même devenu article 102 TFUE) dans le contexte spécifique des opérations de concentration a été utilisée et perçue comme un palliatif de l’absence dans le traité CEE de toute disposition explicite de contrôle de ces opérations. Cela étant, avec l’entrée en vigueur de dispositions autonomes relatives au contrôle des concentrations, telles qu’elles sont désormais prévues dans le règlement no 139/2004, le recours aux règles procédurales relatives à la mise en œuvre des articles 81 et 82 CE (devenus articles 101 et 102 TFUE), énoncées dans un premier temps par le règlement no 17, puis par le règlement no 1/2003, est devenu sans objet.

50 Ainsi, le règlement no 139/2004 ne saurait s’opposer à ce qu’une opération de concentration de dimension non communautaire, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, puisse faire l’objet d’un contrôle par les autorités nationales de concurrence et par les juridictions nationales au titre de l’effet direct de l’article 102 TFUE en recourant à leurs propres règles procédurales.

51 En effet, l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE est suffisamment claire, précise et inconditionnelle, de telle sorte qu’il n’est pas nécessaire de prévoir une règle de droit dérivé qui prévoit ou permet expressément son application par les autorités et les juridictions nationales.

52 Il s’ensuit qu’une opération de concentration n’atteignant pas les seuils de contrôle préalable prévus respectivement par le règlement no 139/2004 et par le droit national applicable peut se voir appliquer l’article 102 TFUE lorsque sont réunies les conditions prévues à cet article pour établir l’existence d’un abus de position dominante. Il appartient notamment à l’autorité saisie de vérifier que l’acquéreur qui est en position dominante sur un marché donné et qui a pris le contrôle d’une autre entreprise sur ce marché a, par ce comportement, entravé substantiellement la concurrence sur ledit marché. À cet égard, le seul constat du renforcement de la position d’une entreprise ne suffit pas pour retenir la qualification d’un abus, puisqu’il faut établir que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante (voir, en ce sens, arrêts 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, EU:C:1973:22, point 26, ainsi que du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C 395/96 P et C 396/96 P, EU:C:2000:132, point 113).

53 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une opération de concentration d’entreprises, dépourvue de dimension communautaire, au sens de l’article 1er de ce règlement, située en dessous des seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission en application de l’article 22 dudit règlement, soit analysée par une autorité de concurrence d’un État membre comme étant constitutive d’un abus de position dominante prohibé à l’article 102 TFUE au regard de la structure de la concurrence sur un marché de dimension nationale.

Sur la limitation des effets dans le temps du présent arrêt

54 TDF et Tivana ont demandé, dans leurs observations écrites et orales, à la Cour de limiter les effets dans le temps du présent arrêt si la Cour devait juger qu’une opération ne franchissant pas les seuils de contrôle des concentrations et ne faisant pas l’objet d’un renvoi à la Commission sur le fondement de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être analysée au regard de l’article 102 TFUE.

55 À l’appui de leur demande, TDF et Tivana font valoir, en substance, qu’un tel arrêt engendrerait des conséquences graves en termes de sécurité juridique non seulement pour elles, mais également pour l’ensemble des entreprises ayant de bonne foi réalisé des opérations de concentration sous les seuils, opérations qui seraient désormais susceptibles d’être mises en cause devant les autorités ou les juridictions nationales sur le fondement de l’article 102 TFUE.

56 Il convient de rappeler, à cet égard, que, conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle du droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis la date de son entrée en vigueur. Il s’ensuit que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de cette règle se trouvent réunies [arrêt du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C 510/19, EU:C:2020:953, point 73 et jurisprudence citée].

57 Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves [arrêt du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C 510/19, EU:C:2020:953, point 74 et jurisprudence citée].

58 En l’occurrence, s’agissant, en premier lieu, du critère relatif à la bonne foi des milieux intéressés, il y a lieu de constater que l’interprétation du droit de l’Union donnée par la Cour dans le présent arrêt s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence bien établie de la Cour et de celle du Tribunal relative à l’effet direct de l’article 102 TFUE et aux conséquences qui s’y attachent. TDF et Tivana ne sauraient utilement faire valoir qu’elles pouvaient s’attendre à ce que l’opération de concentration en cause dans l’affaire au principal ne serait pas examinée sous l’angle de l’article 102 TFUE en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée juridique de cet article du traité FUE.

59 En second lieu, il convient de relever que ni la demande de décision préjudicielle ni les observations déposées devant la Cour ne contiennent d’élément de nature à établir que l’interprétation retenue par la Cour dans le présent arrêt comporterait un risque de troubles graves, faute d’indication précise quant au nombre de rapports juridiques susceptibles d’être affectés par cette interprétation.

60 En outre, l’interprétation du droit de l’Union donnée par la Cour dans le présent arrêt porte sur la possibilité pour une autorité nationale de concurrence d’examiner sous l’angle de l’article 102 TFUE une opération de concentration dépourvue de dimension communautaire, au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004, située en dessous des seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission en application de l’article 22 de ce règlement. Une telle interprétation n’implique pas nécessairement qu’une telle opération serait menacée d’être remise en cause, portant ainsi atteinte au droit de propriété et emportant des conséquences financières considérables.

61 Partant, l’existence d’un risque de troubles graves de nature à justifier une limitation des effets dans le temps du présent arrêt ne saurait davantage être considérée comme établie.

62 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

Sur les dépens

63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 21, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’une opération de concentration d’entreprises, dépourvue de dimension communautaire, au sens de l’article 1er de ce règlement, située en dessous des seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission européenne en application de l’article 22 dudit règlement, soit analysée par une autorité de concurrence d’un État membre comme étant constitutive d’un abus de position dominante prohibé à l’article 102 TFUE au regard de la structure de la concurrence sur un marché de dimension nationale.