CJUE, 3e ch., 16 mars 2023, n° C-127/21 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
American Airlines Inc.
Défendeur :
Commission européenne, Delta Air Lines Inc.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Jürimäe
Juges :
M. Safjan, M. Piçarra, M. Jääskinen, M. Gavalec
Avocat général :
M. Rantos
Avocats :
Me Poitras, Me Ruiz Calzado, Me Wileur, Me Angeli, Me Demetriou, Me Giles
LA COUR (troisième chambre),
1 Par son pourvoi, American Airlines Inc. demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2020, American Airlines/Commission (T 430/18, ci–après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:603), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2018) 2788 final de la Commission, du 30 avril 2018, accordant des droits d’antériorité à Delta Air Lines (affaire M.6607 – US Airways/American Airlines) (ci–après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 L’article 10 du règlement (CEE) no 95/93 du Conseil, du 18 janvier 1993, fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté (JO 1993, L 14, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 793/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004 (JO 2004, L 138, p. 50) (ci–après le « règlement sur les créneaux horaires »), intitulé « Pool de créneaux horaires », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. Une série de créneaux horaires attribuée à un transporteur aérien pour l’exploitation d’un service aérien régulier ou d’un service aérien non régulier programmé n’ouvre pas à ce transporteur un droit à la même série de créneaux lors de la période suivante de planification horaire équivalente, à moins qu’il ne puisse démontrer, à la satisfaction du coordonnateur, qu’il a exploité ces créneaux, avec l’autorisation du coordonnateur, pendant au moins 80 % du temps au cours de la période de planification horaire pour laquelle ils ont été attribués.
3. Les créneaux horaires attribués à un transporteur aérien avant le 31 janvier pour la saison d’été suivante ou avant le 31 août pour la saison d’hiver suivante, mais qui sont restitués au coordonnateur avant ces dates, ne sont pas pris en considération pour le calcul de l’utilisation. »
3 Le considérant 30 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1, ci–après le « règlement sur les concentrations »), est rédigé comme suit :
« Lorsque les entreprises concernées modifient une concentration notifiée, notamment en présentant des engagements afin de la rendre compatible avec le marché commun, la Commission devrait pouvoir déclarer cette concentration, telle qu’elle est modifiée, compatible avec le marché commun. Ces engagements devraient être proportionnels au problème de concurrence et le résoudre entièrement. Il y a lieu également d’accepter des engagements au cours de la première phase de la procédure lorsque le problème de concurrence est aisément identifiable et qu’il peut être facilement résolu. Il convient de prévoir expressément que la Commission peut assortir sa décision de conditions et de charges pour garantir que les entreprises concernées respectent effectivement leurs engagements dans les délais requis de manière à rendre la concentration compatible avec le marché commun. La transparence et la consultation effective des États membres, ainsi que des parties tierces intéressées, devraient être assurées pendant toute la procédure. »
4 Aux termes de l’article 20, paragraphe 1 bis, du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 (JO 2004, L 133, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 172, p. 9), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) no 1269/2013 de la Commission, du 5 décembre 2013 (JO 2013, L 336, p. 1) (ci-après le « règlement d’application ») :
« Outre les obligations établies au paragraphe 1, les entreprises concernées, lorsqu’elles proposent des engagements visés à l’article 6, paragraphe 2, ou à l’article 8, paragraphe 2, du [règlement sur les concentrations], fournissent en même temps un original des informations et des documents requis dans le formulaire RM relatif aux mesures correctives (formulaire RM) figurant à l’annexe IV du présent règlement, ainsi que le nombre de copies précisés périodiquement par la Commission au Journal officiel de l’Union européenne. Ces informations doivent être exactes et complètes. »
5 Les points 5, 7 et 9 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement no 139/2004 et au règlement no 802/2004 (JO 2008, C 267, p. 1, ci-après la « communication de la Commission concernant les mesures correctives »), sont ainsi libellés :
« 5. Lorsqu’une concentration soulève des problèmes de concurrence, en ce qu’elle est susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, les parties peuvent chercher à la modifier afin de résoudre les problèmes de concurrence et voir ainsi l’opération autorisée. Ces modifications peuvent être pleinement mises en œuvre avant que la décision d’autorisation ne soit arrêtée. Toutefois, il est plus courant que les parties soumettent des engagements propres à rendre la concentration compatible avec le marché commun et que ces engagements soient exécutés après obtention de l’autorisation.
[...]
7. La Commission doit apprécier si les mesures correctives, une fois mises en œuvre, mettront fin aux problèmes de concurrence recensés. Seules les parties possèdent toutes les informations pertinentes nécessaires aux fins d’une telle appréciation, notamment en ce qui concerne la faisabilité des engagements soumis ainsi que la viabilité et la compétitivité des actifs dont elles proposent la cession. Il leur incombe donc de fournir toutes les informations nécessaires pour permettre à la Commission d’apprécier les mesures correctives présentées. À cet effet, le règlement d’application oblige les parties notifiantes à fournir, avec leurs engagements, des informations circonstanciées sur le contenu de ces engagements, à préciser les conditions de leur exécution et à démontrer qu’ils sont de nature à supprimer toute entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective, ainsi que cela est prévu en annexe du règlement d’application (“formulaire RM”). En ce qui concerne les engagements consistant en la cession d’une activité, les parties doivent décrire en détail, notamment, le fonctionnement de l’activité à céder au moment de l’opération. Ces informations doivent permettre à la Commission d’apprécier la viabilité, la compétitivité et la valeur marchande de l’activité en comparant son fonctionnement du moment à sa portée proposée dans le cadre des engagements. La Commission pourra adapter les exigences spécifiques en fonction des informations nécessaires dans le cas d’espèce et se mettra à la disposition des parties pour discuter du contenu des informations requises avant la transmission du formulaire RM.
[...]
9. Conformément au règlement sur les concentrations, la Commission n’est habilitée à accepter que les engagements qu’elle estime de nature à rendre la concentration notifiée compatible avec le marché commun et, partant, à empêcher une entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective. Les engagements doivent résoudre entièrement les problèmes de concurrence [...] et être complets et efficaces à tous points de vue [...]. Ils doivent en outre pouvoir être exécutés de façon effective et dans des délais rapides, les conditions de concurrence sur le marché n’étant pas préservées tant qu’ils ne sont pas réalisés. »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
6 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 69 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.
La décision d’autorisation
La procédure administrative ayant mené à la décision d’autorisation
7 Le 18 juin 2013, US Airways Group Inc. et AMR Corporation (ci-après, ensemble, les « parties à la fusion »), la seconde étant la société mère d’American Airlines, ont notifié à la Commission européenne leur intention de procéder à une fusion.
8 La Commission a estimé que cette opération suscitait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en ce qui concernait la liaison entre les aéroports de London Heathrow (Royaume-Uni) (ci–après « LHR ») et Philadelphia International Airport (États-Unis) (ci–après « PHL ») (ci-après, ensemble, la « paire d’aéroports »).
9 Afin de répondre aux doutes sérieux exprimés par la Commission concernant ladite opération, les parties à la fusion ont proposé des engagements les 10 et 14 juillet 2013. Ces deux propositions ont été rejetées par la Commission, les 12 et 15 juillet 2013, qui a exigé que des droits d’antériorité (grandfathering rights) « du type de ceux » proposés dans l’affaire COMP/M.6447 – IAG/bmi (ci-après l’« affaire IAG/bmi ») soient inscrits dans ces engagements aux fins d’écarter tout doute sérieux posé par l’opération de concentration. Le 16 juillet 2013, les parties à la fusion ont présenté une troisième proposition d’engagements incluant notamment des droits d’antériorité.
10 Après plusieurs échanges portant, notamment, sur les droits d’antériorité, le 25 juillet 2013, les parties à la fusion ont présenté à la Commission leur proposition d’engagements finaux sur les créneaux horaires (ci-après les « engagements finaux »). Les clauses 1.9 à 1.11 des engagements finaux étaient libellées en des termes identiques à ceux des clauses 1.9 à 1.11 de la proposition d’engagements du 16 juillet 2013.
11 Le 30 juillet 2013, les parties à la fusion ont fait suivre le formulaire RM relatif aux engagements finaux à la Commission. Dans un tel formulaire, dont le contenu est précisé à l’annexe IV du règlement d’application, les entreprises sont censées indiquer les renseignements et les documents qu’elles fournissent lorsqu’elles proposent des engagements conformément à l’article 6, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations.
12 À cet égard, à la section 1, point 1.1, sous (i), du formulaire RM relatif aux engagements finaux, les parties à la fusion ont indiqué ce qui suit :
« L’engagement relatif aux créneaux horaires est essentiellement fondé sur la pratique de la Commission dans les affaires les plus récentes concernant des fusions de compagnies aériennes telles que [l’affaire] IAG/bmi. En particulier, pour rendre la mesure corrective plus attrayante, les engagements proposés comprennent des dispositions relatives à des droits d’antériorité sur les créneaux horaires libérés par les [parties à la fusion] une fois que le nouvel entrant a exploité un service sans escale sur la paire d’aéroports pendant six saisons consécutives. »
13 À la section 3 dudit formulaire, sous l’intitulé « Écart par rapport aux textes types », les parties à la fusion étaient censées signaler tout écart entre les engagements proposés et les modèles d’engagements publiés par les services de la Commission, révisés périodiquement, et en expliquer les raisons. Les parties à la fusion ont indiqué ce qui suit :
« Les engagements proposés par les [parties à la fusion] s’écartent des textes des modèles d’engagements publiés par les services de la Commission dans la mesure nécessaire pour répondre aux exigences spécifiques d’une mesure corrective structurelle dans le contexte particulier du transport aérien.
Comme indiqué lors des discussions précédentes, les engagements proposés sont basés sur les engagements acceptés par la Commission dans d’autres affaires de concentration entre compagnies aériennes. En particulier, ils sont pour la plupart basés sur les engagements proposés dans [l’affaire] IAG/bmi.
Afin de faciliter l’évaluation des engagements proposés, les [parties à la fusion] identifient ci-dessous les points sur lesquels les engagements proposés s’écartent des engagements acceptés dans [l’affaire] IAG/bmi. Ces points n’incluent pas les variantes linguistiques mineures ou les clarifications requises par les circonstances particulières du présent cas, en particulier dans la section relative aux définitions. »
14 En ce qui concerne les dispositions relatives aux droits d’antériorité, aucun écart par rapport aux engagements acceptés dans l’affaire IAG/bmi n’a été identifié dans le formulaire RM relatif aux engagements finaux.
La décision d’autorisation
15 Par la décision C(2013) 5232 final, du 5 août 2013 (affaire COMP/M.6607 – US Airways/American Airlines) (JO 2013, C 279, p. 6, ci–après la « décision d’autorisation »), adoptée en application de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement sur les concentrations, lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement, la Commission a déclaré l’opération de fusion compatible avec le marché intérieur, moyennant certaines conditions et obligations à respecter.
16 Au paragraphe 160 de la décision d’autorisation, le contenu des engagements finaux relatif aux droits d’antériorité était résumé ainsi :
« En règle générale, les créneaux obtenus par l’entrant potentiel en vertu des engagements finaux doivent être utilisés pour fournir un service régulier de transport aérien de passagers sans escale sur la paire d’aéroports [LHR-PHL] et ne peuvent être utilisés sur une autre paire de villes que si l’entrant potentiel a exploité ce service pendant la période d’utilisation (six saisons [au sens de l’Association internationale du transport aérien] IATA consécutives). Une fois la période d’utilisation écoulée, l’entrant potentiel aura le droit d’utiliser les créneaux sur n’importe quelle paire de villes (“droits d’antériorité”). Toutefois, l’octroi de droits d’antériorité est assujetti à l’approbation de la Commission, conseillée par le mandataire indépendant. »
17 Aux paragraphes 176, 178 à 181, 186 et 197 à 199 de la décision d’autorisation, dans le cadre de son analyse des engagements finaux, la Commission a fait les constatations suivantes :
« (176) Selon la jurisprudence des juridictions de l’Union européenne, les engagements doivent être susceptibles d’éliminer les problèmes de concurrence constatés et d’assurer des structures de marché concurrentielles. En particulier, contrairement à ceux qui sont pris au cours de la procédure de phase II, les engagements proposés au cours de la phase I ne visent pas à empêcher une entrave significative à une concurrence effective, mais plutôt à dissiper clairement tous les doutes sérieux à cet égard. La Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer si ces mesures correctives constituent une réponse directe et suffisante capable de dissiper ces doutes.
[...]
(178) Selon l’appréciation de la Commission, les engagements finaux lèvent tous les doutes sérieux identifiés au cours de la procédure. Partant, la Commission conclut que les engagements finaux [...] sont suffisants pour éliminer les doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur.
(179) Dans les affaires concernant les compagnies aériennes, les engagements de libération de créneaux horaires sont acceptables pour la Commission lorsqu’il est suffisamment clair que l’entrée effective de nouveaux concurrents se produira, ce qui éliminera toute entrave significative à une concurrence effective [...].
(180) L’engagement relatif aux créneaux horaires est fondé sur le fait que la disponibilité des créneaux horaires à [LHR] est la principale barrière à l’entrée sur la liaison [LHR-PHL] pour laquelle des doutes sérieux ont été identifiés. Il est donc conçu pour supprimer (ou du moins réduire sensiblement) cette barrière et pour permettre une entrée suffisante, en temps utile et probable, sur la liaison [LHR-PHL].
(181) Il est également important de noter que les créneaux horaires de [LHR] ont en soi une valeur très importante, ce qui rend l’engagement relatif aux créneaux horaires très attrayant pour les candidats à l’entrée sur le marché. Dans le paquet des engagements, l’attractivité intrinsèque des créneaux est renforcée par la perspective d’acquérir des droits d’antériorité après six saisons IATA.
[...]
(186) Compte tenu de ce qui précède et des autres éléments de preuve disponibles, en particulier l’intérêt et les indications concernant une entrée probable et en temps utile reçues lors de la consultation des acteurs du marché, la Commission conclut que l’engagement relatif aux créneaux horaires est un élément clé de l’entrée probable et en temps utile sur la liaison [LHR-PHL]. L’ampleur de l’entrée sur cette ligne suffira à lever les doutes sérieux qui ont été identifiés sur ce marché (sur tous les segments de passagers possibles).
[...]
(197) En vertu de l’article 6, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, du règlement sur les concentrations, la Commission peut assortir sa décision de conditions et d’obligations visant à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à l’égard de la Commission en vue de rendre la concentration compatible avec le marché intérieur.
(198) [...] Lorsqu’une condition n’est pas remplie, la décision de la Commission n’est plus valable. Lorsque les entreprises concernées commettent un manquement à une obligation, la Commission peut révoquer la décision d’autorisation [en question] conformément à l’article 8, paragraphe 6, du règlement sur les concentrations [...]
(199) [...] [L]a décision [d’autorisation] est subordonnée au respect intégral des exigences énoncées aux sections 1, 2, 3 et 4 des engagements finaux (conditions), tandis que les autres sections des engagements finaux constituent des obligations pour les parties. »
18 Au paragraphe 200 de la décision d’autorisation, il était précisé que les engagements finaux étaient annexés à cette décision et faisaient partie intégrante de cette dernière. Enfin, au paragraphe 201 de la décision d’autorisation, la Commission a conclu qu’elle avait décidé de déclarer la transaction notifiée, telle que modifiée par les engagements finaux, compatible avec le marché intérieur, « sous réserve du respect intégral des conditions et obligations prévues dans les engagements finaux annexés à la présente décision ».
Les engagements finaux
19 Au premier alinéa du préambule des engagements finaux, les parties à la fusion rappellent qu’elles ont souscrit à ces derniers afin de permettre à la Commission de déclarer la fusion compatible avec le marché intérieur.
20 Au troisième alinéa de ce préambule, il est précisé ce qui suit :
« Le présent texte doit être interprété à la lumière de la décision [d’autorisation], pour autant que les engagements constituent des conditions et des obligations attachées à cette dernière, dans le cadre général du droit de l’Union européenne, en particulier à la lumière du règlement sur les concentrations, et par référence à la communication de la Commission concernant les mesures correctives. »
21 Dans la section intitulée « Définitions » des engagements finaux, un certain nombre de termes sont définis comme suit :
– les termes « droits d’antériorité » sont définis par un renvoi à la clause 1.10 ;
– les termes « usage abusif » sont définis par un renvoi à la clause 1.13 ;
– les termes « période d’utilisation » sont définis par un renvoi à la clause 1.9, avec la précision suivant laquelle cette période devrait être de six saisons IATA consécutives.
22 Les clauses 1.9 à 1.11 des engagements finaux stipulent ce qui suit :
« 1.9 En règle générale, les créneaux obtenus par l’entrant potentiel au terme de la procédure de libération de créneaux sont utilisés uniquement pour fournir un service aérien concurrentiel sur la paire d’aéroports. Les créneaux ne peuvent être utilisés sur une autre paire de villes à moins que l’entrant potentiel n’ait exploité un service sans escale sur la paire d’aéroports d’une manière conforme à l’offre présentée en application de la clause 1.24 pendant un nombre de saisons IATA complètes consécutives (“période d’utilisation”).
1.10 L’entrant potentiel est réputé avoir des droits d’antériorité sur les créneaux obtenus lorsqu’un usage approprié des créneaux a été fait sur la paire d’aéroports pendant la période d’utilisation. À cet égard, à l’expiration de la période d’utilisation, l’entrant potentiel est en droit d’utiliser les créneaux obtenus sur la base des présents engagements sur n’importe quelle paire de villes (“droits d’antériorité”).
1.11 L’antériorité est soumise à l’approbation de la Commission conseillée par le mandataire indépendant à la fin de la période d’utilisation [...] »
23 La clause 1.13 des engagements finaux prévoit ce qui suit :
« Pendant la période d’utilisation, un usage abusif est réputé s’être produit lorsqu’un entrant potentiel ayant obtenu des créneaux libérés par les parties [à la fusion] décide :
[...]
b) d’exploiter un moins grand nombre de fréquences que celui auquel il s’est engagé dans l’offre conformément à la clause 1.24 ou de cesser l’exploitation sur la paire d’aéroports, à moins que cette décision ne soit compatible avec le principe “créneaux utilisés ou créneaux perdus” de l’article 10, paragraphe 2, du [règlement sur les créneaux horaires] (ou toute suspension de celui–ci) ;
[...] »
24 La clause 1.24 des engagements finaux concerne le nombre de fréquences que l’entrant a décidé d’exploiter, tandis que les clauses 1.26 et 1.27 de ceux-ci ont trait aux critères d’évaluation de l’offre de l’entrant.
La décision de la Commission relative à l’attribution des créneaux horaires à Delta
25 Le 9 octobre 2014, Delta Air Lines Inc. (ci-après « Delta ») a présenté une offre formelle pour l’attribution de créneaux horaires conformément à la clause 1.24 des engagements finaux. D’après son dossier de candidature, elle entendait exploiter une fréquence quotidienne sur la liaison entre les aéroports LHR et PHL (ci-après la « liaison LHR-PHL ») durant six saisons IATA consécutives à compter de l’été 2015.
26 Delta était la seule compagnie aérienne ayant présenté une offre pour l’attribution de créneaux horaires au titre des engagements finaux.
27 Par décision du 6 novembre 2014, la Commission, après avoir évalué la viabilité de Delta et son offre formelle en application des clauses 1.21 et 1.26 des engagements finaux, a déclaré qu’elle était, premièrement, indépendante des parties à la fusion et sans lien avec elles et qu’elle avait épuisé son propre portefeuille de créneaux horaires à LHR au sens de la clause 1.21 des engagements finaux et, deuxièmement, un concurrent potentiel viable des parties à la fusion sur la paire d’aéroports pour laquelle elle avait demandé des créneaux horaires au titre de ces engagements, ayant la capacité, les ressources et la volonté d’exploiter les services sur la liaison LHR-PHL à long terme en représentant une force concurrentielle viable.
28 Le 17 décembre 2014, American Airlines et Delta ont présenté à la Commission l’accord de libération de créneaux que les deux sociétés devaient conclure en vue d’octroyer à Delta les créneaux horaires qu’elle demandait sur la liaison LHR-PHL au titre des engagements finaux.
29 Par décision du 19 décembre 2014, la Commission a, conformément au rapport du mandataire indépendant du 17 décembre 2014, approuvé cet accord de libération de créneaux. Cette décision prévoyait que Delta était tenue d’utiliser les créneaux horaires exploités précédemment par US Airways Group pour fournir un service de vols sans escale sur la liaison LHR-PHL. Ladite décision énonçait par ailleurs que Delta serait réputée avoir des droits d’antériorité lorsqu’un usage approprié de ces créneaux horaires aurait été fait pendant la période d’utilisation, moyennant l’accord de la Commission, et que, quand la Commission aurait approuvé les droits d’antériorité, Delta conserverait les créneaux horaires délivrés et aurait le droit de les utiliser sur n’importe quelle paire de villes.
30 Delta a commencé à exploiter la liaison LHR-PHL au début de la saison de planification horaire IATA de l’été 2015.
31 Le 28 septembre 2015, American Airlines a envoyé une lettre au mandataire indépendant pour lui indiquer que, Delta n’ayant pas exploité les créneaux horaires correctifs d’une manière conforme à son offre, elle n’avait pas fait un « usage approprié » de ces créneaux durant les saisons d’été 2015 et d’hiver 2015/2016 et que, de ce fait, ces saisons ne devaient pas être comptabilisées pour l’acquisition de droits d’antériorité.
32 Par la suite, plusieurs échanges ont eu lieu, notamment entre American Airlines et la Commission, dans lesquels American Airlines faisait savoir que Delta continuait de ne pas respecter les termes de son offre et ne pouvait donc pas prétendre à l’acquisition de droits d’antériorité.
La décision litigieuse
33 Le 30 avril 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté que Delta avait fait un usage approprié des créneaux horaires durant la période d’utilisation et a approuvé l’octroi de droits d’antériorité à cette dernière en application de la clause 1.10 des engagements finaux.
34 Sur la base d’une interprétation des termes, du contexte et de l’objectif des engagements finaux, la Commission a conclu, dans la décision litigieuse, que les termes « usage approprié » ne sauraient être compris dans le sens d’un « usage conforme à l’offre », mais qu’ils devaient être interprétés comme une « absence d’usage abusif » des créneaux horaires, au sens de la clause 1.13 des engagements finaux.
35 En particulier, après avoir constaté, tout d’abord, que les termes « usage approprié » n’étaient pas définis dans les engagements finaux, la Commission a précisé, dans la décision litigieuse, qu’il convenait d’interpréter ces termes « à l’aune de l’objet et du contexte des engagements [finaux] ».
36 S’agissant de l’objet des engagements finaux, la Commission a considéré qu’ils visaient à dissiper les doutes sérieux quant à la compatibilité de la fusion avec le marché intérieur et que la clause 1.9 de ces engagements avait pour objet de restaurer la concurrence sur la liaison LHR-PHL en établissant un service aérien concurrentiel.
37 En ce qui concerne le contexte des engagements finaux, la Commission a rappelé que les droits d’antériorité visaient à inciter un entrant potentiel à exploiter la liaison LHR-PHL. Or, pour être incité à entrer, l’entrant potentiel devait bénéficier de critères clairs et vérifiables, excluant toute considération arbitraire.
38 Étant donné que, dans le langage ordinaire, un usage « abusif » peut être assimilé à un usage « non approprié » et que, dans les engagements finaux, les termes « usage abusif » étaient définis alors que les termes « usage approprié » ne l’étaient pas, la Commission en a conclu que, afin de donner au potentiel nouvel entrant des indications claires et vérifiables, il convenait d’interpréter les termes « usage approprié » comme équivalant à une « absence d’usage abusif », au sens de la clause 1.13 des engagements finaux.
39 Ensuite, la Commission a réfuté, dans la décision litigieuse, la thèse selon laquelle il conviendrait d’interpréter les termes « usage approprié » comme visant un « usage conforme à l’offre ».
40 À cet égard, selon la décision litigieuse, premièrement, assimiler un « usage approprié » à un « usage conforme à l’offre » impliquerait une exigence quasiment impossible à remplir.
41 Deuxièmement, la Commission a considéré que la thèse selon laquelle seules des « annulations pour des raisons opérationnelles extraordinaires » seraient compatibles avec un « usage conforme à l’offre » ne saurait être retenue. D’une part, un tel critère serait trop vague pour assurer la sécurité juridique pour le nouvel entrant potentiel. D’autre part, un tel critère ne trouverait pas d’appui dans le texte des engagements finaux.
42 Troisièmement, l’interprétation des termes « usage approprié » comme signifiant un « usage conforme à l’offre » rendrait les engagements finaux beaucoup moins attrayants pour un nouvel entrant.
43 Quatrièmement, un niveau d’utilisation des créneaux horaires à hauteur de 80 % étant la règle de facto dans le secteur de l’aviation, l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les créneaux horaires établissant le principe « créneaux utilisés ou créneaux perdus », selon lequel, pour qu’un transporteur aérien puisse exploiter les créneaux horaires attribués lors de la période suivante, il doit démontrer qu’il a exploité ces créneaux pendant au moins 80 % du temps au cours de la période de planification horaire pour laquelle ils ont été attribués (ci-après la « règle des 80/20 »), il serait déraisonnable d’exiger du nouvel entrant potentiel un taux d’utilisation s’élevant à 100 %.
44 Cinquièmement, il résulterait du formulaire RM relatif aux engagements finaux que, pour ce qui concerne les droits d’antériorité, ces engagements étaient largement comparables, à quelques « clarifications et variantes linguistiques mineures » près, à ceux en cause dans l’affaire IAG/bmi. Or, dans les engagements en cause dans cette dernière affaire, l’« usage conforme à l’offre » n’était pas une condition pour acquérir les droits d’antériorité. Partant, l’expression « d’une manière conforme à l’offre » dans les engagements finaux constituerait une simple « variante linguistique mineure » par rapport aux engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi.
45 Sixièmement, il serait contraire à l’économie des dispositions en cause d’interpréter les termes « usage approprié », figurant dans la clause 1.10 des engagements finaux, à la lumière de la clause 1.9 desdits engagements, cette dernière ayant pour objet d’identifier l’objectif de l’engagement, à savoir fournir un service aérien concurrentiel sur la liaison, tandis que les droits d’antériorité seraient définis à la clause 1.10.
46 Enfin, la Commission a examiné, dans la décision litigieuse, si Delta avait fait un usage abusif des créneaux horaires, au sens de la clause 1.13 des engagements finaux, afin de déterminer si des droits d’antériorité devaient lui être octroyés. À cet égard, la Commission a considéré que l’usage de ces créneaux, malgré une sous-exploitation de ceux-ci, avait été conforme à la règle des 80/20. Constatant que Delta n’avait pas fait un usage abusif des créneaux horaires, au sens de la clause 1.13 des engagements finaux, la Commission en a conclu que, conformément à la recommandation écrite du mandataire indépendant, Delta avait fait un usage approprié des créneaux horaires durant la période d’usage et a approuvé l’octroi de droits d’antériorité à celle-ci, conformément à la clause 1.10 des engagements finaux.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
47 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 juillet 2018, American Airlines a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, en invoquant deux moyens. Le premier moyen était tiré d’erreurs de droit commises par la Commission dans l’interprétation des termes « usage approprié » figurant dans les engagements finaux. Par son second moyen, American Airlines soutenait que la Commission n’avait pas tenu compte de tous les éléments pertinents pour l’octroi de droits d’antériorité à Delta.
48 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours d’American Airlines dans son intégralité et a condamné cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
49 En ce qui concerne le premier moyen, s’agissant, en premier lieu, de l’interprétation littérale de la notion d’« usage approprié », le Tribunal a estimé, aux points 103 et 104 de l’arrêt attaqué, que l’assimilation entre « usage approprié » et « absence d’usage abusif » était conciliable avec le libellé des dispositions concernées. Toutefois, le Tribunal a constaté, aux points 105 et 106 de l’arrêt attaqué, que l’interprétation avancée par American Airlines, selon laquelle l’« usage approprié » visait un « usage conforme à l’offre », tout en réservant à la Commission une certaine marge d’appréciation à cet égard, était également conciliable avec une interprétation littérale de la notion d’« usage approprié ». Le Tribunal en a donc déduit, au point 107 de l’arrêt attaqué, qu’une interprétation de cette dernière notion sur la seule base du libellé des engagements finaux n’était pas concluante.
50 Le Tribunal a précisé, aux points 109 à 125 de l’arrêt attaqué, les principes qu’il y avait lieu d’appliquer aux fins de l’interprétation de la notion d’« usage approprié » et de l’expression « conforme à l’offre », au sens des engagements finaux. Le Tribunal a d’abord relevé qu’il convenait de tenir compte non seulement des termes des engagements finaux, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie. Ensuite, il a rappelé qu’il convenait de tenir compte également des règles d’interprétation spécifiques précisées dans les engagements finaux eux-mêmes, qui font référence à la décision d’autorisation, au cadre général du droit de l’Union, en particulier au règlement sur les concentrations et à la communication de la Commission concernant les mesures correctives. Par ailleurs, selon le Tribunal, les engagements finaux devaient être interprétés également au regard du formulaire RM relatif aux engagements finaux puisqu’un tel formulaire contient les renseignements et les documents nécessaires pour permettre à la Commission d’examiner si les engagements soumis par des parties à une fusion sont de nature à rendre la concentration compatible avec le marché intérieur. Enfin, le Tribunal a considéré que le règlement sur l’attribution des créneaux horaires faisant partie du « cadre général du droit de l’Union », il convenait d’en tenir compte aux fins de l’interprétation de la notion d’« usage approprié ».
51 En deuxième lieu, s’agissant de l’interprétation systématique des termes « usage approprié » figurant à la clause 1.10 des engagements finaux, le Tribunal a considéré, aux points 201 à 249 de l’arrêt attaqué, que cette notion pouvait être comprise comme correspondant à une absence d’« usage abusif », au sens de la clause 1.13 desdits engagements.
52 À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 209 de l’arrêt attaqué, que, dans la mesure où les parties à la fusion étaient censées introduire des droits d’antériorité « du type de ceux » proposés dans l’affaire IAG/bmi, conformément à la manière selon laquelle étaient structurés ces engagements, les dispositions relatives à l’« usage abusif » étaient pertinentes pour l’octroi de droits d’antériorité. Par ailleurs, le Tribunal a estimé, au point 220 de cet arrêt, que l’ajout de l’incise « conforme à l’offre », comprise comme une définition « de fait » de l’antériorité par American Airlines, s’écartait textuellement de façon notable de la manière selon laquelle les dispositions correspondantes des engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi étaient structurées. Le Tribunal en a déduit, aux points 232 et 233 de l’arrêt attaqué, qu’il résultait de l’examen relatif à la pertinence des indications figurant dans le formulaire RM relatif aux engagements finaux que l’incise « conforme à l’offre » n’était qu’une « variante linguistique mineure » et que, partant, l’approche d’American Airlines selon laquelle cette formulation constituait une condition substantielle pour l’octroi de droits d’antériorité ne pouvait pas être retenue.
53 En troisième lieu, s’agissant de l’interprétation des termes « usage approprié » figurant à la clause 1.10 des engagements finaux à l’aune du contexte de cette disposition et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie, le Tribunal a confirmé, aux points 250 à 292 de l’arrêt attaqué, l’interprétation retenue par la Commission dans la décision litigieuse selon laquelle la notion d’« usage approprié » correspondait à une « absence d’usage abusif », au sens de la clause 1.13 des engagements finaux.
54 D’une part, le Tribunal a estimé, aux points 253 à 278 de l’arrêt attaqué, que l’octroi des droits d’antériorité poursuivait l’objectif de rendre les créneaux horaires plus attrayants, en visant à inciter un entrant à reprendre ces créneaux pour rendre ainsi suffisamment probable le fait que ces engagements soient effectivement mis en œuvre. Ainsi, le Tribunal a rejeté la thèse d’American Airlines relative à la « pression concurrentielle maximale », au motif que celle-ci ne trouvait pas d’appui dans la décision d’autorisation ni dans les dispositions des engagements finaux et qu’elle était inconciliable avec la nature même des droits d’antériorité.
55 D’autre part, le Tribunal a considéré, aux points 279 et 280 de l’arrêt attaqué, que le règlement sur les créneaux horaires fournissait un contexte général pour interpréter la notion d’« usage approprié » comme correspondant à une « absence d’usage abusif ». Il a estimé que l’usage, par Delta, de ses créneaux horaires pendant la période d’utilisation avait d’ailleurs été conforme aux exigences imposées à l’article 10, paragraphes 2 et 3, de ce règlement.
56 Le Tribunal a conclu, au point 293 de l’arrêt attaqué, que les termes « usage approprié » figurant à la clause 1.10 des engagements finaux avaient été correctement interprétés par la Commission comme signifiant une « absence d’usage abusif », au sens de la clause 1.13 desdits engagements.
57 En ce qui concerne le second moyen du recours, le Tribunal a estimé, au point 303 de l’arrêt attaqué, que, dans la mesure où l’appréciation des différents éléments invoqués au soutien de ce moyen était dépourvue de pertinence pour apprécier l’existence d’un « usage abusif » au sens de la clause 1.13 des engagements finaux, ledit moyen devait être rejeté.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
58 Par acte déposé au greffe de la Cour le 26 février 2021, American Airlines a formé un pourvoi contre l’arrêt attaqué.
59 Par son pourvoi, American Airlines demande à la Cour :
– de suspendre et d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler la décision litigieuse ;
– à titre subsidiaire, si cela est jugé nécessaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen conformément à l’arrêt de la Cour, et
– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure ainsi que de la procédure devant le Tribunal.
60 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner American Airlines aux dépens.
61 Delta demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité et de condamner American Airlines aux dépens de la présente procédure ainsi que de la procédure devant le Tribunal.
Sur le pourvoi
62 Au soutien de son pourvoi, American Airlines invoque un moyen unique, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal lorsqu’il a jugé que la notion d’« usage approprié », au sens de la clause 1.10 des engagements finaux, devait être interprétée comme signifiant une « absence d’usage abusif ». Par ailleurs, le Tribunal aurait confirmé à tort la décision d’octroyer des droits d’antériorité à Delta dès lors que celle-ci n’aurait pas exploité les créneaux horaires accordés.
63 Ce moyen se divise en trois branches. Par la première branche, American Airlines soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte, lors de l’interprétation des termes « usage approprié », des objectifs respectivement du règlement sur les concentrations, de la communication de la Commission concernant les mesures correctives et des engagements conclus entre les parties à la fusion proprement dits. Par la deuxième branche, elle fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en considérant que la notion d’« usage approprié » devait être interprétée comme signifiant « absence d’usage abusif ». Par la troisième branche, American Airlines allègue que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation du formulaire RM relatif aux engagements finaux et de la clause 1.9 de ces engagements, en particulier en ce qui concerne les conséquences juridiques à tirer des termes « conforme à l’offre ».
Sur la première branche du moyen unique
Argumentation des parties
64 Par la première branche de son moyen unique, American Airlines conteste, en substance, l’interprétation téléologique et contextuelle retenue par le Tribunal, aux points 250 à 292 de l’arrêt attaqué, de la notion d’« usage approprié », au sens de la clause 1.10 des engagements finaux. American Airlines soutient à cet égard que le Tribunal n’a pas tenu compte, lors de l’interprétation des termes « usage approprié », premièrement, des objectifs du règlement sur les concentrations et des mesures correctives prises au titre de ce règlement, deuxièmement, des objectifs spécifiques des engagements finaux et, troisièmement, du cadre correctif complet créé par ces engagements.
65 En premier lieu, American Airlines fait valoir que, pour déterminer s’il a été fait un « usage approprié » des créneaux horaires correctifs, il est nécessaire d’apprécier si l’usage concret des créneaux horaires est conciliable avec l’objectif des engagements, tel que prévu au considérant 30 du règlement sur les concentrations et au point 9 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives, qui est de « résoudre entièrement » les problèmes de concurrence. Selon elle, dès lors que l’arrêt attaqué fait abstraction de ces éléments dans son analyse, celui-ci est entaché d’une erreur manifeste d’interprétation.
66 En deuxième lieu, American Airlines soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de la notion d’« usage approprié » en n’ayant pas tenu compte de l’objectif particulier poursuivi par les engagements finaux et en mettant l’accent sur l’objectif des droits d’antériorité. À cet égard, American Airlines reproche au Tribunal, tout d’abord, de n’avoir pas fait référence, au point 30 de l’arrêt attaqué, aux éléments essentiels des conclusions de la Commission sur lesdits engagements, mentionnés aux paragraphes 176, 178 à 181, 186 et 197 à 199 de la décision litigieuse.
67 Ensuite, American Airlines reproche au Tribunal de n’avoir pas appliqué le critère de l’efficacité de la mesure corrective lors de l’interprétation de la notion d’« usage approprié » alors que Delta n’avait pas utilisé 470 créneaux horaires correctifs. En effet, ainsi qu’il ressortirait de la jurisprudence citée au point 120 de l’arrêt attaqué, les engagements doivent constituer une réponse directe et suffisante de nature à dissiper clairement tous les doutes sérieux sur l’opération en cause.
68 Par ailleurs, American Airlines soutient que le Tribunal, aux points 250 à 278 de l’arrêt attaqué, a tenu uniquement compte de l’objectif des droits d’antériorité d’améliorer l’attractivité intrinsèque des créneaux horaires, sans apprécier l’objectif même des engagements finaux, qui est de compenser la perte de concurrence résultant de l’abandon du service quotidien d’une des parties à la fusion, en garantissant le caractère suffisant de l’entrée des concurrents sur la liaison LHR-PHL. Elle avance à cet égard que la question de savoir si l’utilisation effective des créneaux horaires remplit ou non cet objectif est un élément essentiel de toute décision en matière de droits d’antériorité.
69 Enfin, American Airlines fait valoir que le Tribunal a confondu, aux points 266 et 267 de l’arrêt attaqué, l’objet et la finalité de l’antériorité avec la condition de l’« usage approprié » pour bénéficier de ces droits. Selon elle, dans la mesure où l’objet de la partie des engagements finaux relative aux créneaux horaires était de reproduire le service quotidien d’une des parties à la fusion pour résoudre entièrement le problème de concurrence, l’usage concret de ces créneaux afin d’atteindre cet objectif est non seulement pleinement conciliable avec la détermination de l’« usage approprié » et la décision d’octroyer ou non des droits d’antériorité, mais constitue un aspect essentiel de cette analyse.
70 En troisième lieu, American Airlines reproche au Tribunal de n’avoir pas tenu compte, lors de l’interprétation contextuelle de la notion d’« usage approprié », de l’ensemble des dispositions pertinentes des engagements finaux qui seraient nécessaires pour aboutir à une interprétation juridique correcte de cette notion. À cet égard, elle se réfère, notamment, aux clauses 1.1, 1.10, 1.11, 1.24, 1.26 et 1.27 desdits engagements. Ces dispositions, considérées ensemble, formeraient un système cohérent permettant d’atteindre le principal objectif poursuivi par la mesure corrective établie, qui serait de « résoudre entièrement » le problème de concurrence. En particulier, elle conteste l’analyse effectuée par le Tribunal, aux points 245 à 248 de l’arrêt attaqué, de ces considérations qui, selon elle, ont été présentées de manière incomplète dans cet arrêt.
71 Par ailleurs, American Airlines soutient qu’une prise en compte incomplète du contexte interne pertinent des engagements finaux aurait de profondes répercussions sur le niveau d’exploitation des créneaux horaires exigé. À cet égard, elle soutient que, lorsqu’un entrant s’écarte, comme c’est le cas en l’espèce, des conditions de son offre sur la base desquelles des créneaux horaires lui ont été attribués, la Commission doit, afin de déterminer si l’entrant a fait un « usage approprié » des créneaux horaires correctifs, examiner les raisons pour lesquelles l’entrant s’est écarté de son offre et déterminer si ces écarts sont justifiés, compte tenu de l’objectif et de la teneur des engagements, mais aussi des éléments d’analyse et d’appréciation économiques pertinents. Si la Commission avait retenu cette approche, Delta se serait efforcée d’éviter tout écart injustifié par rapport aux modalités de son offre en respectant le principe pacta sunt servanda, ce qui aurait contribué à résoudre les problèmes de concurrence résultant de la fusion. Elle relève que ces considérations sont corroborées par le point 54 du rapport du mandataire indépendant, du 13 avril 2018, adressé à la Commission au sujet de l’attribution de droits d’antériorité à Delta.
72 Enfin, American Airlines soutient que le Tribunal a commis une erreur manifeste d’interprétation, aux points 279 à 292 de l’arrêt attaqué, en considérant que l’« interprétation contextuelle » des engagements finaux devait être effectuée à la lumière du règlement sur les créneaux horaires.
73 La Commission conteste ces allégations d’American Airlines et fait valoir que le Tribunal a examiné de manière exhaustive, dans l’arrêt attaqué, tant les objectifs du règlement sur les concentrations et les mesures correctives prises au titre de ce règlement que les engagements finaux.
74 Pour sa part, Delta soulève l’irrecevabilité de la présente branche au motif qu’American Airlines se borne à réitérer les arguments déjà invoqués en première instance sans effectuer une analyse précise de l’arrêt attaqué.
Appréciation de la Cour
75 En ce qui concerne la recevabilité de la première branche du moyen unique mise en cause par Delta, il y a lieu de rappeler qu’il résulte, notamment, de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de la décision dont l’annulation est demandée, ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. La Cour a itérativement jugé, à cet égard, qu’un pourvoi est irrecevable dans la mesure où, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt du Tribunal, il se limite à répéter les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant cette juridiction, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par celle-ci. En effet, un tel pourvoi constitue, en réalité, une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour sur pourvoi (arrêt du 20 janvier 2022, Roumanie/Commission, C 899/19 P, EU:C:2022:41, point 48).
76 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des points 64 à 72 du présent arrêt, l’argumentation à l’appui de la première branche du moyen unique d’American Airlines vise de manière explicite l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal dans l’interprétation téléologique et contextuelle de la notion d’« usage approprié » et fait, à cet égard, référence de façon claire et précise aux points de l’arrêt attaqué qu’elle entend critiquer, à savoir les points 245 à 278 de celui-ci, ainsi qu’aux arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette branche.
77 Par conséquent, l’exception d’irrecevabilité de la présente branche soulevée par Delta, au motif qu’American Airlines se limiterait à répéter les arguments invoqués devant le Tribunal, doit être rejetée.
78 Sur le fond, il convient de relever qu’il ressort du considérant 30 du règlement sur les concentrations et des points 5 et 9 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives que, lorsqu’une opération de concentration soulève des problèmes de concurrence, en ce qu’elle est susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective, les parties à la fusion peuvent proposer des mesures correctives, prises au titre du règlement sur les concentrations et appelées « engagements », afin de résoudre les problèmes constatés par la Commission. De plus, le considérant 30 du règlement sur les concentrations précise que les engagements pourront être acceptés au cours de l’enquête préliminaire (phase I) lorsque le problème de concurrence est aisément identifiable et qu’il peut être facilement résolu.
79 Ainsi les engagements, d’une part, ont pour finalité de résoudre entièrement les problèmes de concurrence constatés par la Commission, de telle sorte que l’opération de concentration en question n’entrave pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective. D’autre part, en particulier, les engagements pris au cours de l’enquête préliminaire, comme c’est le cas des engagements finaux, ont pour objet de dissiper tous les doutes sérieux quant à la question de savoir si la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective au sein du marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci.
80 En premier lieu, force est de constater que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a dûment examiné les objectifs du règlement sur les concentrations et des mesures correctives prises au titre de ce règlement.
81 À cet égard, le Tribunal a tout d’abord relevé, au point 110 de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne l’interprétation des dispositions des engagements finaux, qu’il convenait de tenir compte non seulement des termes de celles-ci, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie. Le Tribunal a précisé, aux points 111 et 112 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait également de tenir compte des règles spécifiques d’interprétation contenues au troisième alinéa des engagements finaux selon lesquelles lesdits engagements doivent être interprétés à la lumière de la décision d’autorisation, dans le cadre général du droit de l’Union, et, en particulier, à la lumière du règlement sur les concentrations et par référence à la communication de la Commission concernant les mesures correctives.
82 Ensuite, le Tribunal a rappelé, aux points 117 et 120 de l’arrêt attaqué, que, pour que les engagements soient susceptibles d’être acceptés par la Commission, ceux-ci doivent rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur. Les remèdes qui résultent de ces engagements devront être suffisamment viables et durables pour que la création ou le renforcement d’une position dominante ou les entraves à une concurrence effective, que ces engagements ont pour finalité d’empêcher, ne soient pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche. Le Tribunal a précisé que, s’agissant des engagements pris au cours de la phase préliminaire, ceux-ci sont, eu égard à leur portée et à leur contenu, de nature à permettre à la Commission d’adopter une décision d’approbation sans ouvrir la phase de l’enquête approfondie, dans la mesure où lesdits engagements ont permis à la Commission de considérer que ceux-ci constituaient une réponse directe et suffisante de nature à dissiper clairement tous les doutes sérieux.
83 Enfin, dans le cadre de l’interprétation téléologique de la notion d’« usage approprié » à laquelle il s’est livré, le Tribunal a rappelé, au point 255 de l’arrêt attaqué, que les parties à la fusion avaient souscrit à des engagements afin de permettre à la Commission de constater qu’ils dissipaient ses doutes sérieux et de déclarer ainsi la fusion compatible avec le marché intérieur.
84 Il s’ensuit qu’American Airlines ne saurait faire valoir que le Tribunal n’a pas tenu compte, lors de l’interprétation des termes « usage approprié » figurant dans la clause 1.10 des engagements finaux, des objectifs du règlement sur les concentrations et des mesures correctives prises au titre de ce règlement. En effet, le fait que le Tribunal n’a pas explicitement mentionné, dans l’arrêt attaqué, le considérant 30 du règlement sur les concentrations et le point 9 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives ne signifie pas qu’il n’a pas pour autant tenu compte des objectifs des engagements qui ressortent de la réglementation applicable. Cette argumentation doit donc être rejetée.
85 En deuxième lieu, American Airlines fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de la notion d’« usage approprié », en ce qu’il n’a pas tenu compte de l’objectif particulier poursuivi par les engagements finaux consistant à résoudre entièrement les problèmes de concurrence crées par la fusion.
86 À cet égard, il suffit de constater qu’American Airlines part de la prémisse erronée selon laquelle l’objectif spécifique des engagements finaux, établi pour que l’opération de concentration en cause puisse être compatible avec le marché intérieur, consiste à reproduire entièrement le service quotidien exploité antérieurement par l’une des parties à la fusion.
87 En effet, ainsi qu’il ressort du point 79 du présent arrêt, l’objectif des engagements souscrits par les parties à la fusion, tel que prévu par le règlement sur les concentrations, consiste à dissiper les doutes sérieux soulevés par la Commission quant à la compatibilité avec le marché intérieur de l’opération de concentration en cause.
88 Par ailleurs, l’octroi de droits d’antériorité dans le cadre desdits engagements, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 76 de ses conclusions, ne poursuivait pas un objectif propre mais visait à contribuer à l’objectif général de ces engagements de résoudre les problèmes de concurrence sur la liaison LHR-PHL, en rendant l’offre des créneaux en cause plus attrayante pour les compagnies aériennes qui auraient été incitées à entrer sur cette liaison avec un service aérien concurrentiel.
89 Dans ce contexte, il y a lieu de relever que, premièrement, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 266 et 267 de l’arrêt attaqué, la nature même des droits d’antériorité est inconciliable avec l’argument de la requérante selon lequel il convient d’interpréter la notion d’« usage approprié » de manière à assurer une « pression concurrentielle maximale ». En effet, l’octroi de droits d’antériorité implique pour l’entrant la possibilité d’utiliser les créneaux sur n’importe quelle liaison aéroportuaire après une période d’exploitation de six saisons IATA. Cela étant, l’inclusion de droits d’antériorité dans les engagements finaux ne peut pas poursuivre l’objectif de créer une pression concurrentielle maximale sur la liaison LHR-PHL.
90 Deuxièmement, il convient de constater que les engagements finaux ne précisent pas le nombre particulier de fréquences que l’entrant potentiel était tenu d’exploiter. En effet, d’une part, la clause 1.1 des engagements finaux se borne à indiquer le nombre maximal de créneaux horaires correctifs libérés, mais pas le nombre de fréquences que l’entrant potentiel doit exploiter. D’autre part, la clause 1.13, sous b), des engagements finaux, relative à l’« usage abusif », se limite à mentionner le nombre de fréquences qui doit être exploité afin que l’exploitation d’un moins grand nombre de fréquences que celui que l’entrant potentiel a proposé d’utiliser ne soit pas considéré comme un « usage abusif ». Par ailleurs, cette clause précise que l’utilisation des créneaux horaires doit être compatible avec la règle des 80/20.
91 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 71 et 72 de ses conclusions, l’objectif de ces engagements est de reproduire non pas le service quotidien qui était assuré par les parties à la fusion avant cette opération, mais la pression concurrentielle exercée par celles-ci avant ladite opération. La reproduction de ce service quotidien ne serait pas non plus une condition préalable à l’octroi de droits d’antériorité à l’entrant ou aux entrants potentiels. En effet, la cession des créneaux horaires à un nouvel entrant envisagée par les engagements finaux vise à ce que cet entrant puisse les utiliser dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquaient aux parties à la fusion antérieurement à celle-ci.
92 De plus, une exigence d’utilisation totale des créneaux horaires ne serait pas cohérente avec l’objectif spécifique des engagements finaux qui est, ainsi qu’il ressort du point 87 du présent arrêt, de permettre une entrée suffisante, en temps utile et probable, d’un entrant potentiel sur cette liaison.
93 Troisièmement, ainsi qu’il ressort du paragraphe 180 de la décision d’autorisation, la disponibilité des créneaux horaires était la principale barrière à l’entrée sur cette liaison pour laquelle des doutes sérieux avaient été identifiés et, par conséquent, cette décision constate que les engagement finaux avaient pour objectif de supprimer ou de réduire sensiblement cette barrière à l’entrée à LHR afin de permettre une entrée suffisante, en temps utile et probable, d’un entrant potentiel sur ladite liaison.
94 Il convient donc de rejeter l’argumentation d’American Airlines selon laquelle l’objectif des engagements finaux est de garantir que le problème lié à la perte de concurrence, résultant de l’abandon du service quotidien exploité précédemment par l’une des parties à la fusion, soit « entièrement résolu » au moyen d’une reproduction de ce service quotidien.
95 En outre, American Airlines ne saurait reprocher au Tribunal d’avoir tenu uniquement compte de l’objectif poursuivi par l’octroi de droits d’antériorité consistant à renforcer l’attractivité des créneaux horaires correctifs, en négligeant l’objectif plus large des engagements finaux qui est de veiller à la mise en place d’une solution effective aux problèmes de concurrence posés par la concentration notifiée.
96 À cet égard, en effet, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort du point 88 du présent arrêt, l’octroi de droits d’antériorité ne poursuivait pas un objectif propre, mais visait à contribuer à la réalisation de l’objectif général des engagements finaux consistant à résoudre entièrement les problèmes de concurrence sur la liaison LHR-PHL.
97 C’est donc sans commettre d’erreur que le Tribunal a considéré, aux points 257 à 261 de l’arrêt attaqué, que l’inclusion des droits d’antériorité dans les engagements finaux visait à inciter un entrant à reprendre les créneaux horaires, pour rendre ainsi suffisamment probable le fait que ces engagements soient effectivement mis en œuvre sur la liaison LHR-PHL, en contribuant ainsi à l’objectif commun desdits engagements, à savoir la résolution des problèmes de concurrence constatés par la Commission. Le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en tenant compte particulièrement de l’objectif poursuivi par l’octroi des droits d’antériorité en vue de l’interprétation de la notion d’« usage approprié » visée à la clause 1.10 des engagements finaux.
98 Enfin, dans la mesure où il a été constaté, aux points 87 à 96 du présent arrêt, que l’objectif spécifique des engagements finaux n’était pas de garantir l’exploitation maximale des créneaux horaires de manière à assurer une « pression concurrentielle maximale », l’argumentation d’American Airlines selon laquelle le Tribunal n’a pas tenu compte, au point 30 de l’arrêt attaqué, des éléments essentiels des engagements finaux ressortant de la décision d’autorisation ne saurait prospérer.
99 En troisième lieu, American Airlines soutient que le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation contextuelle de la notion d’« usage approprié » du fait qu’il s’est limité à examiner la clause 1.13 des engagements finaux de manière isolée sans prendre en considération le cadre correctif complet de ces engagements, notamment les clauses 1.1, 1.10, 1.11, 1.24, 1.26 et 1.27 de ceux-ci.
100 À cet égard, il convient de constater qu’il ressort expressément de ces clauses que celles-ci visent des modalités de mise en œuvre des engagements finaux qui ne sont pas susceptibles de déterminer si l’entrant a fait un usage approprié des créneaux horaires attribués pour l’octroi des droits d’antériorité. En effet, le nombre maximal de créneaux horaires correctifs libérés (clause 1.1), le nombre de fréquences que l’entrant a décidé d’exploiter (clause 1.24), les critères d’évaluation de l’offre de l’entrant (clauses 1.26 et 1.27) et le fait que l’octroi de l’antériorité est soumis à l’approbation de la Commission conseillée par le mandataire indépendant à la fin de la période d’utilisation (clause 1.11) n’apportent pas de critères pertinents pour déterminer si l’utilisation de l’offre a été « appropriée ». Ainsi, comme l’a relevé à juste titre le Tribunal au point 248 de l’arrêt attaqué, les dispositions régissant l’offre du nouvel entrant et l’évaluation de cette offre sont pertinentes non pas pour l’octroi de droits d’antériorité mais aux fins de l’octroi de créneaux horaires correctifs.
101 Par ailleurs, ainsi qu’il a déjà été mentionné au point 90 du présent arrêt, la seule disposition des engagements finaux qui concerne effectivement l’utilisation des créneaux horaires est la clause 1.13, sous b), de ces engagements qui détermine le nombre de fréquences qui doit être exploité afin qu’un moins grand nombre de fréquences que celui que l’entrant potentiel a proposé d’utiliser ne soit pas considéré comme constitutif d’un « usage abusif ». Cette utilisation doit être compatible avec la règle des 80/20. Il ressort donc de la lecture de cette clause que l’entrant potentiel n’était pas obligé d’utiliser la totalité des créneaux horaires correctifs dont il a sollicité l’utilisation, comme American Airlines le prétend.
102 En tout état de cause, aucune des clauses des engagements finaux mentionnées par American Airlines n’exige que l’entrant potentiel s’engage à utiliser la totalité des créneaux horaires correctifs dont il a sollicité l’utilisation ni à justifier un quelconque écart par rapport à son offre. Par conséquent, il convient également de rejeter l’argument d’American Airlines selon lequel une interprétation plus complète des dispositions des engagements finaux aurait eu des répercussions sur le niveau d’exploitation des créneaux horaires exigé.
103 Enfin, dès lors que la clause 1.13, sous b), des engagements finaux prévoit que, pour déterminer si l’entrant a fait un « usage abusif » des créneaux horaires attribués, cette utilisation doit être compatible avec le principe « créneaux utilisés ou créneaux perdus », visé à l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les créneaux horaires, le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur en considérant que l’interprétation contextuelle des engagements finaux devait être effectuée à la lumière du règlement sur les créneaux horaires.
104 De plus, l’interprétation contextuelle de la notion d’« usage approprié » à la lumière du règlement sur les créneaux horaires est justifiée dans la mesure où le troisième alinéa du préambule des engagements finaux précise que ceux-ci doivent être interprétés, entre autres, dans le « cadre général du droit de l’Union ». C’est dès lors à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 124 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait de tenir compte du règlement sur les créneaux horaires, celui-ci faisant partie du « cadre général du droit de l’Union ».
105 S’agissant de l’argumentation d’American Airlines relative aux erreurs commises par le Tribunal aux points 279 à 292 de l’arrêt attaqué, celle-ci faisant plutôt partie des allégations soulevées dans le cadre de la deuxième branche du moyen unique, elle sera examinée ci-après.
106 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la première branche du moyen unique du pourvoi.
Sur la deuxième branche du moyen unique
Argumentation des parties
107 Par la deuxième branche de son moyen unique, American Airlines fait valoir que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la notion d’« usage approprié » devait être interprétée comme équivalant à une « absence d’usage abusif ».
108 À cet égard, American Airlines avance, en premier lieu, que l’application du critère relatif à une « absence d’usage abusif » pour l’interprétation de la notion d’« usage approprié » aboutit à un niveau d’usage des créneaux horaires qui est incompatible avec les objectifs des engagements finaux poursuivis par les parties à la fusion.
109 En particulier, American Airlines conteste l’appréciation du Tribunal, au point 291 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le fait que le taux d’exploitation des créneaux horaires par Delta oscille entre 76,4 % et 81 % ne saurait signifier que l’objet des engagements finaux a été compromis. En effet, selon la requérante, chaque fois qu’un créneau horaire correctif n’a pas été utilisé, l’objectif du règlement sur les concentrations, visant à « résoudre entièrement » le problème de concurrence, n’a pas été atteint et constitue une « entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective ». Dans la mesure où Delta n’aurait pas assuré 470 services (au total, allers et retours) sur la liaison LHR-PHL, l’objectif particulier établi par les engagements finaux n’aurait pas été atteint puisque ces créneaux n’auraient finalement été assurés par aucune compagnie aérienne. Ce résultat constituerait donc un indice important de ce que la notion d’« absence d’usage abusif » ne serait pas équivalente à celle d’« usage approprié ».
110 Selon la requérante, bien que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour examiner si les engagements constituent une réponse suffisante et capable de dissiper tous les doutes sérieux, elle ne saurait pas modifier ces engagements contraignants par le biais d’une interprétation de la notion d’« usage approprié » qui n’est pas compatible avec les objectifs et les conditions de ceux-ci.
111 En second lieu, American Airlines soutient que le Tribunal a commis d’autres erreurs dans l’arrêt attaqué lorsqu’il a considéré que la notion d’« usage approprié » devait être entendue comme une « absence d’usage abusif ».
112 Premièrement, elle soutient que le Tribunal s’est fondé à tort, aux points 95, 103, 104 et 207 de l’arrêt attaqué, sur le sens ordinaire des termes « usage abusif » pour considérer que celui-ci était conciliable avec la notion d’« usage approprié ». American Airlines avance à cet égard que le Tribunal aurait dû reconnaître que le sens ordinaire des termes « usage abusif » couvrait toute situation où des promesses faites en vue d’obtenir un avantage juridique, notamment des droits d’antériorité, n’ont pas été respectées sans justification suffisante, ce qui serait le cas en l’espèce.
113 Deuxièmement, American Airlines fait valoir que le Tribunal s’est fondé à tort, aux points 209 et 210 de l’arrêt attaqué, sur le fait que les dispositions relatives à l’« usage abusif » apparaissaient dans la section relative à l’« octroi des droits d’antériorité sur les créneaux » des engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi et a erronément considéré que ces termes signifiaient « usage inapproprié ». La requérante relève à cet égard que, dans la présente affaire, les engagements finaux ne contiennent pas ledit titre. Par ailleurs, selon elle, cette section des engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi qui était censée concerner les « droits d’antériorité » viserait en réalité d’autres aspects dénués de pertinence pour interpréter la notion d’« usage approprié ».
114 Troisièmement, American Airlines soutient que le Tribunal n’a pas analysé de manière cohérente et complète la considération selon laquelle la clause 1.13 des engagements finaux relative à la notion d’« usage abusif » fournirait le critère pour déterminer ce qu’il faut entendre par « usage approprié ». Elle relève que les motifs pour lesquels le Tribunal a considéré que cette disposition fournissait le critère pour déterminer la portée de la notion d’« usage approprié » se trouvent dans différentes parties de l’arrêt attaqué et que, partant, ce procédé constituerait un indice de la défaillance de cette analyse.
115 Quatrièmement, American Airlines fait valoir que le Tribunal a considéré à tort, au point 279 de l’arrêt attaqué, que le règlement sur les créneaux horaires fournit le « contexte » pour interpréter la notion d’« usage approprié » comme signifiant une « absence d’usage abusif ». Elle soutient, tout d’abord, que cette considération n’est pas conciliable avec le libellé du troisième alinéa du préambule des engagements finaux, dans la mesure où cette disposition ne mentionne pas ce règlement parmi les textes à l’aune desquels doivent être interprétés ces engagements, alors qu’il est toutefois cité dans d’autres parties desdits engagements. Ensuite, elle avance que l’objectif du règlement sur les créneaux horaires ne correspond pas aux objectifs des mesures correctives du règlement sur les concentrations et des mesures correctives particulières adoptées dans la présente affaire. Enfin, elle maintient que le Tribunal n’a pas expliqué, au point 281 de l’arrêt attaqué, pourquoi ce règlement devrait définir les conditions de l’« usage approprié », ni comment.
116 La Commission, soutenue par Delta, conteste les allégations d’American Airlines.
Appréciation de la Cour
117 En premier lieu, American Airlines soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en appliquant le critère relatif à une « absence d’usage abusif » pour l’interprétation de la notion d’« usage approprié ». Cette interprétation aboutirait ainsi à retenir un niveau d’usage des créneaux horaires qui serait incompatible avec les objectifs mêmes des engagements finaux. À cet égard, il a déjà été relevé aux points 86 à 94 du présent arrêt, d’une part, que l’objectif des mesures correctives établies en l’espèce est de faciliter l’entrée de concurrents sur la liaison LHR-PHL, et non pas de reproduire entièrement le service quotidien exploité antérieurement par l’une des parties à la fusion. D’autre part, le texte des engagements finaux n’établit pas un nombre de fréquences concret qui devrait être exploité par l’entrant potentiel pour assurer une concurrence effective.
118 Or, il y a lieu de constater que c’est plutôt l’obligation d’utilisation des créneaux horaires attribués aux fins de l’octroi des droits d’antériorité, défendue par American Airlines, qui, par conséquent, serait contraire aux dispositions et aux objectifs des engagements finaux et qui risquerait de compromettre leur efficacité.
119 En effet, premièrement, une exigence d’utilisation totale des créneaux horaires attribués à l’entrant, mentionnée au point 89 du présent arrêt, serait contraire à la réglementation sectorielle applicable en matière de créneaux horaires, visée à la clause 1.13 des engagements finaux et en vertu de laquelle il faut respecter la règle des 80/20. Ainsi, l’imposition à l’entrant d’un taux d’exploitation supérieur à cette règle signifierait que Delta serait soumise à des conditions d’exploitation plus strictes que celles auxquelles les parties à la fusion étaient soumises avant cette opération et qui s’appliqueraient à American Airlines après celle-ci.
120 Deuxièmement, cette exigence d’exploitation maximale des créneaux horaires attribués à l’entrant méconnaîtrait la réglementation applicable et l’objectif des engagements finaux qui est de garantir une concurrence effective sur la liaison LHR-PHL. En effet, dans la mesure où l’entrant se verrait imposer un taux d’exploitation plus important que celui de ses concurrents parties à la fusion, qui bénéficieraient de la règle des 80/20, Delta n’exercerait pas ses activités sur un pied d’égalité avec son principal concurrent, American Airlines.
121 Troisièmement, soumettre l’entrant à une telle exigence d’exploitation des créneaux horaires serait contraire, ainsi qu’il ressort du point 92 du présent arrêt, à l’objectif spécifique des engagements finaux qui est de faciliter l’entrée des concurrents sur la liaison LHR-PHL en rendant plus attrayante celle-ci du fait de l’octroi de droits d’antériorité. En effet, l’imposition d’un taux d’utilisation supérieur à la règle des 80/20 pourrait avoir pour résultat un effet dissuasif, en réduisant, voire en annulant, l’efficacité de la partie des engagements finaux relative aux créneaux horaires. Dans de telles circonstances, les engagements des parties à la fusion n’auraient pas permis de dissiper tout doute sérieux quant à la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur, au sens du paragraphe 179 de la décision d’autorisation.
122 Quatrièmement, l’interprétation défendue par American Airlines porterait préjudice non seulement à l’entrant, mais également aux tiers qui reprennent les activités des parties à la fusion qui, ainsi que le Tribunal l’a relevé à juste titre aux points 125 et 275 de l’arrêt attaqué, sont déterminées dans une large mesure par les engagements finaux. En effet, dans la mesure où les conditions de la reprise des telles activités sont déterminées par les engagements, ceux-ci auraient une incidence sur leurs choix commerciaux et sont susceptibles de créer chez eux des attentes légitimes.
123 Cinquièmement, American Airlines ne saurait soutenir utilement que, chaque fois qu’un créneau horaire correctif n’a pas été utilisé, l’objectif visant à « résoudre entièrement » le problème de concurrence n’aurait pas été atteint et entraînerait une « entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective ». En effet, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 250 de l’arrêt attaqué, il est important que les critères d’octroi de droits d’antériorité soient clairs et vérifiables et assurent la sécurité juridique de l’entrant. À cet égard, seule l’interprétation selon laquelle l’« usage approprié » est compris comme correspondant à une absence d’« usage abusif », au sens de la clause 1.13 des engagements finaux, assure la sécurité juridique nécessaire en établissant une règle précise et claire, à savoir la règle des 80/20, pour l’utilisation des créneaux horaires.
124 Il ressort des considérations qui précédent que l’utilisation des créneaux horaires par un concurrent autre que les parties à la fusion, dans le respect des conditions prévues à la clause 1.13 des engagements finaux concernant l’« usage abusif », garantit, à la lumière de ces engagements, une concurrence effective au sens de la réglementation applicable.
125 En ce qui concerne l’argument d’American Airlines selon lequel le Tribunal a commis une erreur, au point 291 de l’arrêt attaqué, en considérant que le fait que le taux d’exploitation des créneaux horaires par Delta avait oscillé entre 76,4 % et 81 % ne saurait signifier que l’objet des engagements finaux a été compromis, il suffit de constater que, par cet argument, American Airlines conteste les appréciations factuelles, aux points 285 à 291 de l’arrêt attaqué, concernant la méthodologie employée par la Commission et retenue par le Tribunal pour calculer les taux d’utilisation de Delta, sans invoquer une quelconque dénaturation des faits ou des éléments de preuve. En tout état de cause, ainsi qu’il ressort du point 294 de l’arrêt attaqué, un tel argument serait inopérant, dans la mesure où American Airlines ne conteste pas la conclusion tirée de la décision litigieuse, selon laquelle l’usage des créneaux horaires par Delta ne constitue pas un « usage abusif », au sens de la clause 1.13 des engagements finaux.
126 En second lieu, American Airlines fait valoir que le Tribunal a commis d’autres erreurs dans l’arrêt attaqué lorsqu’il a considéré que la notion d’« usage approprié » devait être entendue comme une « absence d’usage abusif ».
127 À cet égard, il convient de rejeter, premièrement, les allégations selon lesquelles le Tribunal s’est fondé à tort sur le sens ordinaire de la notion d’« usage abusif » pour considérer que celle-ci était compatible avec la notion d’« usage approprié ». D’une part, le Tribunal a considéré, au point 107 de l’arrêt attaqué, que la seule interprétation littérale des dispositions en cause n’était pas concluante aux fins de l’interprétation de la notion d’« usage approprié ». D’autre part, le Tribunal a conclu, au point 249 de l’arrêt attaqué, que, selon une interprétation systématique des dispositions en cause, les termes « usage approprié » figurant à la clause 1.10 des engagements finaux pouvaient être compris comme équivalant à une absence d’« usage abusif », au sens de la clause 1.13 desdits engagements.
128 Deuxièmement, l’argumentation d’American Airlines selon laquelle le Tribunal se serait fondé à tort, aux points 209 et 210 de l’arrêt attaqué, sur le fait que les dispositions relatives à l’« usage abusif » apparaissaient dans la section relative à l’« octroi des droits d’antériorité sur les créneaux » des engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi, doit être rejetée.
129 En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 9 du présent arrêt, les engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi ont servi de modèle aux engagements finaux. Dès lors, le fait que ces derniers ne contiennent pas le titre « Octroi des droits d’antériorité sur les créneaux » n’est pas pertinent car, si les parties à la fusion avaient voulu s’écarter de ce modèle, cet écart aurait dû être identifié dans les engagements finaux, conformément à la section 3 du formulaire RM, reproduite au point 13 du présent arrêt. D’autre part, le fait que, dans la section « Octroi des droits d’antériorité sur les créneaux » des engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi, figurent également quelques dispositions qui ne concernent pas l’octroi de ces droits, ne remet pas non plus en cause la considération, au point 209 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ces engagements constituent une base valable pour l’interprétation des engagements finaux.
130 Troisièmement, l’argumentation d’American Airlines selon laquelle le fait que le critère pour déterminer la notion d’« usage approprié » est développé dans différentes parties de l’arrêt attaqué est significatif d’une défaillance dans cette analyse ne saurait non plus prospérer. En effet, une telle considération n’est pas susceptible de démontrer que le Tribunal a commis une erreur lors de son appréciation selon laquelle la notion d’« usage abusif » est pertinente pour déterminer la portée de la notion d’« usage approprié ».
131 Quatrièmement, il convient de rejeter l’argumentation selon laquelle le Tribunal aurait considéré à tort, au point 279 de l’arrêt attaqué, que le règlement sur les créneaux horaires fournit le « contexte » pour interpréter la notion d’« usage approprié » comme signifiant une « absence d’usage abusif » pour les considérations exposées aux points 103 et 104 du présent arrêt.
132 En effet, dans la mesure où les dispositions de l’article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement sur les créneaux horaires constituent le cadre réglementaire de référence, au niveau du droit de l’Union, par ailleurs visé à la clause 1.13 des engagements finaux, c’est à juste titre que le Tribunal a tenu compte, au point 283 de l’arrêt attaqué, du taux d’utilisation prévu par ce règlement et a estimé que Delta a pu s’attendre à exercer ses activités conformément audit cadre réglementaire.
133 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 105 de ses conclusions, le fait que le règlement sur les créneaux horaires poursuit des objectifs différents du règlement sur les concentrations n’exclut pas sa prise en considération dans le cadre du contrôle des concentrations. En effet, l’application de la règle des 80/20 n’est pas uniquement motivée par des considérations liées au trafic aérien, mais est également nécessaire pour garantir des conditions de concurrence équitables entre Delta et sa principale concurrente sur la liaison LHR-PHL, à savoir American Airlines, ainsi qu’il ressort du point 120 du présent arrêt.
134 Il s’ensuit qu’American Airlines n’a pas démontré que le Tribunal a commis une erreur en considérant que les termes « usage approprié » figurant à la clause 1.10 des engagements finaux devaient être entendus comme une absence d’« usage abusif » des créneaux horaires, au sens de la clause 1.13 des engagements finaux.
135 Eu égard aux considérations qui précèdent, la deuxième branche du moyen unique doit être rejetée.
Sur la troisième branche du moyen unique
Argumentation des parties
136 Par la troisième branche de son moyen unique, American Airlines soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation de la clause 1.9 des engagements finaux et, en particulier, en ce qui concerne les conséquences juridiques à tirer des termes « conforme à l’offre » qui y figurent. Selon la requérante, l’arrêt attaqué a accordé à tort une importance prédominante au contenu du formulaire RM relatif aux engagements finaux.
137 En premier lieu, American Airlines fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas que ce formulaire RM était un document préparatoire qui ne saurait modifier la portée des engagements finaux. L’analyse effectuée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué serait incompatible avec la jurisprudence de l’Union selon laquelle les « travaux préparatoires » ne sont pas considérés comme des méthodes d’interprétation pouvant modifier la teneur ou la finalité d’une disposition du droit de l’Union. Cette nature préparatoire ressortirait clairement des dispositions du règlement d’application ainsi que de la communication de la Commission concernant les mesures correctives.
138 Par ailleurs, American Airlines soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la mesure où il s’est fondé sur un document préparatoire pour interpréter la disposition en cause et considérer que les termes « conforme à l’offre » constituaient une « variante linguistique mineure » dénuée de pertinence dans le cadre de l’analyse de la notion d’« usage approprié ».
139 En deuxième lieu, American Airlines fait valoir que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation du formulaire RM relatif aux engagements finaux dans la mesure où l’expression « conforme à l’offre » figurant dans la clause 1.9 des engagements finaux trouve son origine dans un modèle pertinent d’engagement sur les créneaux aéroportuaires de la Commission et devrait donc déployer des effets juridiques.
140 En troisième lieu, American Airlines conclut que l’interprétation par le Tribunal de la clause 1.9 des engagements finaux est erronée. À cet égard, elle soutient que, lorsque l’expression « conforme à l’offre » et la clause 1.9 des engagements finaux, lue en combinaison avec la clause 1.10 de ceux-ci, sont correctement interprétées, l’offre d’un entrant doit être considérée comme le point de départ de l’analyse de l’« usage approprié » et de la décision d’octroyer ou non des droits d’antériorité. Selon elle, une telle interprétation serait conforme au principe pacta sunt servanda et conciliable avec les objectifs ainsi que le cadre correctif complet des engagements finaux.
141 La Commission, soutenue par Delta, conteste les allégations de la requérante. Par ailleurs, la Commission fait valoir que l’argumentation relative à la nature préparatoire du formulaire RM relatif aux engagements finaux doit être rejetée comme étant irrecevable car cet argument n’a pas été soulevé en première instance.
Appréciation de la Cour
142 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 256 TFUE et de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit en ce que les moyens du pourvoi doivent être fondés sur des arguments tirés de la procédure devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est donc limitée à l’appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges [arrêt du 21 décembre 2021, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/CRU, C 934/19 P, EU:C:2021:1042, point 43 ainsi que jurisprudence citée].
143 Toutefois, le requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C 638/19 P, EU:C:2022:50, point 77).
144 La Commission excipe de l’irrecevabilité de l’argumentation soulevée par American Airlines au soutien de la présente branche au motif que celle-ci n’a pas été présentée devant le Tribunal.
145 Or, il suffit de constater que, par la présente branche du moyen unique de son pourvoi, American Airlines conteste les motifs de l’arrêt attaqué selon lesquels les informations ressortant du formulaire RM indiquent que l’expression « conforme à l’offre » n’est pas pertinente pour interpréter la notion d’« usage approprié » visée à la clause 1.10 des engagements finaux. Il s’ensuit que l’argumentation d’American Airlines est recevable.
146 Toutefois, sur le fond, cette argumentation ne saurait prospérer.
147 En effet, en premier lieu, s’agissant de l’argument d’American Airlines selon lequel l’interprétation du Tribunal est erronée au motif que celui-ci a fondé son analyse sur un document préparatoire, alors que, selon la jurisprudence de la Cour, les travaux préparatoires ne constituent pas des outils d’interprétation, il convient de relever d’abord que, ainsi que le Tribunal l’a considéré à juste titre aux points 122 et 123 de l’arrêt attaqué, l’existence du formulaire RM résulte du règlement sur les concentrations et que, dans la mesure où le troisième alinéa du préambule des engagement finaux prévoit que les termes de ces engagements doivent être interprétés au regard de ce règlement, le formulaire RM relatif aux engagements finaux pouvait être pris en compte par le Tribunal dans son analyse.
148 Ensuite, l’article 20, paragraphe 1 bis, du règlement d’application, également visé par le troisième alinéa du préambule des engagements finaux aux fins de l’interprétation de ceux-ci, dispose que les entreprises sont tenues de préciser dans le formulaire RM les renseignements et les documents qu’elles doivent fournir lorsqu’elles proposent des engagements. Par ailleurs, l’annexe IV de ce règlement précise que les renseignements du formulaire RM sont nécessaires pour permettre à la Commission d’examiner si les engagements soumis sont de nature à rendre la concentration compatible avec le marché intérieur en empêchant la création d’une entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective.
149 En outre, le point 7 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives fait référence également au formulaire RM et précise qu’il incombe aux parties à une concentration, qui sont les seules à posséder toutes les informations pertinentes, notamment en ce qui concerne la faisabilité des engagements soumis ainsi que la viabilité et la compétitivité des actifs dont elles proposent la cession, de fournir toutes les informations nécessaires pour permettre à la Commission d’apprécier les mesures correctives présentées.
150 Cela étant, il ressort des dispositions qui précèdent que le formulaire RM n’est pas un document purement préparatoire, comme le prétend American Airlines, mais un document complémentaire aux engagements qui recueille les informations pertinentes visant à démontrer que les mesures correctives prises dans ces engagements sont de nature à rendre l’opération de concentration en cause compatible avec le marché intérieur. Ce document a donc pour finalité de faciliter l’examen par la Commission desdits engagements en vue d’autoriser, le cas échéant, l’opération en cause. Ainsi, comme le Tribunal l’a relevé à juste titre au point 133 de l’arrêt attaqué, ce document revêt une importance capitale pour permettre à la Commission d’évaluer le contenu, l’objectif, la viabilité et l’efficacité des engagements proposés.
151 Enfin, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort des points 250 à 292 de l’arrêt attaqué, l’analyse du formulaire RM relatif aux engagements finaux ne constitue qu’un des éléments que le Tribunal a pris en considération dans le cadre de son interprétation des dispositions en cause. En effet, le Tribunal a jugé, au point 292 de l’arrêt attaqué, que la notion d’« usage approprié » pouvait être interprétée comme une absence d’« usage abusif », au sens de la clause 1.13 des engagements finaux, conformément à l’objectif des dispositions en cause et à leur contexte, et non pas seulement à la lumière de ce formulaire RM, comme le prétend American Airlines. Partant, en procédant de la sorte, il ne saurait être fait grief au Tribunal d’avoir modifié la teneur ou la finalité d’une disposition du droit de l’Union, au sens de la jurisprudence invoquée par American Airlines.
152 Au vu des considérations qui précèdent, c’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 123 de l’arrêt attaqué, que les termes des engagements finaux devaient être interprétés au regard du formulaire RM relatif à ces engagements.
153 En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation d’American Airlines selon laquelle le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’expression « conforme à l’offre », telle que prévue à la clause 1.9 des engagements finaux, lors de l’interprétation de la disposition en cause, celle-ci ne saurait non plus prospérer.
154 En effet, la Commission a exigé expressément, ainsi qu’il ressort du point 9 du présent arrêt, que les engagements proposés par les parties à la fusion contiennent des droits d’antériorité « du type de ceux » présentés dans l’affaire IAG/bmi pour que l’opération de concentration puisse être déclarée compatible avec le marché intérieur. Dans ce contexte, la section 3 du formulaire RM présenté par les parties à la fusion à la Commission mentionnait explicitement que les engagements finaux étaient fondés sur ceux en cause dans l’affaire IAG/bmi et que les points sur lesquels les parties s’écartaient de ces engagements seraient indiqués dans le formulaire RM relatif aux engagements finaux. Par ailleurs, les parties à la fusion ont précisé que ces points n’incluaient pas les « variantes linguistiques mineures » ou les clarifications requises par les circonstances particulières. En ce qui concerne les dispositions relatives aux droits d’antériorité, aucun écart par rapport aux engagements acceptés dans l’affaire IAG/bmi n’a été identifié dans le formulaire RM relatif aux engagements finaux, ainsi qu’il ressort du point 14 du présent arrêt.
155 Par conséquent, dès lors que l’expression « conforme à l’offre » n’était pas incluse dans les engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi et que cette différence n’a pas été signalée dans le formulaire RM relatif aux engagements finaux, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 139 de l’arrêt attaqué, que cette expression constituait une « variante linguistique mineure » des engagements finaux. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de la section 3 du formulaire RM relatif aux engagements finaux, le Tribunal a considéré à bon droit, aux points 143 et 144 de l’arrêt attaqué, qu’il incombait à American Airlines d’indiquer dans ce formulaire toute modification substantielle par rapport au libellé des engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi, qui ont servi de modèle dans la présente affaire.
156 En outre, en ce qui concerne les allégations d’American Airlines concernant l’utilisation de modèles autres que les engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi en vue de la rédaction des engagements finaux, il convient de relever que, pour l’octroi des droits d’antériorité, le formulaire RM relatif à ces engagements fait uniquement référence au modèle correspondant aux engagements en cause dans l’affaire IAG/bmi. Les exemples d’engagements auxquels la requérante fait référence, notamment ceux en cause dans l’affaire COMP/AT.39595 – A++, ne visent pas des droits d’antériorité, ainsi qu’il a été relevé à juste titre par le Tribunal au point 165 de l’arrêt attaqué. Partant, l’argumentation d’American Airlines selon laquelle l’expression « conforme à l’offre » aurait dû être prise en compte pour l’interprétation de la notion d’« usage approprié », dans la mesure où cette expression était utilisée dans d’autres modèles d’engagements, doit être rejetée.
157 En troisième lieu, American Airlines soutient que l’interprétation correcte de la notion d’« usage approprié » ne peut être comprise que comme correspondant à l’expression « conforme à l’offre », figurant à la clause 1.9 des engagements finaux, lue en combinaison avec la clause 1.10 de ceux-ci, dans la mesure où l’offre d’un entrant serait considérée comme le point de départ de l’analyse de l’« usage approprié » et de la décision d’octroyer ou non des droits d’antériorité. Cette interprétation serait conforme au principe pacta sunt servanda et conciliable avec les objectifs ainsi que le cadre correctif complet des engagements finaux.
158 Cette argumentation doit être rejetée pour les considérations exposées aux points 101 et 102 du présent arrêt.
159 De plus, il convient de rappeler, à l’instar de Delta, que le fait que l’expression « conforme à l’offre » figurait déjà dans la proposition initiale des engagements présentés par les parties à la fusion, qui ne prévoyait pas de droits d’antériorité, démontre que cette clause avait une finalité différente de celle visant à déterminer les conditions d’octroi des droits d’antériorité.
160 Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que, à la lumière du formulaire RM relatif aux engagements finaux, la signification de l’expression « conforme à l’offre », visée à la clause 1.9 des engagements finaux, relevait d’une « variante linguistique mineure ».
161 Eu égard aux considérations qui précèdent, la troisième branche du moyen unique du pourvoi doit être rejetée ainsi que le pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
162 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
163 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi conformément à l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
164 American Airlines ayant succombé en son unique moyen et la Commission ainsi que Delta ayant conclu à sa condamnation aux dépens, American Airlines supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission ainsi que par Delta.
165 Par ailleurs, il convient de relever que Delta a demandé à ce qu’American Airlines soit condamnée au paiement des dépens exposés par Delta tant dans le cadre de la présente procédure que devant le Tribunal.
166 À cet égard, il convient de préciser que, Delta n’ayant pas formulé de conclusions relatives aux dépens en première instance, le Tribunal l’a condamnée à supporter ses propres dépens, conformément à l’article 134, paragraphe 1, et à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.
167 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande de Delta visant à la condamnation d’American Airlines aux dépens exposés par Delta dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) American Airlines Inc. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et Delta Air Lines Inc. dans le cadre de la présente procédure.