Cass. com., 22 septembre 2021, n° 19-24.854
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Embevi (SA)
Défendeur :
Mercedes-Benz Trucks France (Sasu), Mercedes-Benz Financial Services France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocats :
SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 septembre 2019), la société Mercedes Benz France, aux droits de laquelle est venue la société Mercedes-Benz France Trucks, et la société Mercedes-Benz Financial Service France (les sociétés Mercedes-Benz) sont, respectivement, importateur en France des véhicules neufs de la marque Mercedes-Benz et établissement de crédit.
2. A la suite de la résiliation par la société Mercedes-Benz France, le 30 avril 2009, avec un préavis de deux ans, des contrats de distribution qui la liaient à la société Embevi, cette dernière a cédé son fonds de commerce le 29 octobre 2010 à un tiers.
3. Reprochant aux sociétés Mercedes-Benz d'avoir eu une attitude déloyale à son égard à l'occasion de cette résiliation et d'être responsable de la vente de son fonds de commerce à des conditions désavantageuses, la société Embevi les a assignées, le 29 octobre 2015, en paiement de dommages-intérêts. Les sociétés Mercedes-Benz lui ont opposé la prescription de son action.
4. La société Embevi a été mise en redressement judiciaire le 17 octobre 2018, les sociétés [Y] [T] et [I] [N] étant désignées respectivement administrateur et mandataire judiciaires. La société Embevi ayant, le 29 janvier 2020, bénéficié d'un plan de redressement, la société [Y] [T], désignée commissaire à l'exécution du plan, a repris l'instance.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Embevi et les sociétés [Y] [T] et [I] [N], ès qualités, font grief à l'arrêt de déclarer la société Embevi irrecevable en ses demandes à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz, alors « qu'en matière de responsabilité civile, le point de départ de la prescription est la date à laquelle un dommage certain se manifeste au titulaire du droit ; qu'en retenant que le dommage lui était connu dès la promesse de vente du 19 juillet 2010, alors que celle-ci avait été conclue sous conditions, au demeurant non-réalisées à la date de la vente, privant ainsi le dommage de son caractère au motif inopérant que le montant du prix apparaissant dans la promesse est le même que celui à l'acte final, les juges du fond ont violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Pour déclarer la société Embevi irrecevable en ses demandes à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz, l'arrêt retient que lorsqu'elle a décidé de céder son fonds de commerce et conclu, à cet effet, la promesse de vente du 19 juillet 2010, la société Embevi a pris connaissance de sa valeur réelle, estimée à 900 000 euros, très largement inférieure à ce à quoi elle pensait pouvoir prétendre. Il retient encore qu'elle ne pouvait prétendre n'avoir connu son dommage de façon certaine qu'à compter de la signature de l'acte définitif de cession du fonds de commerce le 29 octobre 2010, dès lors que le montant du prix qui y était stipulé était identique à celui fixé dans la promesse. Il en déduit que la prescription de l'action de la société Embevi a commencé à courir à compter du 19 juillet 2010 de sorte que l'action introduite le 29 octobre 2015 était prescrite.
8. En statuant ainsi, alors que le point de départ de la prescription en matière de responsabilité civile est la date à laquelle un dommage certain se manifeste au titulaire du droit, et qu'au jour de la promesse de vente, laquelle était conclue sous conditions, le dommage n'était pas certain, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. La société Embevi et les sociétés [Y] [T] et [I] [N], ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que les actions personnes ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en décidant que la prescription de l'action en réparation du dommage intervenu le 29 octobre 2010 était intervenue le 28 octobre 2015 à minuit, les juges du fond ont amputé le délai de prescription d'une journée, violant ainsi l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 et 2229 du code civil :
10. Selon ce dernier texte, la prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.
11. Pour déclarer la société Embevi irrecevable en ses demandes contre les sociétés Mercedes-Benz, l'arrêt retient encore que même dans l'hypothèse où la date de connaissance des faits aurait été retenue et fixée au 29 octobre 2010, date de conclusion de l'acte de vente du fonds de commerce, l'assignation date du 29 octobre 2015 alors qu'elle devait intervenir le 28 octobre 2015, à minuit, au plus tard, pour interrompre la prescription.
12. En statuant ainsi, alors que le délai quinquennal de prescription était expiré le 29 octobre 2015 à 24 heures, la cour d'appel, qui a écourté le délai de prescription d'une journée, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.