Cass. com., 19 décembre 2006, n° 06-14.431
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt déféré, que le 1er février 2000, les sociétés Tati et Giraud logistique ont signé un contrat aux termes duquel la première confiait à la seconde la réalisation de ses prestations logistiques ; qu'en application de l'article 12 de ce contrat, la société Giraud logisitique a accepté la reprise de l'ensemble du personnel de la société Tati affecté à l'activité logistique ; que la société Tati a été mise en redressement judiciaire le 2 septembre 2003 ; que le 11 septembre 2003, MM. X... et Y..., administrateurs judiciaires de la société Tati, ont informé la société Giraud logisitique de leur intention de poursuivre l'exécution du contrat; que par jugement du 5 août 2004, le tribunal a arrêté le plan de cession de la société Tati au profit d'une société Tati développement à constituer, le contrat de prestations logistiques ne figurant pas parmi les contrats repris par le cessionnaire ; que, par lettre du 18 août 2004, les administrateurs ont informé la société Giraud logistique, devenue la société Premium Logistics (la société PL), que le contrat ne serait plus poursuivi à compter de la seconde quinzaine du mois d'août ; qu'un litige est ensuite né au sujet de la demande par la société PL de réintégration par la société Tati du personnel visé au contrat et à propos du droit de rétention exercé par la société PL sur les stocks de la société Tati ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Tati et ses mandataires judiciaires font grief à l'arrêt d'avoir condamné les administrateurs et commissaires à l'exécution du plan de la société Tati à payer à la société PL une certaine somme au titre des salaires, charges et coût des licenciements des soixante-dix huit salariés transférés à la société PL et "non inclus dans le plan de cession", alors, selon le moyen, que l'article 12 du contrat de prestations logistiques du 1er février 2000, intitulé "transfert de personnel" stipulait : le transfert prévu au présent article interviendra, et c'est une condition déterminante des présentes, en application de l'article L. 122-12 du code du travail et en cas de résiliation du présent contrat Tati s'engage à accepter la réintégration des salariés affectés à l'exécution des prestations en tant que de besoin en application de l'article L. 122-12 du code du travail ; qu'ainsi, la volonté nettement exprimée des parties était de se référer purement et simplement aux dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail ; que ce texte, tel qu'interprété au regard de la directive 2001/23 CE du 12 mars 2001, s'applique à tout transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; qu'en ayant décidé que la société Tati avait l'obligation, lorsque le contrat de prestations logistiques avait pris fin avec le jugement arrêtant le plan de cession, de reprendre le personnel, tout en ayant constaté que la société Tati avait cessé toute activité et que la cession de ses actifs était totale, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1847-7-7 du code civil et L. 122-12, alinéa 2, du code du travail ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que l'article 12 du contrat prévoyait que le prestataire acceptait la reprise de l'ensemble du personnel de la société Tati affecté à l'activité logistique, mais qu'en cas de résiliation du contrat pendant ou à l'issue des six premières années, la société Tati s'engageait à accepter la réintégration de ces salariés, l'arrêt retient qu'en optant pour la poursuite du contrat, les administrateurs de la société Tati se sont engagés à en exécuter les dispositions et que la société Tati a donc eu l'obligation de réintégrer ses soixante-dix huit salariés transférés à la société PL quand le contrat a pris fin; que la cour d'appel, qui a fondé sa décision sur le contrat faisant la loi entre les parties dont elle a souverainement interprété la clause litigieuse, a légalement justifié sa décision sans encourir le grief du moyen tiré d'une référence inopérante à l'article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Tati et ses mandataires judiciaires font grief à l'arrêt d'avoir condamné les administrateurs et commissaires à l'exécution du plan de la société Tati à payer à la société PL la somme de 3 478 348 euros en remboursement, notamment, des salaires et des charges versés aux salariés après l'expiration du contrat de prestations logistiques, dont il y a lieu de déduire 5 % des salaires versés au cours de la période d'octobre 2004 à avril 2005, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel, qui a par ailleurs débouté la société Tati de sa demande de remboursement de la somme de 223 899 euros, versée d'avance, correspondant au montant des prestations facturées et non effectuées entre le 3 et le 15 août 2004 par la société PL et incluant le coût des salaires et des charges, ne pouvait accorder à la société PL le remboursement du coût des salaires et des charges du 5 au 15 août 2004 sans excéder la réparation intégrale du préjudice et a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ que la cour d'appel, qui a encore constaté qu'à compter du 15 août 2004 un certain nombre de prestations n'ont pas été effectuées ne pouvait accorder à la société PL le remboursement de la totalité des salaires et des charges pour la période du 15 août au 1er octobre 2004, sans excéder une nouvelle fois la réparation intégrale du préjudice et violer le même texte ;
Mais attendu que la condamnation de la société Tati à supporter les salaires, charges et indemnités de licenciement versés aux salariés qu'elle aurait du réintégrer et qui avaient été payés en ses lieu et place par la société PL, contrainte de procéder à leur licenciement, sanctionne l'inexécution par la société Tati de son obligation de reprise de ces salariés, peu important l'exécution ou non par la société PL des prestations logistiques du contrat, au demeurant résilié ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Tati et ses mandataires judiciaires font encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande de restitution de la somme de 223 899 euros, réglée d'avance à la société PL, en vue de ses prestations logistiques du 3 au 15 août 2004, mais qui n'ont pu être effectuées du fait de l'exercice par la société PL de son droit de rétention sur le stock de marchandises à compter du 3 août 2004, alors, selon le moyen, que celui qui a payé indûment une somme d'argent est en droit d'en obtenir la restitution sans être tenu à aucune autre preuve que cette somme n'était pas due ; que la cour d'appel n'a pas recherché si la société PL, du 3 au 15 août 2004, période pendant laquelle elle avait déjà exercé son droit de rétention sur les stocks, rétention par laquelle elle se dispensait d'exécuter ses prestations autres que le stockage, avait exécuté l'intégralité de celles-ci, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1235 et 1376 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que l'inexécution par la société PL de la totalité de ses prestations provenait de l'exercice légitime de sa part d'un droit de rétention sur les stocks appartenant à la société Tati ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le cinquième moyen :
Attendu que la société Tati et ses mandataires judiciaires font encore grief à l'arrêt de les avoir condamnés à payer à la société PL la somme forfaitaire de 60 000 euros par quinzaine écoulée à compter du 15 août 2004 jusqu'au complet retrait des stocks des entrepôts de la société PL, alors, selon le moyen, que la société PL ayant exercé son droit de rétention sur les stocks de marchandises en raison de l'inexécution par la société Tati de son obligation de réintégrer les salaires et n'ayant exposé des frais d'entreposage de ces marchandises qu'en raison de l'exercice de ce droit de rétention, la cassation de l'arrêt sur le premier moyen selon lequel la société Tati n'avait pas l'obligation de réintégrer les salariés, entraînera par voie de conséquence celle de ce chef du dispositif de l'arrêt en application de l'article 625 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que le rejet du premier moyen rend le présent moyen sans portée ; qu'il ne peut donc être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu les articles L. 621-43, alinéa 1, et L. 621-32 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et larticle 66, alinéa 2, du décret du 27 décembre 1985 ;
Attendu que pour condamner les administrateurs et commissaires à l'exécution du plan de la société Tati à payer à la société PL la somme de 3 478 348 euros au titre des salaires, charges afférentes et coût des licenciements des salariés que la société Tati s'était obligée à réintégrer, dont doit être déduite la somme correspondant à 5 % des salaires afférents aux soixante-dix huit salariés dont la société PL a supporté la charge entre le 1er octobre 2004 et le 30 avril 2005, l'arrêt retient que cette somme ne peut en aucun cas être assimilée à des indemnités et pénalités dues en cas de résiliation d'un contrat poursuivi en réparation du préjudice subi par le cocontractant mais que la société PL s'étant substituée à la société Tati dans l'exécution de l'obligation de réintégration qui incombait à cette dernière, cette obligation devait nécessairement se résoudre en paiement aux salariés non repris des salaires, charges et indemnités de licenciement leur étant dus ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les sommes mises à la charge de la société Tati en raison de l'inexécution de son obligation de réintégration des salariés, prévue en cas de résiliation du contrat, constituaient une indemnité résultant de la résiliation d'un contrat régulièrement poursuivi et étaient, comme telles, exclues de la priorité de paiement instituée pour les créances nées après le jugement d'ouverture et soumises à déclaration au passif de la procédure collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné MM. X... et Y..., administrateurs judiciaires de la société Tati et M. Y... et la SCP Brouard et Daude-Brouard, commissaires à l'exécution du plan de la société Tati, à payer à la société PL la somme de 3 478 348 euros au titre des salaires, charges afférentes et coût des licenciements des salariés que la société Tati s'était obligée à réintégrer, dont doit être déduite la somme correspondant à 5 % des salaires afférents aux soixante-dix huit salariés dont la société PL a supporté la charge entre le 1er octobre 2004 et le 30 avril 2005, l'arrêt rendu le 10 mars 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.