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Décisions

Cass. soc., 12 mai 2021, n° 19-19.454

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Leprieur

Rapporteur :

Mme Marguerite

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Ortscheidt, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Paris, du 16 mai 2019

16 mai 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 29 septembre 2015, pourvoi n° 13-28.234), M. [N], engagé le 23 février 1979 par la société IBM France en qualité d'agent de fabrication, a été informé le 24 mars 2000 par son employeur du transfert de son contrat de travail auprès de la société Altis Semiconductor. Il a engagé des actions prud'homales en référé afin d'obtenir sa réintégration au sein de la société IBM France et le paiement de rappel de salaires. Par ordonnance du 18 juillet 2002, la formation de référé du conseil de prud'hommes a déclaré qu'il était resté salarié de la société IBM France. Le salarié a alors réintégré les effectifs de cette société. Par jugement du 22 juillet 2004, le conseil de prud'hommes a dit que le salarié n'était plus au service de la société IBM France depuis avril 2000, et que le contrat de travail du salarié avait été transféré à la société Altis Semiconductor. Par arrêt du 7 septembre 2006, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement, dit que le salarié était resté salarié de la société IBM France jusqu'au 14 décembre 2000 et a condamné cette dernière à lui payer des dommages-intérêts pour inexécution fautive du projet social d'entreprise du 1er octobre 1999 et à lui remettre les bulletins de salaire pour les mois d'avril à octobre 2000.

2. Le salarié, dont l'arrêt de travail pour maladie prenait fin le 5 mai 2007, a demandé à la société Altis Semiconductor de lui indiquer les conditions de sa reprise de travail. Par lettre du 23 mai 2007, la société Altis Semiconductor l'a informé qu'elle n'avait aucun poste disponible à lui proposer.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

4. La société Altis Semiconductor a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 30 septembre 2016, le tribunal de commerce a adopté le plan de cession de la société Altis Semiconductor au bénéfice de la société X-Fab France. Par jugement du 14 février 2017, la société Altis Semiconductor a été placée en liquidation judiciaire, la société MJA, en la personne de Mme [E], étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen des moyens

Sur les moyens du pourvoi incident, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à sa réintégration au sein de la société X-Fab et à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser un rappel de salaire du 30 septembre 2016 au 30 avril 2019 d'un montant de 72 036,25 euros, alors « que si une entreprise en difficulté fait l'objet d'une cession en exécution de l'article L. 642-5 du code de commerce, le contrat de travail des salariés dont le licenciement n'a pas été autorisé par le jugement arrêtant le plan de cession se trouve repris par le cessionnaire par l'effet de l'article L. 1224-1 du code du travail ; que les licenciements antérieurement prononcés sont de nul effet ; que le jugement arrêtant le plan de cession indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé, ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées, d'où il suit qu'une liste nominative des salariés licenciés ou repris par le cessionnaire est dépourvue d'effet ; qu'il en découle que le repreneur d'une entreprise en liquidation judiciaire est tenu de réintégrer le salarié protégé irrégulièrement congédié, sans pouvoir invoquer le fait que ce dernier ne figurait pas sur la liste nominative des salariés repris, arrêtée par le jugement du tribunal de commerce homologuant le plan de cession ; qu'en refusant de constater que le licenciement de l'exposant prononcé sans autorisation de l'inspection du travail était nul et n'avait pu mettre fin à son contrat de travail qui se poursuivait par l'effet de la cession et de l'article L. 1224-1 du code du travail, avec la société X-Fab qui était tenue de le réintégrer, sans pouvoir invoquer la liste nominative susvisée sur laquelle ne figurait pas le nom de celui-ci, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences juridiques qui s'évinçaient de ses propres constatations et partant a violé l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble les articles L. 642-5 et R. 642-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La société MJA, en la personne de Mme [E], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Altis Semiconductor conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau.

8. Cependant, le moyen ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par la cour d'appel est de pur droit et peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 631-22, L. 642-5 et R. 642-3 du code de commerce et l'article L. 1224-1 du code du travail :

10. La cession de l'entreprise en redressement judiciaire arrêtée par le tribunal de commerce entraîne, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, le transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite par le cessionnaire des contrats de travail des salariés attachés à l'entreprise cédée. Il ne peut être dérogé à ces dispositions que lorsqu'en application des articles L. 631-22 et L. 642-5 du code de commerce, le plan de redressement prévoit des licenciements pour motif économique qui doivent intervenir dans le délai d'un mois après le jugement. Le jugement arrêtant le plan doit indiquer le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées, d'où il suit qu'une liste nominative des salariés licenciés ou repris par le cessionnaire n'a pas à être dressée et serait en toute hypothèse dépourvue d'effet.

11. Pour débouter le salarié de ses demandes formées à l'encontre de la société X-Fab France, l'arrêt retient que le plan de cession arrêté par le jugement du tribunal de commerce du 30 septembre 2016 prévoyait la reprise des salariés dont la liste était annexée, dans laquelle n'apparaissait pas le salarié, et que la société X-Fab France n'était tenue que dans les limites de ce jugement.

12. En se déterminant ainsi, après avoir jugé que le licenciement du salarié par la société Altis Semiconductor, entreprise cédante, était nul, sans constater que le plan de cession prévoyait des licenciements pour motif économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

13. Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif critiqué par le second moyen, se rapportant à la demande de rappels de salaire courant entre la date du licenciement et la cession de la société Altis Semiconductor, ainsi que des chefs de dispositif ayant, sur les demandes subsidiaires du salarié, fixé au passif de la procédure collective de la société Altis Semiconductor des sommes à titre d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité pour violation du statut protecteur, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [N] de ses demandes formées à l'encontre de la société X-Fab France, en ce qu'il déboute M. [N] de sa demande de fixation au passif de la société Altis Semiconductor d'une créance à titre de salaire pour la période du 5 mai 2007 au 30 septembre 2016 et en ce qu'il fixe au passif de la société Altis Semiconductor les sommes de 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, de 40 137,50 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, de 4 225 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 422,50 euros à titre de congés payés afférents et de 2 699,77 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, l'arrêt rendu le 16 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.