ART, 10 novembre 1999, n° 99−987
ART (DEVENUE L'ARCEP)
se prononçant sur un différend entre Siris et France Télécom
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
L’Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34−8, L. 34−10, L.36−7, L. 36−8, R.11−1, D. 97−4, D. 99−6 à D. 99−22;
Vu l’arrêté du 18 décembre 1997 autorisant la société Siris à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu l’arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu la décision n° 99−528 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;
Vu la décision n° 98−75 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 3 février 1998 approuvant les règles de gestion du plan national de numérotation modifiée ;
Vu la décision n° 98−902 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 30 octobre 1998 complétant la liste des services et fonctionnalités complémentaires et avancés devant figurer au catalogue d’interconnexion des opérateurs soumis aux articles D.99−11 à D.99−22 du code des postes et télécommunications ;
Vu la décision n° 98−982 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 27 novembre 1998 établissant pour 1999 la liste des opérateurs exerçant une influence significative sur un marché des télécommunications ;
Vu la décision n° 98−1043 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 décembre 1998 approuvant l’offre technique et tarifaire d’interconnexion de France Télécom pour 1999.
Vu la demande de règlement d’un différend, enregistrée le 17 août 1999, présentée par Siris, société anonyme, dont le siège social est 54, place de l’ellipse à la Défense, représentée par son président, M. Olivier Campenon ;
Vu les observations en défense, enregistrées le 15 septembre 1999, présentées par France Télécom, société anonyme dont le siège social est 6, place d’Alleray, à Paris (XVème), représentée par M. Gérard Moine, directeur des relations extérieures ayant reçu délégation à cet effet de M. Michel Bon, Président de France Télécom le 4 mai 1998 ;
Vu les observations en réplique enregistrées le 29 septembre 1999, présentées par Siris ;
Vu les observations rectificatives enregistrées le 30 septembre 1999, présentées par France Télécom ;
Vu les observations en duplique enregistrées le 13 octobre 1999, présentées par France Télécom ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le collège ayant entendu le 5 novembre 1999 :
− le rapport de M. Philippe Distler, présentant les moyens et les conclusions des parties en présence de Mme Cécile Dubarry, rapporteur adjoint ;
− les observations de Siris, présentées par M. François Maire ;
− les observations de France Télécom, présentées par M. Eric Debroeck ;
en présence de M. Pierre−Alain Jeanneney, directeur général, de M. Ivan Luben, chef du service juridique et de Mme Béatrice Cospérec.
A la demande formulée conjointement par les parties, l’audience n’a pas été publique.
Après en avoir délibéré le 10 novembre 1999, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint, du directeur général et des agents de l’Autorité, lors d’une réunion du collège ;
Adopte la présente délibération fondée sur les faits et les motifs exposés ci−après :
I− Sur l’origine du litige
Siris est un opérateur de télécommunication, filiale du consortium européen Unisource et attributaire du chiffre 2 de sélection d'un réseau de transport. Siris exploite un réseau de télécommunications à couverture nationale dont un grande partie des infrastructures lui appartient en propre. Le caractère national du réseau de Siris constitue un élément déterminant de son développement.
Siris souhaite offrir des services spécifiques aux opérateurs titulaires d’une autorisation d’établissement et d’exploitation de réseaux ouverts au public relevant de l’article L.33−1 du code des postes et télécommunications, d’une autorisation de fourniture du service téléphonique au public relevant de l’article L.34−1 ou fournissant au public des services de télécommunications autres que le service téléphonique relevant de l’article L.34−2.
Les opérateurs L.34−1 et L.34−2, lorsqu’ils sont attributaires de numéros courts du format 3BPQ, souhaitent pouvoir recevoir des appels émis depuis l’ensemble du territoire, y compris depuis les zones de transit dans lesquelles ils ne disposent pas d’un point de collecte du trafic provenant des clients de France Télécom.
France Télécom propose à ces opérateurs une offre commerciale de collecte du trafic à destination des 3BPQ par zone de transit ou ensemble de zones de transit. France Télécom ne propose pas d’offre d’interconnexion permettant à d’autres opérateurs de proposer une offre commerciale équivalente de collecte de trafic à destination des 3BPQ pour compte de tiers.
Aussi actuellement ces acteurs ne disposent pas d’autre choix que de s’adresser à France Télécom pour obtenir une offre commerciale de collecte pour toutes les zones de transit. Cette offre commerciale de France Télécom démontre que le marché existe bien et qu’il ne peut s’y exercer de concurrence puisque les opérateurs autres que France Télécom ne peuvent pas collecter du trafic pour le compte d’un tiers.
Siris souhaite que France Télécom lui fasse une offre d’interconnexion lui permettant de collecter sur son réseau le trafic à destination des 3BPQ d’opérateurs tiers afin d’être en mesure de leur proposer une offre commerciale de collecte de ce trafic.
II− Sur les moyens et conclusions présentés par les parties devant l’Autorité
A) Sur les moyens et conclusions présentés par Siris dans sa demande enregistrée le 17 août 1999
Siris demande à l’Autorité de constater l’échec des négociations commerciales menées avec France Télécom relatives à une demande d’interconnexion et de fixer les conditions de l’offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ au tarif de l’interconnexion commutée nationale L.33−1.
Au soutien de ces demandes Siris expose les éléments suivants :
L’Autorité a identifié la collecte pour compte de tiers du trafic à destination des 3BPQ comme une prestation d’interconnexion :
En effet, par décision n° 98−902 du 30 octobre 1998 complétant la liste des services et fonctionnalités complémentaires et avancés devant figurer au catalogue d’interconnexion des opérateurs soumis aux articles D.99−11 à D.99−22 du code des postes et télécommunications, l’Autorité a demandé à France Télécom d’inscrire à son catalogue d’interconnexion une offre permettant l’accès aux services et fonctionnalités complémentaires et avancées (SFCA) spéciaux.
De plus, par décision n° 98−1043 en date du 18 décembre 1998, approuvant l’offre technique et tarifaire d’interconnexion de France Télécom pour 1999, l’Autorité a constaté que la proposition de France Télécom ne prévoyait pas, contrairement à la décision n° 98−902 du 30 octobre 1998, la collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ et a indiqué que les dispositions proposées par France Télécom devraient être complétées au plus tard le 1er mai 1999 en vue d’une mise en œuvre complète de cette décision. L’Autorité a précisé que l’application partielle de sa décision serait susceptible d’entraver l’exercice normal de la concurrence, ce qui pourrait notamment entraîner des saisines du Conseil de la concurrence.
Les négociations commerciales avec France Télécom ont échoué :
Siris expose qu’elle a dans un premier temps demandé à France Télécom de façon informelle et au cours de diverses réunions de disposer d’une offre de collecte dès le début de l’année 1998.
Siris a constaté que par sa décision n° 98−902 en date du 30 octobre 1998, l’Autorité avait demandé aux opérateurs puissants d’inscrire à leur catalogue d’interconnexion une offre permettant l’accès aux services et fonctionnalités complémentaires et avancés spéciaux. En conséquence Siris s’attendait à ce que France Télécom complète son offre d’interconnexion et n’a pas réitéré, dans un premier temps, sa demande auprès de France Télécom.
Constatant que France Télécom ne complétait pas son offre d’interconnexion, Siris a demandé par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 25 juin 1999 et du 13 juillet 1999 à France Télécom de lui proposer une offre de collecte dans les meilleurs délais.
Ces demandes étant restées sans réponse, Siris a déposé une demande de règlement du différend devant l’Autorité le 17 août 1999.
Les conditions techniques et tarifaires de la demande d’interconnexion de Siris :
Siris demande que France Télécom achemine le trafic des numéros 3BPQ à destination des opérateurs ayant confié à Siris la collecte du trafic pour leur compte. Siris doit pouvoir acheminer sur ses faisceaux son propre trafic et celui qu’elle collecte pour le compte de tiers.
Les conditions techniques de l’offre d’interconnexion de France Télécom pour la collecte du trafic à destination des numéros 3BPQ pourrait être calquée sur les conditions techniques applicables à la collecte du trafic à destination des numéros 08ABPQMCDU.
Le tarif d’interconnexion applicable à la collecte pour compte de tiers du trafic à destination des 3BPQ doit être fixé au tarif de l’interconnexion commutée .
Cette offre donnera lieu à la signature d’un avenant à la convention d’interconnexion actuellement en vigueur entre Siris et France Télécom.
B ) Sur les moyens et conclusions présentés par France Télécom dans ses observations en réponse enregistrées le 15 septembre 1999
France Télécom demande à l’Autorité de constater que la demande de Siris est irrecevable sur la forme et sans objet sur le fond.
Au soutien de ces demandes, France Télécom expose les éléments suivants :
Eléments de contexte :
France Télécom rappelle les éléments de contexte liés à la demande de Siris. Elle expose que la collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ favorise le reroutage international des appels fixe vers mobile. L’Autorité a reconnu à plusieurs reprises que ce type de reroutage présente un caractère artificiel et économiquement malsain.
Ainsi, au début de l’année 1998, France Télécom a indiqué à l’Autorité que l’inscription d’une offre permettant la collecte pour compte de tiers dans son catalogue d’interconnexion aggraverait le phénomène de reroutage.
L’Autorité n’a pas contesté cette position, elle a au contraire tenu compte du phénomène de reroutage dans sa décision n° 98−1043 du 18 décembre 1998 en indiquant que le catalogue de France Télécom devrait être complété seulement pour le 1er mai 1999.
Dans sa décision n° 99−197 du 1er mars 1999 se prononçant sur un différend entre SFR et France Télécom relatif aux conditions d’interconnexion des appels entrants sur le réseau de la société SFR, ainsi qu’à l’occasion de la table ronde sur les appels entrants organisée par l’Autorité, cette dernière a affirmé son objectif de lutte contre le reroutage international des appels fixe vers mobile.
C’est également pour lutter contre le reroutage international que l’Autrorité a exprimé son souhait de voir baisser le prix des appels fixe vers mobile avant octobre 1999.
La mise en œuvre d’une offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des 3BPQ avant l’intervention de la baisse des tarifs entrants aurait été contraire à l’objectif de lutte contre le reroutage international des appels fixe vers mobile.
C’est pourquoi par courrier du 7 juillet 1999, France Télécom a indiqué à l’Autorité qu’elle ne pouvait pas proposer en l’état une offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des 3BPQ.
Dès que les opérateurs mobiles ont manifesté leur volonté de baisser le tarif des appels fixe vers mobile, France Télécom a adressé à l’Autorité une offre de collecte du trafic à destination des 3BPQ.
La demande de Siris est irrecevable :
L’absence de réponse de France Télécom aux courriers de Siris en date du 25 juin 1999 et en date du 13 juillet 1999 ne constitue pas un refus d’interconnexion puisque l’envoi de ces deux courriers se situait à une période charnière de l’évolution des tarifs fixe vers mobile, l’Autorité venant d’annoncer son souhait de voir les tarifs fixe vers mobile baisser notamment pour lutter contre le reroutage international.
France Télécom n’est pas une administration, en conséquence une absence de réponse ne signifie pas un refus.
France Télécom ne pouvait pas exprimer réellement un refus, puisqu’elle venait d’exposer à l’Autorité les raisons pour lesquelles elle ne pouvait pas proposer une offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ.
Siris n’a pas démontré l’échec des négociations commerciale car en réalité aucune négociation n’a été menée. D’ailleurs Siris n’a pas saisi le comité de pilotage mis en place par la convention d’interconnexion conclue entre Siris et France Télécom, alors que ce comité a pour mission d’assurer l’examen de toutes les questions importantes relatives à l’exécution de la convention.
La demande de Siris est en conséquence irrecevable puisqu’elle n’est pas précédée d’un échec des négociations commerciales ou d’un refus d’interconnexion au sens de l’article L.36−8 du code des postes et télécommunications.
La demande de Siris est sans objet :
Dès que les opérateurs mobiles ont annoncé une baisse des tarifs du fixe vers le mobile, France Télécom a transmis à l’Autorité un complément à son catalogue d’interconnexion pour 1999 intégrant une offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ à des conditions financières identiques à celles applicables aux services spéciaux à dix chiffres.
La demande de Siris tendant à ce que la majoration applicable aux services spéciaux, à l’exception des services de carte, ne s’applique pas à l’offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ est en contradiction avec les termes de la convention d’interconnexion conclue avec France Télécom qui stipule que " la prestation d’accès de France Télécom sera facturée à Siris aux tarifs de l’interconnexion indirecte décrits dans le catalogue d’interconnexion en vigueur auxquels est ajoutée la majoration services spéciaux dans le cas des 3BPQ non gratuits pour l’appelant ".
Dans son courrier en date du 3 septembre 1999, France Télécom a proposé que " les conditions financières de l’offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des 3BPQ soient alignées sur celles des services spéciaux à dix chiffres pour lesquelles la collecte de trafic est possible, sauf pour les services de carte téléphonique par les 3BPQ pour lesquels l’application de la majoration " services spéciaux " n’est pas justifiée par analogie avec le service téléphonique offerts par les préfixes de sélection du transporteur ".
France Télécom expose de plus que l’offre de complément de son catalogue d’interconnexion 1999 proposé à l’Autorité pour approbation répond en tout point à la demande de Siris compte tenu des accords d’interconnexion préalablement signés entre les deux parties.
France Télécom précise qu’elle ne se trouve pas en contradiction sur ce point avec son courrier en date du 3 septembre 1999 qui précise que la majoration services spéciaux ne s’applique pas aux services de carte téléphonique accessibles par les 3 BPQ, en effet ces numéros représentent la quasi totalité aujourd’hui des services gratuits pour l’appelant ;
De plus, Siris admet que l’offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ repose sur la même solution technique que l’acheminement du trafic à destination des numéros 08ABPQMCDU, qui sont des services spéciaux pour lesquels la majoration s’applique.
En conséquence, l’offre de complément du catalogue d’interconnexion 1999 de France Télécom proposée à l’Autorité pour approbation répond à la demande d’interconnexion de Siris.
C) Sur les moyens et conclusions présentés par Siris dans ses observations en réplique enregistrées le 29 septembre 1999
Siris expose que les arguments avancés par France Télécom reposent sur trois postulats sans fondement, à savoir :
- la collecte de trafic aggrave le phénomène de reroutage international des appels fixe vers mobile
- Siris collecte des appels seulement du fixe vers le mobile,
- le trafic de Siris vers les mobiles est de nature à légitimer l’interdiction de l’offre par France Télécom.
Siris répond à ces arguments dans les termes suivants :
Le reroutage international concerne la terminaison des appels vers les mobiles alors que la collecte du trafic à destination des numéros 3BPQ concerne l’accès à un réseau. Le fait que la collecte pour compte de tiers facilite l’accès au réseau est sans effet sur la terminaison d’appel qui peut faire l’objet d’un reroutage. Le phénomène de reroutage peut d’ailleurs intervenir totalement indépendamment de la collecte du trafic à destination des 3BPQ. D’ailleurs, dès le mois de décembre 1998 France Télécom a pris des mesures pour bloquer les appels en provenance de l’international, indépendamment des offres de collecte. Il est donc nécessaire de traiter la collecte pour compte de tiers et le reroutage international séparément.
France Télécom ne peut pas empêcher Siris de collecter du trafic au motif qu’elle risque de collecter du trafic fixe vers mobile. Pour éviter le reroutage, dans l’hypothèse où le lien entre la collecte pour compte de tiers et le reroutage serait démontré, France Télécom aurait dû proposer une offre d’interconnexion assortie de réserves, comme elle l’a fait pour l’ouverture du préfixe 085 à la numérotation ouverte.
France Télécom ne peut valablement se soustraire à l’exécution de la décision n° 98−1043 par laquelle l’Autorité lui demandait d’inclure l’offre de collecte du trafic à destination des numéros 3BPQ dans son catalogue d’interconnexion 1998 au plus tard le 1er mai 1999 au motif que l’Autorité a reconnu le caractère " artificiel et économiquement malsain " du reroutage international des appels fixe vers mobile. D’une part l’Autorité n’a pas interdit le reroutage international, d’autre part l’Autorité a, alors qu‘elle connaissait parfaitement l’existence du phénomène de reroutage, adopté la décision que France Télécom refuse d’exécuter. L’Autorité a adopté sa décision en toute connaissance de cause et France Télécom ne pouvait pas se soustraire à son exécution.
France Télécom interprète de manière inexacte la position de l’Autorité sur l’inscription de l’offre de collecte du trafic à destination des 3BPQ.France Télécom ne cite pas de manière complète le texte de la décision de l’Autorité qui précise notamment qu’afin de permettre aux opérateurs qui ont engagé des investissements importants pour la couverture totale du territoire d’en bénéficier, l’Autorité approuve les dispositions proposées mais indique cependant qu’elle devront être complétées d’ici au 1er mai 1999 en vue d’une mise en œuvre complète de la décision. S’il n’en était pas ainsi, cette application partielle de sa décision serait susceptible de freiner le développement du marché et d ‘entraver l’exercice normal de la concurrence, ce qui pourrait entraîner notamment des saisines du conseil de la concurrence.
Sur l’échec des négociations commerciales, l’absence de réponse de France Télécom aux deux courriers en date du 25 juin 1999 et en date du 13 juillet 1999 constitue un refus d’interconnexion, ce que le second courrier mentionne expressément. L’existence de la négociation commerciale est démontrée par ces deux courriers et par l’ensemble des discussions menées depuis le début de l’année 1998. La saisine du comité de pilotage prévu par la convention d’interconnexion ne constitue pas un préalable obligatoire à une demande d’interconnexion.
D) Sur les moyens et conclusions présentés par France Télécom dans ses observations en réplique enregistrées le 13 octobre 1999
La collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ favorise le reroutage des appels fixe vers mobile par l’international :
La mise en œuvre d’une offre de collecte du trafic à destination des numéros 3BPQ réduit le montant des investissements nécessaires à la mise en place d’une offre longue distance et provoque une spirale à la baisse des tarifs de collecte entraînant elle−même une baisse des prix de détail. Ces éléments permettent aux fournisseurs de services de faire acheminer leurs numéros par des opérateurs de réseaux pratiquant le reroutage des appels fixe vers mobile par l’international.
L’Autorité ne pouvait pas juridiquement interdire le reroutage par l’international mais elle a explicitement exprimé qu’elle considérait cette pratique comme artificielle et malsaine sur le plan économique.
La demande de Siris est irrecevable et sans objet :
Contrairement à ce que Siris expose, France Télécom n’a jamais prétendu que cet opérateur pratique le reroutage des appels fixe vers mobile par l’international.
Siris n’apporte pas la preuve d’un refus d’interconnexion ou d’un échec des négociations.
En outre, la demande de Siris est devenue sans objet puisque France Télécom a transmis à l’Autorité pour approbation une proposition de collecte du trafic à destination des numéros 3BPQ.
III – Sur la demande présentée par Siris devant l’Autorité Par les motifs suivants :
Sur les dispositions applicables :
Aux termes de l’article L. 34−8 du code des postes et télécommunications :
" I. − Les exploitants de réseaux ouverts au public font droit, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, aux demandes d'interconnexion des titulaires d'une autorisation délivrée en application des articles L. 33−1 et L. 34−1.
La demande d'interconnexion ne peut être refusée si elle est raisonnable au regard, d'une part, des besoins du demandeur, d'autre part, des capacités de l'exploitant à la satisfaire. Le refus d'interconnexion est motivé.
L'interconnexion fait l'objet d'une convention de droit privé entre les deux parties concernées. Cette convention détermine, dans le respect des dispositions du présent code et les décisions prises pour son application, les conditions techniques et financières de l'interconnexion. Elle est communiquée à l'Autorité de régulation des télécommunications.
Lorsque cela est indispensable pour garantir l'égalité des conditions de concurrence ou l'interopérabilité des services, l'Autorité de régulation des télécommunications peut, après avis du Conseil de la concurrence, demander la modification des conventions déjà conclues.
Un décret détermine les conditions générales, notamment celles liées aux exigences essentielles, et les principes de tarification auxquels les accords d'interconnexion doivent satisfaire.
II− Les exploitants de réseaux ouverts au public figurant sur la liste établie en application du 7 de l'article L. 36−7 sont tenus de publier, dans les conditions déterminées par leur cahier des charges, une offre technique et tarifaire d'interconnexion approuvée préalablement par l'Autorité de régulation des télécommunications. Les tarifs d'interconnexion rémunèrent l'usage effectif du réseau de transport et de desserte, et reflètent les coûts correspondants.
L'offre mentionnée à l'alinéa précédent contient des conditions différentes pour répondre, d'une part, aux besoins d'interconnexion des exploitants de réseaux ouverts au public et, d'autre part, aux besoins d'accès au réseau des fournisseurs de service téléphonique au public, compte tenu des droits et obligations propres à chacune de ces catégories d'opérateurs. Ces conditions doivent être suffisamment détaillées pour faire apparaître les divers éléments propres à répondre aux demandes.
(…)
III− Les litiges relatifs aux refus d’interconnexion et aux conditions d’accès peuvent être soumis à l’Autorité de régulation des télécommunications conformément à l’article L. 36−8. "
Aux termes de l’article L. 36−8 du même code :
" I− En cas de refus d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de télécommunications, l’Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l’une ou l’autre des parties.
L’Autorité se prononce, dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat, après avoir mis les parties à même de présenter leurs observations. Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’interconnexion ou l’accès spécial doivent être assurés.
En cas d’atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications, l’Autorité peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner les mesures conservatoires en vue notamment d’assurer la continuité du fonctionnement des réseaux.
L’Autorité rend publiques ses décisions, sous réserve des secrets protégés par la loi. Elle les notifie aux parties. "
" (...) ".
Aux termes de l’article D.99−11 du même code :
Les opérateurs figurant sur la liste établie en application du 7°de l’article L.36−7 sont tenus de publier, dans les conditions déterminées par leur cahier des charges, un catalogue décrivant une offre technique et tarifaire d’interconnexion approuvée préalablement par l’Autorité de régulation des télécommunications. Ils sont soumis aux dispositions du présent paragraphe.
Ces opérateurs ne peuvent évoquer l’existence d’une offre inscrite au catalogue pour refuser d’engager des négociations commerciales avec un autre opérateur, en vue de la détermination de conditions d’interconnexion qui n’auraient pas été prévues par le catalogue, [...]
Sur la procédure :
L’article L.36−8 du code des postes et télécommunications dispose notamment que " en cas de refus d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales (..) l’Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l’une ou l’autre des parties. "
Le différend dont l’Autorité est saisie a pour objet la conclusion d’un avenant à la convention d’interconnexion conclue entre France Télécom et Siris, portant sur les conditions techniques et tarifaires de l’offre de France Télécom, permettant à SIRIS la collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ.
L’Autorité constate que France Télécom et Siris ne sont pas parvenues à un accord à la suite des deux courriers adressés par Siris à France Télécom le 25 juin 1999 et le 13 juillet 1999, lui demandant de lui proposer une offre d’interconnexion permettant à Siris d’offrir la prestation de collecte à ses propres clients. France Télécom a laissé ces courriers sans réponse au motif, selon elle, qu’elle avait, par courrier du 7 juillet 1999, indiqué à l’Autorité qu’elle n’était pas en mesure de proposer une offre de collecte pour compte de tiers vers les numéros 3BPQ, en l’absence de solution préalable au problème du reroutage international des appels fixe vers mobile. France Télécom ne saurait, en gardant le silence, faire obstacle au droit d’un opérateur de saisir l’Autorité d’un règlement de différend, en application de l’article L.36−8 du code des postes et télécommunications. Il y a ainsi lieu de considérer que la saisine déposée par Siris qui respecte les dispositions précitées de l’article L.36−8 du code des postes et télécommunications était recevable.
Par ailleurs, le comité de pilotage prévue à l’article 8.1 de la convention d’interconnexion entre Siris et France Télécom a pour rôle d’assurer le suivi et le respect des dispositions de la convention. Sa saisine ne constitue pas, aux termes mêmes de cet article, un préalable obligatoire à la présentation à l’Autorité d’une demande de règlement d’un différend dans les conditions fixées par l’article L.36−8 du code des postes et télécommunications.
Enfin, l’offre de France Télécom de complément à son catalogue d’interconnexion 1999 soumise à l’approbation de l’Autorité par courrier en date du 3 septembre 1999 est postérieure à la saisine de l’Autorité par Siris et ne peut donc avoir pour effet de rendre rétroactivement irrecevable sa demande de règlement d’un différend.
En outre, cette proposition de complément du catalogue d’interconnexion, qui n’a été ni approuvée par l’Autorité, ni, a fortiori, publiée par France Télécom, n’a pas été reprise dans une proposition adressée par France Télécom à Siris. Ainsi la demande de Siris n’est pas devenue sans objet.
Sur les conditions techniques et tarifaires :
L'Autorité rappelle au préalable qu'en application de sa décision n° 98−1043 susvisée, France Télécom aurait dû, avant le 1er mai 1999, compléter son catalogue d'interconnexion afin d'y inclure la collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ.
L’Autorité constate que, en proposant le 3 septembre 1999 seulement un complément de son catalogue d’interconnexion portant sur la collecte pour compte de tiers du trafic vers les numéros 3BPQ, France Télécom a reconnu que la solution du problème du reroutage international des appels fixe vers mobile ne constituait plus un préalable à l’existence d’une offre de collecte pour compte de tiers vers les numéros 3BPQ.
La question de l’accès aux réseaux mobiles et des mécanismes de reroutage international des appels fixe vers vers mobile doit s’apprécier dans le contexte global de l’évolution de l’économie des réseaux fixes et mobiles. A ce titre, l’Autorité a, notamment dans sa décision n° 98−1043 susvisée, explicitement interdit la collecte d’appels au départ du réseau de France Télécom vers les réseaux mobiles par la sélection de transporteur et par le mécanisme d’accès commuté aux RPV. A l'inverse, l’Autorité a, dans cette même décision, dissocié cette question de celle de l’existence d’une offre de collecte pour compte de tiers vers les numéros 3BPQ afin de permettre sur ce marché le développement d’offres concurrentes de celle de France Télécom et ainsi de contribuer globalement au développement du marché des services à valeur ajoutée accessibles via des numéros courts.
Sur les modalités techniques et tarifaires applicables, le catalogue d’interconnexion 1999 de France Télécom, approuvé par la décision n° 98−1043, prévoit que " les conditions pour l’accès aux services des exploitants de réseau ouverts au public accessibles par des numéros 3BPQ sont celles de l’interconnexion indirecte. ". Ces conditions ne sont pas modifiées par le seul fait que le numéro court 3BPQ n’ait pas été attribué à l’opérateur interconnecté, auquel l’attributaire du numéro court 3BPQ a confié la collecte de son trafic. En conséquence, en l’absence d’autres éléments objectifs et notamment de justifications relatives aux coûts supportés, il n’est pas justifié que, pour la simple extension résultant de la fourniture d’une offre de collecte pour compte de tiers vers les numéros 3BPQ, les conditions figurant au catalogue de France Télécom, qui sont celles de l’interconnexion indirecte (c’est à dire sans majoration " services spéciaux "), soient modifiées.
Au surplus, France Télécom considère que l’offre de complément de son catalogue d’interconnexion 1999 proposée à l’Autorité pour approbation par courrier du 3 septembre 1999 répond en tout point à la demande de Siris compte tenu de la convention d’interconnexion préalablement signée entre les deux parties qui stipule que, pour l’accès aux numéros 3BPQ de Siris, " la prestation d’accès de France Télécom sera facturée à Siris aux tarifs de l’interconnexion indirecte décrits dans le catalogue d’interconnexion en vigueur auxquels est ajoutée la majoration services spéciaux dans le cas des 3BPQ non gratuits pour l’appelant ".
Cependant, cette clause porte sur le trafic à destination des numéros 3BPQ attribués à Siris et non sur le trafic collecté par Siris à destination de numéros 3BPQ attribués à des tiers, objet du différend. La proposition de France Télécom ne répond donc pas à la demande de Siris qui soutient, dans sa saisine, que la majoration " services spéciaux " ne doit pas s’appliquer à l’offre de collecte pour compte de tiers du trafic à destination des numéros 3BPQ. Au demeurant, cette clause de la convention d’interconnexion n’est pas conforme à la disposition précitée du catalogue d’interconnexion de France Télécom, approuvé par la décision n° 98−1043, aux termes de laquelle " les conditions pour l’accès aux services des exploitants de réseau ouverts au public accessibles par des numéros 3BPQ sont celles de l’interconnexion indirecte", c’est à dire sans majoration " services spéciaux ".
Décide :
Article 1er − La demande de la société Siris est recevable et n’est pas devenue sans objet.
Article 2 − France Télécom proposera à Siris une offre d’interconnexion permettant la collecte pour compte de tiers du trafic vers les numéros courts 3BPQ dans les conditions de l’interconnexion indirecte applicable pour l’accès à ces numéros dans le catalogue d’interconnexion, c’est à dire sans majoration " services spéciaux ". La convention d’interconnexion conclue entre France Télécom et Siris sera mise en conformité avec cette décision dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.
Article 3 − Le directeur général de l’Autorité de régulation des télécommunications est chargé de l’application de la présente décision qui sera notifiée à France Télécom et à Siris et publiée au Journal officiel de la République française, sous réserve des secrets protégés par la loi.