Cass. 1re civ., 28 septembre 2022, n° 21-21.738
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
Mme Guihal
Avocat général :
M. Sassoust
Avocats :
Me Soltner, SARL Delvolvé et Trichet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2021), la société CPP Le Mans Distribution (CPP), constituée entre M. [B], gérant, et la société Selima, filiale du groupe Carrefour, a conclu un contrat de franchise avec la société Prodim, devenue la société Carrefour Proximité France (CPF), et un contrat d'approvisionnement avec la société CSF France (CSF).
2. Ces deux contrats, ainsi que le pacte d'associés, la convention de « pack informatique », la convention « SVP social » et le contrat de fidélisation, contenaient une clause compromissoire.
3. Soutenant être victimes de pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence de la part des sociétés CPF, CSF et Selima, la société CPP et son gérant les ont assignées devant un tribunal de commerce.
4. Les sociétés CPF, CSF et Selima ont soulevé l'incompétence des juridictions étatiques en invoquant les clauses compromissoires des contrats de franchises et d'approvisionnement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La société CPP et M. [B] font grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de commerce de Rennes incompétent, de les renvoyer à mieux se pourvoir en application des clauses compromissoires stipulées aux contrats de franchise et d'approvisionnement et de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à tout justiciable un accès effectif au juge, sans condition de ressources ; qu'en application de cet article, l'état d'impécuniosité avéré d'une partie à un contrat contenant une clause compromissoire suffit à caractériser l'inapplicabilité manifeste de cette clause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel retenait l'impécuniosité de la société CPP et de M. [B] en jugeant que "engager plus de 100 000 euros de frais d'arbitrage est impossible et conduirait la société CPP à une situation de cessation des paiements" ; qu'en jugeant pourtant que l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec à l'application du principe compétence-compétence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ce faisant, violé l'article 1448 du code de procédure civile, l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe du droit à l'accès au juge ;
2°/ que l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à tout justiciable un accès effectif au juge, sans condition de ressources ; qu'en refusant de tenir compte de l'état d'impécuniosité du franchisé aux motifs que l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec au principe compétence-compétence en jugeant "qu'il revient aux acteurs de l'arbitrage d'écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités", la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques et a violé l'article 1448 du code de procédure civile, l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, le principe du droit à l'accès au juge, ensemble l'article 455 du Code de procédure civile ;
3°/ que l'état d'impécuniosité avéré d'une partie à un contrat contenant une clause compromissoire suffit à caractériser l'inapplicabilité manifeste de cette clause ; qu'en l'état de conventions connexes et indivisibles, qui contiennent chacune une clause compromissoire propre, prive du droit d'accès au juge le schéma contractuel, qui, dans les faits, empêche les parties de saisir l'arbitre de l'ensemble des contrats imbriqués en interdisant à ce dernier de se prononcer sur un contrat ne contenant pas la clause compromissoire fondant leur saisine ; qu'en l'espèce, les franchisés, sans être utilement contestés faisaient « valoir à cet égard que la relation contractuelle s'inscrit dans un ensemble indivisible et commun constitué d'abord par des statuts à objet social exclusif imposés aux franchisés, puis par des contrats de franchise et d'approvisionnement ainsi que par les contrats dit "accessoires" qui en découlent, le groupe Carrefour empêchant les juridictions saisies d'appréhender les litiges dans leur intégralité » ; que l'arrêt ne contredit pas utilement que sept contrats lient les parties en l'espèce et que tous contiennent une clause d'arbitrage à l'exception des statuts en jugeant que "ils ajoutent que les statuts à objet social exclusif et les contrats de franchise et d'approvisionnement CPF et CSF sont des contrats d'adhésion imposés uniformément à tous les franchisés sans possibilité de négociation." ; qu'en l'espèce le système mis en place par le groupe Carrefour, contenait autant de clauses compromissoires que de contrats tous imbriqués (franchise, contrat d'approvisionnement etc.), de sorte que ces contrats ne pouvaient être examinés ensemble, abstraction faite de l'indivisibilité qui les caractérisait, ce qui conduit le franchisé à engager autant de procédures d'arbitrage qu'il existe de contrats contenant une clause compromissoire ; que ce schéma contractuel est pensé pour priver le franchisé de l'accès à un juge en raison des coûts importants qu'il engendre ; qu'en jugeant que, nonobstant ces éléments, le coût généré par de telles procédures hors frais d'avocats et au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'était pas de nature à conférer un caractère manifestement inapplicable à une clause qui devait pourtant être considérée comme abusive et conduisant à un déni de justice, la cour d'appel a violé l'article 1448 du code civil ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe du droit à l'accès au juge. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
7. Dès lors qu'il n'était pas soutenu qu'une tentative préalable d'engagement d'une procédure arbitrale avait échoué, faute de remède apporté aux difficultés financières alléguées par M. [B] et la société CPP, la cour d'appel a retenu à bon droit, sans méconnaître le droit d'accès au juge, que l'invocation par les demandeurs de leur impécuniosité n'était pas, en soi, de nature à caractériser l'inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires.
8. Le moyen, qui critique un motif surabondant invoqué par la deuxième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.