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Décisions

Cass. com., 28 février 2006, n° 04-17.566

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rennes, 1re ch. A, du 8 juin 2004

8 juin 2004

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que la société Schneider electrice industries (la société SEI) a adressé le 9 mai 2000 à M. Le X... une offre de collaboration dans le cadre de l'acquisition par SEI d'une participation majoritaire dans le capital de la société Steve ingenierie (la société SI) "au terme extinctif au 9 juin 2000" ; que, par accord du 12 juin 2000, concrétisé le 21 juin suivant, la société Gardy, filiale à 100 % de la société SEI, et M. Le X... ont conclu un contrat relatif à l'acquisition du capital des sociétés Financière Le X... et SI, aux termes duquel la société Gardy s'est engagée à acquérir, d'une part, 100 % des actions détenues par la société Financière Le X... dans la société SI et, d'autre part, 33 % des actions détenues directement par M. Le X... ; que ces différentes acquisitions ont permis à la société Gardy de détenir 70 % du capital et des droits de vote de la société SI, les 30 % restant demeurant la propriété de M. Le X... ; que, le 20 juin 2000, la société SI a établi un contrat de travail au profit de M. Le X... en qualité de directeur général ; que le même jour, par deux actes séparés, M. Le X... et la société Gardy ont convenu des conditions dans lesquelles les actions représentant les 30 % restant du capital de la société SI pourraient être cédées ultérieurement ; qu'on été conclues une promesse unilatérale d'achat par laquelle la société Gardy s'est engagée à acheter les 30 % du capital restant de la société SI entre le 1er janvier 2003 et le 31 mars 2003, et une promesse unilatérale de vente par laquelle M. Le X... s'est engagé à vendre ces 30 % à la société Gardy, soit entre le 21 juin 2001 et le 31 décembre 2002, soit entre le 1er avril 2003 et le 31 décembre 2003 ; que ces deux promesses ont fixé les modalités de détermination du prix des actions, en précisant d'une part, que si le résultat d'exploitation de la société SI était inférieur à 15 % du chiffre d'affaires, le prix global et forfaitaire pour l'acquisition des actions serait fixé à une somme de deux millions de francs, d'autre part, qu'en cas de démission de M. Le X... de ses fonctions de mandataire social, ou de révocation de celui-ci pour faute ou incompétence, le prix global et forfaitaire pour l'acquisition des actions serait fixé à une somme de 600 000 francs ; que le 29 juin 2000, le conseil d'administration de la société SI a pris acte de la démission de M. Le X... de ses fonctions de président du conseil d'administration et d'administrateur, et a désigné celui-ci en qualité de directeur général non administrateur ; qu'en juin 2001, le conseil d'administration a arrêté les comptes, faisant apparaître une perte nette de 8 082 222,75 francs pour l'exercice clos au 31 décembre 2000, pour un chiffre d'affaires de 1 445 472 francs et a proposé la restructuration du capital ; que, par lettre du 27 juin 2001, M. Le X... a été convoqué aux assemblées générales ordinaire et extraordinaire du 13 juillet suivant, ayant pour objet de procéder à la recapitalisation de la société, mais a décidé de ne pas y participer ; que le 13 juillet 2001, l'assemblée générale extraordinaire a décidé d'apurer les pertes de l'exercice 2000 de la société SI, en deux étapes : - par une première réduction du capital à zéro, suivie d'une première augmentation de capital d'un montant de 4 500 000 francs par l'émission de 45 000 nouvelles actions de 100 francs, avec droit préférentiel de souscription au profit de tous les anciens actionnaires touchés par l'opération de réduction de capital, - par une seconde opération de réduction du capital à zéro, suivie d'une seconde augmentation de capital à hauteur de 4 500 000 francs, se matérialisant par l'émission de 2 500 actions de 1 800 francs ; qu'à la suite de cette opération, les actions détenues par M. Le X... ont été annulées, ce qui a entraîné la caducité des promesses d'achat et de vente conclues le 12 juin 2000 avec la société Gardy ; que, par acte du 11 juillet 2001, M. Le X... a assigné les sociétés SI, Gardy et SEI afin d'obtenir, d'une part, l'exécution de la promesse d'achat portant sur 30 % du capital de la société SI et, d'autre part, la constatation du caractère prétendument abusif de la révocation de ses fonctions de directeur général ; que la cour d'appel après avoir mis hors de cause la société SEI, a décidé d'une part, que les deux réductions et augmentations de capital successives, destinées à apurer les pertes de la société SI et ayant conduit à annuler les actions détenues par M. Le X..., étaient constitutives d'un abus de majorité commis par la société Gardy, et a en conséquence condamné celle-ci à payer à M. Le X... la somme globale de 305 446,85 euros et considéré d'autre part, que la révocation de M. Le X... de ses fonctions de directeur général était abusive ; qu'elle a condamné les sociétés SI et Gardy à verser solidairement à M. Le X... des dommages-intérêts pour un montant de 30 000 euros et a rejeté la demande de la société SI tendant à obtenir le remboursement par M. Le X... de la somme de 114 364,68 euros, correspondant à la rémunération qui lui avait été versée en tant que directeur général ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que les sociétés SI et Gardy font grief à l'arrêt d'avoir jugé que les deux opérations combinées de réduction puis d'augmentation du capital social de la société SI étaient constitutives d'un abus de majorité et d'avoir condamné la société Gardy à payer à M. Le X... une somme globale de 305 446,85 euros, alors, selon le moyen, que seule une décision prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité peut être constitutive d'un abus de majorité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que l'opération de restructuration du capital de la société Steve Ingenierie n'était pas "fondée sur le seul souci d'assurer la pérennité" de celle-ci, ce dont il résulte qu'elle était nécessairement conforme à l'intérêt social puisque l'une de ses finalités était en tout état de cause la sauvegarde de l'entreprise ; qu'en décidant cependant que la décision ayant conduit à l'opération litigieuse était constitutive d'un abus de majorité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu que les réductions et augmentations successives du capital qui n'avaient pas eu pour seul objectif de satisfaire à l'obligation légale de recapitaliser la société SI conformément à l'article L. 225-248 du Code de commerce mais avait aussi permis aux sociétés de ne pas honorer leurs engagements envers M. Le X... ; qu'en ayant déduit que cette opération était constitutive d'un abus de majorité, elle a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Attendu que les sociétés SI et Gardy font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à obtenir le remboursement par M. Le X... de la somme de 114 364,38 euros, alors, selon le moyen, que seul le conseil d'administration a compétence pour fixer la rémunération du directeur général, et ce à peine de nullité ; qu'en déboutant les sociétés Steve ingenierie et Gardy de leur demande de remboursement des sommes perçues par M. Le X... en tant que directeur général, sans répondre à leurs conclusions qui faisaient valoir que cette rémunération n'avait pas été votée par le conseil d'administration et devait en conséquence être restituée à la société, la cour d'appel a éludé un moyen pourtant déterminant et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'au moment de sa nomination en qualité de directeur général, M. Le X... avait donné sa démission de président directeur général et d'administrateur de la société SI et que sa rémunération résultait d'un contrat de travail salarié de directeur général, fonction qu'il a effectivement exercée ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. Le X... fait grief à l'arrêt d'avoir mis la société SEI hors de cause alors, selon le moyen :

1 ) que l'accord de principe est un accord par lequel les parties s'obligent uniquement à engager ou poursuivre de bonne foi la négociation d'un contrat futur dont les conditions essentielles restent à définir ; qu'en l'espèce, il résulte de l'offre de collaboration du 9 mai 2000 acceptée par lui que la société SEI s'était engagée à lui racheter sa participation restante dans le capital, moyennant un prix déterminé, s'il en faisait la demande dans un certain délai, la rémunération de sa participation lui étant en outre garantie même en cas d'augmentation ou de diminution du capital de SI ; qu'il s'était pareillement engagé à lui vendre sa participation dans les mêmes conditions si la société Schneider electrice industries lui en faisait la demande dans un certain délai ; qu'en qualifiant cet engagement synallagmatique de simple "accord préalable de principe" lorsque les parties s'étaient irrévocablement engagées l'une envers l'autre à acheter et à vendre cette participation dans des conditions parfaitement définies, la cour d'appel a dénaturé l'accord du 9 mai 2000 en violation des articles 1101, 1102 et 1134 du Code civil ;

2 ) qu'en tout état de cause, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et ne peut être modifié par le juge ; qu'en l'espèce, il faisait valoir que les opérations visant à annuler ses actions résultaient d'une machination orchestrée par la société Schneider electrice industries qui, après son offre de collaboration du 9 mai 2000 en vue d'acquérir une participation dans Steve ingenierie et à lui racheter ses parts restantes, s'était ensuite substituer une filiale détenue à 100 % pour justifier son refus, dès avant les opérations de double coup d'accordéon, de tenir ses engagements, pour finalement ni plus ni moins tenter de dissimuler au juge sa participation à l'opération litigieuse dès le stade de l'offre de collaboration ;

qu'il en déduisait que la société Schneider electrice industries avait concouru par ses agissements à le placer dans une terrible situation financière ; qu'en affirmant que le litige tel que tranché ne portait pas sur les agissements de la société Schneider electrice industries, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société SEI, à l'origine des premiers contacts avec M. Le X..., n'était pas signataire du contrat d'acquisition du 12 juin 2000, du protocole de transaction du 21 juin 2000, ni des protocoles d'achat et de vente signés le même jour par la société Gardy ; que la société SEI n'a pris aucun engagement avec M. Le X... et que ce dernier n'apporte pas de preuve contraire ; que, par ailleurs, le litige tel que présenté par les parties ne portait pas sur les agissements de la SEI ; qu'il en déduit que M. Le X... ne pouvait attraire à la procédure la société SEI et ne pouvait de ce fait solliciter la condamnation de celle-ci à des dommages-intérêts résultant d'une part, du préjudice consécutif à la révocation de M. Le X... par le conseil d'administration de la société SI et d'autre part, du prix de cession des actions qu'elle ne s'était pas engagée à acquérir ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a, sans dénaturation de "l'offre de collaboration du 9 mai 2000", pu qualifier ce dernier de simple accord de principe dès lors que les parties ne s'étaient pas engagées de façon irrévocable l'une envers l'autre à acheter et à vendre la participation de M. Le X... dans la société SI dans des conditions définies ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches :

Vu l'article L. 225-55 du Code de commerce ;

Attendu que pour juger abusive la révocation de M. Le X... de son poste de directeur général et condamner les sociétés SI et Gardy à lui verser solidairement la somme de 30 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral, l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que le principe de la contradiction n'a pas été réellement respecté et que les motifs donnés pour la révocation n'ont été connus de M. Le X... que postérieurement au conseil d'administration tandis qu'ils portaient sur des faits déjà révélés par les commissaires aux comptes ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la révocation du directeur général d'une société peut être décidée à tout moment, sans préavis, ni précision de motifs lesquels n'ont pas à être communiqués préalablement au dirigeant par le conseil d'administration et que le principe de la contradiction suppose seulement que le dirigeant ait été mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la décision de révocation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne la révocation qualifiée d'abusive de M. Le X... de son poste de directeur général, l'arrêt rendu le 8 juin 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.