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Décisions

CJUE, 4e ch., 16 mars 2023, n° C-522/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

MS

Défendeur :

Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

C. Lycourgos

Juges :

L. S. Rossi, J. C. Bonichot, S. Rodin, O. Spineanu Matei (rapporteure)

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

K. von Gierke, E. Trauernicht, N. Küster

CJUE n° C-522/21

15 mars 2023

LA COUR (quatrième chambre),

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1995, L 173, p. 14), tel que modifié par le règlement (CE) no 2605/98 de la Commission, du 3 décembre 1998 (JO 1998, L 328, p. 6) (ci-après le « règlement no 1768/95 »), au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1994, L 227, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MS à Saatgut Treuhandverwaltungs GmbH (ci-après « STV ») au sujet du calcul du montant de la réparation du préjudice subi par cette dernière, résultant de la mise en culture illicite de la variété d’orge d’hiver KWS Meridian par MS.

 Le cadre juridique

 Le règlement no 2100/94

3 L’article 11 du règlement no 2100/94, intitulé « Droit à la protection communautaire des obtentions végétales », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La personne qui a créé ou qui a découvert et développé la variété, ou son ayant droit ou ayant cause, ci-après dénommés l’un et l’autre “obtenteur”, ont droit tous deux, tant la personne que son ayant droit ou ayant cause, à la protection communautaire des obtentions végétales. »

4 L’article 13 de ce règlement, intitulé « Droits du titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales et limitations », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1. La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés “titulaire”, le droit d’accomplir les actes indiqués au paragraphe 2.

2. Sans préjudice des articles 15 et 16, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, ci-après dénommés “matériel” :

a) production ou reproduction (multiplication) ;

[...]

Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.

3. Le paragraphe 2 s’applique au matériel de récolte uniquement si celui-ci a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux. »

5 L’article 14 dudit règlement, intitulé « Dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales », prévoit :

« 1. Nonobstant l’article 13, paragraphe 2, et afin de sauvegarder la production agricole, les agriculteurs sont autorisés à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture, dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété bénéficiant d’une protection communautaire des obtentions végétales autre qu’une variété hybride ou synthétique.

2. Le paragraphe 1 s’applique uniquement aux espèces de plantes agricoles suivantes.

[...]

b) Céréales :

[...]

Hordeum vulgare L. – Orge

[...]

3. Les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue au paragraphe 1 et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur sont fixées, avant l’entrée en vigueur du présent règlement, dans le règlement d’application visé à l’article 114, sur la base des critères suivants :

– il n’y a aucune restriction quantitative au niveau de l’exploitation de l’agriculteur dans la mesure nécessaire aux besoins de l’exploitation,

– le produit de la récolte peut être préparé en vue de la mise en culture, par l’agriculteur lui-même ou par prestation de services, sans préjudice de certaines restrictions que les États membres peuvent établir sur le plan de l’organisation de la préparation dudit produit de la récolte, notamment en vue de garantir que le produit soumis à préparation est identique à celui qui résulte de la préparation,

– les petits agriculteurs ne sont pas tenus de payer une rémunération au titulaire ; [...]

[...]

– les autres agriculteurs sont tenus de payer au titulaire une rémunération équitable, qui doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région ; le niveau effectif de cette rémunération équitable peut être sujet à des variations dans le temps, compte tenu de la mesure dans laquelle il sera fait usage de la dérogation prévue au paragraphe 1 pour la variété concernée,

– la responsabilité du contrôle de l’application du présent article ou des dispositions adoptées au titre du présent article incombe exclusivement aux titulaires ; dans l’organisation de ce contrôle, ils ne peuvent pas avoir recours aux services d’organismes officiels,

– toute information pertinente est fournie sur demande aux titulaires par les agriculteurs et les prestataires d’opérations de triage à façon ; toute information pertinente peut également être fournie par les organismes officiels impliqués dans le contrôle de la production agricole, si cette information a été obtenue dans l’exercice normal de leurs tâches, sans charges ni coûts supplémentaires. [...] »

6 L’article 94 du même règlement, intitulé « Contrefaçon », est libellé comme suit :

« 1. Toute personne qui :

a) accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, à l’égard d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales

[...]

peut faire l’objet d’une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre.

2. Toute personne qui agit de propos délibéré ou par négligence est en outre tenue de réparer le préjudice subi par le titulaire. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon. »

7 L’article 114 du règlement no 2100/94, intitulé « Autres règles d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les modalités d’application du présent règlement sont fixées par un règlement d’application. [...] »

 Le règlement no 1768/95

8 Le règlement no 1768/95 a été adopté sur le fondement de l’article 114 du règlement no 2100/94.

9 L’article 5 du règlement no 1768/95, intitulé « Niveau de la rémunération », dispose :

« 1. Le niveau de la rémunération équitable à payer au titulaire en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement [no 2100/94] peut faire l’objet d’un contrat entre le titulaire et l’agriculteur concernés.

2. Lorsqu’aucun contrat de ce type n’a été conclu ou n’est applicable, le niveau de la rémunération sera sensiblement inférieur au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la catégorie la plus basse de la même variété susceptible de bénéficier de l’homologation officielle, dans la même région.

[...]

4. Lorsque, dans le cas du paragraphe 2, le niveau de la rémunération fait l’objet d’accords entre organisations de titulaires et d’agriculteurs, [...] les niveaux convenus servent de lignes directrices pour la détermination de la rémunération à verser dans la région et pour l’espèce en cause si ces niveaux et les conditions y afférentes ont été notifiés par écrit à la Commission par des représentants agréés des organisations entrant en ligne de compte et si les niveaux et conditions y afférentes convenus sur cette base ont été publiés [...].

5. Lorsque, dans le cas du paragraphe 2, un accord du type visé au paragraphe 4 n’est pas applicable, la rémunération à verser est de 50 % des montants dus pour la production sous licence de matériel de multiplication, comme indiqué au paragraphe 2.

Toutefois, si un État membre a notifié à la Commission, avant le 1er janvier 1999, la conclusion imminente d’un accord au sens du paragraphe 4, entre les organisations entrant en ligne de compte, établies au niveau national ou régional, la rémunération à verser dans la région et pour l’espèce en cause est de 40 % au lieu de 50 % comme indiqué ci-dessus, mais uniquement pour l’exemption agricole dont il est fait usage avant la mise en œuvre de cet accord et au plus tard le 1er avril 1999.

[...] »

10 L’article 17 de ce règlement, intitulé « Contrefaçon », prévoit :

« Le titulaire peut invoquer les droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales, à l’encontre d’une personne qui enfreint l’une des conditions ou limitations attachées à la dérogation visée à l’article 14 du règlement [no 2100/94], telle que spécifiée dans le présent règlement. »

11 L’article 18 dudit règlement, intitulé « Actions particulières de droit civil », dispose :

« 1. Une personne visée à l’article 17 peut faire l’objet d’une action, intentée par le titulaire, en vue du respect de ses obligations au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement [no 2100/94] telles que spécifiées dans le présent règlement.

2. Si, à plusieurs reprises et intentionnellement, une telle personne n’a pas rempli son obligation au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement [no 2100/94], en ce qui concerne une ou plusieurs variétés du même titulaire, la réparation du dommage subi par le titulaire, au sens de l’article 94, paragraphe 2, du règlement [no 2100/94] représentera au moins un montant forfaitaire qui sera calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de variétés protégées de l’espèce végétale concernée dans la même région, sans préjudice de la compensation de tout autre dommage plus important. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12 STV est un groupement de titulaires de variétés végétales protégées, qui est chargé par ses membres de défendre leurs droits et, en particulier, de présenter en son nom propre des demandes d’information ainsi que des demandes de paiement.

13 MS est un agriculteur ayant mis en culture, au cours des quatre campagnes de commercialisation 2012/2013 à 2015/2016, la variété d’orge d’hiver KWS Meridian, protégée au titre du règlement no 2100/94.

14 STV a introduit un recours pour obtenir notamment des informations sur cette mise en culture. MS a fourni, pour la première fois devant la juridiction de première instance, les chiffres relatifs aux opérations de triage de la semence de la variété d’orge d’hiver KWS Meridian pour ces quatre campagnes, à savoir, respectivement, des quantités de 24,5, 26, 34 et 45,4 quintaux de semences.

15 MS a alors versé, pour les campagnes de commercialisation 2013/2014, à 2015/2016, des montants correspondants à la redevance due pour l’usage sous licence de semences de la variété d’orge d’hiver KWS Meridian et calculée de la même manière que celle pour la campagne de commercialisation 2015/2016, ce montant correspondant à la rémunération équitable au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94.

16 STV a demandé, pour les trois campagnes de commercialisation en question, le versement de dommages-intérêts supplémentaires, à concurrence du quadruple de cette redevance, au titre de la réparation prévue à l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1768/95 (ci-après la « disposition litigieuse »), en déduisant de ce montant celui correspondant à ladite redevance versé par MS pour ces trois campagnes.

17 MS a contesté le droit de STV à un tel versement. À cet égard, il a soutenu, en substance, que le préjudice causé à STV avait été réparé par le versement de la rémunération équitable, au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94, au lieu du versement du montant dû au titre de la mise en culture, déterminé conformément à l’article 5, paragraphe 5, du règlement no 1768/95. Il a également fait valoir que l’imposition de dommages-intérêts punitifs, généraux et supplémentaires, n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour.

18 Par jugement du 4 décembre 2020, le Landgericht Kaiserslautern (tribunal régional de Kaiserslautern, Allemagne) a, en substance, fait droit à la demande de STV, en précisant se référer aux termes clairs de la disposition litigieuse.

19 MS a interjeté appel de ce jugement devant le Pfälzisches Oberlandesgericht Zweibrücken (tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken, Allemagne), la juridiction de renvoi. Selon MS, la disposition litigieuse doit être invalidée, au motif qu’elle n’est pas conforme à l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, qui n’autoriserait pas l’allocation, au titulaire, de dommages-intérêts punitifs forfaitaires, équivalant, en l’occurrence, au quadruple de la redevance qui serait due pour la production sous licence (ci-après la « redevance de licence »).

20 STV soutient que la disposition litigieuse n’enfreint pas l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 et qu’elle est conforme à la jurisprudence de la Cour.

21 La juridiction de renvoi estime que la décision qu’elle devra adopter dépend exclusivement du point de savoir si la disposition litigieuse est valide. Ayant rappelé qu’un règlement adopté en application d’un règlement de base, en vertu d’une habilitation figurant dans celui-ci, ne saurait déroger aux dispositions de ce dernier, dont il est dérivé, au risque, sinon, d’encourir l’annulation, elle observe que la disposition litigieuse, par laquelle la Commission a fixé le niveau de l’indemnisation forfaitaire minimale à hauteur du quadruple de la redevance de licence, pourrait enfreindre l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 2100/94 et être invalide à ce titre.

22 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, afin de compenser l’avantage tiré par le contrefacteur, l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement prévoit une rémunération équitable, qui correspond au montant de la redevance de licence. Dans ce contexte, l’article 94, paragraphe 2, première phrase, dudit règlement pourrait devoir être interprété en ce sens que le titulaire ne devrait avoir un droit à la réparation d’un préjudice supplémentaire, en cas de violation de propos délibéré ou par négligence, qu’à la condition de démontrer concrètement un tel préjudice. Selon la juridiction de renvoi, il semble ressortir de la jurisprudence de la Cour que la fixation, par la voie d’une norme générale, d’un niveau de préjudice minimal n’est pas compatible avec l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 2100/94.

23 C’est dans ce contexte que le Pfälzisches Oberlandesgericht Zweibrücken (tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 18, paragraphe 2, du règlement [no 1768/95] est-il, dans la mesure où, d’après les conditions qui y sont citées, une réparation minimale à concurrence du quadruple de la redevance de licence peut être réclamée, compatible avec le règlement [no 2100/94] et, en particulier, son article 94, paragraphe 2, première phrase ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

24 Dans ses observations, la Commission, sans toutefois clairement soutenir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, observe que les circonstances entourant la procédure au principal, telles qu’elles ressortent de la décision de renvoi, sont peu claires. Elle s’interroge sur le point de savoir si, en l’occurrence, les conditions énoncées à l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 2100/94, notamment celles tenant à l’utilisation du produit de la récolte d’une variété protégée afin de sauvegarder la production agricole, à des fins de multiplication, en plein air, dans l’exploitation de l’agriculteur, étaient réunies au cours des campagnes de commercialisation 2013/2014 à 2015/2016.  Elle soutient que, si tel n’est pas le cas, cette disposition et la disposition litigieuse ne sont pas pertinentes pour la solution du litige au principal et la réponse à la question préjudicielle n’est pas décisive à cet égard. Elle souligne néanmoins que la question de savoir si les conditions factuelles fixées à cet article 14 sont remplies ne peut être appréciée que par la juridiction de renvoi, à laquelle il appartient d’établir tous les faits pertinents.

25 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence de la question qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par le juge national portent sur la validité d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C 311/18, EU:C:2020:559, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

26 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 28 avril 2022, Caruter, C 642/20, EU:C:2022:308, point 29 et jurisprudence citée).

27 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le juge national éprouve des doutes, non pas sur la vocation de la disposition litigieuse à s’appliquer au litige au principal, mais sur sa validité au regard du règlement no 2100/94 et, en particulier, de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, de celui-ci. Il ressort également de la décision de renvoi que MS a soutenu, en première instance, que le préjudice causé à STV avait été réparé par le versement de la rémunération équitable, au sens de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94, au lieu du versement du montant dû au titre de la mise en culture, déterminé conformément à l’article 5, paragraphe 5, du règlement no 1768/95. Or, cette dernière disposition concerne le niveau de rémunération équitable à payer au titulaire en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement no 2100/94, ce qui suppose que les conditions énoncées à l’article 14, paragraphe 1, de ce règlement, notamment celles tenant à l’utilisation du produit de la récolte d’une variété protégée afin de sauvegarder la production agricole, à des fins de multiplication, en plein air, dans l’exploitation de l’agriculteur, sont réunies. Il ressort enfin de la décision de renvoi que les parties au litige au principal ne s’opposent que sur le montant des dommages-intérêts à verser en raison d’une mise en culture non autorisée.

28 Partant, il n’apparaît pas, et encore moins de manière manifeste, que l’appréciation de validité sollicitée par la juridiction de renvoi n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème soit de nature hypothétique.

29 Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur la question préjudicielle

30 Par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la disposition litigieuse est valide au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 2100/94, dans la mesure où elle prévoit, en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable, due au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, de ce règlement, une réparation du dommage subi par le titulaire qui représente au moins un montant forfaitaire calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de variétés protégées de l’espèce végétale concernée dans la même région.

31 Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, l’autorisation du titulaire est requise, en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, notamment pour la production ou la reproduction (multiplication).

32 Cependant, afin de sauvegarder la production agricole, l’article 14, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que, par dérogation  à l’obligation d’obtenir l’autorisation du titulaire, les agriculteurs peuvent utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété protégée, comprise dans la liste des espèces de plantes agricoles énumérées à l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement. L’application de cette dérogation est subordonnée à la réunion de certaines conditions.

33 L’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2100/94, d’une part, dispose que ces conditions sont fixées dans le règlement d’application visé à l’article 114 de ce règlement, sur la base de critères qui permettent de donner effet à cette dérogation et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur, défini à l’article 11, paragraphe 1, dudit règlement, et de l’agriculteur et, d’autre part, énonce ces différents critères. Figure au nombre de ces derniers celui fixé à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du même règlement consistant dans le paiement, au titulaire, d’une rémunération équitable dérogatoire due au titre de cette utilisation (ci-après la « rémunération équitable dérogatoire »). Cette rémunération doit être sensiblement inférieure au montant de la redevance de licence.

34 Un agriculteur qui relève de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement no 2100/94 mais ne verse pas la rémunération qui y est visée au titulaire ne saurait bénéficier de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, de ce règlement et doit être regardé comme accomplissant, sans y avoir été autorisé, l’un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, de ce règlement. En vertu de l’article 94, paragraphe 1, dudit règlement, cet agriculteur peut faire l’objet d’une action, intentée par ce titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre. S’il agit de propos délibéré ou par négligence, l’agriculteur est en outre tenu de réparer le préjudice subi par ledit titulaire, conformément à l’article 94, paragraphe 2, du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2015, Saatgut-Treuhandverwaltung, C 242/14, EU:C:2015:422, point 22 et jurisprudence citée).

35 Dès lors que le règlement no 1768/95 tend à préciser les critères énoncés à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 et que, dans l’exercice de ses compétences d’exécution, la Commission est autorisée à adopter toutes les mesures d’application nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre de ce dernier règlement, pour autant toutefois que, notamment, elles ne soient pas contraires à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2014, Parlement/Commission, C 65/13, EU:C:2014:2289, point 44 et jurisprudence citée), il y a lieu de déterminer si, en prévoyant, par la disposition litigieuse, un montant forfaitaire minimal pour la réparation du dommage subi par le titulaire, la Commission a méconnu l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, tel qu’interprété par la Cour.

36 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 94 du règlement no 2100/94 fonde un droit au dédommagement au profit du titulaire du droit à la protection communautaire d’une obtention végétale qui est, non seulement intégral, mais qui repose, en outre, sur une base objective, à savoir qu’il couvre uniquement le préjudice résultant d’un acte de contrefaçon de cette obtention, sans que cet article puisse servir de fondement à l’imposition d’un supplément forfaitaire pour contrefaçon (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, points 33 et 43).

37 Dès lors, l’article 94 du règlement no 2100/94 ne peut être interprété comme pouvant servir de base légale, au profit de ce titulaire, à la condamnation du contrefacteur à des dommages-intérêts d’ordre punitif, fixés de façon forfaitaire (arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 34).

38 Au contraire, l’étendue de la réparation due en vertu de cet article 94 doit refléter précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par ledit titulaire du fait de la contrefaçon (arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 35).

39 En effet, d’une part, l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94 a pour objet de compenser financièrement l’avantage que tire l’auteur de la contrefaçon, cet avantage correspondant au montant équivalent à la redevance de licence dont il ne s’est pas acquitté. À cet égard, la Cour a précisé que cette disposition ne prévoit pas la réparation des préjudices autres que ceux liés au défaut du paiement de « la rémunération équitable » au sens de cette disposition (arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 31 et jurisprudence citée).

40 D’autre part, l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 concerne le préjudice que le contrefacteur est « en outre » tenu de réparer au profit du titulaire en cas de contrefaçon commise « de propos délibéré ou par négligence » (arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 32).

41 S’agissant de l’étendue de la réparation du préjudice subi, prévue à l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, la Cour a relevé qu’il appartient au titulaire de la variété contrefaite d’apporter les éléments démontrant que son préjudice excède les éléments couverts par la rémunération équitable prévue au paragraphe 1 de cet article (arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 56).

42 À ce titre, le montant de la redevance de licence ne saurait per se servir de fondement à l’évaluation de ce préjudice. En effet, une telle redevance permet le calcul de la rémunération équitable prévue à l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 2100/94 et ne présente pas nécessairement de lien avec le préjudice qui demeure non réparé (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 57).

43 En tout état de cause, il appartient au juge saisi d’apprécier si les préjudices invoqués par le titulaire de la variété contrefaite peuvent être prouvés avec précision ou s’il y a lieu de procéder à la fixation d’un montant forfaitaire, reflétant au mieux la réalité de ces préjudices (arrêt du 9 juin 2016, Hansson, C 481/14, EU:C:2016:419, point 59).

44 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la validité, au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 2100/94, de la disposition litigieuse.

45 En premier lieu, il convient de relever que la disposition litigieuse fixe un montant forfaitaire minimal calculé par référence au montant moyen de la redevance de licence, alors que le montant de cette redevance ne saurait per se servir de fondement à l’évaluation du préjudice au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, ainsi qu’il a été rappelé au point 42 du présent arrêt.

46 En deuxième lieu, l’institution d’un montant forfaitaire minimal pour la réparation du dommage subi par le titulaire implique, ainsi que l’a indiqué la Commission en réponse à une question posée par la Cour, que ce titulaire n’est pas tenu de prouver l’étendue du préjudice subi, mais seulement l’existence d’une atteinte, répétée et intentionnelle, à ses droits. Or, ainsi qu’il a été rappelé aux points 38 et 41 du présent arrêt, le dédommagement au titre de l’article 94 du règlement no 2100/94 doit refléter précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par un tel titulaire à qui il appartient d’apporter les éléments démontrant que le préjudice visé au paragraphe 2 de cet article excède les éléments couverts par la rémunération équitable prévue au paragraphe 1 dudit article.

47 L’institution d’un montant forfaitaire minimal de réparation implique également l’établissement d’une présomption irréfragable quant à l’étendue minimale de ce préjudice et limite le pouvoir d’appréciation du juge, ce dernier ne pouvant que majorer le montant forfaitaire minimal fixé par la disposition litigieuse, mais non le diminuer, et ce, comme la Commission l’a reconnu en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience sur ce point, même si le préjudice réel peut être facilement établi et s’avère être inférieur à ce montant forfaitaire minimal.

48 Enfin, conformément à la jurisprudence rappelée au point 43 du présent arrêt, le dédommagement au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94 ne peut être fixé de manière forfaitaire que sur la base d’une appréciation du juge saisi. Partant, en prévoyant un montant forfaitaire minimal pour réparer le dommage subi par le titulaire, la disposition litigieuse limite à cet égard également le pouvoir d’appréciation de ce juge.

49 En troisième lieu, alors que, comme il a été rappelé aux points 37 et 38 du présent arrêt et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 83 de ses conclusions, l’étendue de la réparation due au titre de l’article 94 du règlement no 2100/94 doit refléter précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par le titulaire, sans aboutir à une condamnation à caractère punitif, la disposition litigieuse peut, en établissant le niveau de la réparation d’un tel préjudice à un montant forfaitaire minimal calculé sur la base du quadruple du montant moyen de la redevance de licence, conduire à l’octroi de dommages-intérêts de nature punitive.

50 En quatrième lieu, s’agissant des arguments de la Commission fondés sur l’arrêt du 25 janvier 2017, Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa (C 367/15, EU:C:2017:36), comme M. l’avocat général l’a relevé, aux points 87 et 88 de ses conclusions, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt portait sur l’interprétation de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45), tandis que, dans la présente affaire, la Cour est appelée à apprécier la validité d’une disposition du règlement no 1768/95, qui est une mesure d’application du règlement no 2100/94 et qui, ainsi qu’il a été relevé au point 35 du présent arrêt, doit à ce titre être conforme à ce règlement et, en particulier, à son article 94, paragraphe 2. En outre, cette directive concerne tous les droits de propriété intellectuelle, et non pas seulement la protection communautaire des obtentions végétales, et la diversité des possibles atteintes et violations des droits qu’elle vise est large. Partant, même si ladite directive peut, le cas échéant, constituer un élément de contexte pertinent à prendre en compte aux fins de l’interprétation du règlement no 2100/94, il importe cependant d’éviter d’attribuer, sous couvert d’une interprétation contextuelle de ce règlement, une portée à celui-ci qui ne correspond pas à son libellé et à sa finalité s’agissant du régime de protection communautaire des obtentions végétales.

51 Ainsi qu’il ressort des points 45 à 49 du présent arrêt, en ce qu’elle fixe le montant de la réparation due en rapport avec la redevance de licence, instaure une présomption irréfragable quant à l’étendue minimale du préjudice subi par le titulaire et limite le pouvoir d’appréciation du juge saisi, la disposition litigieuse est contraire à l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, tel qu’interprété par la Cour. La circonstance, avancée par STV et par la Commission, que cette disposition s’applique uniquement en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable dérogatoire prévue à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, de ce règlement, n’est pas de nature à modifier cette conclusion. Ainsi, par l’adoption de la disposition litigieuse la Commission a, eu égard à l’article 94, paragraphe 2, du règlement no 2100/94, outrepassé les limites de sa compétence d’exécution.

52 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la disposition litigieuse est invalide, au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 2100/94, dans la mesure où elle prévoit, en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable dérogatoire, due au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement no 2100/94, une réparation du dommage subi par le titulaire qui représente au moins un montant forfaitaire calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de variétés protégées de l’espèce végétale concernée dans la même région.

 Sur les dépens

53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2100/94 du Conseil, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, tel que modifié par le règlement (CE) no 2605/98 de la Commission, du 3 décembre 1998, est invalide.