CA Paris, 4e ch. A, 14 mars 2007, n° 06/13425
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sankyo Company Limited (Sté)
Défendeur :
Teva Classics (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mme Magueur, Mme Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Grappotte-Benetreau, SCP Fisselier - Chiloux - Boulay
Avocats :
Me Monégier du Sorbier, Me Desrousseaux
Vu le recours formé par la société SANKYO COMPANY LIMITED, ci-après la société SANKYO, et ses dernières écritures, en date du 2 février 2007, par lesquelles elle poursuit l'annulation de la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 3 juillet 2006 en ce qu'il a rejeté le recours en annulation de la décision de constatation de déchéance du CCP N° 92C0224 et de la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 26 janvier 2005 ayant prononcé la déchéance de ses droits sur le CCP précité et qui demande à la Cour de dire que l'arrêt à intervenir sera notifié par le greffe au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, aux fins d'inscription au registre national des brevets, en application de l'article R. 411-26 du Code de la propriété intellectuelle ;
Vu l'intervention volontaire de la société TEVA CLASSICS, ci-après la société TEVA, et ses ultimes écritures, en date du 9 février 2007, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de la déclarer recevable en son intervention volontaire et de rejeter le recours de la société SANKYO contre la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle du 3 juillet 2006 ;
Vu les observations, en date du 3 janvier 2007, du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle tendant au rejet du recours formé par la société SANKYO ;
Le ministère public entendu en ses explications ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que :
* la société SANKYO est titulaire du certificat complémentaire de protection (CCP) N° 92CO224, déposé le 19 mai 1992 et rattaché au brevet français demandé le 5 juin 1981 sous le N° 80 11190 et publié sous N° 2 483 212,
* le CCP N° 92CO224 a, par application de l'article L. 613-22 du Code de la propriété intellectuelle, fait l'objet d'une décision de constatation de déchéance datée du 26 janvier 2005 au motif que la 4ème annuité n'aurait pas été versée en temps utile ou l'aurait été à un taux insuffisant,
* le 28 juin 2006, la société SANKYO a présenté une requête au directeur général de l'INPI afin que cette décision soit annulée motif pris que le versement de la 4ème annuité ayant été régulièrement effectué dans le délai, la décision de constatation de déchéance émise n'était pas fondée,
* par décision du 3 juillet 2006, le directeur général de l'INPI a rejeté cette requête au motif qu'elle n'aurait pas été déposée dans le délai légal ;
* sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société TEVA :
Considérant que la société SANKYO soutient que la société TEVA serait irrecevable en son intervention volontaire ; que, à cette fin, elle fait valoir que dans la présente procédure relative à la restauration d'un certificat complémentaire de protection dont la déchéance a été prononcée à tort par le directeur général de l'INPI et sur lequel la société TEVA ne jouirait d'aucun droit, elle ne saurait avoir la qualité de partie ;
Mais considérant que, prenant en considération la circonstance selon laquelle le CCP N° 92CO224 avait fait l'objet d'une constatation de déchéance, la société intervenante a, dès le mois de juillet 2006, commercialisé le générique PRAVASTATINE TEVA de sorte que, se prévalant d'un intérêt à agir, son intervention est, en application des dispositions de l'article 325 du nouveau Code de procédure civile, recevable ;
* sur le fond :
Considérant que, pour s'opposer aux prétentions de la société SANKYO, la société TEVA fait valoir, en premier lieu, que le recours formé par la société requérante ne viserait que la décision du 3 juillet 2006, de sorte que la Cour, n'étant pas saisie d'un recours contre la décision du 3 juillet 2005, ne saurait donc se prononcer sur la légalité de cette décision ;
Mais considérant que ce moyen est inopérant dès lors qu'il résulte, sans ambiguïté, du recours formé, le 18 juillet 2006, par la société SANKYO que celle-ci sollicite l'annulation tant de la décision du 3 juillet 2006 que celle du 26 janvier 2005 ; que, en revanche, dans le cadre de la présente procédure la Cour ne dispose pas du pouvoir de restaurer la société requérante dans ses droits ;
Considérant que, en second lieu, la société intervenante prétend que, se fondant sur le régime de retrait des actes administratifs, la décision du directeur général de l'INPI qu'elle qualifie de décision individuelle créatrice de droits ne saurait, sauf à démontrer son caractère illégal, faire l'objet d'un retrait ;
Mais considérant que si une autorité administrative ne peut effectivement retirer une décision illégale que dans le délai de recours contentieux, ce principe doit céder lorsqu'une telle décision n'est créatrice de droits ni à l'égard de la personne qui en fait l'objet ni au profit de tiers; qu'il en est ainsi des décisions récognitives qui ne font que constater une situation déterminée ou l'existence et l'étendue de droits préexistants, sans que l'autorité dispose d'un quelconque pouvoir d'appréciation ;
Que tel est le cas de la décision du 26 janvier 2005 aux termes de laquelle le directeur général de l'INPI :
DECIDE
ARTICLE UNIQUE : la déchéance des droits attachés au titre ci-dessus désigné est constatée ;
Que, contrairement aux prétentions de la société TEVA, la qualification de décision récognitive n'est pas réservée aux seules décisions pécuniaires ;
Que, au surplus, il convient de relever que le directeur général de l'INPI n'a pas motivé sa décision du 3 juillet 2006, au regard du principe ci-dessus énoncé, mais par référence à une règle purement procédurale puisqu'il indique :
Votre requête a fait l'objet d'un examen attentif des services de l'INPI qui a permis de relever qu'aucune contestation de la décision de constatation de déchéance en cause n'était intervenue dans le délai légal.
Par la présente, je vous notifie dons le rejet de votre requête. En effet, la décision de constatation de déchéance en cause est insusceptible d'être rapportée en raison de l'expiration des délais de contestation ouverts à son encontre ;
Qu'il s'ensuit que la société SANKYO est recevable en son recours, étant précisé que le directeur général de l'INPI a, selon les termes de la décision précitée, précisé que :
Le présent courrier constitue une décision susceptible de recours devant la Cour d'appel compétente dans les conditions et délai prévus par les articles R.411-19 à R.411-26 du Code de la propriété intellectuelle,
De sorte qu'il appartient à la Cour d'apprécier la pertinence de la motivation, précédemment rappelée, de la décision contestée ;
Considérant que, au soutien de son recours, la société SANKYO rappelle à bon droit que le délai pour contester une décision administrative individuelle commence à courir à compter de la notification régulière qui en est faite à la personne concernée ou habilitée, en sa qualité de mandataire, à la recevoir ; que, en l'espèce, les seules personnes habilitées, en application de l'article R. 618-1 du Code de la propriété intellectuelle, à recevoir notification des décisions du directeur général de l'INPI sont soit le breveté soit le dernier mandataire qu'il a constitué auprès de l'INPI ;
Or considérant qu'il est établi et non contesté que la décision du 26 janvier 2005 constatant la déchéance des droits de la société SANKYO sur le CCP N° 92CO224 l'a été au cabinet LAVOIX ;
Et considérant que s'il n'est pas discuté que ce cabinet a, le 7 février 1992, reçu de la société requérante le pouvoir de déposer en FRANCE la demande d'un CERTIFICAT COMPLEMENTAIRE DE PROTECTION rattaché au brevet n° 81 11 190 du 5 juin 1981, les redevances annuelles ont été, dès la première annuité le 30 mai 2001 puis les 27 mai 2002, 26 mai 2003, 26 mai 2004 et, postérieurement à la décision de constatation de déchéance, les 27 mai 2005 et 5 juin 2006, payées par le cabinet WEINSTEIN ;
Considérant que la société TEVA et le directeur général de l'INPI soutiennent que la notification de la décision du 26 janvier 2005 faite au cabinet LAVOIX est régulière; qu'à cette fin, ils font valoir, en premier lieu, que selon les dispositions de l'article 2 du décret n° 79-822 du 19 septembre 1979, dans sa rédaction en vigueur en 1992, le mandataire en charge du dépôt de la demande de CCP s'étend à la réception de la notification de déchéance, à moins qu'il n'y ait une disposition par laquelle le demandeur entend limiter le pouvoir au simple dépôt d'une telle demande ;
Mais considérant que le mandat confié, le 7 février 1992, par la société SANKYO au cabinet LAVOIX est limité à la seule procédure de dépôt d'une demande de CCP puisqu'il est expressément mentionné en conséquence de ce dépôt de verser les taxes
exigibles, signer et déposer toutes pièces, élire domicile, substituer, lever l'expédition dudit certificat, en donner décharge, et généralement remplir toutes les formalités légales et administratives pour l'exécution du présent mandat ; qu'il s'infère des termes de ce mandat que la société requérante a clairement manifesté sa volonté de ne donner mandat au cabinet LAVOIX que pour le seul dépôt du CCP N° 92CO224, sans l'étendre à la réception de toute notification subséquente, notamment les notifications de constatation de déchéance ;
Considérant que, en deuxième lieu, l'INPI prétend que le délai de recours à l'encontre de la décision de constatation de déchéance aurait commencé à courir à compter de la publication de la décision au BOPI du 25 mars 2005 ;
Mais considérant que cette publication, effectuée en application des dispositions de l'article R. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle , est destinée à informer les tiers d'une décision affectant un droit de propriété industrielle et qu'elle ne saurait se substituer au principe général selon lequel le délai de recours dont dispose le titulaire d'un tel droit ne commence à courir qu'à compter de la notification régulière de ladite décision, que celle-ci ait été ou non publiée, étant, par ailleurs, relevé que la publication précitée ne peut s'analyser en une publication d'un avis, au sens des dispositions de l'article R. 618-2, paragraphe 3 du même Code, qui traite de la situation dans laquelle l'adresse du destinataire de la décision est inconnue ;
Considérant que, en troisième lieu, il n'est pas contesté que les récépissés afférents aux règlements des annuités du CCP en cause indiquent expressément que le paiement des redevances est effectué au nom de la société SANKYO COMPANY LIMITED de sorte que l'INPI est mal venu à soutenir que le cabinet WEINSTEIN aurait pu agir pour son propre compte ;
Considérant que, enfin, le paiement des annuités pour assurer le maintien en vigueur des droits de propriété industrielle de tiers est au nombre des actes pouvant être accomplis, selon les dispositions de l'article L. 422-1 du Code de la propriété intellectuelle, par un conseil en propriété industrielle tel que le cabinet WEINSTEIN qui, en cette qualité, n'a pas à justifier d'un pouvoir pour agir en tant que mandataire auprès de l'INPI ;
Que la société TEVA ne saurait exciper du fait que soit fait référence sur les récépissés de paiement des redevances au service annuités de ce cabinet pour valablement soutenir, sauf à partager le caractère spécieux d'une telle argumentation, que ce service n'ayant pas la qualité de conseil en propriété industrielle devait justifier de l'existence d'un mandat à son profit dès lors qu'il ne ne saurait être pertinemment contesté que le cabinet WEINSTEIN est une structure d'exercice de la profession de conseil en propriété industrielle ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle en date du 26 janvier 2005 ayant prononcé la déchéance des droits de la société SANKYO sur le CCP N° 92CO224 n'ayant pas été valablement notifiée, c'est à tort que celui-ci a, aux termes de sa décision du 3 juillet 2006, rejeté la requête de cette société en raison de l'expiration des délais de contestation ouverts à l'encontre de la décision du 26 janvier 2005 ;
Qu'il s'ensuit que la décision du directeur général de l'INPI du 3 juillet 2006 sera annulée ;
Considérant que la décision du directeur général de l'INPI du 26 janvier 2005 mérite également d'être annulée dès lors qu'il est acquis aux débats et non contesté qu'elle a été prise en raison d'un dysfonctionnement manifeste de cet Institut qui avait non seulement perçu les redevances des annuités afférentes au CCP N° 92CO224, en 2001, 2002, 2003 et 2004, mais également celles versées postérieurement à la décision précitée, en 2005 et 2006 ;
PAR CES MOTIFS
Prononce la nullité des décisions rendues les 26 janvier 2005 et 3 juillet 2006 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle relative au CCP N° 92CO224 dont est titulaire la société SANKYO COMPANY LIMITED,
Rejette toute autre demande,
Dit que le présent arrêt sera, en application des dispositions de l'article R. 411-26 du Code de la propriété intellectuelle, notifié par le greffe au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, et aux parties.