Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 10 mars 2023, n° 22/00564

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

DMJ (SAS)

Défendeur :

ED Institut (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Primevert, L'Eleu de La Simone

Avocats :

Me Vignes, Me de Ryck

T. com. Nancy, du 14 fév. 2022, n° 2020 …

14 février 2022

1. M. [L] [M], M. [S] [W] et M. [H] [G] ont créé en 1985, la société ED Institut avec pour activité le traitement et l'analyse de données puis en 2009, les mêmes associés ont créé la société ED Field avec pour objet de collecter des données par voie d'enquêtes ou de sondages téléphoniques, la société ED Institut faisant alors appel à la société ED Field pour ses études d'enquêtes et de sondages.

2. La société ED Field étant confrontée à des difficultés financières en 2017, MM. [W] et [M] ont cédé à M. [G] les actions qu'ils détenaient en échange de celles qu'il détenait dans la société ED Institut.

3. Par jugement du 26 novembre 2018, le tribunal judiciaire de Strasbourg a placé la société ED Field en redressement judiciaire.

4. Au début de l'année 2019, la société ED Institut a créé sa propre plateforme électronique d'enquêtes et de sondages et de janvier à mars 2019, elle a embauché 14 salariés de la société ED Field. Tandis que la société ED Institut a progressivement cessé de confier ses études d'enquêtes et de sondages à la société ED Field, cette dernière lui a dénoncé, le 9 avril 2019, la rupture de leur relation commerciale établie et vainement revendiqué le bénéfice d'un préavis d'un an pour la poursuite de cette relation.

4. A l'issue d'un plan de cession intervenu le 28 octobre 2019, le redressement judiciaire de la société ED Field a été converti le 16 décembre 2019 par le tribunal judiciaire de Strasbourg en liquidation judiciaire, M. [I] [N] étant nommé liquidateur judiciaire.

5. Le 12 mai 2020, le liquidateur de la société ED Field a saisi le tribunal de commerce de Nancy en dommages et intérêts au titre d'actes de concurrence déloyale, de parasitisme et fondés sur la rupture brutale de la relation commerciale établie aux torts de la société ED Institut.

6. Par jugement du 14 février 2022, le tribunal de commerce de Nancy a :

- prononcé la disjonction des demandes,

- déclaré être incompétent pour ce qui est des demandes de la société ED Field basées sur la concurrence déloyale et le parasitisme,

- renvoyé devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg les demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme,

- dit qu'à défaut d'appel dans le délai légal, il sera fait application de l'article 82 du code de procédure civile,

- déclaré la société ED Field mal fondée sur sa demande de rupture brutale des relations commerciales au visa de l'article L. 442-1 du code de commerce,

- débouté la société ED Field de sa demande de dommages et intérêts,

- dit que les frais et dépens du présent jugement seront employés en frais privilégiés de procédure,

- débouté les parties de leurs demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* *

7. La société ED Field représentée par son liquidateur, M. [I] [N], a formé quatre déclarations d'appel du jugement du tribunal de commerce de Nancy du14 février 2022 devant la cour d'appel de Paris :

- le 29 mars 2022, enregistrée sous le n° 22/06524, en ce que le jugement déclare la société ED Field mal fondée sur sa demande de rupture brutale des relations commerciales au visa de l'article L. 442-1 du code de commerce, appel fixé à bref délai en application de l'article 905-1 du code de procédure civile,

- le 26 avril 2022, enregistrée devant la chambre 4 du pôle 5 sous le n° 22/07368, en ce que le jugement prononce la disjonction des demandes, déclare être incompétent pour ce qui est des demandes de la société ED Field basées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, renvoie devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg les demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, appel introduit sur assignation à jour fixe en application de l'article 917 du code de procédure civile qui sera déclaré caduque par arrêt du 7 septembre 2022,

- le 3 octobre 2022, enregistrée sous le n° 22/16347, en ce que le jugement prononce la disjonction des demandes, déclare être incompétent pour ce qui est des demandes de la société ED Field basées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, renvoie devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg les demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme,

- le 3 octobre 2022, enregistrée sous le n° 22/00564, en ce que le jugement prononce la disjonction des demandes, déclare être incompétent pour ce qui est des demandes de la société ED Field basées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, renvoie devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg les demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, appel autorisé sur assignation à jour fixe en application de l'article 917 du code de procédure civile pour l'audience du 24 novembre 2022.

* *

8. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 02 novembre 2022 (RG 22-06524) pour la société ED Field prise en la personne de son liquidateur M. [N], afin d'entendre, en application des articles L. 442-6-I ancien du code de commerce, 1240 et suivants du code civil et 377 et suivants du code de procédure civile :

in limine litis

- surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour dans la procédure sous numéro 22/16347,

- déclarer l'appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société ED Field mal fondée sur sa demande de rupture brutale des relations commerciales et l'en a débouté, dit que les frais et dépens du jugement seront employés en frais privilégiés de procédure, débouté la société ED Field de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant a nouveau,

- condamner la société ED Institut à payer une indemnité de 114.611,52 euros au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale ;

- condamner la société ED Institut à payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de 1ère instance,

- condamner la société ED Institut aux entiers frais et dépens de la procédure de 1ère instance,

- débouter la société ED Institut de l'ensemble de ses fins, moyens et demandes,

- condamner la société ED Institut à verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamner la société ED Institut aux entiers frais et dépens d'appel ;

9. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 22 novembre 2022 2021 (RG 22-16347) pour la société ED Field prise en la personne de son liquidateur M. [N]

- déclarer le tribunal de commerce de Nancy compétent pour statuer sur l'ensemble des demandes formées par la société ED Field, en ce compris les demandes formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

- évoquer le fond du dossier après jonction de la présente instance avec l'appel sous numéro RG 22/06524,

- condamner la société ED Institut à payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,

- condamner la société ED Institut à payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du faits des actes de parasitisme,

- condamner la société ED Institut à payer à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de 1ère instance,

- condamner la société ED Institut aux entiers frais et dépens de la procédure de 1ère instance,

- débouter la société ED Institut de l'ensemble de ses fins, moyens et demandes,

- condamner la société ED Institut à verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamner la société ED Institut aux entiers frais et dépens d'appel.

* *

10. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 19 octobre 2022 (RG 22-06524) pour la société ED Institut, afin d'entendre :

- constater que l'intimée ne s'est pas vu signifier la déclaration d'appel et qu'il n'a pas été satisfait aux prescriptions de l'article 905-1 du code de procédure civile,

- dire la cour non saisie par suite de la caducité de la déclaration d'appel,

Subsidiairement,

- rejeter la demande de sursis à statuer,

- déclarer l'appel de la société ED Field et de son mandataire judiciaire irrecevable, à défaut mal fondé,

- confirmer le jugement,

- condamner le liquidateur de la société ED Field à payer une somme de 6.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le liquidateur de la société ED Field aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ;

11. Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 17 novembre 2022 (RG 22-16347) pour la société ED Institut, afin d'entendre, en application des articles 74, 75, 85 et 922 du code de procédure civile :

- déclarer la cour incompétente pour connaître de l'appel de la société ED Field,

- renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Nancy, seule compétente pour en connaître,

- déclarer irrecevable l'appel formé par la société ED Field représentée par son mandataire liquidateur en raison de l'absence de motivation, de l'absence de pouvoir de juridiction de la cour pour en connaître et de l'inobservation du délai prescrit par l'article 84 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevable l'appel dirigé contre la décision de disjonction,

- dire n'y avoir lieu à évocation de l'affaire,

Subsidiairement,

- déclarer l'appel de la société ED Field et de son mandataire judiciaire mal fondé,

- confirmer le jugement entrepris,

- renvoyer devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg les demandes basées sur la concurrence déloyale et sur le parasitisme,

Subsidiairement,

- déclarer les demandes de la société ED Field irrecevables et mal fondées,

En tout état de cause,

- condamner le liquidateur de la société ED Field à payer une somme de 6.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le liquidateur de la société ED Field aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

* *

12. Les affaires ont été appelée à l'audience du 24 novembre 2022 et le président a prononcé la clôture.

13. La mise à disposition de l'arrêt fixée au 23 janvier 2023 a été prorogée par la cour afin de connaître des greffes du tribunal de commerce de Nancy et de la chambre commerciale du tribunal judiciaire les circonstances de la notification du jugement du 14 février 2022.

SUR CE, LA COUR,

14. En liminaire, il est rapporté que sur demande de la cour, le greffe du tribunal de commerce de Strasbourg a indiqué avoir réceptionné le dossier du greffe du tribunal de commerce de Nancy le 11 avril 2022. Il est en outre établi que le jugement du 14 février 2022 a été notifié à la société ED Field par le tribunal de commerce de Nancy le 25 février 2022.

15. Il est par ailleurs rappelé que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa version en vigueur au 11 décembre 2016 et applicable au litige, dispose que ;

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas. »

I. Sur la régularité de la déclaration d'appel du 29 mars 2022 au titre de la rupture brutale de la relation commerciale enregistrée sous le n° 22/06524

16. La société ED Institut conclut à la caducité de la déclaration d'appel en soutenant que l'assignation que la société ED Field a fait délivrer le 12 mai 2022 ne lui pas été personnellement remise, alors que l'huissier instrumentaire l'a dénoncée à la « SARLU ED INSTITUT INVEST, [Adresse 2], au capital de 50.000 €, RCS Strasbourg 802 728 197, SIRET 802 728 196 00022 ».

17. Toutefois, cette assignation sur le fondement de laquelle la chambre 4 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris a prononcé la caducité de l'appel de société ED Field dans son arrêt du 7 septembre 2022 n'est pas celle du 11 mai 2022 que la société ED Field a fait délivrer à la société ED Institut dûment visée à l'acte instrumentaire de l'huissier et reçue par M. [L] [M] pour comparaître, à bref délai, devant la chambre 11 du pôle 5 de la cour, de sorte que le moyen manque en fait et cette cause de nullité de l'appel sera écartée.

II. Sur la régularité des appels du 3 octobre 2022 au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme enregistrés sous les n° 22/16347 et n° 22/00564

18. La société ED Institut conclut à l'irrecevabilité de ces appels en opposant, en premier lieu, le fait que le jugement du tribunal de commerce de Nancy du 24 (en réalité le 14) février 2022 ne lui a pas été notifié, pour déduire que l'appel déclaré le 22 octobre 2022 excède le délai d'appel de quinze jours tel qu'il est énoncé à l'article 84 du code de procédure civile.

19. Au demeurant, cette disposition régit le délai d'appel applicable au seul jugement statuant exclusivement sur la compétence, et tandis que le jugement déféré statue sur la compétence et sur le fond, le moyen sera rejeté.

20. En deuxième lieu, la société ED Institut conclut à l'irrecevabilité de la déclaration d'appel en affirmant qu'elle n'est pas motivée dans les conditions de l'article 85 du code de procédure civile disposant que « Outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. »

21. Toutefois, les conclusions que la société ED Field a jointes à sa déclaration d'appel sont dûment motivées en sorte que là encore, le moyen manque en fait et cette cause d'irrecevabilité sera écartée.

III. Sur la compétence de la cour, l'évocation et la jonction des affaires.

22. Pour s'opposer à la jonction des affaires, la société ED Institut soutient, en premier lieu, que la cour d'appel de Paris n'est pas compétente pour connaître des faits de concurrence déloyale ou de parasitisme dont le tribunal de commerce de Strasbourg a été saisi sur dessaisissement du tribunal de commerce de Nancy, de sorte que cette affaire ne peut être jointe à celle engagée sur le fondement de la rupture brutale de la relation commerciale établie, ceci, par application de l'article 101 du code de procédure civile disposant que « S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction ».

23. Toutefois, l'article 102 du code de procédure civile dispose que « Lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l'exception de litispendance ou de connexité ne peut être soulevée que devant la juridiction du degré inférieur », de sorte que la société ED Institut n'est pas fondée à opposer cette exception devant la cour, de sorte que le moyen sera écarté.

24. La société ED Institut conclut, en deuxième lieu, que l'appel de la société ED Field à l'encontre de la décision de disjonction prononcée par la juridiction commerciale est irrecevable pour être insusceptible de recours en application des articles 368 et 537 du code de procédure civile.

25. Au demeurant, la disjonction prononcée par le tribunal de commerce de Nancy n'est que la conséquence de l'incompétence qu'elle a retenue pour connaître de la demande de dommages et intérêts fondée sur des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, en sorte que le moyen est inopérant.

26. En troisième lieu, la société ED Institut relève que la cour d'appel de Paris n'est pas compétente pour connaître des appels des décisions du tribunal de commerce de Nancy.

27. Cependant, il résulte des termes du jugement déféré que pour contester les torts que la société ED Field lui reproche dans la rupture brutale de leur relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° précité, la société ED Institut lui oppose son incapacité à répondre aux commandes de prestations dans les délais ainsi que de la procédure collective qui a été ouverte à l'encontre de la société ED Field, et tandis qu'en réponse à ces moyens, cette dernière impute à la société ED Institut le fait de la désorganisation de l'entreprise qui est résulté du détournement de sa clientèle ainsi que celui du débauchage de ses salariés sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme, il en résulte que les appréciations des fautes sont communes aux trois chefs de demande et que cette source d'indivisibilité est de nature à justifier que ceux-ci soient jugés ensemble.

28. Et alors qu'en application de l'article D. 442-3 du code de commerce, la cour d'appel de Paris est exclusivement compétente pour connaître des décisions du tribunal de commerce de Nancy rendues en application de l'article L. 442-6 I 5°, il convient de retenir la compétence de la jonction des affaires et par conséquent d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce de Nancy incompétent pour connaître des chefs de concurrence déloyale et de parasitisme.

29. La société ED Institut s'oppose enfin à l'évocation des demandes de dommages et intérêts fondées sur la concurrence déloyale et du parasitisme afin de ne pas être privée d'un droit au double degré de juridiction, mais alors que depuis l'origine du litige elle est en mesure de répondre à ces chefs de demandes ainsi que l'attestent par ailleurs les conclusions qu'elle a prises sur ces chefs de demandes, il est de bonne justice de les évoquer en application des articles 88 et suivant du code de procédure civile.

30. En suite de ces motifs, la cour ordonnera la jonction des déclarations d'appel de la société ED Field.

IV. Sur la preuve de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

31. Aux termes des pièces comptables produites en pièce n° 13, la société ED Field fait la preuve que pour la poursuite de sa relation commerciale établie depuis 2011 avec la société ED Institut, elle a facturé un chiffre d'affaires en 2016 de 297.617 euros, en 2017 de 290.026 euros, en 2018 de 317.669 euros et jusqu'au mois d'avril 2019, de 24.276 euros.

32. Pour entendre confirmer le jugement en ce qu'il a écarté toute rupture brutale de la relation commerciale établie, la société ED Institut affirme que la baisse des commandes était liée à la saisonnalité des enquêtes confiées à la société EDF Field, sans cependant produire aucune preuve, en sorte que cette allégation ne peut être discutée.

33. La société ED Institut oppose encore la vétusté des équipements informatiques de la société ED Field pour la réalisation des enquêtes sans, au demeurant, que l'indication de la pièce n° 29 qu'elle met aux débats n'établisse la preuve de la réalité de cette allégation ou d'une faute qui l'exonérât de délivrer un préavis dans les conditions de l'article L. 442-6 I 5° précité.

34. La société ED Institut relève encore qu'elle recourait régulièrement à la mise en concurrence pour solliciter une même enquête, et a dû déplorer, à compter de janvier 2019, l'inflation des coûts unitaires des enquêtes que la société EDF Field proposait, sans cependant que ces affirmations ne soient de nature à contester la nature suivie, stable et habituelle que revêtait la relation commerciale avec la société ED Field et à la dispenser par conséquent de dénoncer à la société ED Institut, un préavis dans les conditions de l'article l'article L. 442-6 I 5°.

35. Elle se prévaut, par ailleurs, de la procédure collective ouverte sans que cette seule indication ne la dispense davantage d'établir l'hypothèque de la poursuite de la relation commerciale et à défaut, la dispense de délivrer le préavis.

36. Enfin, la société ED Institut oppose d'une part, le refus de la société ED Field d'exécuter une commande sur devis qu'elle lui avait adressée le 18 avril 2019 en répondant, par courriel du 25 avril « étant donné que nous avons un contentieux en cours, nous attendons le retour de notre avocat pour voir la suite à donner aux demandes de devis », prenant ainsi l'initiative de rompre la relation commerciale, et d'autre part, les problèmes d'effectifs des personnels auxquels la société ED Field était confrontée.

37. Sur ce dernier grief, la société ED Institut se prévaut des attestations de Mme [F], licenciée de la société ED Field avant de rejoindre l'entreprise en décembre 2018 ainsi que de Mmes [T], [R] et [E], salariées de la société ED Field et démissionnaires en février 2019 pour rejoindre la société ED Institut, attestations qui décrivent des conditions de travail dégradées dans la société ED Field.

38. Toutefois, il constant qu'entre le mois février et mars 2019, la société ED Institut a embauché quatre des salariés les plus anciens et qualifiés de la société ED Field ainsi que onze de ses enquêteurs, ceci, quelques jours avant l'inauguration de la nouvelle plateforme d'enquêtes de la société ED Institut.

39. Et tandis que, connaissance prise par la cour des attestations que la société ED Institut a mises aux débats, les déclarations de ces anciennes salariées ne sont pas étayées par des éléments tangibles, et alors par ailleurs que, aux termes de ses motifs, le jugement du tribunal de commerce de Strasbourg du 28 octobre 2019 qui arrête le plan de cession de la société ED Field ne rapporte, au moment de ces débauchages massifs au début de l'année 2019, aucune information comptable laissant présumer un péril sur les salaires et l'emploi des salariés de la société, le moyen doit être tout autant écarté.

40. Il en résulte que la société ED Field a dûment constaté la rupture partielle et brutale de la relation commerciale établie avec la société ED Institut en l'absence de tout préavis, et qu'elle était par ailleurs bien fondée à subordonner la poursuite de son activité à la revendication de celui-ci, de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement de ce chef et de retenir la responsabilité de la société ED Institut sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5°.

- sur la réparation du préjudice prise en application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

41. Sur la base d'une relation commerciale établie avec la société ED Institut de huit ans, la cour limitera à cinq mois, au lieu des douze mois qu'elle réclame, le délai de préavis utile à la réorientation de son activité.

42. Et sur la base non contestée de la moyenne du chiffre d'affaires de 305.630,72 euros réalisée dans les trois années précédant la rupture, celle d'un taux de marge brute moyen de 37,5 % et enfin, le délai de préavis de cinq mois retenus ci-dessus, la cour fixera à 47.750 euros, le montant des dommages et intérêts devant être versé par la société ED Institut au liquidateur de la société ED Field.

V. Sur le bienfondé des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

43. Sur ces deux chefs distincts, la société ED Field réclame la condamnation de la société ED Institut au paiement de sommes de 50.000 euros de dommages et intérêts.

44. En suite de ce qui est retenu aux paragraphes 38 et 39 ci-dessus au titre du débauchage des personnes de la société ED Field, il se déduit la preuve que la société ED Institut a commis des actes de concurrence déloyale.

45. En revanche, la société ED Field ne met aux débats aucune pièce de nature à caractériser le détournement de clientèle.

46. Et tandis qu'elle ne soumet à la cour aucune base financière et comptable de nature à déterminer l'indemnisation d'un préjudice autre que moral pour la société d'avoir perdu un quart de son effectif, la cour condamnera sur ce fondement la société ED Institut à payer la somme de 8.000 euros de dommages et intérêts.

47. Sur le fondement du parasitisme, la société ED Field n'établit pas la preuve de l'appropriation par la société ED Institut de la « valeur économique constituée par les équipes débauchées » dont les métiers d'enquêteurs comme leurs conditions d'acquisition dans l'entreprise ne revêtent aucune plus-value distinctive et spécialement attachée à l'activité de la société ED Field.

48. Et alors qu'aucune des pièces produites par la société ED Field n'établit davantage la preuve d'un « détournement de fichiers et d'informations confidentielles » de nature à caractériser des actes de parasitisme, cette prétention sera rejetée.

VI. Sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société ED Institut succombant à l'action, le jugement sera infirmé ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et les dépens, et statuant à nouveau de ces chefs y compris en cause d'appel, elle sera condamnée à supporter les dépens ainsi qu'à verser au liquidateur de la société ED Field la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclare recevable les appels enregistrés sous les numéros de registre 22/6524, 22/16347, 22/564 ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit le tribunal de commerce de Nancy compétent pour connaître des demandes de la société ED Field fondées sur la concurrence déloyale et les actes de parasitisme reprochés à la société ED Institut ;

Evoque ces chefs de demandes,

Ordonne la jonction des affaires enregistrées sous les numéros de registre 22/06524, 22/07368, 22/16347 et 22/00564 ;

Déclare la société ED Institut responsable de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société ED Field

Condamne la société ED Institut à payer à M. [I] [N], liquidateur de la société ED Field à payer la somme de 47.750 euros de dommages et intérêts ;

Déclare la société ED Institut responsable de la concurrence déloyale au détriment de la société ED Field ;

Condamne la société ED Institut à payer à M. [I] [N], liquidateur de la société ED Field à payer la somme de 8.000 euros de dommages et intérêts ;

Déboute la société ED Field de sa demande fondée sur le parasitisme ;

Condamne la société ED Institut à payer à M. [I] [N], liquidateur de la société ED Field à payer la somme de euros de dommages et intérêts ;

Condamne la société ED Institut aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société ED Institut à payer à la société ED Field la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.