Cass. crim., 23 juillet 1992, n° 92-82.721
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Dardel
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, SCP Nicolay et de Lanouvelle
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 66 de la Constitution, 9 et 1134 du Code civil, 368 du Code pénal, L. 122-35 du Code du travail, 25, 27 et 42 de la loi du 6 janvier 1978, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 1, 85, 206, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à ordonner la nullité d'aucun acte de la procédure et a renvoyé le dossier au juge d'instruction saisi afin de poursuivre l'information ;
" aux motifs qu'il résulte de l'enquête conduite par les services de police que la société Carrefour, après avoir constaté une baisse importante du chiffre des encaissements en numéraire du rayon service après-vente du magasin d'Hérouville-Saint-Clair, a placé une caméra à l'intérieur des locaux du service après-vente, dans une bouche d'aération, afin de surveiller les opérations de caisse ; que les films visionnés chaque soir par le personnel du service de sécurité ont, semble-t-il, révélé que plusieurs employés avaient commis des infractions au préjudice de la société Carrefour et ont permis de retrouver des documents, factures, tickets de caisse, jetés par ces employés pour couvrir leurs agissements ; que, sur la plainte de la société Carrefour, les policiers qui ont visionné les films ont procédé à l'audition des personnes mises en cause et recueilli les aveux de certaines d'entre elles ; que les enquêteurs ont également procédé à des perquisitions ainsi qu'à la saisie de divers documents remis par la plaignante et ont restitué à celle-ci les cassettes vidéo, à charge par elle de les tenir à la disposition de la justice ; que sur réquisitoire du procureur de la République, le juge d'instruction a inculpé cinq employés de la société Carrefour d'abus de confiance et de recel d'abus de confiance ; que, pour être constituée, l'infraction d'atteinte à la vie privée suppose l'existence d'un fait d'enregistrement des paroles ou de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement de celle-ci, destiné à porter atteinte à l'intimité de sa vie privée ; que les salariés de la société Carrefour qui ont été filmés à leur insu par la caméra dissimulée par leur employeur dans une bouche d'aération se trouvaient sur leur lieu de travail, dans un local d'accès, ouvert à tous ; que, par ailleurs, l'enregistrement de leurs faits et gestes, destiné à permettre la découverte d'infractions de vol, d'abus de confiance ou d'escroquerie commises au préjudice de leur employeur, ne saurait être assimilé à l'enregistrement d'images concernant l'intimité de la vie privée des personnes ; que, dès lors, l'enregistrement critiqué ne constitue pas une atteinte illicite à la vie privée des employés filmés et ne vicie pas la plainte déposée par la société Carrefour ; que, par ailleurs, les films réalisés à la seule initiative de la plaignante, que les policiers se sont bornés à visionner sans en opérer la saisie, ne constituent pas des actes de procédure susceptibles d'être annulés en application de l'article 172 du Code de procédure pénale ; qu'ils n'ont que la valeur d'indices de preuves pouvant être discutés par les parties et faire l'objet de toutes mesures d'instruction utiles ;
" alors qu'il appartient au juge de vérifier la régularité de l'engagement de l'action publique ; que, par ailleurs, si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images et de paroles, à leur insu, constitue un mode de preuve illicite ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que c'étaient des enregistrements des faits et gestes de salariés de la société plaignante, effectués à leur insu au moyen d'une caméra dissimulée, qui avaient révélé les infractions poursuivies et fondé la plainte contestée ; qu'en refusant, par suite, de prononcer l'annulation de la plainte et de la procédure subséquente, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en résultaient nécessairement ;
" alors, en outre, qu'un magasin constitue un lieu privé et que la recherche d'infractions ne saurait justifier un enregistrement d'images, par une personne privée, à l'insu de la personne intéressée, sans porter atteinte à l'intimité de sa vie privée ; que, de ce chef également, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'en se prononçant comme elle l'a fait par les motifs exactement repris au moyen, la chambre d'accusation n'a pas encouru les griefs allégués ;
Qu'en effet aucun texte de procédure pénale n'interdit la production par le plaignant, à l'appui de sa plainte, de pièces de nature à constituer des charges contre les personnes visées dans celle-ci, lesdites pièces ne constituant pas, au demeurant, des actes d'information susceptibles d'être annulés en application de l'article 172 du Code de procédure pénale ; qu'il appartient aux juridictions répressives d'en apprécier la valeur au regard des règles relatives à l'administration de la preuve des infractions ;
Qu'en conséquence le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.