TA Paris, 2e ch. sect. 6, 14 mars 2023, n° 2103157
PARIS
PARTIES
Demandeur :
Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées
Défendeur :
Ministre de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Laloye
Conseillers :
Mme Roussier, M. Théoleyre (rapporteur)
Avocats :
Me Salat-Barroux, Me Ferla, Cabinet Weil, Gotshal & Manges
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, le Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées, représenté par Me Salat-Barroux et Me Ferla, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision implicite du 17 décembre 2020 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a refusé de lui communiquer les conclusions des investigations préliminaires concluant à la nécessité de procéder à des opérations de visites et saisies, le projet de rédaction d'ordonnance transmis au bureau B2 et les notes d'analyse et d'orientation rédigées par M. B A en sa qualité d'inspecteur, produits ou reçus par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans le cadre du dossier relatif au secteur des isolants thermiques ;
2°) d'enjoindre au ministre de procéder à la communication des documents demandés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la décision est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle méconnait le droit à communication dès lors que les documents demandés sont détachables de toute procédure juridictionnelle ;
- elle méconnait le droit à communication dès lors que les documents sont détenus par une administration, en l'espèce, la DGCCRF.
La requête a été communiquée au ministre de l’Économie, des finances et de la relance le 25 février 2021, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 12 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 décembre 2022.
Vu la lettre présentée par le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le 17 février 2023, non communiquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du commerce,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C,
- les conclusions de M. Guérin-Lebacq, rapporteur public,
- et les observations de Me Charki, représentant le Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 7 juillet 2020, reçu le 8 juillet 2020, le Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (FILMM) a sollicité, auprès de la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la communication des documents contenus dans un dossier transmis à l'autorité de la concurrence et qui consisteraient en des « notes, lettres ou autre documents émanant de la DGCCRF et concluant à la nécessité de procéder à des opération de visite et saisies », un « projet de rédaction d'ordonnance transmis au bureau B2 », ainsi que la communication de « toutes les notes d'analyse et/ou d'orientation rédigées par M. B A, dans le cadre de ses fonctions d'enquêteur à la DGCCRF, sur le dossier relatif au secteur des isolants minces multicouches réfléchissants » entre le 2 septembre 2008 et le 8 avril 2009. Le syndicat a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), le 16 octobre 2020, qui a rendu un avis défavorable à sa demande. Par la présente requête, le syndicat demande l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de communication née du silence gardé par le ministre durant un mois suivant cette saisine, en vertu des dispositions de l'article R. 311-12 du code des relations entre le public et les administrations.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 311-14 du code des relations entre le public et l'administration : « Toute décision de refus d'accès aux documents administratifs est notifiée au demandeur sous la forme d'une décision écrite motivée comportant l'indication des voies et délais de recours ». Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (). »
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas allégué que le syndicat requérant aurait sollicité la communication des motifs de la décision implicite de rejet de sa demande née du silence gardé pendant plus d’un mois par le ministre à la suite de la saisine de la CADA. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de ladite décision ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. » Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Enfin, aux termes de l'article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / () les documents élaborés ou détenus par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'enquête, d'instruction et de décision () ».
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 450-1 du code de commerce : « I.- Les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence habilités à cet effet par le rapporteur général peuvent procéder à toute enquête nécessaire à l'application des dispositions des titres II et III du présent livre. / Ils peuvent également, pour l'application du titre VI du présent livre, mettre en œuvre les pouvoirs d'enquête définis à l'article L. 450-3. / () II.- Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du présent livre. » Aux termes de l'article L. 450-4 du même code : « Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information et, le cas échéant, de leurs moyens de déchiffrement, susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d'information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une action simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention compétents. () » Enfin, aux termes du I de l'article L. 462-5 du même code : « L'Autorité de la concurrence peut être saisie par le ministre chargé de l'économie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraire aux mesures prises en application de l'article L. 410-3, ou de faits susceptibles de constituer une telle pratique, ainsi que des manquements aux engagements pris en application de l'article L. 430-7-1 ou pris en application des décisions de concentration intervenues avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence. »
6. Le syndicat requérant se prévaut d'un courrier du 13 février 2009 adressé par le directeur interrégional de la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes au directeur général pour attester l'existence des documents qu'il demande, en l'espèce, « les investigations préliminaires concluant à la nécessité de procéder à des opérations de visites et saisie » et un « projet de rédaction d'ordonnance » transmis à un des bureaux de la direction. Ces documents seraient contenus dans un dossier dont le syndicat demande la communication, et notamment les notes d'analyse et d'orientation rédigée par l'agent affecté à l'enquête qu'il pourrait également contenir. Toutefois, d'une part, il ressort des termes de ce même courrier que le dossier en question et les documents qu'il contient a été constitué dans le cadre des fonctions d'investigation dévolue à la DGCCRF dans le cadre des enquêtes conduites par l'Autorité de la concurrence et, qu'en l'espèce, la charge de ces investigations a été confiée à M. A, en application des articles L. 450-1 et suivants précités du code de commerce. D'autre part, les documents établis dans le cadre de cette enquête ont été transmis à l'Autorité de la concurrence et doivent donc être regardés comme "détenus" par celle-ci au sens du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Ainsi, dès lors que ces documents ont été élaborés et sont détenus par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'enquête, d'instruction et de décision, ils sont couverts par l'exception au droit à communication prévu par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration. Contrairement à ce qu'affirme le syndicat requérant, la circonstance que ces documents soient détachables de toute procédure juridictionnelle ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 311-5 précitées. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à communication des documents administratifs, tel que garanti par les articles L. 300-2 et L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration, doit être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par le FILMM doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et, le FILMM étant la partie perdante à l'instance, celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié au Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées et au ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.