Cass. crim., 18 décembre 2013, n° 13-85.375
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Caron
Avocat général :
M. Lacan
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 12 juin 2012, des policiers en patrouille de sécurité dans une rue de Vaires-sur-Marne (Seine et Marne), passant au niveau du parking extérieur, non clos, d'une résidence privée, ont constaté la présence d'un véhicule Renault dépourvu de certificat d'assurance, muni de doubles plaques d'immatriculation ; que leurs vérifications ont révélé qu'elles étaient fausses et que le véhicule avait été volé ; qu'une enquête de flagrant délit pour vol a été aussitôt ouverte ; que les fonctionnaires de la direction régionale de la police judiciaire ont mis en place une surveillance physique et par caméra du véhicule en cause dont ils ont constaté la disparition le 27 juin 2012 ; qu'il a été retrouvé le même jour dans une autre commune du département, muni de nouvelles fausses plaques portant le numéro d'un véhicule identique régulièrement en circulation ; que les policiers ont constaté le lendemain qu'il avait quitté les lieux mais qu'un autre véhicule de marque Audi stationnait à proximité, également équipé de fausses plaques d'immatriculation ; que des réquisitions ont été adressées le 28 juin 2012 au responsable d'une station-service proche, aux fins de consultation des bandes de la vidéosurveillance du commerce des 27 et 28 juin 2012, laquelle a permis de constater la présence, dans la nuit, d'un individu en train de ravitailler en essence le véhicule Renault puis de régler par carte de paiement ; que les policiers, également sur réquisition se sont fait remettre les copies des transactions bancaires correspondantes ; qu'ils ont appris le 28 juin 2012 que ledit véhicule avait été intercepté le matin-même à Hendaye, alors que son conducteur tentait de franchir la frontière en direction de l'Espagne ; que, sur instruction du procureur de la République, les investigations ont été poursuivies, à partir du 2 juillet 2012 en enquête préliminaire, à la suite de laquelle une information du chef d'association de malfaiteurs a été ouverte le 20 juillet 2012 ; que l'exploitation, demandée par réquisitions du 28 juin 2012 de la vidéo surveillance du parking de Vaires-sur-Marne, a permis d'identifier M. Y...parmi les trois hommes affairés le 27 juin 2012 à changer les plaques d'immatriculation ; que la découverte, au cours de l'exécution de commissions rogatoires, d'éléments susceptibles de caractériser l'organisation d'importations de cannabis paraissant les impliquer et l'information ayant été étendue à des faits de trafic de stupéfiants, MM. Y...et X... ont été mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs et de trafic de stupéfiants ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 53, 76, 706-96, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation des actes accomplis dans le cadre d'une enquête de flagrance et a notamment rejeté la demande d'annulation de la mise en place et l'exploitation d'un dispositif de captation d'image sur un lieu privé ;
" aux motifs qu'il résulte du procès-verbal côté D3 que le 12 juin 2012, les policiers de la DDSP de Seine et Marne agissant sous l'autorité du Major de police A..., faisant une ronde au niveau du parking aérien situé derrière le bâtiment 10 de la rue des Loriots découvraient sur ce parking un véhicule Renault type Mégane RS dont la plaque d'immatriculation étrangère masquait une plaque d'immatriculation française d'un véhicule s'avérant avoir été volé, qu'ils en informaient l'officier de police judiciaire A...de la DRPJ de Meaux qui donnait instruction d'assurer la surveillance du véhicule dans le cadre de la flagrance, qu'agissant en flagrance, ils assuraient la surveillance de ce véhicule ; que l'article 76 du code de procédure pénale prévoit que " les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction ne peuvent être effectuées sans l'assentiment exprès de la personne chez laquelle l'opération a lieu " ; que l'article 706-96 du code de procédure pénale exige que l'enregistrement de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé sans son consentement se réalise sous l'autorité et le contrôle du juge, de même qu'en application de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, " toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance " ; que ne constitue ni une visite domiciliaire ni une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile l'installation d'un dispositif de vidéo surveillance sur un parking extérieur, visible de la rue et dépourvu de dispositif en interdisant l'accès, nonobstant le caractère privatif des emplacements de stationnement qu'il abrite ; que, dès lors, les policiers étaient en droit d'exercer leur mission de surveillance dans le cadre de leur mission de police administrative et de relever une infraction, que ces derniers aient la qualité ou non d'officier de police judiciaire, l'article 20 et 21 du code de procédure pénale, donnant mission aux agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints de constater pour les premiers et rendre compte à leur hiérarchie pour les seconds de tout crime, délit ou contravention dont ils ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'il y a lieu d'en déduire de la même façon qu'ils étaient en droit de mettre en place une vidéosurveillance sur ce parking aérien sans qu'il soit porté atteinte à la vie privée de M. Y...; que, dès lors il n'y pas violation sur la base de ces moyens des dispositions du code de procédure pénale ni de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" 1°) alors que le demandeur avait soutenu, dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, que l'aire de stationnement privé et cadastré sur laquelle avaient eu lieu les constatations litigieuses n'était pas visible depuis la voie publique, et avait produit un constat d'huissier démontrant cette impossibilité ; que la chambre de l'instruction qui n'a pas répondu à ce moyen a méconnu les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'une perquisition ne peut avoir lieu sans l'assentiment exprès de la personne chez qui elle a lieu ; que constitue une telle perquisition la constatation, fut-elle réalisée depuis la voie publique, opérée à l'intérieur d'un lieu privé tel qu'une aire de stationnement privé ; que, dès lors, la chambre de l'instruction ne pouvait considérer comme elle l'a fait que les policiers pouvaient procéder à la constatation d'un délit flagrant en pénétrant dans le cadre de leur mission de police administrative dans un parking privé d'une résidence, et ce faisant relevaient qu'un véhicule stationné portait de fausses plaques d'immatriculation et ouvrir dès lors une enquête de flagrance ;
" 3°) et alors que la mise en place, fût-ce sur la voie publique, d'un dispositif de captation d'images dans un lieu privé suppose nécessairement les conditions cumulatives du cadre de l'information judiciaire, le juge d'instruction ayant au préalable rendu une ordonnance motivée et une commission rogatoire spéciale, et des faits portant sur une des qualifications visées à l'article 706-73 du code de procédure pénale, conditions qui ne sont ni l'une ni l'autre réunies en l'espèce ; qu'en jugeant cette pratique valable, la chambre de l'instruction a donc méconnu les textes susvisés " ;
Attendu qu'en prononçant par les motifs reproduits au moyen, et dès lors que le demandeur, n'étant titulaire d'aucun droit sur le parking extérieur où stationnait le véhicule volé et n'ayant pas été identifié sur les images de la vidéosurveillance dont celui-ci a fait l'objet, ne saurait se prévaloir d'une prétendue atteinte au droit au respect du domicile ou de la vie privée que les dispositions légales et conventionnelles invoquées au moyen ont pour but de protéger, et dont il ne démontre pas en quoi elle aurait porté atteinte à ses intérêts, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, Manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation des pièces visées par certaines pièces de la procédure, mais ne figurant pas au dossier ;
" aux motifs que la défense sollicite la nullité des pièces auxquelles fait référence le procès-verbal figurant à la côte D 126 au motif qu'elles ont été demandées au juge d'instruction et qu'elles ne figurent pas au dossier ; que cette requête est extérieure au contentieux de la nullité et doit être rejetée ;
" alors que la chambre de l'instruction avait compétence pour déterminer si l'utilisation de certaines pièces ne méconnaissait pas les droits de la défense dès lors que le demandeur avait été privé de la possibilité de les consulter et d'en contrôler la régularité, ce qui impliquait leur annulation " ;
Attendu que, pour refuser de faire droit à la demande de communication de la procédure distincte, suivie au commissariat de Clichy-sous-Bois, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que, d'une part, le demandeur, non concerné par cette procédure distincte, ne démontre pas en quoi elle aurait été susceptible de porter atteinte à l'un quelconque de ses droits, d'autre part, la contestation d'un refus par le juge d'instruction de donner suite à une demande d'acte ressortit à un contentieux distinct de celui de l'annulation, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 53, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation des actes accomplis entre le 20 juin et le 2 juillet 2012 ;
" aux motifs que, selon les dispositions de l'article 53 alinéa 2 et 3 du code de procédure pénale : « A la suite de la constatation d'un crime ou d'un délit flagrant, l'enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours. Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation, dans les mêmes conditions, de l'enquête pour une durée maximale de huit jours. » ; qu'il n'est pas contesté ni contestable que les policiers interviennent dans le cadre de la flagrance le 12 juin 2012 dès qu'ils repèrent le véhicule suspect et que les premières vérifications confirment que le véhicule a été volé, que le parquet a été régulièrement avisé le 14 juin de l'état des investigations, que le délai de la flagrance expirait huit jours après soit le 20 juin ; qu'à compter du 20 juin, les enquêteurs ne réalisent aucun acte coercitif et que c'est en poursuivant leurs investigations qu'ils sont amenés à constater un nouveau délit flagrant ; que c'est ainsi que le 27 juin, le dispositif de surveillance amenait à constater que le véhicule Renault type Mégane RS ayant été déplacé sur la commune de Chelles était muni de nouvelles fausses plaques d'immatriculation et que le 28 juin, était découvert à proximité du lieu de stationnement de la Renault un véhicule Audi muni de fausses plaques ; que les réquisitions effectuées le 28 juin auprès du magasin Les Halles d'Auchan, portant sur la vidéosurveillance et les duplicatas de transactions bancaires, sont donc régulières de même que la réquisition effectuée le 28 juin, portant sur la carte bancaire utilisée le même jour pour un achat d'essence ; que le 2 juillet, le parquet donnait pour instruction de poursuivre les investigations pour association de malfaiteurs en préliminaire et les réquisitions effectuées jusqu'à l'ouverture de l'instruction respectaient les exigences de ce cadre procédural ;
" 1°) alors que l'enquête de flagrance ne peut se poursuivre plus de huit jours, sauf prolongation par le procureur de la République, pour la même durée ; qu'à la supposer régulière, l'enquête de flagrance qui avait débuté le 12 juin 2012 avait donc pris fin le 20 juin suivant ; que dès lors, aucun des actes de l'enquête de flagrance ne pouvant plus être réalisé, l'utilisation d'un dispositif de captation d'images, en admettant qu'elle fût possible dans le cadre d'une telle enquête, était exclue ; que, par conséquent, les constations opérées le 27 juin 2012, soit après la fin de l'enquête, à l'aide de ce dispositif, et les actes subséquent, devaient être annulés ;
" 2°) alors qu'en tout état de cause, une seule enquête de flagrance peut être ouverte dans le cadre d'une même procédure ; que les enquêteurs ne pouvaient donc, après la fin du délai de flagrance qui n'avait pas été prolongé, ouvrir, sur le fondement de la découverte d'une nouvelle infraction, une seconde enquête de flagrance dans le cadre d'une unique procédure " ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu que le moyen, en ce qu'il vise l'utilisation d'un dispositif de captation d'images et l'exploitation qui a été faite le 27 juin 2012 des éléments recueillis, est nouveau en ce qu'il n'a pas été soulevé devant la chambre de l'instruction et ne peut donc être admis ;
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 53, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ce texte, à la suite de la constatation d'un délit flagrant, l'enquête de flagrance menée sous le contrôle du procureur de la République peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours et si des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prorogation dans les mêmes conditions de l'enquête pour une durée maximale de huit jours ;
Attendu que, pour écarter le moyen tendant à l'annulation des diverses réquisitions adressées par les policiers antérieurement à l'ouverture de l'information, motif pris de la poursuite irrégulière de l'enquête de flagrant délit au-delà d'un délai de huit jours, l'arrêt attaqué relève que ladite enquête ayant débuté le 12 juin 2012, aucun acte coercitif n'a été accompli postérieurement au 20 juin 2012 et que la constatation de nouveaux délits flagrants les 27 et 28 juin 2012, constitués respectivement par la découverte du véhicule Renault volé, équipé de nouvelles fausses plaques d'immatriculation et d'un véhicule Audi, stationné à proximité, également volé et doté de fausses plaques, a autorisé les policiers à délivrer, sans autorisation préalable du magistrat du parquet, les réquisitions relatives à la vidéosurveillance et aux transactions bancaires précitées, celles établies à partir du 2 juillet 2012 respectant, par ailleurs, les formalités imposées en enquête préliminaire ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'enquête de flagrance, qui avait commencé le 12 juin 2012 par la découverte du véhicule volé et faussement immatriculé, n'ayant pu légalement continuer au-delà d'un délai de huit jours, à défaut de prorogation autorisée par le procureur de la République, les actes de recherche ne pouvaient être accomplis que selon les règles de l'enquête préliminaire, s'agissant notamment des diverses réquisitions adressées par les policiers portant sur les mêmes infractions et véhicule, objet de l'enquête initiale, nonobstant un changement de plaques d'immatriculation et la découverte d'un autre véhicule volé qui n'a pas donné lieu à l'ouverture d'une procédure incidente, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du texte précité et du principe énoncé ci-dessus ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 2 juillet 2013, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.