Cass. crim., 6 février 1997, n° 96-84.018
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Culié
Rapporteur :
M. Schumacher
Avocat général :
M. Le Foyer de Costil
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, Me Foussard
CASSATION sur le pourvoi formé par :
- Ky Huon X...,
- Sisavath X...,
- Vannary X..., épouse Y...,
- Bak Sreng Y...,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar, en date du 9 mai 1996, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs d'abus de biens sociaux, recel, infractions à la législation sur la facturation, infractions au Code du travail, exposition, mise en vente ou vente de denrées corrompues et fraude fiscale, a rejeté leur requête aux fins d'annulation d'actes de la procédure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 11 octobre 1996, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 20 novembre 1990, des agents de la Direction nationale des enquêtes fiscales et de la Direction des services fiscaux ont, sur le fondement des articles 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, procédé à un contrôle de la société " Indochine exploitation ", négociante en produits asiatiques, dont le gérant est Ky Huon X..., et de la société " La Chine ", exploitant un restaurant, dont la gérante est Vannary X... ; qu'au cours de leurs opérations ils ont surpris Ky Huon X... alors qu'il plaçait avec précipitation dans un sac des documents qui devaient se révéler être 572 originaux de notes de clients du restaurant ;
Attendu que le procureur de la République, immédiatement informé par les agents susvisés, a, le même jour, prescrit au service régional de police judiciaire l'ouverture d'une enquête de flagrant délit d'abus de biens sociaux à l'égard des dirigeants des sociétés précitées ; que les enquêteurs, assistés de 2 fonctionnaires des Impôts, ont procédé à des perquisitions et à des saisies de divers documents tant dans les locaux des sociétés qu'aux domiciles des dirigeants ;
Attendu que, par requête du 4 décembre 1995, les personnes mises en examen ont saisi la chambre d'accusation d'une requête en annulation d'actes de la procédure que celle-ci a rejetée par l'arrêt attaqué ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 425-4 et 5 de la loi du 24 juillet 1966, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 53, 54, 56, 59, 76, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure d'enquête pour défaut de flagrance ;
" aux motifs que la constatation matérielle régulièrement faite par les fonctionnaires de l'administration fiscale dès le début de leur intervention porte sur le placement dans des sacs de plastique de 572 notes originales du restaurant " La Chine " destinées aux clients et de leurs doubles destinés en principe à la comptabilité, geste fait en catimini par Ky Huon X... ; que le simple examen de ces documents, même si l'on faisait abstraction des explications sommaires qu'il a pu donner à leur sujet et qui sont rapportées dans le procès-verbal dressé le 18 février 1991, et compte tenu de ce que les notes de restaurant se rapportaient à la période même ayant directement précédé le contrôle, conduisait à constater non un élément de la contravention de facturation irrégulière, ainsi qu'il est soutenu à tort par les requérants, mais bien un élément de l'abus de biens sociaux consistant en l'appropriation privée de recettes qui devaient impérativement être reprises dans la comptabilité de la SARL " La Chine " ; qu'il existait donc bien un indice apparent d'un délit en train de se commettre, fondant l'instauration d'une enquête de flagrance ;
" 1° alors que, pour être caractérisé, l'état de flagrance nécessite que des indices apparents d'un comportement délictueux révèlent l'existence d'une infraction répondant à la définition de l'article 53 du Code de procédure pénale, c'est-à-dire qu'il s'agisse d'une infraction qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre et que le fait pour un commerçant de placer des pièces comptables dans un sac en plastique fût-ce " en catimini " ne révèle en soi l'usage des biens, du crédit ou des pouvoirs, éléments de l'abus de biens sociaux, ni plus généralement l'existence d'aucun comportement délictueux ;
" 2° alors qu'il résulte du principe de sécurité juridique que la notion d'indices apparents d'un comportement délictueux révélant l'existence d'infractions est une notion objective contrôlée par la Cour de Cassation et que la simple interprétation par des agents de l'administration fiscale d'un geste consistant en rangement de factures n'est pas de nature à suppléer l'absence objective de tels indices ;
" 3° alors qu'à supposer que le rangement par un commerçant de factures dans un sac en plastique puisse a posteriori être considéré comme un acte préparatoire du délit d'abus de biens sociaux, un tel acte, par définition, est insusceptible en tant que tel de révéler une infraction en train de se commettre au sens de l'article 53 du Code de procédure pénale " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon l'article 53 du Code de procédure pénale, seul est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement ou vient de se commettre ; qu'il en est de même lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne soupçonnée est trouvée en possession d'objets ou présente des traces ou indices laissant penser qu'elle a participé au crime ou délit ;
Attendu que, pour rejeter la requête aux fins de nullité des perquisitions et saisies effectuées au cours de l'enquête de flagrant délit ordonnée par le procureur de la République, la chambre d'accusation énonce que la constatation matérielle par les fonctionnaires de l'administration fiscale du placement " en catimini ", dans des sacs de plastique, de 572 notes de restaurant destinées à la comptabilité de la société " La Chine ", faisait apparaître un élément de l'abus de biens sociaux consistant en l'appropriation privée de recettes et présentait les caractères d'un indice apparent du délit qui était en train de se commettre ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le seul fait relevé, qui ne caractérisait en aucune manière un élément constitutif du délit prévu par l'article 425 de la loi du 24 juillet 1966, ne pouvait révéler l'existence d'une infraction répondant à la définition donnée des crimes et délits flagrants par l'article 53 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation a méconnu les textes et principes susvisés ;
Que, dès lors, la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des articles 11 et 56 du Code de procédure pénale, des articles 6-1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les procès-verbaux nos 283-2 et 283-3 (cotes D 2 et D 3) concernant les transports, perquisitions et saisies effectués en présence d'agents de l'administration fiscale ;
" aux motifs que, pour ce qui a trait à des irrégularités tenant à la présence des agents des Impôts durant les perquisitions effectuées par les fonctionnaires de l'antenne mulhousienne du service régional de police judiciaire de Strasbourg, il y a lieu de rappeler qu'aux termes d'une jurisprudence constante une telle assistance n'ouvre la voie de l'annulation que dans la mesure où elle constitue un détournement de procédure ; que l'examen des cotes D 2 et D 3 de la procédure montre que des perquisitions opérées par l'inspecteur de police, M. Z..., dans les locaux de la SARL " La Chine ", soit un restaurant et ses annexes, et au domicile de Ky Huon X..., ainsi que dans les bureaux de la SARL " Indochine ", ont été conduites en présence de 2 fonctionnaires des services fiscaux ; que le rapprochement des 2 procès-verbaux avec, d'une part, celui dressé le 18 février 1991 par les services fiscaux et, d'autre part, l'ensemble des éléments de la procédure fiscale montre que ces dernières pièces ne font pas mention et ne sont en rien basées sur des constatations ou des saisies opérées par les enquêteurs du service régional de police judiciaire d'autre part ; que, d'autre part, il y a lieu d'observer que les fonctionnaires des services fiscaux ne se voyaient pas privés d'accès dans les locaux commerciaux des 2 sociétés du fait de l'enquête de flagrance diligentée au sujet des abus de biens sociaux ; que, dès lors, les fonctionnaires de police n'ayant agi qu'en vue de la recherche d'éléments basant les infractions dont ils étaient saisis, et les agents du fisc n'ayant dressé procès-verbal que pour des infractions fiscales, sur la base unique de documents obtenus en vertu du droit de communication prévu expressément à l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il n'y a eu aucun détournement de procédure ; qu'enfin la plainte pour fraude fiscale, déposée ultérieurement par le directeur des services fiscaux et ayant entraîné des réquisitions supplétives, est basée sur une vérification de la SARL " La Chine " effectuée en 1991 sur la base de l'article 13 du Livre des procédures fiscales ; qu'il n'y a donc aucune irrégularité faisant grief qui soit de nature à entraîner la nullité de la procédure d'enquête au titre ci-dessus examiné ;
" 1° alors que les pouvoirs d'investigation conférés aux officiers et agents de police judiciaire ou à certains fonctionnaires par des lois spéciales ne doivent être exercés que dans les conditions et dans les limites fixées par les textes qui les prévoient ; qu'il s'ensuit que des agents des Impôts ne peuvent, dans des conditions que n'autorise l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qui sont étrangères à l'article 56, alinéa 2, du Code de procédure pénale, assister des officiers de police judiciaire perquisitionnant en flagrance sur un délit d'abus de biens sociaux ;
" 2° alors que les détournements de procédure dans le cadre de l'enquête de flagrance sont sanctionnés par la nullité ; que l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 confère aux enquêteurs habilités par le ministre chargé de l'Economie un droit de communication limité ; que l'article 48 de ladite ordonnance subordonne les perquisitions et les saisies de documents à l'autorisation et au contrôle judiciaire et que, dès lors, la présence des agents des Impôts durant les perquisitions effectuées dans le cadre de l'enquête de flagrance effectuée par des officiers de police judiciaire constitue nécessairement un moyen de tourner les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance précitée, essentielles aux libertés publiques ;
" 3° alors que la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que, contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, il ressort des termes de la plainte adressée par le directeur des services fiscaux au procureur de la République de Mulhouse le 6 décembre 1993 que l'administration fiscale a, dès novembre 1990, sollicité du parquet l'autorisation de prendre connaissance des pièces saisies en présence de ses agents lors de la perquisition, pièces à partir desquelles la vérification de la SARL " La Chine " a été décidée, et que, dès lors, c'est par l'effet d'une contradiction de motifs manifeste que la chambre d'accusation a pu exprimer qu'il n'y avait pas eu détournement de procédure ;
" 4° alors que l'article 56, alinéa 2, du Code de procédure pénale dispose que les officiers de police judiciaire ont seuls, avec les personnes désignées à l'article 57 et celles auxquelles ils ont eu éventuellement recours en application de l'article 60, le droit de prendre connaissance des papiers ou documents avant de procéder à leur saisie ; qu'aux termes de l'article 60 du même Code les personnes qualifiées que peuvent s'adjoindre les officiers de police judiciaire au cours des opérations de perquisition sont soit des experts inscrits sur les listes dressées auprès de la Cour de Cassation ou auprès des cours d'appel, soit des personnes qui ont prêté serment par écrit d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience et qu'il ne ressort pas des pièces de la procédure que les agents de l'administration fiscale qui ont prêté main-forte aux officiers de police judiciaire au cours des perquisitions dont la nullité est demandée aient prêté un tel serment et que, dès lors, les dispositions d'ordre public de l'article 60 précité ayant été méconnues, la nullité des procès-verbaux devait être prononcée par la chambre d'accusation ;
" 5° alors qu'il résulte des termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'il ne peut y avoir, dans l'exercice du droit au domicile d'une personne, ingérence d'une autorité publique qu'autant que ce droit est prévu par la loi et qu'en droit interne seuls les officiers de police judiciaire peuvent procéder à des perquisitions dans le cadre d'une enquête de flagrant délit, et que la présence d'agents du fisc en dehors des cas limitativement prévus par l'article 60 du Code de procédure pénale, constitue une ingérence contraire aux dispositions de la Convention susvisée " ;
Sur le moyen pris en ses première et quatrième branches :
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles 56 et 60 du Code de procédure pénale que l'officier de police judiciaire a seul le droit, lors d'une perquisition, de prendre connaissance des papiers ou documents trouvés sur place, avant de procéder à leur saisie ; que s'il y a lieu, cependant, de procéder à des constatations ou à des examens techniques qui ne peuvent être différés, l'officier de police judiciaire peut avoir recours, dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 60 précité, à toutes personnes qualifiées ;
Attendu que, pour écarter les conclusions des personnes mises en examen tendant à l'annulation des pièces relatives aux perquisitions et saisies de documents en raison de ce qu'elles avaient été effectuées par un officier de police judiciaire avec l'assistance d'agents des Impôts, les juges énoncent que l'examen des procès-verbaux établis par les services fiscaux révèle qu'aucun détournement de procédure n'a été opéré ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le recours à des fonctionnaires des Impôts, à titre de personnes qualifiées, était subordonné, d'une part, à la constatation que les mesures qu'entendait leur confier l'officier de police judiciaire ne pouvaient être différées et, d'autre part, à leur prestation de serment préalable d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et conscience, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée des textes et principes susvisés ;
Sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, dans sa plainte pour fraude fiscale, le directeur des services fiscaux a fait valoir que, dès le 29 novembre 1990, l'Administration avait obtenu l'autorisation de prendre connaissance des documents saisis et des procès-verbaux de l'enquête et que la nature des constatations opérées avait provoqué la vérification de comptabilité de la société " La Chine " ;
Attendu que, pour rejeter la demande aux fins d'annulation des pièces de la procédure fiscale, les juges énoncent que l'examen des éléments de celle-ci révèle qu'elle n'est en rien basée sur les constatations ou saisies opérées par les enquêteurs du service régional de police judiciaire et qu'elle repose sur la vérification de la comptabilité de la société précitée ;
Mais attendu qu'en cet état, et alors qu'elle ne pouvait, sans se contredire, se déterminer par ces motifs tout en se référant à la plainte de l'administration fiscale, la chambre d'accusation n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les troisième et quatrième moyens proposés, relatifs à d'autres causes de nullité de la procédure :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar, en date du 9 mai 1996, et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Metz.