CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 10 mars 2023, n° 22/11688
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
KD Restauration (SARL)
Défendeur :
O'Tacos Corporation (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Le Cotty, M. Birolleau
Avocats :
Me Hervet, Me Meynard, Me Jehel
La société O'Tacos Corporation (ci-après la société O'Tacos) anime et développe un réseau de restauration rapide à l'enseigne O'Tacos.
Le 29 juillet 2016, elle a signé un contrat de franchise O'Tacos avec la société KD Restauration, autorisant celle-ci à exploiter le concept O'Tacos au sein d'un restaurant situé [Adresse 1].
Le 3 juin 2021, après plusieurs mises en demeure, la société O'Tacos a notifié à la société KD Restauration la résiliation du contrat de franchise à ses torts exclusifs.
Par acte du 24 mars 2022, la société O'Tacos a assigné la société KD Restauration devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris pour obtenir sa condamnation à cesser sous astreinte l'utilisation des signes distinctifs O'Tacos dans son restaurant et à lui payer des provisions au titre du préjudice lié à l'utilisation illicite de ces signes distinctifs et au titre de factures impayées.
Par ordonnance réputée contradictoire du 27 mai 2022, le juge des référés a :
Condamné la société KD Restauration, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, pendant 60 jours, passé lequel délai il pourra de nouveau être fait droit, à cesser toute utilisation de l'ensemble des signes distinctifs du réseau O'Tacos, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de son restaurant, et plus généralement, sur tous supports, notamment sur internet ;
Autorisé, dans l'hypothèse où la société KD Restauration ne respecterait pas les obligations mises à sa charge dans le délai imparti, la société O'Tacos :
À retirer, aux frais de la société KD Restauration, l'ensemble des signes distinctifs du réseau O'Tacos situés tant à I'intérieur qu'à l'extérieur du restaurant situé [Adresse 1]) ;
Le cas échéant, à se faire assister par tout huissier territorialement compétent de son choix et, au besoin, de la force publique et d'un serrurier;
Rejeté la demande au titre de la réparation du préjudice subi ;
Condamné la société KD Restauration à payer à la société O'Tacos, à titre de provision, la somme de 86.017,01 euros, avec intérêts au taux contractuel de 10 % à compter du 25 février 2020 ;
Condamné la société KD Restauration à payer à la société O'Tacos la somme de 1.560 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;
Condamné la société KD Restauration à payer à la société O'Tacos la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la société KD Restauration aux dépens.
Par déclaration du 20 juin 2022, la société KD Restauration a interjeté appel de cette décision en la critiquant en ce qu'elle « a fait droit aux demandes de la société O'Tacos Corporation et condamné la société KD Restauration à payer par provision les sommes suivantes :
86.017,01 euros avec taux d'intérêt contractuel de 10 % à compter du 25 février 2022 ;
1.560 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
1.000 euros au titre de l'article 700 ».
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 octobre 2022, la société KD Restauration demande à la cour de :
Juger que la formation des référés n'est pas compétente pour connaître du litige ;
Par conséquent,
Réformer dans son intégralité l'ordonnance entreprise ;
Condamner la société O'Tacos à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société O'Tacos aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 15 août 2022, la société O'Tacos demande à la cour de :
Constater que le siège social mentionné dans la déclaration d'appel et les conclusions d'appel déposées par la société KD Restauration est fictif ;
Prononcer la nullité de la déclaration d'appel de la société KD Restauration ;
Déclarer irrecevables, en tant que de besoin, les conclusions d'appel déposées par la société KD Restauration ;
À titre subsidiaire,
Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a prononcé les condamnations suivantes objet de l'appel interjeté par la société KD Restauration :
Condamné la société KD Restauration à lui payer, à titre de provision, la somme de 86.017,01 euros, avec intérêts au taux contractuel de 10 % à compter du 25 février 2020 ;
Condamné la société KD Restauration à lui payer la somme de 1.560 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;
Condamné la société KD Restauration à lui payer la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la société KD Restauration aux dépens de l'instance ;
L’infirmer en ce qu'elle a rejeté la demande indemnitaire provisionnelle formée par elle au titre de son préjudice né de l'utilisation illicite par la société KD Restauration des signes distinctifs O'Tacos après la fin du contrat de franchise ;
Recevoir son appel incident, le déclarer fondé, et statuant à nouveau,
Condamner la société KD Restauration à lui payer par provision la somme de 5.723 euros à titre d'indemnité provisionnelle en réparation du préjudice causé par l'utilisation illicite des signes distinctifs O'Tacos depuis la cessation du contrat de franchise ;
En toute hypothèse,
Condamner la société KD Restauration à lui payer la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société KD Restauration en tous les dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 janvier 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR,
Sur la nullité de la déclaration d'appel et l'irrecevabilité des conclusions de la société KD Restauration soulevées par la société O'Tacos
La société O'Tacos soulève la nullité de la déclaration d'appel de la société KD Restauration ainsi que l'irrecevabilité de ses conclusions, sur le fondement des articles 54, 900, 960 et 961 du code de procédure civile, au motif que le siège social de la société KD Restauration mentionné dans les actes est fictif et que celle-ci dissimule son siège social réel, ainsi que l'a constaté l'huissier qui a tenté de signifier l'assignation de première instance et l'ordonnance entreprise à l'adresse indiquée, mais a dû dresser des procès-verbaux de recherches infructueuses, la société KD Restauration ayant quitté les lieux sans laisser d'adresse.
La société O'Tacos soutient que l'appelante tente ainsi d'échapper à sa responsabilité et aux condamnations prononcées à son encontre.
Il résulte de la combinaison des articles 900 et 54 du code de procédure civile qu'à peine de nullité, la déclaration d'appel mentionne le siège social des personnes morales.
S'agissant des conclusions, il résulte de la combinaison des articles 960 et 961 du même code qu'elles ne sont pas recevables si le siège social n'y est pas mentionné pour les personnes morales.
Au cas présent, il ressort de l'acte de signification de l'assignation de première instance du 24 mars 2022 et de l'acte de signification de l'ordonnance entreprise du 27 mai 2022 que la société KD Restauration a quitté les lieux situés [Adresse 1], l'huissier ayant constaté qu'un autre franchisé, d'une autre enseigne, était en cours d'installation dans le local, en travaux.
Le siège social indiqué sur la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante n'est pas pour autant fictif puisqu'il s'agit de celui figurant sur l'extrait Kbis versé aux débats et qu'il est constant que l'adresse correspond à celle du local dans lequel la société KD Restauration exerçait son activité de restauration rapide. Celle-ci ne cherche donc pas à dissimuler son adresse mais a dû quitter les lieux après la résiliation de son contrat de franchise par la société O'Tacos.
La déclaration d'appel n'est donc pas nulle et les conclusions d'appelante ne sont pas irrecevables en application des textes précités.
Sur les demandes de provision au titre des factures impayées.
La société O'Tacos fonde sa demande de provision sur l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, selon lequel, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il est rappelé que l'urgence, dont la réalité est contestée par l'appelante, n'est pas requise par ce texte.
L'article 9 du contrat de franchise liant les parties, intitulé « redevance », stipule que :
« 9.2 En contrepartie des services fournis par le Franchiseur, de son assistance, et de la mise à disposition de la marque, des signes distinctifs et du savoir-faire, le Franchisé versera au Franchiseur une redevance mensuelle dite « d'enseigne » égale à 5 (cinq) % du chiffre d'affaires hors taxe annuel réalisé par le Franchisé.
9.3 En contrepartie des services de communication fournis par le Franchiseur, c'est-à-dire des services dont la finalité est l'acquisition ou la fidélisation de clientèle, le Franchisé versera au Franchiseur une redevance mensuelle égale à 2 (deux) % du chiffre d'affaires hors taxe annuel réalisé par le Franchisé.
9.4 En contrepartie de la mise à disposition par le Franchiseur du Logiciel, le Franchisé versera au Franchiseur une redevance mensuelle dite « informatique » de 150 (cent cinquante) euros hors taxe [...].
9.3 Sur la base des chiffres d'affaires communiqués mensuellement par le Franchisé conformément à l'article 6.3 du Contrat, le Franchiseur établira une facture mensuelle dont le montant sera réglé par le Franchisé par prélèvement automatique bancaire dans un délai maximum de trente (30) jours à compter de la date d'émission de la facture.
9.4 Sans préjudice de toute demande de dommages-intérêts, et conformément à l'article L. 441-6 du code de commerce, tout retard dans les règlements des redevances dues par le Franchisé au Franchiseur entraînera le versement de plein droit au profit de ce dernier d'une indemnité forfaitaire de compensation des frais de recouvrement d'un montant de 40 euros et d'une pénalité libératoire pour retard de paiement ».
La société O'Tacos verse aux débats l'ensemble des factures de redevances de la société KD Restauration ainsi qu'une attestation de son expert-comptable du 3 août 2021, accompagnée d'un relevé de compte des sommes dues par l'appelante du 31 décembre 2018 au 3 juin 2021, dont il résulte que celle-ci est redevable au 3 juin 2021 de la somme de 86.017,01 euros.
La société KD Restauration conteste devoir cette somme et soutient que les montants réclamés sont fantaisistes, que la société O'Tacos lui réclame une somme de 3.671,11 euros pendant les mois d'avril à juillet 2020 alors que le restaurant était fermé en raison de la pandémie de Covid-19, et que l'intimée a elle-même indiqué dans ses lettres de mise en demeure des 25 février 2020 et 1er avril 2021 qu'elle ne connaissait pas ses chiffres réels de vente, de sorte qu'elle ne peut prétendre établir les redevances à partir d'un chiffre d'affaires inconnu.
Elle estime que la résiliation du contrat de franchise est intervenue dans un contexte d'acharnement, de menaces et de tentatives d'intimidation constantes de la société O'Tacos à son égard.
Mais elle ne produit aucun élément comptable et, notamment, aucun élément relatif à son chiffre d'affaires, permettant de remettre en cause les calculs de redevances effectués par la société O'Tacos. Ainsi, elle ne démontre pas que le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé serait inférieur à celui retenu par l'intimée et, par conséquent, que les factures produites seraient anormalement élevées.
Elle ne produit pas davantage de justificatifs attestant de règlements qui n'auraient pas été pris en considération.
La seule pièce produite est un SMS du 10 octobre 2019 aux termes duquel la société O'Tacos lui accorde un échéancier de paiement d'une somme de 6.454,64 euros, mais il est impossible de rattacher ce montant à une ou plusieurs factures.
S'agissant de la période de confinement de mars à mai 2020, pendant laquelle les restaurants étaient fermés, il résulte du décompte produit par la société O'Tacos et de ses explications que la facture de 1.175,14 euros du 1er avril 2020 correspond aux redevances sur le chiffre d'affaires de mars 2020, lorsque le restaurant était encore ouvert, et que, par la suite, seule la « redevance informatique » de 246 euros a été perçue le 1er mai et le 1er juin 2020, étant précisé qu'un avoir de 120 euros a été accordé à la société KD Restauration le 1er avril 2020 puis trois avoirs de 60 euros les 1er mai, 1er juin et 1er juillet 2020.
La contestation relative à la période du confinement n'est donc pas fondée et aucune mauvaise foi ne peut être reprochée à l'intimée.
Faute de toute pièce financière et comptable susceptible de remettre en cause les éléments produits par l'intimée et attestés par son expert-comptable, les contestations de l'appelante ne sont donc pas sérieuses et la provision allouée en première instance sera confirmée.
De même, en application de l'article 9.4 susvisé du contrat, une indemnité de recouvrement provisionnelle de 1.560 euros sera mise à la charge de la débitrice au titre des 39 factures impayées (40 euros x 39).
En revanche, la société O'Tacos demande l'application d'un intérêt au taux contractuel de 10 %. Or, elle ne vise aucun article du contrat et aucune stipulation prévoyant un taux de 10 % n'a pu être identifiée. De même, les factures ne portent aucune mention d'un tel taux, pas plus que les mises en demeure adressées à la débitrice. En conséquence, il existe une contestation sérieuse sur ce point et seul le taux légal sera appliqué à compter de la mise en demeure du 25 février 2020 sur la somme de 55.090,59 euros et de la mise en demeure du 3 juin 2021 sur le surplus.
Sur la demande de provision en réparation du préjudice résultant de la conservation des attributs du réseau.
La société O'Tacos soutient que la société KD Restauration a continué à utiliser sans droit les signes distinctifs O'Tacos après la résiliation du contrat et ce, pendant au moins neuf mois, ce qui justifie l'allocation d'une provision en réparation de son préjudice. Elle précise que le préjudice qu'elle subit ne saurait être inférieur à la moitié du montant des redevances de franchise dont la société KD restauration aurait dû s'acquitter pour utiliser l'enseigne, soit la somme de 5.723 euros.
Mais il résulte du procès-verbal de constat que l'intimée produit qu'au 24 janvier 2022, le local situé [Adresse 1] était en travaux et une nouvelle société était en cours d'installation sous l'enseigne « Gomu », avec la mention « on ouvre bientôt » sur la devanture.
Si le store comportait encore la mention « O'Tacos », il est manifeste que la société KD Restauration avait cessé toute exploitation dans ces lieux, de sorte que le préjudice subi par la société KD Restauration n'est pas établi avec l'évidence requise en référé.
L'ordonnance sera en conséquence confirmée de ce chef également.
Sur les frais et dépens.
L'appelante, partie perdante, sera tenue aux dépens d'appel. L'équité commande toutefois de la dispenser de toute indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande d'annulation de la déclaration d'appel ;
Déclare recevables les conclusions de l'appelante ;
Confirme l'ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel, sauf celui relatif aux intérêts contractuels au taux de 10 % ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Dit que la provision de 86.017,01 euros allouée à la société O'Tacos Corporation sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2020 sur la somme de 55.090,59 euros et à compter du 3 juin 2021 sur le surplus ;
Condamne la société KD Restauration aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes formées par les parties en application de l'article 700 du code de procédure civile.