Cass. 1re civ., 12 septembre 2019, n° 18-18.154
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
Me Le Prado, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 mars 2018), qu'un procès-verbal de saisie-vente des biens meubles de la société Dalswoods concept (le débiteur saisi) a été dressé le 19 juin 2013 par la société civile professionnelle W...-U... et la société civile professionnelle F...-X... (les huissiers de justice) ; que ce procès-verbal mentionnait "un lot de planches de bois exotique", sans préciser la quantité et le volume de la marchandise, ni mentionner un lot de stores vénitiens ; que, le 29 juillet 2013, la société civile professionnelle V... B... (le commissaire-priseur) a procédé à l'adjudication des stores vénitiens, annulé la vente du lot de bois, initialement adjugé au prix de 10 000 euros à M. et Mme P..., en raison d'un lien de parenté entre l'adjudicataire et le gérant du débiteur saisi, puis adjugé ce lot à un tiers au prix de 5 000 euros ; qu'estimant les conditions de la vente irrégulières et préjudiciables à son égard, le débiteur saisi a assigné les huissiers de justice et le commissaire-priseur en responsabilité et indemnisation ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que le débiteur saisi fait grief à l'arrêt de limiter à un montant de 5 000 euros la condamnation mise à la charge du commissaire-priseur en réparation du préjudice lié à l'annulation de la première adjudication du stock de bois, alors, selon le moyen :
1°/ que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en l'espèce, le débiteur saisi, ayant surenchéri par l'intermédiaire de M. et Mme P..., dont l'adjudication avait été fautivement annulée par le commissaire-priseur, le préjudice subi par le débiteur saisi correspondait à la perte du lot de bois exotique dont il serait demeuré propriétaire en l'absence de la faute du commissaire-priseur ; qu'en indemnisant le débiteur saisi de la différence entre le prix d'adjudication et le prix proposé par les premiers acquéreurs évincés, et non de la perte de propriété du lot de bois litigieux, commettant ainsi une erreur sur la nature même du préjudice, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ que l'évaluation du dommage relève de l'office du juge ; que le débiteur saisi, ayant surenchéri par l'intermédiaire de M. et Mme P..., dont l'adjudication avait été fautivement annulée par le commissaire-priseur, le préjudice subi par le débiteur saisi correspondait à la perte du lot de bois exotique dont il serait demeuré propriétaire en l'absence de la faute du commissaire-priseur ; que l'évaluation de ce préjudice relevait de l'office du juge ; qu'en reprochant au débiteur saisi de ne pas avoir justifié de la valeur de son estimation du stock de bois, quand il lui incombait d'évaluer, au besoin, cette valeur, la cour d'appel a méconnu son office et a violé les articles 4 et 1382 devenu 1240 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que l'ordonnance de référé du 30 mai 2013 ayant prononcé la résiliation du bail dont était titulaire le débiteur saisi et ordonné son expulsion des lieux dans lesquels le lot de bois se trouvait entreposé devait être exécutée, l'arrêt énonce, à bon droit, que le préjudice causé par l'annulation de l'adjudication du lot de bois ne peut correspondre ni au prix d'achat ou de revient de la marchandise ni au prix réel ou supposé que le débiteur saisi aurait été susceptible d'en obtenir sur le marché, mais doit être apprécié au regard de ce qu'aurait pu être le résultat des enchères si les opérations d'exécution avaient été conduites conformément à la loi ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a souverainement estimé le dommage subi à la somme de 5 000 euros, représentant la différence entre le prix d'adjudication et le prix proposé par les premiers acquéreurs évincés ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que le débiteur saisi fait grief à l'arrêt de limiter à un montant de 2 000 euros la condamnation prononcée in solidum contre les huissiers de justice et le commissaire-priseur en réparation du préjudice lié à la vente des stores vénitiens, alors, selon le moyen, que le débiteur saisi contestait, dans ses conclusions d'appel, le motif par lequel les premiers juges avaient limité l'indemnisation du dommage relatif à la perte des stores vénitiens à un montant de 2 000 euros, correspondant à leur prix d'achat, en faisant valoir qu'ayant été indûment privé de la propriété de ces stores, il devait être indemnisé du dommage résultant de l'impossibilité de les vendre, ce qui supposait d'évaluer leur valeur marchande ; qu'en confirmant le jugement de ce chef, sans répondre aux conclusions de l'appelant sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a souverainement évalué le préjudice lié à la vente des stores vénitiens, en tenant compte de la valeur d'achat de ce lot ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident :
Attendu que le commissaire-priseur fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec les huissiers de justice, à payer au débiteur saisi la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice lié à la vente des stores vénitiens et de rejeter sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, alors, selon le moyen :
1°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que, dans ses conclusions d'appel, le commissaire-priseur faisait valoir qu'il n'avait commis aucune faute en procédant à la vente aux enchères des trois palettes de stores vénitiens appartenant au débiteur saisi, dès lors que cette marchandise figurait sur les photographies annexées au procès-verbal de saisie vente, dressé par l'huissier le 19 juin 2013, et qu'elles faisaient donc partie des biens saisis ; qu'en omettant de répondre à ce moyen des conclusions du commissaire-priseur, pourtant déterminant pour apprécier l'existence du manquement que lui reprochait le débiteur saisi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en toute hypothèse, les juges du fond sont tenus de réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que le commissaire-priseur a procédé à la vente aux enchères publiques de stores vénitiens appartenant au débiteur saisi ; qu'en condamnant le commissaire-priseur, in solidum avec les huissiers de justice, à payer au débiteur saisi, en réparation du préjudice lié à la vente aux enchères des stores vénitiens non saisis, la somme de 2 000 euros correspondant à leur prix d'achat par le débiteur saisi, sans s'expliquer sur le prix reçu au titre de l'adjudication desdits stores qui devait nécessairement venir en déduction de cette somme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de la réparation intégrale ;
Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de défaut de réponse à conclusions et de manque de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, et du principe de la réparation intégrale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine par la cour d'appel du préjudice lié à la vente des stores vénitiens, tenant compte de la valeur d'achat de ce lot ; qu'il ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que le commissaire-priseur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au débiteur saisi la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l'annulation de la première adjudication du stock de bois et de rejeter sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, alors, selon le moyen, que le principe de loyauté procédurale fait interdiction au débiteur saisi de se porter acquéreur, directement ou par personne interposée, des biens objets de la saisie-vente diligentée à son endroit, lors de leur vente aux enchères publiques ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'à l'occasion de la vente forcée des biens du débiteur saisi, ce dernier s'était porté acquéreur, par l'intermédiaire de M. et Mme P..., soeur et beau-frère du gérant de la société, de son propre stock de bois exotique, objet de la saisie-vente initiée à son encontre ; qu'en retenant pourtant qu'en procédant à l'annulation de la première adjudication du stock de bois litigieux prononcée au bénéfice de M. et Mme P..., le commissaire-priseur a commis une faute, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 10 du code civil, 3 du code de procédure civile et L. 221-3 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble le principe de loyauté procédurale ;
Mais attendu qu'aucun texte ni aucune règle jurisprudentielle ne permet de transposer aux saisies-ventes de meubles corporels les dispositions relatives aux saisies immobilières ou aux ventes aux enchères réalisées en matière de procédures collectives ; que, dès lors, la cour d'appel a justement décidé que le commissaire-priseur avait commis une faute en annulant l'adjudication du stock de bois litigieux prononcée au bénéfice de M. et Mme P..., au motif d'un lien de parenté entre l'adjudicataire et le gérant du débiteur saisi ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.