Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mars 2023, n° 21/13227

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ITM Alimentaire International (SAS), Intermarché Casino Achats (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Teytaud, Me Boudou, Me Utzschneider

CA Paris n° 21/13227

14 mars 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS ITM Alimentaire International (ci-après, "la SAS ITM"), constituée en 1969, est un groupement de commerçants indépendants exerçant une activité principale de distribution de produits alimentaires ou non à travers notamment les magasins à l'enseigne Intermarché.

Dans un contexte de crise économique et de stagnation du pouvoir d'achat en France, les groupes Casino et Intermarché se sont, à l'instar d'autres enseignes de la grande distribution, rapprochés pour conserver un positionnement concurrentiel. Ainsi, la centrale d'achat du groupe Casino, EMC Distribution, et la SAS ITM, ont constitué le 11 novembre 2014 la SARL Intermarché Casino Achats (ci-après, "la SARL Inca") qui avait notamment pour mission de négocier à titre exclusif, au nom et pour le compte de ses sociétés-mères, les conditions d'achat des produits et la conclusion avec certains fournisseurs de la convention annuelle prévue par le droit français en application de l'article L. 441-7 du code de commerce ainsi que ses éventuels avenants.

Dans le cadre de sa mission de régulation concurrentielle des marchés, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, "la DGCCRF") ainsi que, au niveau régional, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (ci-après, "la Dirrecte", devenue le 1er avril 2021 la Drieets), veillent à la préservation de la loyauté dans les relations commerciales. A cette fin, ses fonctionnaires, habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie au sens de l'article L. 450-1 du code de commerce, enquêtent chaque année sur les pratiques de la grande distribution.

Ainsi, la DGCCRF a mené en 2016 une enquête destinée à vérifier que la création de la SARL Inca ne s'accompagnait pas de pratiques susceptibles de contrevenir aux dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce et notamment à l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce.

Pour ce faire, elle a limité ses investigations au secteur "parfumerie-hygiène" et à treize fournisseurs (Unilever, L'Oréal, Procter & Gamble, Henkel, Reckitt Benckiser, SCA, Colgate, Beiersdorf, Johnson & Johnson, BIC, GlaxoSmithKline - GSK, Kimberly [H] et Edgewell) sur les soixante-quatre avec lesquels la SARL Inca avait négocié en 2015. Ses agents ont alors opéré sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce des contrôles dans les locaux de la SARL Inca et de la SAS ITM les 30 et 31 mars 2016, et ont sollicité des informations complémentaires par courriers du 17 août 2016 puis à l'occasion d'un ultime rendez-vous les 11 et 12 janvier 2017. Parallèlement, ils ont adressé à chacun des treize fournisseurs une demande de communication d'informations identique, complétée en août 2016 puis soumise à leur validation en décembre 2016.

Expliquant que les propositions faites par la SARL Inca en mai 2015, sans élément nouveau survenu depuis la conclusion des contrats cadres le 1er mars 2015 et sans contrepartie, ainsi que les pressions exercées et mesures de rétorsion mises en œuvre pendant la phase de négociation caractérisaient la tentative de soumission de chacun des treize fournisseurs à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, le ministre chargé de l'économie a, par acte d'huissier signifié le 11 avril 2017, assigné la SAS ITM et la SARL Inca devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement avant-dire droit du 18 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a en particulier :

- débouté la SAS ITM et la SARL Inca de leur exception de nullité de l'assignation et de "la procédure" ;

- débouté la SAS ITM et la SARL Inca de leur demande subsidiaire tendant à écarter des débats diverses pièces ;

- condamné in solidum la SAS ITM et la SARL Inca à payer au ministre chargé de l'économie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la SAS ITM et la SARL Inca aux dépens de l'instance sur l'incident, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,21 euros.

Par jugement du 31 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a, avec exécution provisoire sur l'ensemble de ses dispositions exceptée la mesure de publication judiciaire :

- dit que la SAS ITM et la SARL Inca avaient soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

- dit sans objet la demande du ministre chargé de l'économie tendant à la cessation des pratiques reprochées ;

- condamné in solidum la SAS ITM et la SARL Inca au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros ;

- condamné la SAS ITM et la SARL Inca à une mesure de publication judiciaire ;

- débouté "les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires" ;

- condamné in solidum la SAS ITM et la SARL Inca à payer au ministre chargé de l'économie la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société INCA aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 168,57 euros.

Par déclaration reçue au greffe le 12 juillet 2021, la SAS ITM et la SARL Inca ont interjeté appel de ces deux jugements.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 décembre 2022 et signifiées le 15 décembre 2022 au ministre chargé de l'économie, la SARL Inca demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable en 2015, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après, "la CESDH") et de l'article 1er de son protocole additionnel, ainsi que de la décision Carrefour c. France rendue par la Cour européenne des droits de l'Homme le 1er octobre 2019, des principes de l'égalité des armes, des droits de la défense, de loyauté dans l'administration de la preuve, de la présomption d'innocence, de proportionnalité et de la légalité des délits et des peines et de l'obligation d'impartialité :

- in limine litis et à titre principal :

* de juger que l'article 6 de la CESDH et le principe de l'égalité des armes sont applicables à la présente procédure ;

* de juger que la Direccte a manifestement violé son devoir de loyauté dans la recherche de la preuve ainsi que l'obligation d'impartialité qui lui incombe et le principe de la présomption d'innocence qui doit bénéficier à la SARL Inca ;

* en conséquence, d'infirmer le jugement avant-dire droit du 18 novembre 2019 des chefs suivants du dispositif :

- déboute les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International de leurs demandes visant à faire déclarer nulles l'assignation et la procédure ;

- déboute les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International de leurs demandes visant à écarter un certain nombre de pièces" ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et les sociétés du groupe Casino à payer M. le Ministre de l'Economie et des Finances, in solidum, la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du CPC" ;

- "ordonne l'exécution provisoire" ;

- "déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires", mais uniquement lorsqu'il déboute la SARL Inca et les sociétés du groupe Casino de leurs demandes ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et les sociétés du groupe Casino, in solidum, aux dépens de l'instance sur l'incident, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 211,77 € dont 35,08 € de TVA" ;

* statuant à nouveau, de :

- prononcer la nullité de la procédure et de l'assignation ;

- en conséquence, d'annuler ou d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 31 mai 2021 ;

- si, par extraordinaire, la cour venait à considérer que la procédure n'est pas nulle, d'écarter les pièces suivantes méconnaissant le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, l'obligation d'impartialité qui incombe à la Direccte ainsi que le principe de présomption d'innocence qui doit bénéficier à la SARL Inca Achats : 3.1 à 3.13, 4.1 à 4.13, 5.1 à 5.13, 6.1 à 6.9 et 7.1 à 7.13 ;

- au fond et à titre subsidiaire :

* d'infirmer le jugement du 31 mai 2021 des chefs suivants du dispositif :

- "dit que la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International ont soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6-l-2° du code de commerce" ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International in solidum au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros " ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International à publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispositif dudit jugement sur le site internet www.intermarche.com durant un mois, et dans le quotidien Les Echos" ;

- "déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires", mais uniquement lorsqu'il déboute les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International de leurs demandes " ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International in solidum à payer à M. le Ministre de l'Economie et des Finances, au titre de l'article 700 du CPC, la somme de 10 000 € " ;

- "ordonne l'exécution provisoire, sauf pour les mesures de publication" ;

- " condamne la société Intermarché Casino Achats aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 168,57 € dont 27,67 € de TVA " ;

* statuant à nouveau :

- de juger que les pratiques visées par l'assignation du ministre chargé de l'économie du 11 juillet 2017 ne constituent pas une tentative de soumission à un déséquilibre significatif ;

- de déclarer irrecevables les demandes du ministre chargé de l'économie dans leur intégralité ;

- si, par extraordinaire, la cour devait considérer que l'action du ministre chargé de l'économie n'est pas irrecevable en intégralité, de juger que son action est irrecevable et en tout cas mal fondée s'agissant des trois fournisseurs (Procter & Gamble, Henkel et Reckitt) avec lesquels la SARL Inca a conclu un accord dont les clauses ne sont pas critiquées, et d'infirmer le jugement du 31 mai 2021 en ce qu'il a fait application de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce pour ces trois fournisseurs ;

- au fond et à titre très subsidiaire :

* d'infirmer le jugement du 31 mai 2021 des chefs suivants du dispositif :

- "dit que la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International ont soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6-l-2° du code de commerce " ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International in solidum au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros " ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International à publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispositif dudit jugement sur le site internet www.intermarche.com durant un mois, et dans le quotidien Les Echos" ;

- "déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires", mais uniquement lorsqu'il déboute les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International de leurs demandes ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International in solidum à payer à M. le Ministre de l'Economie et des Finances, au titre de l'article 700 du CPC, la somme de 10 000 €" ;

- "ordonne l'exécution provisoire, sauf pour les mesures de publication" ;

- "condamne la société Intermarché Casino Achats aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 168,57 € dont 27,67 € de TVA" ;

* statuant à nouveau :

- de constater que la demande de condamnation in solidum des sociétés Inca et ITM à une amende civile méconnait les principes constitutionnels et conventionnels de légalité, d'individualisation et de nécessité et proportionnalité des peines ;

- de constater que la condamnation de la SARL Inca à une amende civile d'un montant de 2 millions d'euros contrevient au principe du cumul plafonné des peines ;

- d'infirmer totalement l'amende prononcée ;

- de débouter en toute hypothèse le ministre chargé de l'économie de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre infiniment subsidiaire :

* d'infirmer le jugement du 31 mai 2021 des chefs suivants du dispositif :

- "condamne les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International in solidum au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros ;

- condamne les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International à publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispositif du dit jugement sur leurs sites Internet respectifs durant un mois, et dans le quotidien Les Échos" ;

* statuant à nouveau, de :

- juger que l'amende civile infligée à la SARL Inca n'a pas été motivée et est fondée sur une analyse erronée, et qu'elle est, en tout état de cause, disproportionnée ;

- réduire significativement l'amende civile prononcée et la ramener à de plus justes proportions ;

- juger que les mesures de publication prononcées notamment à l'encontre de la SARL Inca sont disproportionnées ;

- dire n'y avoir lieu à ordonner des mesures de publication ;

- débouter le ministre chargé de l'économie de toutes demandes plus amples ou contraires

- en toute hypothèse, de :

* condamner le ministre chargé de l'économie à verser à la SARL Inca la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner le ministre chargé de l'économie aux dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 novembre 2022 et signifiées le même jour au ministre chargé de l'économie, la SAS ITM demande à la cour, au visa des articles 6 de la CESDH, 9 et 15 du code de procédure civile, L. 442-6 du code de commerce, dans sa version applicable à la cause et L. 450-8 du code de commerce, ainsi que des principes du contradictoire, des droits de la défense, de loyauté dans l'administration de la preuve, d'impartialité et de la présomption d'innocence :

- in limine litis, de :

* juger que le ministre a violé les principes du contradictoire, des droits de la défense, de loyauté dans l'administration de la preuve, d'impartialité et de présomption d'innocence tant durant l'enquête que dans la conduite de la procédure ;

* en conséquence, d'infirmer le jugement avant-dire droit rendu par le tribunal de commerce de paris du 18 novembre 2019, en ce qu'il a :

- débouté les sociétés Inca et ITM de leurs demandes visant à faire déclarer nulles l'assignation et la procédure ;

- débouté les sociétés Inca et ITM de leurs demandes visant à écarter un certain nombre de pièces ;

- condamné les sociétés Inca et ITM à payer au ministre chargé de l'économie, in solidum, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu' il déboute les sociétés Inca et ITM de leurs demandes ;

- condamné les sociétés Inca et ITM, in solidum, aux dépens de l'instance sur incident, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,21 euros dont 14,82 euros de TVA ;

* statuant à nouveau :

- de déclarer nulle l'assignation et la procédure subséquente ;

- subsidiairement de ce chef, d'écarter des débats les pièces suivantes, entachées d'irrégularités, compte tenu de la violation des principes de loyauté et de présomption d'innocence : pièces adverses 3.1 à 3.13, 4.1 à 4.13, 05.01 à 5.13, 6.1 à 6.9 et 7.1 à 7.13 ;

- à titre principal, de juger que la SAS ITM ne peut être qualifiée d'auteur des pratiques dénoncées par le demandeur ;

- subsidiairement :

* de juger que le ministre chargé de l'économie ne démontre pas que les pratiques dénoncées constitueraient des pratiques de nature à créer des obligations à la charge des fournisseurs au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

* de juger que le ministre chargé de l'économie ne démontre pas en quoi les fournisseurs concernés se trouveraient en situation économique faisant obstacle à une négociation effective avec la SARL Inca ;

* de juger que le ministre chargé de l'économie n'apporte pas la preuve de la tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

* de juger que le ministre chargé de l'économie n'apporte pas la preuve de prétendus mécanismes de pression par la SAS ITM ;

* de juger que le ministre chargé de l'économie n'apporte pas la preuve de la soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

* en conséquence, d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 31 mai 2021, en ce qu'il a dit que les sociétés Inca et ITM ont soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, condamné les sociétés Inca et ITM in solidum au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros, condamné les sociétés Inca et ITM à publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispositif du jugement sur le site internet www.intermarche.com durant un mois, ainsi que dans le quotidien Les Echos, débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu'il déboute les sociétés Inca et ITM de leurs demandes, condamné les sociétés Inca et ITM in solidum à payer au ministre, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 10 000 euros, ordonné l'exécution provisoire, sauf pour les mesures de publication et condamné la SARL Inca aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 168,57 euros dont 27,67 euros de TVA ;

* de débouter le ministre chargé de l'économie de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la SAS ITM ;

- à titre infiniment subsidiaire :

* de juger que l'amende prononcée est disproportionnée ;

* de juger que les mesures de publication prononcées à l'encontre de la SAS ITM sont disproportionnées ;

* en conséquence, de ramener à de plus justes proportions l'amende civile prononcée à l'encontre de la SAS ITM et de débouter le ministre chargé de l'économie de sa demande de publication,

- en tout état de cause, de :

* condamner le ministre chargé de l'économie, ès qualités, à verser à la SAS ITM la somme de 20 000 euros, tant pour la première instance qu'en cause d'appel, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner le ministre chargé de l'économie, ès qualités, aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En réplique, dans ses dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2022, le ministre chargé de l'économie demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 du code de commerce et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de :

- confirmer le jugement avant dire droit du tribunal de commerce de Paris du 18 novembre 2019 en ce qu'il a :

* débouté la SARL Inca et la SAS ITM de leurs demandes visant à faire déclarer nulles l'assignation et la procédure ;

* débouté la SAS ITM et la SARL Inca de leurs demandes visant à écarter un certain nombre de pièces ;

* ordonné aux défenderesses de conclure au fond, au plus tard pour le 24 janvier 2020 et renvoyé l'affaire au 24 janvier 2020 (15ème Ch. 14 h) pour dépôt des conclusions ;

* condamné la SAS ITM et la SARL Inca à payer au ministre chargé de l'économie, in solidum, la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* ordonné l'exécution provisoire ;

* débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

* condamné la SAS ITM et la SARL Inca in solidum aux dépens de l'instance sur l'incident, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90,21 euros dont 14,82 euros de TVA ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 mai 2021 en ce qu'il a :

* dit que la SAS ITM et la SARL Inca ont soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

* dit sans objet la demande du ministre chargé de l'économie visant à voir condamner les sociétés Inca et ITM à cesser les pratiques reprochées ;

* condamné les sociétés Inca et ITM in solidum au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros ;

* condamné les sociétés Inca et ITM à publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispositif dudit jugement sur le site internet www.intermarche.com durant un mois, ainsi que dans le quotidien Les Echos ;

* débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

* condamné les sociétés Inca et ITM in solidum à payer au ministre, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 10 000 euros ;

* ordonné l'exécution provisoire, sauf pour les mesures de publication ;

* condamné la SARL Inca aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 168,57 euros dont 27,67 euros de TVA ;

- en tout état de cause, débouter la SAS ITM et la SARL Inca de l'ensemble de leurs demandes, y compris celles formulées au titre des articles 699 et 700 du code de procédure civile.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie aux décisions entreprises et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023. Le ministre chargé de l'économie étant représenté conformément aux articles L. 490-8 et R. 490-2 du code de commerce, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur l'exception de nullité et la recevabilité des pièces.

Moyens des parties.

Au soutien de son exception de nullité, la SAS ITM expose que l'action du ministre chargé de l'économie relève de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH au regard tant de la qualification des pratiques dénoncées et de la sévérité de la sanction que de l'importance des pouvoirs d'enquête mis en œuvre. Elle prétend que le tribunal de commerce a écarté à tort l'application des principes de neutralité, d'égalité des armes et de la présomption d'innocence qui régissent l'enquête et la procédure qui ont été irrémédiablement violés, les agents de la DGCCRF ayant, dans le cadre d'une procédure inquisitoire créant un déséquilibre significatif à son détriment et par des questions orientées, provoqué des réponses pour conforter leurs accusations sans justification factuelle. Elle en déduit que "la procédure d'enquête et ['] l'assignation qui en a résulté " est nulle et, subsidiairement, que les pièces ainsi obtenues déloyalement sont irrecevables et, à défaut, dépourvues de force probante.

La SARL Inca développe des moyens identiques sous l'angle de la violation du principe de loyauté dans l'administration de la preuve et du principe de la présomption d'innocence en précisant que l'application de l'article 6 de la CESDH sous son volet pénal emporte application des règles de procédure pénale au litige. Elle explique ainsi, pour illustrer la déloyauté, l'atteinte à la présomption d'innocence et la partialité qu'elle allègue, que :

- la première demande du 3 juin 2016, exploratoire au regard de son objet, comporte des termes lui imputant avant toute investigation un comportement unilatéral rapidement qualifié de "potentiellement répréhensible" ;

- la demande d'informations complémentaire du 3 août 2016 ne permet aucune réponse spontanée des fournisseurs et les induit en erreur sur l'objet de la validation sollicitée ;

- les auditions de fournisseurs de décembre 2016 sont à nouveau contraintes, les enquêteurs imposant aux fournisseurs des réponses types destinées à confirmer leurs "conclusions d'enquête", alors que celle-ci était toujours en cours.

Elle en déduit que les agissements des enquêteurs ont irrémédiablement vicié l'ensemble de la procédure et entraînent la nullité de l'enquête ainsi que de tous les actes subséquents et, subsidiairement, que les pièces produites sont dépourvues de force probante.

En réponse, le ministre chargé de l'économie ne conteste pas l'application des principes tirés de l'article 6 de la CESDH à la procédure mais souligne la nécessité de les adapter à la nature civile de l'action, qui n'est pas purement répressive et est régie par les règles du code de procédure civile et non du code de procédure pénale. Il ajoute que la première partie de l'enquête, faite du recueil des déclarations et des documents des fournisseurs, n'est pas critiquée et que la méthodologie adoptée, forme des questions comprises, est transparente et loyale, les agents, qui n'ont manifesté ni déloyauté ni partialité, cherchant nécessairement au cours de l'enquête à corroborer les résultats de leurs investigations et les fournisseurs entendus demeurant libres de leurs réponses

Réponse de la Cour.

En application de l'article 6 "Droit à un procès équitable" de la CESDH :

"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ['].

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience".

a) Sur la nullité de l'assignation.

Les appelantes déduisent la nullité de "la procédure" et de l'assignation de la violation des principes applicables à la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH au cours de l'enquête menée par les agents de la DGCCRF. Mais, ainsi que le rappelle systématiquement la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après, " la CEDH "), la notion "d'accusation en matière pénale", qui est entendue dans une conception matérielle et non formelle (CEDH, 27 février 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, §44), est autonome (CEDH, 26 mars 1982, Adolf c. Autriche, n° 8269/78, §30). Ainsi, l'appartenance à la "matière pénale" est déterminée sans égard décisif pour les catégories de droit interne qui ne constituent qu'un critère pertinent de qualification, et ne vaut que pour l'application de la Convention : l'examen du litige sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH, qui est toujours global et opéré à l'aune de l'équité (" principe clé " selon CEDH, 10 juillet 2012, Gregacevic c. Croatie, n° 58331/09, §49), n'implique pas l'application des règles nationales de droit pénal et de procédure pénale.

Or, en droit interne, l'action du ministre chargé de l'économie exercée sur le fondement de l'article L 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits est de nature civile (en ce sens, Com. 18 octobre 2011, n° 10-28.005 qui valide la qualification d'action en responsabilité quasi délictuelle) et est soumise aux règles du code de procédure civile. Et, conformément à ces dernières, l'assignation, acte de procédure, ne peut être annulée que pour des vices de forme ou de fond au sens des articles 112 et suivants du code de procédure civile. Pourtant, la SAS ITM et la SARL Inca n'articulent aucun moyen en ce sens.

Même en suivant leur raisonnement et en retenant la réalité d'une déloyauté ou d'une atteinte aux droits garantis par l'article 6 de la CESDH dans son volet pénal violant irrémédiablement leur droit à un procès équitable, l'enquête, qui ne constitue qu'un mode de recueil des preuves, n'est pas le support nécessaire de l'assignation, la nullité de la première, à supposer que le juge civil puisse la prononcer, n'emportant pas celle de la seconde. Et, l'absence de preuves qui en résulterait, soit à raison de leur irrecevabilité soit faute pour elles d'être aptes à emporter la conviction du juge, n'est pas une cause de nullité de l'acte introductif d'instance mais un moyen de défense au fond conduisant au rejet des prétentions qu'il contient.

En conséquence, l'exception de nullité de l'assignation est infondée et le jugement avant-dire droit du tribunal de commerce de Paris du 18 novembre 2019 sera confirmé sur ce point.

b) Sur la recevabilité des pièces produites par le ministre chargé de l'économie

A titre liminaire, la cour constate que la SAS ITM et la SARL Inca ne reprennent pas dans leurs dernières écritures les moyens soulevés devant le tribunal de commerce relatifs à la régularité de la communication de ses pièces par le ministre chargé de l'économie et le respect à ce titre du principe de la contradiction. Ceux-ci sont réputés abandonnés au sens de l'article 954 du code de procédure civile.

- Sur l'examen du litige sous l'angle de l'article 6 de la CESDH en son volet pénal.

L'action introduite par le ministre chargé de l'économie sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce, action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence (en ce sens, Com., 8 juillet 2008, n° 07-16.761), a pour objet la défense de l'ordre public économique français par la répression des pratiques restrictives de concurrence qu'il mentionne et, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011), le rétablissement de l'équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, ce dernier objectif constituant le motif d'intérêt général fondant la limitation de la liberté d'entreprendre. Il dispose, sur le fondement des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, de moyens d'enquête importants que la Cour de justice de l'Union européenne a qualifiés de moyens exorbitants par rapport au droit commun pour l'application de l'article 1er du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui n'est pas en débat et ne constitue pas un critère d'application de l'article 6 de la CESDH mais est néanmoins éclairant sur la nature de la procédure en cause (CJUE, 22 décembre 2022, Galec, C-98/22, §26, la Cour y voyant, pour soustraire à l'action de la matière civile et commerciale et au regard de l'amende civile demandée, l'exercice de la puissance publique). Il est enfin le seul, avec le ministère public, à avoir qualité pour solliciter le prononcé d'une amende civile d'un montant élevé de 2 millions ou assis sur celui des sommes indument versées.

Ainsi, la CEDH (Carrefour c. France, 1er octobre 2019, 37858/14) a jugé que :

"40. La Cour rappelle à cet égard que la notion d' "accusation en matière pénale", telle que la conçoit l'article 6§1, est une notion autonome. Selon sa jurisprudence constante, l'existence ou non d'une telle accusation doit s'apprécier sur la base de trois critères, que l'on désigne couramment sous le nom de "critères Engel" (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82). Le premier est la qualification juridique de l'infraction en droit interne, le second, la nature même de l'infraction, et le troisième, le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l'intéressé. Les deuxième et troisièmes critères sont alternatifs et non nécessairement cumulatifs. Cela n'empêche pas l'adoption d'une approche cumulative si l'analyse séparée de chaque critère ne permet pas d'aboutir à une conclusion claire quant à l'existence d'une accusation en matière pénale [']. Ces considérations valent aussi pour la notion de "personne accusée d'une infraction" à laquelle renvoie l'article 6§2 de la Convention ['].

41. S'agissant des deux premiers de ces critères la Cour observe que, prévue par l'article L. 442-6 du code de commerce, l'infraction dont il s'agit ne relève pas en droit interne du droit pénal. Elle observe toutefois également que le Conseil constitutionnel a précisé que l'amende civile instituée par cette disposition "a la nature d'une sanction pécuniaire" et que le principe de la personnalité des peines est applicable. Quant au troisième critère, la Cour relève la sévérité de la sanction encourue, puisqu'il s'agit d'une amende civile pouvant atteindre deux millions d'euros. Ces éléments confirment l'applicabilité de l'article 6 dans son volet pénal ['], applicabilité que, du reste, le Gouvernement admet.

42. Au vu de ces considérations et à la lumière de sa jurisprudence consolidée en la matière, la Cour considère que l'article 6 de la Convention, dans son volet pénal, est applicable à l'amende civile à laquelle la société requérante a été condamnée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce".

Il est dès lors acquis que, au regard des moyens d'enquête mis en œuvre et du montant de l'amende demandée, dont le caractère civil est indifférent à raison de sa nature de sanction et de sa sévérité, l'action du ministre relève de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH, les exigences d'équité du procès étant de ce fait plus strictes que sous le volet civil (CEDH, Moreira Ferreira c. Portugal, 11 juillet 2017, n° 19867/12, §67). Et, la CEDH envisage la procédure pénale comme un tout englobant la phase d'enquête (CEDH, Dvorski c. Croatie, 20 octobre 2015, n° 25703/11, §76 : " la Cour rappelle que si l'article 6 a pour finalité principale, au pénal, d'assurer un procès équitable devant un "tribunal" compétent pour décider du "bien-fondé de l'accusation", il n'en résulte pas qu'il se désintéresse des stades antérieurs à la phase de jugement. Ainsi, l'article 6 - surtout son paragraphe 3 - peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où son inobservation initiale risque de compromettre gravement l'équité du procès"). Aussi, les actes d'enquête querellés doivent également être appréciés sous l'angle de la "matière pénale".

Pour autant, ainsi qu'il a été dit, l'autonomie de cette qualification n'emporte pas application au litige et à l'examen de la recevabilité des éléments de preuve les règles internes de droit pénal et de procédure pénale. En outre, le jugement de l'affaire sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH ne se satisfait pas d'un examen isolé des violations alléguées mais commande une appréciation de l'équité de la procédure dans son ensemble pour apprécier l'impact effectif des premières sur le procès et sur l'appréciation portée par le tribunal au sens de l'article 6 de la CESDH.

Ainsi, la Cour a précisé la méthodologie pertinente en ces termes :

- CEDH, 9 novembre 2018, Beuze c. Belgique, n° 71409/10) :

"120. L'équité d'un procès pénal doit être assurée en toutes circonstances. Toutefois, la définition de la notion de procès équitable ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais elle est, au contraire, fonction des circonstances propres à chaque affaire [']. Lorsqu'elle examine un grief tiré de l'article 6§1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable ['].

121. Ainsi que la Cour l'a relevé à maintes reprises, le respect des exigences du procès équitable s'apprécie au cas par cas à l'aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l'examen isolé de tel ou tel point ou incident, bien que l'on ne puisse exclure qu'un élément déterminé soit à ce point décisif qu'il permette de juger de l'équité du procès à un stade précoce. Pour apprécier l'équité globale d'un procès, la Cour prend en compte, s'il y a lieu, les droits minimaux énumérés à l'article 6§3, qui montrent par des exemples ce qu'exige l'équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales ['].

122. Ces droits minimaux garantis par l'article 6§3 ne sont toutefois pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l'équité de la procédure pénale dans son ensemble [']" ;

- CEDH, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, n° 22978/05 164 :

"Pour déterminer si la procédure a été équitable dans son ensemble, il faut aussi rechercher si les droits de la défense ont été respectés. Il y a lieu de se demander en particulier si le requérant a eu la possibilité de contester l'authenticité des preuves et de s'opposer à leur utilisation. Il faut également prendre en compte la qualité des preuves et notamment vérifier si les circonstances dans lesquelles elles ont été obtenues jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude. Si un problème d'équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n'est pas corroborée par d'autres éléments, il faut noter que lorsqu'elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d'autres éléments à l'appui devient moindre [']. A ce propos, la Cour attache de l'importance au point de savoir si l'élément de preuve en question a exercé une influence décisive sur l'issue de l'action pénale [']".

Elle avait antérieurement précisé l'absence d'incidence, au sens de l'article 6 de la CESDH, sur la recevabilité des preuves des violations alléguées en ces termes :

- CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c. Suisse, n° 10862/84, §46 : "Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne. La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière illégale, du genre de celle dont il s'agit. Il lui incombe seulement de rechercher si le procès ['] a présenté dans l'ensemble un caractère équitable" ;

- CEDH, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, n° 22978/05 :

"162. La Cour rappelle [' qu'il] ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commis par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne ['] ;

163. La Cour n'a donc pas pour tâche de se prononcer par principe sur la recevabilité de certaines sortes d'éléments de preuve - par exemple des preuves obtenues de manière illégale au regard du droit interne. Il lui faut examiner si la procédure, y compris le mode d'obtention des preuves, fut équitable dans son ensemble, ce qui implique l'examen de l'illégalité en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d'un autre droit protégé par la Convention, la nature de cette violation [']".

Il s'en déduit que, non seulement la violation d'un droit garanti par l'article 6 de la CESDH sous son volet pénal n'est pas de nature à fonder l'irrecevabilité des pièces affectées, ce point relevant exclusivement du droit interne, mais le constat d'une violation n'est pertinent que s'il est de nature à priver irrémédiablement la SARL Inca et la SAS ITM de leurs droits, appréciation qui porte également sur leur possibilité de débattre contradictoirement devant un tribunal indépendant et impartial, caractères qui ne sont pas en débat, de la pertinence et de la portée des différentes preuves qui leur sont opposées.

- Sur la loyauté de l'enquête.

La SAS ITM et la SARL Inca sollicitent l'irrecevabilité des pièces 3.1 à 3.13, 4.1 à 4.13, 5.1 à 5.13, 6.1 à 6.9 et 7.1 à 7.13 produites par le ministre chargé de l'économie mais critiquent l'intégralité de l'enquête. Elles invoquent pour ce faire, non la violation des dispositions des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce, mais une déloyauté, caractérisée notamment par une atteinte au principe de la présomption d'innocence et par l'obtention de réponses biaisées par la formulation orientée des questions.

Quoiqu'envisagée sous le volet pénal de l'article 6 de la CESDH, cette déloyauté doit être appréciée in concreto et en tenant compte du cadre juridique de l'enquête. A ce titre, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, l'introduction de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce qui est ici en débat avait précisément pour objet de garantir un meilleur équilibre des relations commerciales au sein de la grande distribution au bénéfice des fournisseurs, considérés comme structurellement en situation défavorable en dépit de renversements des équilibres ponctuels. Ce type de relations, peu important que le déséquilibre se vérifie ou non en l'espèce puisqu'il s'agit d'apprécier le cadre contextuel et juridique de l'enquête, induit une appréciation plus souple des atteintes aux droits garantis par l'article 6 de la CESDH en son volet pénal que dans le cadre d'une procédure correctionnelle ou criminelle, les enquêteurs pouvant être amenés à vaincre ou contourner la réticence des fournisseurs soucieux de ne pas déplaire à leurs partenaires commerciaux (analyse conforme à l'arrêt Beuze c. Belgique déjà cité et à l'arrêt CEDH, 17 janvier 2017, Habran et Dalem c. Belgique, 2017, n° 42000/11 et 49380/11, §96 qui rappelle que la Cour analyse chaque cas d'espèce en s'attachant à la procédure dans son ensemble, compte tenu des droits de la défense mais aussi de l'intérêt pour le public et les victimes à la répression effective de l'infraction en question et, au besoin, des droits des témoins).

Sur les demandes des 3 et 6 juin 2016.

Par courriers des 3 et 6 juin 2016 (pièces 1.1 à 1.13 de l'intimé), les agents de la DGCCRF ont sollicité en des termes identiques treize fournisseurs liés à la SARL Inca en précisant que cette demande était "adressée dans le cadre d'une enquête concernant les relations 2015 des sociétés EMC Distribution, IMT AI et INCAA avec leurs fournisseurs de la catégorie parfumerie/hygiène".

Si la liste des pièces réclamées est effectivement importante, le caractère "exploratoire" de la demande, qui traduit au contraire des investigations ouvertes et non orientées, n'est pas de nature à caractériser une déloyauté quelconque ou une atteinte aux droits garantis par l'article 6 de la CESDH sous son volet pénal.

En outre, au regard de l'objet de l'enquête qui tendait à établir la réalité ou l'inexistence d'une tentative de soumission ou d'une soumission à un déséquilibre significatif, et partant l'impossibilité de négocier les obligations constituant ce dernier, il ne peut être reproché aux enquêteurs d'avoir sollicité la communication d'éléments sur "le montant des demandes additionnelles, demandé par la société INCAA, non prévues par la convention annuelle intervenues entre le 1er mars 2015 et le 29 février 2016", ainsi que sur "les montants accordés" par chaque fournisseur. Ce procédé, qui cible un des éléments constitutifs des pratiques restrictives sur lesquelles portaient les investigations pour limiter leur périmètre, n'induit en rien un préjugement de l'enquêteur sur la culpabilité des appelantes et, parfaitement transparent, ne recèle aucune déloyauté, la réalité des "demandes" étant quoi qu'il en soit établie non par la sollicitation mais, objectivement, par la remise de la pièce correspondante que le fournisseur est tenu de communiquer si elle existe conformément à l'article L. 450-8 du code de commerce. De la même manière, il est évident que l'enquêteur qui analyse des pièces développe, sans pour autant vicier la procédure et manifester une partialité préjudiciable, une opinion sur les pratiques examinées et oriente ses recherches en conséquence, notamment pour les limiter aux victimes éventuelles, cette restriction étant d'ailleurs de nature à réduire l'atteinte à la réputation des distributeurs que l'enquête est susceptible de générer : la simple évocation dans les écritures du ministre chargé de l'économie de pratiques estimées "potentiellement répréhensibles" est ainsi sans conséquence.

Dès lors, les pièces 1.1 à 1.13 et les documents remis en réponse (pièces 2.1 à 2.13) ne sont pas critiquables et sont sans incidence sur les autres pièces.

Sur la demande d'informations complémentaires du 3 août 2016.

S'il est exact que les tableaux standardisés communiqués aux fournisseurs le 3 août 2016 (pièces 3.1 à 3.13 de l'intimé) ne sont pas de nature à favoriser une réponse spontanée de ces derniers, ceux-ci sont avant tout destinés à permettre, non pas tant la confirmation des conclusions de l'enquête par les fournisseurs, appréciation de peu d'intérêt pour le juge qui se prononcera sur les pièces effectivement communiquées et non sur l'analyse d'un tiers qui ne le liera pas, mais la transmission de documents complémentaires nécessaires au parachèvement des investigations dont les agents peuvent exploiter les résultats provisoires pour les présenter aux personnes entendues. Et, les pièces remises en réponse (pièces 4.1 à 4.13 et 5.1 à 5.13 de l'intimé) révèlent que les tableaux ont été très diversement renseignés par les fournisseurs, dont la SARL Inca et la SAS ITM soulignent l'appartenance à des grands groupes multinationaux et l'aptitude à saisir les enjeux de la procédure. Certains se contentent d'une confirmation succincte par reprise des éléments préremplis par l'administration (pièces 5.5 à 5.9, 5.11 et 5.12 de l'intimé) quand d'autres y ajoutent de nombreuses précisions et rectifications (pièces 5.1 à 5.4, 5.10 et 5.13), signe que chacune des personnes interrogées, particulièrement averties, conservait, et le plus souvent exerçait explicitement, sa liberté de réponse en dépit du cadre contraint posé par l'administration. Dans ce contexte, le glissement opéré sur le sens de la première demande, identifié par un fournisseur (pièce 5.3), n'est pas déterminant.

Aussi, ce procédé, à nouveau transparent, ne recèle aucune déloyauté, y compris par le truchement d'une atteinte au principe de la présomption d'innocence, et les pièces remises en réponse ne sont pas critiquables de ce chef (pièces 6 et suivantes qui comportent parfois des doublons avec les pièces 4 et suivantes).

Sur les auditions de décembre 2016.

Alors que l'enquête était très avancée, notamment grâce à l'étude des différentes pièces recueillies, les agents de la DGCCRF ont auditionné fin décembre 2016 les différents fournisseurs impliqués en soumettant une nouvelle fois leur analyse à leur confirmation (pièces 7.1 à 7.13). Outre le fait que ce procédé n'est pas en soi condamnable puisque les affirmations des enquêteurs, qui s'appuient sur leur lecture d'éléments objectifs issus de leurs investigations, et les réponses des fournisseurs sont clairement distinguées, ces derniers ont à nouveau manifesté leur aptitude à répondre librement, parfois en contredisant leur interlocuteur (pièce 7.3) ou en soulignant leur incapacité à commenter les indications soumises à leur appréciation (pièces 7.1, 7.4 et 7.7 - qui révèlent que cette faculté était exercée y compris quand le fournisseur se contentait par ailleurs de confirmations sèches -, et 7.5).

Aussi, les réponses étaient librement données et la transparence du procédé, qui permet un débat contradictoire utile devant le juge sur sa pertinence et ses implications concrètes, est exclusive de la déloyauté alléguée.

- Sur l'appréciation globale des atteintes alléguées et la recevabilité des pièces.

Alors que l'absence de déloyauté et d'atteintes aux droits garantis par l'article 6 de la CESDH sous son volet pénal pour chaque acte d'enquête pris isolément fonde le rejet de la demande tendant à voir écartées certaines pièces présentées par la SAS ITM et la SARL Inca, la nature même des vices invoqués, à les supposer établis, n'est pas de nature à affecter l'équité de la procédure dans son ensemble, atteinte qui est d'ailleurs affirmée sans jamais être étayée par les appelantes.

En effet, les éventuels biais introduits et orientations suscitées par la méthodologie employée sont, en raison de leur totale transparence et de l'absence de toute manœuvre dissimulée, soumis au libre débat contradictoire devant le tribunal de commerce puis devant la cour, la SARL Inca et la SAS ITM demeurant libres de produire toute pièce susceptible de contredire les déclarations des fournisseurs et les documents qu'ils ont communiqués. Or, le principe de l'égalité des armes, élément de la notion plus large de procès équitable qui est étroitement lié au principe du contradictoire (CEDH, 19 septembre 2017, Regner c. République tchèque, 35289/11, §146), s'entend d'un "juste équilibre" entre les droits des parties et vaut aussi bien au civil qu'au pénal. L'égalité des armes implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause et ses preuves dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de "net désavantage" par rapport à son adversaire (même arrêt, §72). Ce principe est ici préservé par l'application, devant la juridiction de jugement, des règles probatoires issues de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article L. 450-2 du code de commerce, qui rappelle que les procès-verbaux des agents ne font foi que jusqu'à preuve contraire, ainsi que par les principes dispositif et de la contradiction définis par les articles 1, 4, 5, 12 et 16 du code de procédure civile.

Dès lors, en admettant leur réalité, les atteintes alléguées ne sont pas irrémédiables et n'affectent pas l'équité de la procédure dans son ensemble.

Et, sur un plan strictement interne, la cour relève que le vice intrinsèque d'un mode de preuve emporte habituellement son incapacité à emporter la conviction du juge, son irrecevabilité n'étant envisagée que quand ce dernier est décisif en ce qu'il prive par sa nature et sa gravité la partie à qui la preuve est opposée de toute possibilité ultérieure de la contester utilement. C'est le sens des décisions citées par les parties relatives aux témoignages anonymes fondant exclusivement une condamnation (Com., 11 mai 2022, n° 19-22.242, ou, pour des clients mystères rémunérés dont le comportement était de nature à provoquer une faute, Com., 10 novembre 2021, n° 20-14.669 et 20-14.670) et des arrêts de la CEDH sur les violations qui, par elles-mêmes, privent automatiquement d'équité la procédure dans son ensemble et violent l'article 6 (ces décisions étant rendues sur le fondement de l'article 3 sur l'interdiction de la torture). C'est également la signification de l'arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2019 qui précise que le stratagème employé par un agent de l'autorité publique pour la constatation d'une infraction ou l'identification de ses auteurs ne constitue pas en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve, et que seul est proscrit le stratagème qui, par un contournement ou un détournement d'une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie (Ass. Plén., 9 décembre 2019, n° 18-86.767).

Aussi, au regard de la nature des atteintes alléguées qui sont, à les supposer caractérisées, très éloignées des standards évoqués, l'irrecevabilité des pièces ne se justifie pas.

En conséquence, le principe de neutralité rapidement évoqué n'ayant pas vocation à régir le litige puisqu'il implique la non-discrimination notamment en fonction de la race, des opinions ou activités politiques, syndicales, des convictions religieuses, philosophiques de l'agent, points qui ne sont pas en débat, le jugement avant-dire droit du tribunal de commerce de Paris du 18 novembre 2019 sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Inca et de la SAS ITM d'écartement des pièces 3.1 à 3.13, 4.1 à 4.13, 5.1 à 5.13, 6.1 à 6.9 et 7.1 à 7.13 produites par le ministre chargé de l'économie, certaines d'entre elles concernant quoi qu'il en soit des fournisseurs qui ne sont plus visés.

Enfin, la cour précise d'ores et déjà, la SAS ITM et la SARL Inca développant les mêmes moyens pour priver globalement ces pièces de toute force probante, que, faute de déloyauté prouvée, ces éléments ne sont pas privés par principe de pertinence probatoire. L'appréciation de leur cohérence interne et externe et de leur portée sera opérée in concreto à l'occasion de l'examen de la réalité de la tentative de soumission à un déséquilibre significatif.

2°) Sur la tentative de soumission à un déséquilibre significatif.

Moyens des parties.

Au soutien de son action, le ministre chargé de l'économie expose que le secteur de la distribution alimentaire se définit par une concentration élevée, proche de celle d'un oligopole, la SARL Inca, première alliance à l'achat de la grande distribution sur le marché français, détenant à elle seule 25,9 % des parts de marché en 2015, et que les fournisseurs concernés par la procédure, quoique d'importance, peuvent être facilement contraints d'accepter des pratiques nettement défavorables pour éviter d'être déréférencés. Il ajoute que ce déséquilibre structurel combiné aux mesures de pression déployées par la SAS ITM et la SARL Inca caractérise la tentative de soumission par la proposition, peu après la négociation de mars 2015 et sans élément nouveau justifiant l'entrée en négociation, de nouvelles obligations sans aucune contrepartie effective. Il précise ainsi que des lettres de sous-performance et de déréférencement ont été adressées sans explication le 23 septembre 2015 à tous les fournisseurs, certains se voyant en outre imposer, signe que la rupture des pourparlers n'était pas libre, des arrêts de commande, la conclusion de contrats avec trois fournisseurs ne faisant de ce fait pas obstacle à la caractérisation de la tentative de soumission. Il souligne n'imputer aux appelantes qu'une tentative de soumission, indique que son appréciation commande de ne pas comparer les sommes demandées aux montants finalement payés, sauf à ne sanctionner que les tentatives qui ont porté leurs fruits, et soutient que l'analyse doit porter sur les demandes financières qui, au moment de leur présentation, ne comportaient aucune contrepartie. Il explique que ces dernières concernaient une obligation essentielle du contrat annuel pour 2015, le prix, peu important l'absence de formalisation contractuelle.

Le ministre chargé de l'économie explique par ailleurs que, en dépit de la création d'une entité juridique distincte, les centrales de référencement de chaque enseigne conservent une emprise sur les relations commerciales avec leurs fournisseurs puisque chacune d'elles détermine et transmet à la SARL Inca sa politique commerciale et applique le contrat cadre négocié, la SAS ITM demeurant en charge du paiement des produits du fournisseur et facturant les prestations de service convenues. Il ajoute que la soumission recherchée n'était possible qu'à raison de l'intervention active de la SAS ITM qui a mis en œuvre des mesures de pression et de rétorsion.

En réponse, la SARL Inca expose que le déséquilibre structurel, qui ne peut caractériser à lui seul l'impossibilité de négocier, n'est pas prouvé pour le secteur pertinent, les fournisseurs concernés, qui ont tous réalisés des résultats positifs en dégageant une part marginale de leurs chiffres d'affaires avec la SAS ITM, étant tous des multinationales disposant de marques incontournables insusceptibles de déréférencement. Elle conteste être l'auteur des mesures de rétorsion et des menaces alléguées, son rôle se limitant contractuellement à la négociation des conditions commerciales et à la signature des conventions annuelles et de leurs éventuels avenants. Elle en déduit que toute condamnation à ce titre violerait les principes de "la responsabilité" et de la personnalité des peines. Elle explique qu'une négociation effective a été menée avec chaque fournisseur et que des contreparties ont été immédiatement proposées puis adaptées en cours du processus évolutif de négociation, des avenants non critiqués ayant d'ailleurs été conclus avec trois fournisseurs. Elle ajoute qu'à l'époque des faits, antérieurs à la loi n° 2019-359 du 24 avril 2019, il n'y avait pas lieu de caractériser un élément nouveau pour entrer en négociation et que la seule proposition d'investissements en cours d'année ne peut être considérée comme illicite, cette faculté étant d'ailleurs contractuellement prévue. Elle précise enfin que le tribunal a statué ultra petita en retenant une soumission du fournisseur SCA alors que seule sa tentative était invoquée.

La SAS ITM conteste sa participation aux faits qui lui sont imputés faute de pouvoir de négociation, la SARL Inca disposant à ce titre d'un mandat exclusif et engageant sa seule responsabilité à raison de ses éventuelles fautes délictuelles. Elle nie tout lien entre les sorties de gamme qu'elle a mises en œuvre et les négociations menées par la SARL Inca. Elle développe pour le surplus une argumentation en substance identique à celle de cette dernière.

Réponse de la Cour,

En application de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

A titre liminaire, la cour constate que, par jugement du 31 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a "dit que la SAS ITM et la SARL Inca [avaient] soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce". Il a ainsi rejeté les demandes du ministre chargé de l'économie pour les fournisseurs Unilever, Colgate, Johnson & Johnson, GSK et Edgewell. A défaut d'appel incident au sens des articles 548 et 551 du code de procédure civile, le jugement est définitif sur ce point non dévolu à la connaissance de la cour.

La critique du raisonnement du tribunal dans le tri opéré entre les fournisseurs, selon une approche par ailleurs concrète de la situation de chacun d'eux, n'est pas de nature, comme l'absence d'appel incident, à faire en soi obstacle au succès des prétentions du ministre chargé de l'économie.

Par ailleurs, la cour relève que, bien que saisi d'une demande relative à une tentative de soumission de la société SCA à un déséquilibre significatif, le tribunal a retenu dans ses motifs (page 16 du jugement du 31 mai 2021) une soumission, le dispositif, qui seul comprend les chefs dévolus à la cour, se limitant à reproduire l'alternative offerte par l'article L. 442-6 2° du code de commerce. Cette variation n'implique néanmoins pas un dépassement de l'objet du litige par le tribunal qui, conformément à l'article 12 du code de procédure civile, est tenu de restituer aux faits et actes juridiques leur exacte qualification : le fondement juridique de la prétention étant, comme la sanction sollicitée, identique, le tribunal n'a pas statué ultra petita au sens de l'article 5 du code de procédure civile mais a retenu la qualification qui lui paraissait la plus adaptée. Ce moyen n'est ainsi pas pertinent et ne fonde pas, sous cette présentation, l'infirmation du jugement, seule l'éventuelle inadéquation de la qualification adoptée la justifiant.

a) Sur la tentative de soumission à des obligations.

La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par le ministre chargé de l'économie, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative.

En outre, l'article L. 442-6 2° du code de commerce dans sa version applicable distingue soumission et tentative de soumission. L'interprétation de la loi, comme celle du contrat au sens de l'article 1191 du code civil, devant favoriser sa pleine effectivité, celle qui donne à cette distinction explicite son sens doit l'emporter sur celle qui ne lui en confère aucun. La répression de la seule tentative, qui s'entend de l'action par laquelle on s'efforce vainement d'obtenir un résultat, implique ainsi une analyse qui accorde une attention particulière à l'entrée en négociation prétendue. Cette appréciation est confortée par les travaux préparatoires de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 qui soulignent l'intérêt de cette différence, présentée comme une garantie supplémentaire, pour moraliser, dans un secteur présenté comme structurellement déséquilibré, les relations commerciales dès l'entrée en négociation et assurer sa loyauté. Cette notion fait écho à l'article 1112 du code civil, non applicable au litige, qui dispose que, si l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres, ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. Dans cette logique, la conclusion de contrats non critiqués en eux-mêmes par trois fournisseurs ou l'absence d'engagements finalement consentis par d'autres n'est pas à elle seule de nature à faire obstacle à la caractérisation d'une tentative de soumission. Néanmoins, ainsi que l'admet le ministre chargé de l'économie qui entend caractériser la tentative par référence à des menaces et des pressions exercées à distance des premières demandes, parfois à l'aube des négociations de l'année suivante, l'examen ne peut être circonscrit à cette phase précoce, trop resserrée pour permettre de déterminer la négociabilité des propositions formulées dans le cadre de processus de discussions habituellement tendus.

Par ailleurs, la tentative de soumission doit être appréciée en lien avec le dispositif de négociation annuelle prévu par l'article L. 441-7 du code de commerce dans sa version applicable qui a été créé et modifié pour réduire les marges arrières et favoriser une véritable coopération commerciale à travers la globalisation de la négociation, dans un document ou un ensemble unique assurant sa traçabilité et permettant un contrôle effectif par l'administration, et sa concentration sur une période réduite ainsi que le précisent les travaux parlementaires de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 et de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014. Si le texte de la loi, comme ces derniers et chacun des contrats cadres (articles 2 et 3, partie D), n'exclut pas la possibilité d'une renégociation intercalaire conformément au droit commun des contrats et au principe de la liberté contractuelle, encore faut-il que celle-ci repose sur un motif concret, vérifiable et licite. De fait, si la condition relative à la mention de l'élément nouveau fondant la conclusion d'un avenant à la convention écrite visée désormais à l'article L. 441-3 alinéa 1 du code de commerce n'a été consacrée que par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 inapplicable au litige, l'existence même de cet élément est inhérente au dispositif de négociation annuelle. C'est le sens de l'avis n° 09-09 de la Commission d'examen des pratiques commerciales (ci-après, "la CEPC") du 16 septembre 2019 cité par les parties qui, à la question "Est-il légal de remettre en cause un contrat signé le 1er mars quelques jours seulement après sa signature", répond :

"Non, sauf si un élément nouveau ou une condition particulière nouvelle et significative le justifie. Le droit commun s'applique. Le contrat peut faire l'objet d'avenants en cours d'année, dès lors que l'équilibre commercial est préservé. Cette possibilité - qui n'est pas une renégociation totale du contrat - permet de tenir compte de la vie des affaires et de la réalité commerciale.

Une pratique consistant à signer un contrat avant le 1er mars pour respecter la loi, puis à remettre en cause ce contrat dans les jours suivants serait de toute évidence contraire à l'esprit de cette loi".

Ainsi que le précise le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, l'ajout de la mention de l'élément nouveau "entérine" cet avis : s'il n'est pas une condition formelle de la renégociation, il en est une condition matérielle et constitue quoi qu'il en soit un critère pertinent d'appréciation de la soumission ou de la tentative de soumission.

Enfin, si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement. Cette logique n'est pas étrangère à la définition de la négociation, et de ses prérequis, retenue par la CEPC dans son avis 16-5 du 14 janvier 2016 cité par la SARL Inca :

"La négociation est la recherche par les parties d'un accord sur la prestation à rendre. Cette négociation doit débuter par la remise par le batelier de ses CGV au client afin d'avoir un point de départ à cette opération. Cette négociation doit également s'appuyer sur l'expression des besoins du client en matière de prestations de services.

A partir de ces préalables, les parties peuvent débuter la négociation afin d'arriver à un accord qui sera formalisé par un contrat".

De fait, l'idée même d'une négociation présuppose d'emblée la prise en compte des besoins de l'interlocuteur et ainsi la détermination, même provisoire et sommaire, de contreparties identifiables et quantifiables dès l'entrée en pourparlers. En ce sens, l'absence de ces dernières est un indice pertinent de la soumission ou de sa tentative.

- Sur la structure du marché et le rapport de forces entre fournisseurs et distributeurs.

Quoique le dispositif de lutte contre le déséquilibre significatif ait été spécifiquement pensé en considération d'un déséquilibre structurel en faveur de la grande de distribution et au détriment des fournisseurs, l'esprit de la loi ne fonde aucune présomption de fait, les travaux préparatoires successifs précisant d'ailleurs que le rapport de forces est parfois inversé selon la qualité des fournisseurs et la nature de leurs produits.

Aux termes de l'avis 15-A-06 de l'Autorité de la concurrence du 31 mars 2015 (pièce 22 de l'intimé), la SARL Inca, constituée notamment pour accroître la puissance d'achat de ses mandants, représentait en 2014 (en parts cumulées, la SAS ITM en possédant seule 14,4 %) 25,9 % des parts de marché dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire, parts qui lui conféraient une position dominante au sein des quatre alliances ou enseignes qui captaient ensemble plus de 90 % des parts de marché (25,9 % pour Carrefour/Cora, 21,6 % pour Auchan/Système U et 19,9 % pour Leclerc) dans un contexte de progression du chiffre d'affaires des supermarchés et des hypermarchés (pièce 48 de l'intimé).

Cette structuration du marché induit prima facie un déséquilibre net à la faveur de la SARL Inca et de sa mandante. Cette analyse est néanmoins tempérée par le pouvoir pour partie compensateur des fournisseurs. En effet, ces parts de marché concernent le secteur de la distribution à dominante alimentaire dans son ensemble alors que l'enquête ne porte que sur le secteur parfumerie/hygiène. Le poids de l'accord pour cette dernière catégorie est néanmoins estimé par l'Autorité de la concurrence supérieur au seuil de sécurité de 15 %, constat la conduisant à inviter les opérateurs à une vigilance particulière, "la grande distribution à dominante alimentaire représent[ant] le principal débouché" (pièce 22, §124 à 127), et modulant l'analyse qu'elle avait livrée dans sa décision 14-D-19 du 18 décembre 2014 citée par la SARL Inca selon laquelle la forte concentration de l'offre dans ce secteur, la régularité des cycles d'achat, la longue conservation des produits en cause et le caractère incontournable des marques des fabricants peu concurrencés par les marques de distributeurs relativisent fortement le pouvoir de négociation des distributeurs vis-à-vis des fournisseurs (§129 à 136). La portée de cette appréciation est d'autant plus réduite qu'elle portait sur des pratiques de 2003 à 2006, très antérieures aux accords de coopération de 2014.

Il est incontestable que les fournisseurs visés, multinationales d'importance réalisant, Beiersdorf excepté, une faible part de leur chiffre d'affaires avec la SAS ITM et, à l'exception de BIC et de L'Oréal, sur le territoire français, disposent de marques dites incontournables et difficilement substituables (pièce 3 de la SARL Inca). Néanmoins, aucun d'eux ne peut se permettre, sur le marché pertinent français, de subir des déréférencements répétés ou durables dans la grande distribution faute, pour une bonne part des produits concernés, de disposer de débouchés alternatifs touchant aussi massivement la clientèle, la caractérisation du seuil de menace de 22 % identifié par la Commission dans sa décision du 3 février 1999 1999/674/ CE (§101, cité par la SAS ITM) n'étant pas nécessaire à celle d'un déséquilibre des rapports de forces constituant l'indice non suffisant d'une tentative de soumission.

La Cour retient en conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'analyser l'étude Tera Consulting invoquée par le ministre chargé de l'économie, effectivement très générale (pièce 56 de l'intimé), que la structure du marché est déséquilibrée à la faveur de la SARL Inca et de sa mandante, mais dans une mesure moindre que celle alléguée par le ministre chargé de l'économie.

- Sur les conditions de la négociation alléguée appréciées in concreto.

L'Oréal,

Dans sa réponse à l'administration du 30 septembre 2016, le fournisseur L'Oréal, explique que la SARL Inca a sollicité, dès le 29 avril 2015, un investissement de 3 000 000 d'euros non prévu dans la convention annuelle (pièce 5.2 de l'intimé dont la force probante est pleine, le caractère fermé des questions étant sans incidence au regard de la précision et de la simplicité de leur objet). Dans son procès-verbal d'audition du 19 décembre 2016 (pièce 7.2), qui comprend des réponses librement développées en dépit des demandes de validation des conclusions d'enquête formulées par l'agent, il ajoute que :

- la SARL Inca n'a proposé aucune "contrepartie motrice", tandis que celles prévues dans le plan d'affaires n'avaient pas encore été intégralement mises en œuvre ;

- la SARL Inca l'a informé oralement courant juillet 2015 de l'arrêt de commandes sur plusieurs gammes de ses produits en raison du refus d'investissement supplémentaire ;

- la SAS ITM lui a notifié l'arrêt d'approvisionnement pour d'autres références, ces différents arrêts n'ayant été levés qu'à la clôture des négociations de 2016, fin février 2016.

Ces éléments font écho au courrier du 22 juillet 2015 adressé par ce fournisseur à la SARL Inca (pièce 2.2, PJ 4) évoquant une demande d'investissement complémentaire sans exécution préalable des contreparties antérieurement négociées, et liant directement les arrêts de commandes au refus d'investir. En réponse, la SARL Inca, dans son courrier du 29 juillet 2015 (pièce 2.2, PJ 5), contestait ce rattachement et, tout en annonçant l'exécution prochaine des accords antérieurement conclus, rappelait avoir proposé les contreparties suivantes :

- "des produits partenaires pour les opérations Anniversaires, novembre 2 et décembre 1 ;

- animations commerciales et communications de vos marques sur le support e-commerce ;

- flux poussés de vos innovations en point de vente lors de leur lancement ;

- communications de vos marques sur le book de commande point de vente de fin d'année ;

- présence de meubles parfums en fin d'année avec mise à disposition d'échantillons ;

- fiches "pense-bête" à destination des points de vente pour les informer de vos actualités".

Par ailleurs, aux termes de trois courriers du 23 septembre 2015 ne se distinguant que par leurs annexes (pièce 2.2, PJ 6 à 8), la SAS ITM a notifié à L'Oréal un arrêt d'approvisionnement pour quatorze références dans le cadre d'une revue de performance de gamme, le motif invoqué étant une "baisse significative de performance" objet d'une alerte antérieure, mesures mises en œuvre en février 2016 qui s'ajoutaient aux déréférencements de juillet 2015 récapitulés dans le tableau dressé par la Dirrecte (pièce 6.9).

Interrogée sur ces pratiques (pièce 8.7), la SARL Inca indiquait ne pas être parvenue, faute de conserver systématiquement des traces écrites dans ses archives, à confirmer ou infirmer le montant des demandes dont elle admettait néanmoins le principe, sa démarche s'appuyant sur un "brief [non produit] élaboré par les maisons mères portant sur les contreparties pouvant être offertes : référencements, possibilités de communications et mises en avant additionnelles, flux poussés", contreparties systématiquement validées par chaque maison mère dans l'ignorance des actions de l'autre. Elle était dans l'incapacité d'expliquer ces demandes d'investissement autrement que par le caractère évolutif des orientations propres à chaque maison mère qui déterminait seule sa politique commerciale.

La SAS ITM expliquait pour sa part, lors de son audition du 11 juillet 2017 (pièce 9.5) que les demandes qualifiées d'additionnelles par le ministre chargé de l'économie n'étaient pas en lien avec la négociation annuelle précédente mais s'analysaient comme "la matérialisation de nouvelles opportunités identifiées soit par le fournisseur, soit par INCA A au regard des éléments dont elle dispose" qu'étaient "ses attentes en matière de négociation sur la base des barèmes et conditions adressés au préalable par les fournisseurs", "le cadre et la typologie du plan d'affaires qu'INCA A [était] habilitée à proposer aux fournisseurs, ['] ("brief achat") et [le] libellé précis des services offerts ("catalogue général")". Tout en précisant que la présentation de l'enquêteur laissait entendre que l'évolution des contrats cadres annuels était toujours à l'initiative du distributeur, elle ne contestait pas le principe d'une proposition spontanée de la SARL Inca, libre de déterminer le montant à investir, en soulignant que la demande était assortie de contreparties destinées à "dynamiser le plan d'affaires initial". Elle se déclarait en revanche "réservée" sur le montant évoqué dont elle soutenait ignorer la source. Enfin, elle contestait tout lien entre les déréférencements et avis d'arrêts de commandes, exclusivement fondés sur l'adaptation régulière des gammes/références présentes dans les linéaires, et les propositions d'investissement, mais admettait que l'analyse des performances n'étaient pas communiquées aux fournisseurs.

Ces deux auditions, dont l'analyse vaut pour tous les fournisseurs concernés, ne sont pas de nature à combattre celle des pièces produites, les appelantes se retranchant derrière des difficultés d'archivages non étayées pour justifier l'absence de toute contre preuve.

Or, ces éléments, dont la combinaison compense largement l'éventuel biais affectant la présentation de leurs questions par les enquêteurs, confirment que la SARL Inca a, d'initiative et moins de deux mois après la conclusion du contrat cadre du 1er mars 2015 partiellement exécuté, sollicité un "investissement", demande qui ne reposait sur aucun élément nouveau tangible et vérifiable et qui était assortie de contreparties imprécises et inquantifiables et de ce fait ineffectives, aucune pièce n'étant produite en défense pour en préciser le contenu et la valeur. En soi, l'indétermination des contreparties éventuelles est peu propice à une négociation quelconque. Et, parallèlement, sur une période relativement longue de près de cinq mois, durée inexplicable au regard du ferme refus immédiatement opposé par le fournisseur, la SAS ITM a notifié des arrêts de commandes sur diverses références, mesures fondées sur une sous-performance qui n'a, de son aveu, jamais été justifiée. Cette carence explique le lien spontanément fait par le fournisseur entre la demande d'investissement et ces dernières, perçues comme la sanction de son refus.

Ce lien, retenu par le tribunal, peut effectivement se déduire, au sens de l'article 1382 du code civil, de la chronologie des faits, de la teneur et de la durée des échanges entre la SARL Inca, la SAS ITM et le fournisseur malgré la fermeté de la position de celui-ci, ainsi que de l'absence de toute pièce produite par les appelantes pour justifier, a posteriori au moins, leurs démarches : ces éléments sont des indices graves et concordants valant présomption, au sens de l'article 1382 du code civil, du fait que les arrêts de commandes et les déréférencements constatés en juillet 2015 et annoncés en septembre 2015 constituent des mesures de rétorsion servant directement la satisfaction de la demande d'investissement présentée le 29 avril 2015. Or, ni le conflit existant depuis février 2015 avec L'Oréal, certes réel (pièces 2.2, PJ 5), ni les critiques générales et imprécises livrées par la SAS ITM (pages 52, 53, 57 et 62 de ses écritures), ne sont de nature, faute d'explication apportée sur les déférencements contestés, à combattre cette dernière qui vaut de ce fait pleine preuve. De telles pratiques privent d'intérêt l'analyse de la part que représentait chaque référence menacée ou supprimée dans le chiffre d'affaires du fournisseur puisque leur seule annonce est de nature à laisser entrevoir d'autres mesures de rétorsion d'ampleur indéterminée, le climat ainsi créé étant par lui-même exclusif de toute possibilité de négociation effective.

Aussi, au regard de la structure du marché, de l'inexistence de toute raison autre qu'un désir d'obtenir un avantage financier sans contrepartie mesurable et commensurable fondant l'entrée en négociation prétendue ainsi que des mesures de rétorsion mises en œuvre ou annoncées, le ministre chargé de l'économie prouve l'impossibilité de négocier de L'Oréal, et ainsi la réalité de la tentative de soumission de ce fournisseur. Il est indifférent que ce fournisseur n'ait finalement pas accepté l'investissement sollicité puisque la tentative est par définition constituée sans concrétisation de son résultat et qu'il a subi des mesures de représailles sanctionnant son refus. En outre, l'existence de ces dernières ou de la menace de leur mise à exécution étant en soi incompatible avec celle d'une négociation effective, la circonstance que L'Oréal ait réalisé des résultats positifs est sans pertinence, cette analyse valant pour l'ensemble des fournisseurs concernés.

Par ailleurs, l'obligation s'entendant classiquement du lien de droit par lequel le débiteur est tenu d'une prestation, y compris d'un paiement, envers le créancier en vertu notamment d'un contrat, l'engagement de payer une somme d'argent, qui aurait pu être accepté par le fournisseur dès sa proposition, est à l'évidence une obligation au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, peu important son absence de contractualisation à raison de l'échec de la tentative.

Enfin, s'il est exact que la SARL Inca bénéficiait d'un mandat exclusif consenti par la SAS ITM de négocier avec les fournisseurs les conditions d'achats et de conclure avec eux les conventions annuelles et leurs éventuels avenants (article 2.1 du contrat du 7 novembre 2014, pièce 2 de la SAS ITM) et que la responsabilité du mandant n'est pas engagée par les fautes délictuelles du mandataire (en ce sens, pour un dol commis par le mandataire, Ch. Mixte, 29 octobre 2021, n° 19-18.470), il en va différemment si ces dernières sont concurremment commises par le mandataire et son mandant, chacun engageant alors sa responsabilité et étant tenu in solidum à réparation (en ce sens, Ch. Mixte, 26 mars 1971).

Or, l'examen des faits révèle que les mesures de rétorsion mises en œuvre ou annoncées par la SAS ITM, qui déterminait seule la stratégie commerciale et communiquait à son mandataire ses attentes en matière de négociation (pièce 9.5), étaient essentielles à l'obtention de l'avantage sollicité par la SARL Inca et accompagnaient le processus de négociation prétendue qu'elle menait. Le poids de la SARL Inca dans ce dernier dépendait exclusivement de celui de son mandant qui en détenait les leviers puisqu'il demeurait maître de la signature de toute convention et de son exécution. La SARL Inca soulignera d'ailleurs d'elle-même, dans le cadre de discussions avec le fournisseur SCA, que sa "position de fermeté" n'était tenable qu'à raison du soutien de ses mandants (pièce 2.6, PJ 8) : quoiqu'affirmée dans un cadre distinct, cette assertion exprime un schéma global, d'ailleurs logique dans l'exécution d'un mandat de négociation, selon lequel la SARL Inca ne tient sa force et son crédit que de la puissance de ses mandants. De ce fait, les éléments déjà analysés permettent de présumer au sens de l'article 1382 du code civil, et de prouver faute de contestation utile, que la SARL Inca et la SAS ITM ont agi de concert. Chacune ayant accompli personnellement les éléments constitutifs de la pratique restrictive, elles sont coauteurs de la tentative de soumission qui ne pouvait espérer produire d'effets qu'à raison de cette action coordonnée par-delà l'existence de deux personnalités morales distinctes.

En conséquence, la SAS ITM et la SARL Inca sont coauteurs de la tentative de soumission de L'Oréal à des obligations. Le jugement du 31 mai 2021 sera confirmé de ce chef.

Procter & Gamble,

Dans sa réponse à l'administration du 30 septembre 2016, le fournisseur Procter & Gamble précise que la SARL Inca a sollicité au printemps 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 2 500 000 d'euros (pièces 4.3 et 5.3 de l'intimé, le caractère fermé des questions étant sans incidence au regard de la précision et de la simplicité de leur objet ainsi qu'il a déjà été dit, ce constat, déjà fait, valant pour chaque fournisseur). Dans son procès-verbal d'audition du 21 décembre 2016 (pièce 7.3), qui comprend des réponses librement développées en dépit des demandes de validation des conclusions d'enquête formulées par l'agent, il précise que les avenants conclus consécutivement à cette demande comprennent des contreparties globales ne se limitant pas au secteur parfumerie/hygiène et qu'il a pu mener des négociations, certes "tendues ou rudes", mais néanmoins effectives. Il conteste l'existence de toute menace.

Il ressort du courriel interne du 25 juin 2015 (pièce 31) que, parallèlement aux discussions consécutives à la demande d'investissement, la pression s'est faite plus forte, la SAS ITM rediscutant ("rechallenge") des promotions déjà prévues, concomitance qui confirme l'analyse déjà livrée de la coaction. Ce document n'est pas privé de valeur probante par le seul fait qu'il émane d'un fournisseur, celui-ci n'étant pas partie au litige et ne pouvant pas prévoir, lorsqu'il le rédige de manière confidentielle et à des fins purement internes de compte-rendu se voulant par définition objectif, qu'il pourra être exploité contre les appelantes.

S'il est possible, ainsi que le relève le tribunal de commerce, que le fournisseur, qui admet aisément une réelle agressivité dans les négociations, ait intériorisé la défaveur structurelle du rapport de forces, ces éléments, qui ne caractérisent aucune mesure tangible de rétorsion projetée ou mise en œuvre sont insuffisants pour établir, même combiné à l'indice de l'absence d'élément nouveau fondant la demande, une tentative de soumission, et ce d'autant moins que les avenants conclus ne sont pas critiqués et qu'il n'est pas prétendu qu'ils nuisent d'une quelconque manière au fournisseur qui estime les contreparties accordées satisfaisantes et précisément identifiées et quantifiées (pièces 2.3, PJ 5, 8.8, 4.3, PJ 3). S'il est envisageable in abstracto que la tentative de soumission à un déséquilibre significatif constitue le moyen illicite de forcer la conclusion d'avenants, non nécessairement significativement déséquilibrés, mais sans intérêt ou désavantageux pour le fournisseur, l'analyse concrète des échanges entre Procter & Gamble et la SARL Inca révèlent l'existence d'une négociation effective.

En conséquence, le jugement du 31 mai 2021 sera infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une tentative de soumission concernant Procter & Gamble.

Henkel,

Dans sa réponse à l'administration du 30 septembre 2016, le fournisseur Henkel précise que la SARL Inca a sollicité le 28 avril 2015 puis le 5 mai 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 500 000 euros (pièce 4.4, PJ 1). Cette assertion est confirmée par le courriel du 13 mai 2015 adressé à la SARL Inca (pièce 4.4, PJ 4 non contestée en sa teneur) qui l'évoque en précisant qu'aucune contrepartie précise n'avait été proposée, des "nouvelles opportunités (non présentées à date)" étant seulement envisagées, et que celles déjà négociées demeuraient à exécuter. Il indiquait néanmoins le 30 septembre 2016 (pièce 4.4, PJ 1) que ces contreparties avaient été proposées dès la demande sous la forme de "possibilités d'assortiments additionnels et/ou d'opérations promotionnelles (services de coopération commerciale) complémentaires", le tout "sans liste précise" cependant. Il indiquait en outre avoir reçu le 23 septembre 2015 une lettre de déréférencement, qui ne contenait pas d'explication spécifique mais n'avait toutefois pas été suivie d'effet (pièce 4.4, PJ 9, rédigée en termes strictement identiques à celle déjà examinée adressée le même jour à L'Oréal), et que des "retards dans la mise en place des plans d'affaires se sont poursuivis jusqu'à décembre 2015".

Et, le compte-rendu interne du 29 mai 2015 (pièce 2.4, PJ 4) fait état d'une pression forte ("[la SARL Inca] se met en mode ultimatum" avec "non-application des CP 2015 voire même risque sur de l'existant" et "rupture des relations entre les équipes enseignes/INCA et HBC") et de propositions "très loin d'être intéressant[es] pour le business", attitude qui confine effectivement, à ce stade, à un forçage du consentement de son partenaire commercial.

Dans son procès-verbal d'audition du 19 décembre 2016 (pièce 7.4), qui comprend des réponses librement développées en dépit des demandes de validation des conclusions d'enquête formulées par l'agent, il précise que les avenants conclus consécutivement à cette demande comprennent, en contrepartie du versement d'une somme de 186 321,60 euros, des "flux poussés", des "mouvements d'assortiment" et "une UB Netto". Il fait sienne l'affirmation de l'enquêteur selon laquelle les sommes accordées auraient été "largement inférieures si les contreparties avaient été négociées en l'absence de risque d'arrêts de commandes et/ou de risque de blocage dans l'exécution du plan d'affaire". Il ne peut toutefois être tiré aucune conséquence de cette affirmation qui a été littéralement dictée par l'enquêteur avec des termes trop subjectifs pour considérer que leur validation sèche par le fournisseur emporte une réelle appropriation intellectuelle de ses propos. De fait, rien n'est dit sur la nature et l'ampleur de l'engagement qui aurait été accepté et le type de contreparties estimées adéquates.

Par ailleurs, alors qu'aucune mesure de rétorsion n'est démontrée, les retards dans l'exécution du plan d'affaires n'étant pas documentés, leur cause demeurant ainsi indéterminable, et l'unique courrier de déréférencement non suivi d'effet étant trop isolé pour être pertinent, les échanges avec la SARL Inca (pièce 2.4, PJ 4) révèlent qu'elle a proposé diverses contreparties de plus en plus précises au fil des discussions régulières qui témoignent d'une négociation réelle, à rebours de l'unilatéralité figée constatée pour L'Oréal. A ce titre, en dépit des modalités de l'entrée en négociation évoquées, une part des requêtes de Henkel ont été acceptées par la SARL Inca. Or, les engagements pris à l'issue de ce processus, qui comportent une baisse notable du montant initialement réclamé et des contreparties précises, ne sont pas utilement critiqués, rien ne permettant de déceler un désavantage quelconque imposé à Henkel ou de déduire que le principe même du contrat lui a été imposé.

En conséquence, pour les mêmes raisons que pour Procter & Gamble, le jugement du 31 mai 2021 sera infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une tentative de soumission concernant Henkel.

Reckitt,

Dans sa réponse à l'administration du 28 septembre 2016, le fournisseur Reckitt précise que la SARL Inca a sollicité le 13 mai 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 350 000 euros, des contreparties, parfois communes avec le secteur d'entretien, étant prévues (pièce 4.5, PJ 1). Dans un courriel interne du 18 mai 2015 (pièce 2.5, PJ 6), le fournisseur précisait que les demandes pour le secteur parfumerie atteignaient 250 000 euros, le montant des contreparties proposées étant estimé inférieur au "budget" évoqué et la possibilité pour ces dernières de générer un chiffre d'affaires additionnel jugée inquantifiable. Les trois axes proposés étaient sévèrement critiqués, le premier ("flux poussé") en ce qu'il était limité à six magasins en France et le troisième en ce qu'il correspondait à des services inutiles ou impossibles à mettre en œuvre chez Reckitt, le deuxième étant pour sa part qualifié de "gag". Enfin, dans un compte-rendu interne du 3 juin 2015 (pièce 2.5, PJ 5), les propos de la SARL Inca pour obtenir les sommes sollicitées sont ainsi résumés :

"Nicolas Deswarte nous indique : "vous avez tout intérêt à trouver un arrangement rapidement à cette demande de 2 650 000 euros [qui paraît englober les demandes des deux mandants], sinon nous serons contraints de vous faire parvenir des courriers de déréférencements et on arrêtera les codes. Par ailleurs, et comme vous le savez, cela prendra plusieurs années avant de retrouver votre part de marché dans l'enseigne". Nicolas Deswarte nous indique par ailleurs que sa demande est liée à une non-satisfaction de l'accord 2015 et qu'il est nécessaire d'accéder à sa demande par le biais de ce tour 2 de négo".

Ainsi qu'il a été dit, la valeur probatoire de ces deux derniers documents n'est pas affectée par le seul fait qu'ils aient été constitués par le fournisseur. Un compte-rendu est par définition la relation objective d'un évènement passé : sa visée étant purement informative, sa fidélité à la réalité est de son essence. Aussi ces pièces sont-elles pleinement probantes, analyse valant pour tous les documents internes de même nature qui ne font l'objet que d'une critique abstraite des appelantes.

Si pareille entame, dont l'agressivité confine à la déloyauté qui n'est néanmoins pas suffisante pour caractériser en soi une tentative de soumission, n'est pas de nature à favoriser une saine négociation, en particulier en ce qu'elle met en œuvre des leviers décorrélés de son objet et remet clairement en cause la négociation annuelle sans autre raison qu'une insatisfaction toute subjective, les échanges de courriels produits (pièce 2.5, PJ 10) révèlent que les discussions, toujours serrées, se sont faites "moins houleuses" (courriel du 12 juin 2015) et que des contreparties plus adaptées et clairement chiffrées ont pu être déterminées et acceptées. Or, à nouveau, les engagements pris à l'issue de ce processus, qui comportent une significatives baisse du montant initialement réclamé et des contreparties précises, ne sont pas utilement critiqués, rien ne permettant de déceler un désavantage quelconque imposé à Reckitt qui, dans son procès-verbal d'audition du 22 décembre 2016 (pièce 7.5), refuse de faire sienne la proposition de l'enquêteur selon laquelle les sommes accordées auraient été "largement inférieures si les contreparties avaient été négociées en l'absence de risque d'arrêts de commandes et/ou de risque de blocage dans l'exécution du plan d'affaire". En outre, en l'absence de tout acte positif concrétisant les menaces évoquées dans le compte-rendu interne, aucun acte matériel n'est imputable à la SAS ITM.

Dès lors, l'évolution des échanges révèlent que la SARL Inca a, d'elle-même, adopté un comportement plus compatible avec une négociation dont l'effectivité est finalement confirmée par l'acceptation d'engagements qui ne sont en rien critiqués. Ce commencement d'exécution a été suspendu par la volonté de la SARL Inca et non à raison de la seule résistance ou résignation de Reckitt et ne peut caractériser une tentative.

En conséquence, le jugement du 31 mai 2021 sera infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une tentative de soumission concernant Reckitt.

SCA,

Dans sa réponse à l'administration du 26 septembre 2016, le fournisseur SCA précise que la SARL Inca a sollicité le 20 mai 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 800 000 euros sans contrepartie annoncée (pièce 5.6). Cette assertion est confirmée par le courriel interne du 26 mai 2015 (pièce 2.6, PJ 5) qui évoque une réunion du 20 mai précédent au cours de laquelle la proposition d'investissement a été formulée et un échange téléphonique du 22 mai suivant à l'occasion duquel elle a été fermement refusée, SCA maintenant par ailleurs la nécessité d'anticiper l'application d'un tarif compensant la baisse de l'euro. Ces points de désaccords seront repris, et les positions maintenues, lors d'une réunion organisée le 27 novembre 2015 qui portait également sur les négociations à venir de 2016 (pièce 2.6, PJ 8). Les échanges postérieurs (pièce 2.6, PJ 4 et PJ 9), révèlent que SCA dénonçait des pratiques de déréférencements brutaux à compter de janvier 2016 pour une perte de chiffre d'affaires estimée à 1,7 millions d'euros.

Néanmoins, ces sanctions sont alors explicitement rattachées à "un refus [du] groupe d'accéder à des demandes émanant plus particulièrement de structures internationales auxquelles Intermarché a adhéré ainsi qu'aux négociations en cours visant à trouver un accord commercial au titre de 2016" (PJ 4 qui fait écho à l'évocation du marché Agenor dans le courriel du 28 octobre 2015 en PJ 7). Aussi, il est impossible de lier, comme l'a fait le tribunal au prix d'une certaine dénaturation de la pièce citée, le déréférencement notifié par la SAS ITM le 23 septembre 2015 (pièce 2.6, PJ 3) à la sollicitation litigieuse, et ce d'autant moins que SCA confirmait à plusieurs reprises (pièces 2.6, PJ 6 et 5.6) que la demande présentée par la SARL Inca au nom et pour le compte de la SAS ITM avait été abandonnée à une date indéterminée et au plus tard en octobre 2015, seule une proposition plus importante au bénéfice de son autre mandant, le groupe Casino, étant maintenue. Face à de tels éléments matériels, le rattachement finalement opéré par SCA, sur suggestion de l'enquêteur lors de l'audition du 15 décembre 2016, entre les déréférencements et la proposition d'investissement supplémentaire, n'emporte pas la conviction de la Cour et demeure quoi qu'il en soit très imprécis faute de distinction entre les demandes additionnelles évoquées (pièce 7.6), le lien entre ces dernières et l'inexécution du plan d'affaires n'étant pour sa part pas confirmé.

En conséquence, en l'absence de maintien de la demande additionnelle à raison du refus du fournisseur et de mesures de rétorsion destinées à en assurer la satisfaction, signes que SCA a été entendu sans s'exposer à un risque commercial et que la négociation a été effective, aucune tentative de soumission de ce dernier n'est démontrée et le jugement du 31 mai 2021 sera infirmé de ce chef.

Beiersdorf,

Dans sa réponse à l'administration du 6 octobre 2016, le fournisseur Beiersdorf précise que la SARL Inca a sollicité le 6 mai 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 550 000 euros (pièce 4.8). Cette assertion est confirmée par le courriel interne du 7 mai 2015 (pièce 2.8, PJ 2) qui l'évoque en précisant qu'aucune contrepartie précise n'avait été proposée et que les accords antérieurs n'étaient pas exécutés, propos confirmés en tous points dans le procès-verbal d'audition du 20 décembre 2016 (pièce 7.8).

Alors qu'aucun courrier de déréférencements ou d'arrêts de commandes n'a été notifié par la SAS ITM, ce que confirme le fournisseur lui-même (pièce 4.8), c'est à tort que le ministre chargé de l'économie interprète la formule "ITM : Alerte arrêt de commande [passage caviardé] urgence d'intégrer les codes en juin "peut-être possible pour un ou deux codes" nous restons fermes sur la demande de retour globale de la gamme "comme la preuve que le refus d'accéder à la demande d'investissement emportait des sanctions puisque cette citation est extraite d'un compte-rendu de la réunion au cours de laquelle la sollicitation a été exprimée et que, par hypothèse, aucune sanction ne pouvait alors être envisagée et annoncée, l'opposition du fournisseur n'étant rapportée qu'en fin d'un rapport fidèle à la chronologie des échanges (pièce 4.8, PJ 1). Par ailleurs, les sanctions annoncées par la SARL Inca évoquées dans le compte-rendu du 25 septembre 2015 ne sont liées qu'à une nouvelle prétention présentée pour le compte du groupe Casino (pièce 2.8, PJ 3) et les échanges suivants, difficilement exploitables à raison du caviardage massif pratiqué, révèlent l'existence d'une négociation réelle sur d'autres points (pièce 2.8, PJ 4).

Aussi, en l'absence de toute annonce ou pratique effective de mesures de rétorsion, de sommes réglées par le fournisseur dont le refus a été entendu et accepté, la seule demande d'investissement non fondée sur un élément objectif et non assortie de contreparties identifiables et mesurables dans le cadre d'un rapport de forces structurellement déséquilibré n'est pas suffisante pour caractériser une tentative de soumission. Le jugement du 31 mai 2021 sera également infirmé de ce chef.

BIC,

Dans sa réponse à l'administration du 21 juin 2016, particulièrement détaillée et livrée sans égard pour le cadre suggéré par l'enquêteur, le fournisseur BIC précise que la SARL Inca a sollicité :

- le 4 juin 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 50 000 euros en contrepartie des prestations suivantes : "fiche pense-bête et/ou montée en distribution de nos produits via annonce radio dans certains points de vente" (pièce 4.4, PJ 1). Dans son courriel en réponse du 9 juin 2015 (pièce 4.10, PJ 4), BIC rappelait ces informations et déclinait, les contreparties proposées étant qualifiées de "fictives" ou de "non-mesurables" dans le compte-rendu interne du 5 novembre 2015 (pièce 2.10, PJ 17) ;

- le 16 octobre 2022 un second investissement de 60 000 euros. Aux termes du courriels du 21 octobre 2015 (pièce 4.10, PJ 5), ce dernier est expressément sollicité en complément d'une somme de montant identique versée pour une opération objet des négociations 2015 à raison d'une erreur alléguée dans l'estimation du budget global. A nouveau, BIC, qui décelait dans cette pratique une violation des dispositions légales applicables à la négociation annuelle, refusait tout paiement.

Le fournisseur confirmait par ailleurs l'absence de tout courrier de déférencements, d'arrêts de commande ou d'alertes de performance notifié par la SAS ITM mais dénonçait l'existence du déréférencement d'un produit le 20 janvier 2016 "alors qu'il aurait dû être maintenu jusqu'en février". Celui-ci fait directement écho aux menaces évoquées dans le compte-rendu du 5 novembre 2015 relatif aux "demandes au titre de la renégo 2015" et visant explicitement les deux sollicitations litigieuses (PJ 17 déjà citée, page 2, celles rapportées dans le compte-rendu du 26 novembre suivant en PJ 20 étant en revanche exclusivement liées aux négociations pour le compte du groupe Casino) :

"ND a noté notre proposition pour EMC et indique qu'on ne peut en rester là pour ITM.

A indiqué que dans le cas d'une analyse de performance de nos produits par l'enseigne ITM, la position d'Incaa serait d'arrêter les produits concernés.

Naturellement, ce n'est pas une menace indique ND".

Par ailleurs, les comptes rendus internes de BIC des 11 juin 2015 (pièce 2.10, PJ 10) et 15 octobre 2015 (PJ 12, qui souligne que son interlocuteur au sein de la SARL Inca est "constamment sur le registre de l'incompréhension, de la menace", quoiqu'il "reste aimable") confirment que les contreparties, pour la détermination desquelles il lui était demandé d'être "imaginatif", étaient dérisoires faute d'être quantifiables et adaptées et que l'investissement de 50 000 euros était systématiquement refusé par BIC. Et, à diverses reprises (pièce 2.10, PJ 6, 11, 20 et 24), la SARL Inca lui a précisé que les sommes réclamées n'étaient pas destinées à servir une coopération commerciale mais à permettre un rééquilibrage entre "les deux enseignes", soit à aligner les "investissements" consentis à la SAS ITM sur ceux accordés au groupe Casino : il est ainsi certain que l'objectif poursuivi échappait par nature à toute négociation.

Le fournisseur, dans son récapitulatif adressé à la DGCCRF (pièce 2.10, PJ 34) notait, outre le déréférencement d'un rasoir en janvier 2016, la mise en œuvre de mesures de rétorsion dès le mois de décembre 2015 pour une perte estimée à 220 000 euros par comparaison avec le chiffre d'affaires de l'année précédente (PJ 22 : courriel du 8 décembre 2015 regrettant le déréférencement de briquets, certes hors secteur pertinent mais néanmoins en lien, dans l'esprit de BIC, avec l'insatisfaction des demandes additionnelles, ce rattachement étant confirmé par le compte-rendu interne du 16 décembre 2015 en PJ 23).

Ces éléments concordants, qui ne sont contredits par aucune pièce produite par les appelantes, suffisent à établir que ces mesures sont en lien direct avec les demandes nouvelles de 50 000 euros et de 60 000 euros, dont la seconde s'analyse, non en une "régularisation" dont la nécessité n'était justifiée ni à l'époque des faits litigieux ni devant le tribunal puis la cour, mais en une remise en cause frontale du contrat du 1er mars 2015 sans le moindre élément nouveau la causant objectivement. Il importe peu à cet égard que le type de rasoir concerné soit présenté dans un conditionnement n'impliquant pas sa reprise systématique ou que la sanction fût mise en œuvre en janvier 2016, postérieurement aux prétendues négociations, puisque la menace était contemporaine des discussions sur lesquelles elle planait des mois durant et que sa mise à exécution tardive demeure de nature à nuire aux négociations annuelles suivantes. La SAS ITM, qui se contente sur ce point également de considérations très générales, est d'ailleurs dans l'incapacité de justifier concrètement des raisons de ce déréférencement.

Et, si BIC a effectivement tenté de négocier (notamment pièce 2.10, PJ 6, PJ 18 à 21 et PJ 31), la SARL Inca n'a pour sa part jamais varié et a systématiquement maintenu ses prétentions initiales ou les a modulées sans pour autant proposer de contrepartie effective (pièces 5.10 et 4.10, PJ 3), positionnement qui confirme l'absence de négociabilité réelle de ces dernières.

Ainsi, la SARL Inca a, avec une insistance que rien ne justifie au regard du refus précocement opposé, formulé successivement, sans raison justifiée et objectivement discutable et sans contrepartie tangible, deux propositions d'investissement qualifiables, pour les raisons déjà exposées, d'obligations, tandis que la SAS ITM mettait en œuvre des mesures de rétorsion pour garantir leur satisfaction, privant ainsi BIC, déjà victime d'un rapport de forces déséquilibré, de la possibilité d'en négocier utilement les termes et de mettre librement un terme au processus de discussion engagé.

En conséquence, l'échec du procédé étant indifférent à la caractérisation de la tentative, la SAS ITM et la SARL Inca sont, pour les raisons déjà évoquées, coauteurs de la tentative de soumission de BIC à des obligations. Le jugement du 31 mai 2021 sera confirmé sur ce point.

Kimberly [H],

Dans sa réponse à l'administration du 21 juin 2016, le fournisseur Kimberly [H] précise que la SARL Inca a sollicité le 22 septembre 2015 un investissement, non prévu dans la convention annuelle, de 200 000 euros (pièce 4.12). Cette assertion est confirmée par le courriel interne du même jour (pièce 2.12, PJ 3) qui l'évoque en précisant qu'aucune contrepartie précise n'avait été proposée quoique leur possibilité fût envisagée, que cet engagement était selon la SARL Inca "indispensable pour pouvoir démarrer la négociation 2016 dans de bonnes conditions (ou démarrer tout court')" et que l'unique objectif était d'égaliser les investissements entre les deux mandants. Le courriel interne du 8 octobre 2015 (même pièce) révèle que la SARL Inca se faisait plus pressante en persistant à conditionner les négociations 2016 à la satisfaction de ses prétentions financières, en refusant de présenter sa demande par écrit ("Je lui ai demandé de me faire parvenir sa demande par écrit, il m'a répondu "Bien sûr, et je fais mettre la DGCCRF en copie !") et en ne précisant aucune contrepartie ("J'ai des contreparties à vous proposer, allez les chercher"). La SARL Inca devenait plus "agressive", le fournisseur, qui regrettait par ailleurs l'inexécution de l'accord du 1er mars 2015, résumant ainsi, le 12 octobre 2015 (PJ 3), sa position : "en 2 mots, si nous ne faisons aucune proposition d'ici vendredi 16/10, il va acté (sic) le déréférencement de la moitié de notre gamme chez ITM ". Finalement, alors qu'un accord était sur le point d'être régularisé le 22 décembre 2015, la SARL Inca a refusé d'intégrer dans l'avenant comportant une baisse de l'investissement à 35 000 euros la liste des contreparties négociées, attitude qui a conduit Kimberly [H] à renoncer à cet acte modificatif, la SARL Inca annonçant en réplique l'impossibilité de mettre en œuvre ces dernières, y compris pour 2016 (PJ 3, 4 et 7).

Parallèlement, le 23 septembre 2015, la SAS ITM notifiait à Kimberly [H] le déréférencement d'un produit (pièce 2.12, PJ 5). En l'absence de toute explication objective et au regard de la transparence des menaces de la SARL Inca, la Cour retient que cette mesure constitue une aiguillon destinée à forcer l'acceptation de Kimberly [H].

En conséquence, au regard des menaces explicites réitérées de la SARL Inca, de la mesure de rétorsion mise en œuvre par la SAS ITM, de l'absence de tout fondement des demandes nouvelles que ces dernières étaient destinées à imposer et de contrepartie identifiable et mesurable, ainsi que de la structure du marché, aucune négociation utile n'était possible pour Kimberly [H] dont les propositions n'ont jamais réellement été prises en considération, l'absence de soumission effective étant indifférente en présence d'une tentative. Aussi, la SAS ITM et la SARL Inca sont coauteurs de la tentative de soumission de Kimberly [H] à des obligations : le jugement du 31 mai 2021 sera également confirmé de ce chef.

b) Sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

L'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. Elle s'opère en considération de la convention écrite prévue par l'article L. 441-7 I du code de commerce qui précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l'opération de vente ou des prestations de services. Ainsi, l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et Cconst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC).

L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties. A cet égard, si la preuve du déséquilibre significatif incombe au ministre chargé de l'économie, celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe aux appelantes. Enfin, les effets des pratiques n'ayant pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907), l'argument déjà évoqué de la SARL Inca et de la SAS ITM sur les résultats positifs des fournisseurs est sans pertinence.

Ainsi qu'il a été dit, pour les fournisseurs L'Oréal, BIC et Kimberly [H], les demandes nouvelles d'investissement n'étaient accompagnées d'aucune contrepartie exprimée ou réelle, les prestations proposées en retour étant, lorsqu'elles étaient mentionnées, imprécises et inquantifiables, caractères les rendant, selon les termes de BIC, fictives. Et, seule une tentative de soumission étant retenue, le montant des investissements sollicités sans possibilité de négociation utile est pertinent pour apprécier le déséquilibre allégué, le caractère évolutif de la négociation évoqué par la SARL Inca étant ici sans pertinence.

Outre le fait que l'absence totale de réciprocité réelle dans les obligations objet de la tentative de soumission caractérise en soi, faute d'être justifiée par la nature du contrat ou de l'activité en cause, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, peu important le rapport entre le montant sollicité dans le volume d'affaires global réalisé avec chacun des fournisseurs (1,34 % pour L'Oréal, 1,02 % pour BIC et 5 % pour Kimberly [H] selon les calculs de la SAS ITM), le procédé mis en œuvre induit, en l'absence de sanction judiciaire, la possibilité pour la SARL Inca et la SAS ITM de modifier les accords négociés annuellement unilatéralement, à leur gré et sans autre raison que la recherche d'un avantage financier sans justification objective et sans égard pour l'idée de coopération commerciale, faculté discrétionnaire qui précarise l'ensemble de la relation commerciale et est elle-même caractéristique d'un tel déséquilibre.

En conséquence, le jugement du 31 mai 2021 sera infirmé en ce qu'il a dit que la SAS ITM et la SARL Inca avaient soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, et, statuant à nouveau, la cour dira que la SARL Inca et la SAS ITM ont tenté de soumettre les fournisseurs L'Oréal, BIC et Kimberly [H] à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations.

3°) Sur l'amende civile et la publication.

Moyens des parties.

Au soutien de ses prétentions, le ministre chargé de l'économie, qui rappelle les arguments déjà évoqués relatifs à l'implication de la SAS ITM et de la SARL Inca et à la nécessité d'une condamnation in solidum, expose que les sanctions prononcées par le tribunal de commerce sont fondées au regard des conséquences des pratiques restrictives sur l'activité des fournisseurs, qui subissent un gain manqué limitant leur possibilité d'investir dans leur outil productif et d'innover, et sur celle de la SARL Inca et de la SAS ITM qui bénéficient d'un avantage concurrentiel consistant notamment en la possibilité d'intégrer les demandes additionnelles dans les négociations futures, l'impact sur le marché n'étant pas négligeable au regard des parts qu'elles représentent. Il indique que la somme de deux millions d'euros correspondait au plafond applicable aux faits litigieux et qu'aucun antécédent n'existe en matière de condamnation d'alliances à l'achat. Il estime ce montant, qui doit demeurer par nature dissuasif, minimal au regard des investissements sollicités. Précisant que le principe du cumul plafonné des peines en cas d'infractions en concours tiré de l'article 132-14 du code pénal n'est pas applicable, il soutient que la solidarité de la condamnation est justifiée par l'imputabilité personnelle des actes constitutifs des pratiques restrictives et par la nature quasi délictuelle de l'action, la jurisprudence ayant par le passé validé le principe d'une condamnation in solidum à une amende civile. Il ajoute que la publication du jugement est nécessaire à l'information de l'ensemble des fournisseurs des appelantes et vise également à prévenir la mise en œuvre de pratiques similaires par d'autres acteurs économiques.

En réplique, la SARL Inca expose que sa condamnation in solidum avec la SAS ITM méconnaît le principe de légalité des peines tiré de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (ci-après "la DDHC") et de l'article 7 de la CESDH, aucune disposition légale ne prévoyant de solidarité pour l'amende civile, sanction qui a le caractère d'une punition. Elle ajoute qu'une telle condamnation, qui fait fi de la part individuelle de chaque appelante dans la réalisation des pratiques restrictives, contrevient en outre aux principes de personnalité, de nécessité et d'individualisation des peines prévus par l'article 8 de la DDHC. Elle explique enfin que le ministre chargé de l'économie lui reproche des infractions en concours au sens de l'article 132-4 du code pénal, sa condamnation à une amende de même montant étant poursuivie dans le cadre d'une instance parallèle impliquant son autre mandant, et que l'application de deux sanctions égales au plafond méconnaît le principe du cumul plafonné issu du principe de proportionnalité des peines et rappelé par l'article L. 465-2 du code de commerce dans sa version applicable.

Elle dénonce subsidiairement l'absence de motivation par le tribunal du montant de l'amende au regard des critères de l'article L. 464-2 du code de commerce et en considération du nombre de fournisseurs concernés, de l'absence de toute condamnation antérieure pour des faits similaires, de l'inexistence du dommage à l'économie à raison de l'évolution à la baisse des prix pour le consommateur sur la période pertinente et de préjudice causé aux fournisseurs dont le chiffre d'affaires n'a pas subi de baisse effective. Elle en déduit à nouveau une violation du principe de proportionnalité, y compris au titre de la mesure de publication judiciaire.

La SAS ITM, qui reprend les moyens déjà évoqués relatifs à son absence d'implication personnelle et à l'impossibilité de toute condamnation in solidum, développe une argumentation similaire en soulignant à son tour l'absence de gravité des pratiques en cause, qui sont ponctuelles et ne concernent qu'un secteur limité, ainsi que l'inexistence de tout dommage à l'économie et de préjudice subi par les fournisseurs.

Réponse de la Cour,

En application de l'article L. 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, l'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation. La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée. La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.

A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas juge de la constitutionnalité des lois, même à travers leur mise en œuvre concrète, et qu'elle ne peut mobiliser juridiquement les principes issus de la DDHC qui font partie intégrante du bloc de constitutionnalité (CConst., 27 décembre 1973, n° 73-51 DC). Si ce n'est pour affirmer le haut degré de reconnaissance d'une norme pour souligner symboliquement sa valeur et apprécier sa pleine portée, le juge judiciaire ne peut appliquer directement ces principes généraux aux litiges qui lui sont soumis, son habilitation légale en la matière étant circonscrite par les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile qui ne sont pas en débat. Les moyens des appelantes, qui n'invoquent aucune réserve d'interprétation exploitable, sont ainsi inopérants sous cette qualification.

Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, l'intégration du litige dans la "matière pénale" au sens de l'article 6 de la CESDH n'implique, à raison de la double autonomie de la notion, aucune application des règles édictées dans le code pénal et le code de procédure pénale. Et, l'article L. 464-2 du code de commerce, s'il peut constituer une source d'inspiration pour déterminer le montant de l'amende civile sanctionnant une pratique restrictive, n'est applicable qu'aux sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité de la concurrence ainsi que le révèlent sa lettre et sa place dans le code.

En revanche, pour les raisons déjà exposées au titre de la définition de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH et des liens évidents entre le volet pénal de cette disposition, la notion d'accusation en matière pénale et la qualification de peine au sens de l'article 7 de la CESDH (en ce sens, CEDH, Göktan c. France, 2 juillet 2002, n° 33402/96, §48, qui souligne que "la notion de peine ne saurait avoir des acceptions différentes selon les dispositions conventionnelles"), ce dernier texte régit le litige.

Aux termes de cet article 7, intitulé "Pas de peine sans loi" :

1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.

Le principe de légalité des délits et des peines au sens de cette disposition, qui peut matériellement recouvrir des exigences identiques à celles impliquées par le droit interne mais n'en demeure pas moins d'application autonome, implique :

- l'existence d'une base légale pour l'infliction d'une condamnation et d'une peine, la Cour s'assurant que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé les limites fixées par cette disposition (CEDH, Coëme et autres c. Belgique, 22 juin 2000, n° 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, §145). La notion de "droit" ("law") utilisée à l'article 7 correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention : elle englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l'accessibilité et de la prévisibilité, cette double condition, qui régit tant la définition de l'infraction que celle de la peine ou de sa portée (en ce sens, CEDH, Kafkaris c. Chypre, §140,12 février 2008, n° 21906/04), se trouvant remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et les éventuels conseils d'un avocat ou d'un juriste, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (CEDH, Coëme et autres c. Belgique précité). Sur le plan de l'accessibilité, la Cour contrôle si la "loi" pénale ayant fondé la condamnation litigieuse était suffisamment accessible au requérant, soit si elle était publiée (en ce sens, pour la jurisprudence interne, CEDH, G. c. France, 27 septembre 1995, §25). Aussi, le degré de prévisibilité d'une norme pénale étant corrélé à celui de responsabilité personnelle de l'auteur de l'infraction, une "peine" au sens de l'article 7 ne se conçoit en principe qu'à la condition qu'un élément de responsabilité personnelle dans le chef de l'auteur de l'infraction ait été établi, (G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, 28 juin 2018, n° 1828/06, §242 : "l'article 7 exige, pour punir, un lien de nature intellectuelle permettant précisément de déceler un élément de responsabilité dans la conduite de l'auteur matériel de l'infraction") ;

- l'applicabilité de la règle non bis in idem, consacrée par l'article 4 du Protocole n° 7 à raison de l'unité de la notion de "peine" au sens des dispositions conventionnelles (CEDH, Sergueï Zolotoukhine c. Russie, 10 février 2009, n° 14939/03, 52 à 57). La Cour juge que l'article 4 du Protocole n° 7 interdit de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde "infraction" pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui étaient "en substance" les mêmes que ceux de la première infraction (même arrêt, §82) ;

- le prononcé d'une peine n'excédant pas le maximum encouru au jour de la commission des faits. Dans cette logique de prévention des punitions arbitraires, la Cour peut sanctionner sous l'angle de l'article 7 une erreur commise par les juridictions internes dans la détermination du quantum de la peine prononcée, compte tenu de la peine encourue par l'intéressé en application des circonstances atténuantes appréciées par ces juridictions (CEDH, Gabarri Moreno c. Espagne, 22 juillet 2003, n° 68066/01, §33). En revanche, les questions se rapportant au caractère approprié, juste et proportionné d'une peine sortent du champ d'application de l'article 7 de la Convention, la Cour n'ayant pas pour rôle de décider quel est le type de peine qui convient pour une infraction donnée, celles relatives à la proportionnalité d'une peine pouvant cependant être examinées sous l'angle de l'article 3 de la Convention qui n'est pas en débat (CEDH, Vinter et autres c. Royaume-Uni, 9 juillet 2013, n° 66069/09, 130/10 et 3896/10, §102 et 105).

Pour l'application de ces principes, la CEDH a établi une distinction entre une mesure constituant une "peine" et une mesure relative à l' "exécution" ou à l' "application" de la peine, les questions relatives à l'existence, aux modalités d'exécution ainsi qu'aux justifications d'un régime de libération relèvent du pouvoir reconnu aux Etats parties à la Convention de décider de leur politique criminelle (CEDH, Kafkaris c. Chypre précité, §151).

L'article L. 442-6 III du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux prévoit expressément la possibilité du prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros mais qui peut être porté au triple de celui des sommes indûment versées. Aussi, tant l'amende civile que son quantum maximal sont prévues par la loi au sens de l'article 7 de la CESDH. Demeure la solidarité ordonnée par le tribunal.

Les moyens tirés du défaut d'imputabilité des faits opposés par la SARL Inca et la SAS ITM et prolongés par le grief fondé sur l'atteinte au principe de personnalité des peines ne sont pas pertinents pour les raisons déjà exposées : chacune a personnellement commis des actes matériels correspondant à des éléments constitutifs de la pratique restrictive retenue qu'elles ont mise en œuvre de concert dans leurs intérêt et bénéfice mutuels, les fautes ayant, ensemble et indivisiblement, produit le déséquilibre significatif caractérisé à l'égard de L'Oréal, BIC et Kimberly [H]. Le lien intellectuel au sens de l'article 7 de la CESDH est ainsi caractérisé et toute atteinte à la personnalité des peines exclue.

Il est exact que la solidarité ordonnée par le biais d'une condamnation in solidum est une modalité effectivement propre à la réparation du préjudice dans le cadre d'une action en responsabilité civile, ce que n'est pas exactement l'action du ministre tendant au prononcé d'une amende civile quoi qu'elle en emprunte certains caractères (en ce sens, Com., 18 octobre 2011, n° 10-28005). Elle n'est néanmoins pas par principe inadaptée à la nature de l'amende civile dès lors que l'imputabilité personnelle des fautes est, comme ici, acquise et n'était pas inconnue des parties. En effet, le ministre chargé de l'économie démontre qu'au moins une décision de justice avait, peu important à ce stade d'analyse que ce fût à raison ou non, prononcé une amende civile in solidum antérieurement aux faits litigieux (cour d'appel de Paris, 1er octobre 2014, Ministre c. Carrefour, n° 13/16336, confirmé par Com. 4 octobre 2016, n° 14-28.013). Or, si une telle décision ne caractérise pas une jurisprudence constante au sens où l'entend la CEDH, la SARL Inca et la SAS ITM ne contestent pas pour autant qu'elle constituait pour elles une source accessible, spécifiquement dans une matière impliquante, à raison de la compétence juridictionnelle nationale de la cour d'appel de Paris, une attention toute particulière des acteurs de la grande distribution. En pareil contexte, qui révèle que la sanction était ainsi prévisible pour les parties, cette décision suffit à caractériser une disposition légale fondant la peine au sens de l'article 7 de la CESDH.

Cette analyse est confortée par le fait que la solidarité ici envisagée, qui ne repose pas sur un mécanisme d'extension de la responsabilité tel qu'il figure à l'article 480-1 du code pénal, est en réalité une modalité d'exécution de la peine qui pourrait ne pas relever en tant que telle de l'article 7 de la CESDH : l'amende est unique et respecte le plafond légal, chaque appelante étant tenue dans cette double limite. L'obligation in solidum n'est qu'un dispositif qui favorise, au stade de l'obligation à la dette, le désintéressement du créancier en multipliant les patrimoines objet son droit de gage général sans préjuger, en l'absence de demande en ce sens, des rapports respectifs des codébiteurs au stade de la contribution à la dette (en ce sens, 2ème Civ., 11 avril 2013, n° 11-24.428). Dans cette logique, alors que la coaction pourrait fonder le prononcer d'une amende civile à l'encontre de chacun des coauteurs, la modalité retenue par le tribunal apparaît plus favorable aux appelantes qui ont tout loisir de se répartir équitablement la charge définitive de l'amende, dont leurs actions personnelles combinées sont la cause exclusive, et qui n'est pas aggravée par rapport au maximum légal encouru.

En conséquence, le caractère in solidum de l'amende civile ne viole pas les dispositions de l'article 7 de la CESDH.

En outre, que la SARL Inca soit parallèlement concernée par une autre instance qui a conduit à sa condamnation à une amende civile de même montant n'est pas un élément pertinent puisque, outre le fait que les dispositions des articles 132-4 du code pénal et L. 465-2 du code de commerce ne sont pas applicables, chaque affaire concerne des pratiques distinctes accomplies par la SARL Inca pour le compte d'un mandant différent, le contrat de mandat produit insistant, comme les appelantes, sur l'indépendance de chaque mandant (pièce 2 de la SAS ITM, articles 3 et 9). Les faits matériels étant différents et produisant des conséquences propres, l'hypothèse d'une double condamnation n'emporte aucune violation du plafond légal et, par-delà l'absence des conditions formelles exigées par l'article 4 du protocole n° 7, du principe non bis in idem, l'unité de qualification de "l'infraction" n'enlevant rien à la nette distinction des actes accomplis et de leurs effets.

Demeure en conséquence la question du quantum de l'amende civile dont la détermination est souveraine dans le respect des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines.

A raison de sa nature de sanction, elle est décorrélée du préjudice effectivement subi par la victime, qui bénéficie d'une action en réparation, et s'attache au comportement du fautif à punir et à dissuader, les profits escomptés lors de l'accomplissement des pratiques restrictives ne devant pas excéder les risques encourus. Par ailleurs, au regard de la spécificité de l'action du ministre déjà précisée, le dommage à l'économie, qui n'est pas ici un critère légal, doit être apprécié plus souplement qu'en matière de pratiques anticoncurrentielles, et l'est nécessairement de manière abstraite et théorique en présence d'une tentative. Ainsi, constituent des critères pertinents, outre ce dernier, la gravité du comportement des appelantes et des pratiques restrictives caractérisées appréciée à travers, le cas échéant, leur réitération ou leur persistance, ainsi que la situation individuelle de chaque appelante et son positionnement sur le marché pertinent.

Les pratiques restrictives, commises par des entités disposant de parts de marché leur conférant une puissance économique importante, la SAS ITM seule étant en troisième position (pièce 22 du ministre, page 35), concernent trois grands fournisseurs et portaient sur des avantages financiers cumulés de 3 310 000 euros et se sont globalement étalées sur près d'une année. Au regard des montants concernés et des éléments déjà exposés dans l'analyse de la tentative de soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif, et de l'existence notamment de mécanismes de représailles, les faits commis par la SARL Inca et la SAS ITM, quoique limités au secteur parfumerie/hygiène, sont graves, notamment en raison de la précarisation à laquelle ils ont exposé les négociations annuelles 2015 mais également 2016.

Il se déduit par ailleurs du mail communiqué par Kimberly [H] précédemment évoqué ("Je lui ai demandé de me faire parvenir sa demande par écrit, il m'a répondu "Bien sûr, et je fais mettre la DGCCRF en copie !") que son interlocuteur de la SARL Inca avait conscience du caractère infractionnel de la pratique en cause.

Seule une tentative étant retenue, l'argument tiré de l'absence d'effets démontrés sur le marché et sur l'activité des fournisseurs est inopérant. En revanche, il est certain que de telles pratiques, qui remettent frontalement en cause la pertinence du dispositif de négociation annuelle pourtant essentiel à l'équilibre des forces, sont de nature à conférer aux appelantes un avantage concurrentiel indu sur le marché de la grande distribution, à entraver la capacité de négociation des fournisseurs concernés et, en cas de succès, à les priver d'un gain certain utile au développement de leur outil productif. De ce fait, la limitation du nombre de ces derniers n'est pas significative au regard, d'une part, du fait que le montant de l'amende civile sollicité par le ministre chargé de l'économie et retenu par le tribunal correspondait au maximum légal, depuis lors augmenté, et, d'autre part, de la gravité intrinsèque des pratiques mises au jour et de la nécessité de dissuader les agents économiques de se livrer à ces dernières.

Enfin, les circonstances atténuantes opposées par les appelantes ne sont pas pertinentes puisque l'enquête portait sur la première année d'exercice de sa mission par la SARL Inca qui ne pouvait ainsi être en situation de réitération, et que les décisions de justice citées en exemple ne concernent effectivement pas les alliances à l'achat qui génèrent, ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence, des risques spécifiques pour le marché et la concurrence (pièce 22 du ministre déjà citée) qui autorisent une forme d'exemplarité que le caractère dissuasif de l'amende civile, comme l'individualisation de son quantum au regard de la situation personnelle de chaque appelante sur le marché pertinent, commande de prendre en compte.

En conséquence, ces éléments combinés fondent la condamnation in solidum de la SARL Inca et de la SAS ITM à une amende de 2 millions d'euros. Le jugement du 31 mai 2021 sera confirmé de ce chef.

Par ailleurs, au regard de la gravité des faits et de la nécessité de prévenir leur réitération, une mesure de publication judiciaire sera ordonnée aux frais de de la SARL Inca et de la SAS ITM dans la limite de 10 000 euros. Elle portera, selon les modalités détaillées dans le dispositif, sur l'extrait suivant qui sera publié à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification de l'arrêt dans le quotidien Les Echos (versions papier et en ligne) :

"Par arrêt du 15 mars 2023, en application de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, la cour d'appel de Paris a condamné in solidum la SAS ITM Alimentaire International et la SARL Intermarché Casino Achats au paiement d'une amende civile de deux millions d'euros pour avoir commis des pratiques restrictives de concurrence à l'égard de trois de leurs fournisseurs".

En conséquence, le jugement du 31 mai 2021 sera confirmé de ce chef mais infirmé en ce qu'il a ordonné la publication sur le site internet de la SAS ITM, publication complémentaire, non chiffrée par le tribunal, qui apparaît disproportionnée tant en son principe qu'en sa durée.

4°) Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les jugements avant-dire droit du 18 novembre 2019 et du 31 mai 2021 seront confirmés en leurs dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant en leur appel, la SARL Inca et la SAS ITM, dont les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées, seront condamnées in solidum à supporter les entiers dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement avant-dire droit rendu par le tribunal de commerce de Paris le 18 novembre 2019 en l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour ;

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 31 mai 2021 en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- dit que les sociétés Intermarché Casino Achats et ITM Alimentaire International avaient soumis ou tenté de soumettre huit de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

- condamné ces sociétés à publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du jugement, son dispositif sur le site internet www.intermarche.com durant un mois ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DIT que la SARL Intermarché Casino Achats et la SAS ITM Alimentaire International ont, ensemble, tenté de soumettre trois de leurs fournisseurs (L'Oréal, BIC et Kimberly [H]) à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;

REJETTE la demande de publication judiciaire présentée par le ministre chargé de l'économie concernant le site internet de la SAS ITM Alimentaire International ;

ORDONNE, aux frais de la SARL Intermarché Casino Achats et de la SAS ITM Alimentaire International dans la limite de 10 000 euros in solidum, la publication de l'extrait suivant :

"Par arrêt du 15 mars 2023, en application de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, la cour d'appel de Paris a condamné in solidum la SAS ITM Alimentaire International et la SARL Intermarché Casino Achats au paiement d'une amende civile de deux millions d'euros pour avoir commis des pratiques restrictives de concurrence à l'égard de trois de leurs fournisseurs".

DIT que la SAS ITM Alimentaire International et la SARL Intermarché Casino Achats devront procéder à cette publication à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification de l'arrêt :

- dans la version papier du quotidien Les Echos (une parution), en dehors de tout encart publicitaire et sans autre mention que le titre "Publication judiciaire", le texte étant rédigé en noir sur fond blanc en police de caractère Times New Roman de taille 16 dans un encadré dédié ;

- sur le site internet accessible par le nom de domaine lesechos.fr durant deux jours, à compter du jour de la publication sur la version papier, sur la partie supérieure de la page d'accueil du site de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractère Times New Roman de taille 16, droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468x120 pixels, en-dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre "COMMUNICATION JUDICIAIRE" en lettres capitales de taille 18 ;

Y ajoutant,

REJETTE les demandes de la SARL Intermarché Casino Achats et de la SAS ITM Alimentaire International au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE in solidum la SARL Intermarché Casino Achats et la SAS ITM Alimentaire International aux entiers dépens d'appel.