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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 mars 2015, n° 13/03547

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pacific Promotion Tahiti (SA)

Défendeur :

France Télévisions (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Richard

Conseillers :

Mme Prigent, Mme Michel-Amsellem

T. com. Nanterre, du 22 janv. 2010, n° 2…

22 janvier 2010

La société Visio Concept (dite par abréviation Visio) dirigée par Jean-François M., déclarée en redressement judiciaire le 3 décembre 2008, puis en liquidation judiciaire le 27 janvier 2009, avait pour objet social, la réalisation et la production audio-visuelle.

La société Pacific Promotion Tahiti (dite par abréviation Pacific) qui a pour dirigeant M.Sylvain T., a pour activité l'édition , le commerce de gros de biens de consommation, le conseil en publicité, la production de films institutionnels et publicitaires, l'édition d'enregistrements sonores.

La société Réseau France Outre-Mer (RFO), dont le directeur d'antenne est M.luc L., conçoit et programme des émissions de télévision pour l'outre-mer.

Par lettre du 3 juillet 2007, la société VISIO CONCEPT a confié à la société PACIFIC l'organisation de la production d'une série de 15 émissions consacrées à la Polynésie Française et destinées à être diffusées sur des chaînes de télévision de la société RFO.

Le 14 août 2007 la société RFO a conclu avec la société VISIO CONCEPT 'un contrat de production exécutive' portant sur la fabrication de ces émissions.

La société Pacific qui a engagé des dépenses en exécution de sa mission, a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Nanterre au titre d'une exploitation contrefaisante ainsi qu' en remboursement desdites sommes la société VISIO CONCEPT, Maître L. de G. en qualité de liquidateur de cette dernière et la société RFO, aux droits de laquelle se trouve la société FRANCE TELEVISION à la suite d'une fusion absorption (loi du 1er janvier 2009) .

Par jugement du 22 janvier 2010, cette juridiction, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- s'est déclarée incompétente sur les demandes de la société Pacific relatives à des actes de contrefaçon en vertu de l'article L.331-1 du code de propriété intellectuelle ainsi qu'à l'utilisation d'images d'archives lui appartenant au profit du Tribunal de grande instance de Nanterre,

- dit Maître L. de G. ès qualités et France Télévision mal fondées en leur exception d'incompétence pour les autres demandes,

- a fixé la créance de la société Pacific au passif de la société VISIO CONCEPT à la somme de 49.965,52€ au titre des dépenses engagées pour le tournage, à la somme de 5.000€ pour les prestations rendues, à la somme de 15.000€ au titre de son manque à gagner,

- débouté la société Pacific de ses demandes à l'égard de France Télévision,

- débouté Maître L. de G. ès qualités de ses demandes reconventionnelles, et l'a condamné à verser à la société Pacific la somme de 3.000€ en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Pacific a relevé appel de cette décision à l'encontre de la seule société FRANCE TELEVISION.

Suivant arrêt du 12 mai 2011, la Cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en retenant que sur le fondement de l'article 1382 du code civil la société Pacific n'établissait pas les agissements fautifs, carences, négligences ou imprudences commis par FRANCE TELEVISION de nature à engager sa responsabilité délictuelle envers elle.

Sur pourvoi formé par la société Pacific Promotion Tahiti, la Cour de cassation par arrêt du 14 novembre 2012 a cassé l'arrêt susmentionné, condamné la société France Télévisions verser à la société Pacific la somme de 3.000€ en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, en retenant qu'en statuant ainsi alors que ,selon ses propres constatations, la société RFO avait chargé la société Visio Concept, en tant que producteur exécutif, de la fabrication de quinze émissions présentant des caractéristiques précisément définies, moyennant une rémunération fixe, ce dont il résultait qu'elle participait au risque de la création de l'oeuvre' la Cour d'appel a violé l'article L.132-23 du code de la propriété intellectuelle.

Suivant conclusions signifiées le 22 septembre 2014, la société Pacific Promotion Tahiti a saisi la Cour d'appel de renvoi pour voir :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 22 janvier 2010 en ce qu'il l'a déboutée de ses prétentions à l'égard de la société France Télévisions,

- juger qu'en sa qualité de producteur de l'émission la société France Télévisions ne peut se soustraire à ses obligations financières de producteur à l'égard des fournisseurs et prestataires de services ayant contribué à la réalisation des 15 émissions dont elle est propriétaire,

- juger que la société France Télévisions ne peut opposer pour échapper à sa responsabilité délictuelle à l'égard d'un tiers le contrat du 14 août 2007 passé avec la société Visio Concept, en application des dispositions de l'article 1165 du code civil,

- juger que la société France Télévisions-RFO ne pouvait contracter le 14 août 2007 avec la société Visio Concept alors que le tournage des émissions était en cours et qu'elle connaissait l'absence de financement et le fait qu'elle-même était sur place le producteur exécutif effectif, que la société France Télévisions a ainsi engagé sa responsabilité à son égard,

- juger que malgré son opposition au déplacement de l'équipe parisienne à Tahiti, elle s'est vu imposer la participation à la production exécutive des 15 émissions 'O quotidien',

- juger que la société France Télévisions a manqué en abusant, de sa position dominante, à son obligation de loyauté et à son devoir de mettre son cocontractant et elle-même en mesure d'exécuter leur mandant de production exécutive dans des conditions financières d’usage, aboutissant pour elle à un enrichissement sans cause,

- juger qu'en sa qualité de tiers, elle n'a pas à supporter les coûts d'une production dont elle n'est pas le producteur ni le bénéficiaire au seul profit d'une chaîne de télévision, qui en est la productrice de droit et la seule bénéficiaire,

- débouter la société France Télévisions de toutes ses prétentions,

- condamner cette dernière à lui verser les sommes de :

•            61.364€ avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance en remboursement des factures réglées en sa qualité de mandataire à la production,

•            7.000€ au titre de la production exécutive,

•            15.000€ en réparation du manque à gagner résultant de la perte de marge et de bénéfices sur la production des 15 émissions,

•            15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société France Télévisions à la garantir de toutes réclamations de la société Sofitel pour l'hébergement du personnel de la production dans la mesure où le partenariat avec la société Sofitel n'a pas été mentionné au générique des émissions.

Selon écritures signifiées le 3 juillet 2014, la société France Télévisions, a :

- estimé mal fondé l'appel de la société Pacific Promotion Tahiti,

- sollicité le rejet de toutes les demandes de cette dernière.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le 14 août 2007 a été signé un contrat de production exécutive entre la société RFO et la société Visio, la première chargeant la seconde de lui 'fabriquer' en tant que producteur exécutif une série de quinze émissions de télévision intitulées 'ô quotidien-Spécial Polynésie' d'une durée de 45 minutes chacune, enregistrées en Polynésie Française (tout enregistrement dans un autre lieu étant soumis à l'accord écrit et préalable de RFO ) destinées à être diffusées en France métropolitaine et dans les DOM-TOM, moyennant un prix de 30.000€ HT, soit 2.000€ par émission, la société RFO conservant la maîtrise éditoriale .

Ainsi il est établi que la société RFO n'est pas seulement un diffuseur comme elle l'a soutenu devant les premiers juges mais est avant tout un producteur au sens de l'article L.132-23 du code de la propriété intellectuelle qui stipule que le producteur d'une oeuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l'initiative et la responsabilité de la réalisation de l'oeuvre et qui en conséquence participe au risque de la création de l'oeuvre.

Devant la Cour d'appel de renvoi, si la société France Télévisions admet sa qualité de producteur et en conséquence sa nécessaire participation au risque de la création de l'oeuvre, elle objecte que la société Pacific Promotion Tahiti est elle-même à l'initiative du projet de production dont s'agit et qu'elle a commis de lourdes fautes dans l'accomplissement de son mandat, de sorte qu'elle doit également supporter les conséquences de la situation qu'elle a créée.

A cet effet, la société France Télévisions invoque le projet conçu par la société Visio et M. Sylvain T., dirigeant de la société Pacific Promotion Tahiti au début de de l'année 2007, qui ont engagé des pourparlers en vue de la production d'émission 'O quotidien' consacrées à la Polynésie Française, ainsi qu'un accord de production en date du 13 juillet 2007 entre ces deux sociétés pour réaliser ensemble quinze émissions de 52 minutes et leur volonté de solliciter des parrainages d'administrations publiques locales ou d'entreprises commerciales pour le financement de cette opération, sans que RFO (France télévision) soit partie à cet accord.

Mais la société France Télévisions n'est pas fondée à se prévaloir de cet accord du 13 juillet 2007 dans la mesure où il n'a jamais été signé. En revanche, ses relations avec la société Visio ont bien abouti à la signature d'un contrat de production exécutive avec la société Visio, dont il n'est pas contesté qu'il n'a pas été porté à la connaissance de la société Pacific, qui n'était donc pas informé des modalités financières.

Par lettre du 3 juillet 2007, la société Visio a confirmé à la société Pacific sa volonté de produire 15 émissions consacrées à la Polynésie Française devant être diffusées à partir du 17 décembre 2007 sur différentes chaînes du groupe France Télévisions et lui a précisé 'comme convenu avec M.L. , Directeur général des Antennes, nous comptons sur vous pour l'organisation de cette production, y compris de nous représenter dans nos relations par rapport aux tiers et pour la production exécutive (Transports, hébergement, repas)'. Ainsi a été confié à la société Pacific 'l'organisation de la production' et notamment 'la production exécutive (transports, hébergement, repas)'.

La société France Télévision ne peut sérieusement affirmer qu'elle n'avait pas été informée de cet accord et qu'elle n'y avait aucun rôle. En effet dans son mail du 24 juillet 2007 M.L. pour la société France Télévision évoque à M. T. de la société Pacific la visite de Jean-François (de la société Visio) relative à 'notre engagement et la lettre d'accord de diffusion de France Ô' mais exige un 'accord de la station locale comme préalable à cette lettre d'engagement'.

Finalement la lettre de confirmation de la société RFO era établie le 27 juillet 2007 mais sans l'envoi de données statistiques réclamées par les sponsors ou partenaires potentiels, de sorte que les partenaires n'accepteront pas de s'engager sans ces éléments essentiels.

Il ressort de différents mails de la société Pacific (pièces 40, 41,42 et 46), non critiques, que consciente de l'absence de financement de l'opération, elle a alors demandé à l'annuler, à plusieurs reprises sans succès et à tout le moins à la reporter; c'est ainsi que la venue de l'équipe de tournage, du rédacteur en chef de l'émission Michel D. (animateur sportif de la société France Télévisions) de Paris à Tahiti lui a été imposée. La société France Télévisions, sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne caractérise donc pas l'existence de fautes imputables à la société Pacific.

Le rôle de la société Pacific est défini au générique des émissions diffusées par la société France Télévisions qui porte la mention : 'Société Pacific Promotion Tahiti : production exécutive à Tahiti', de sorte que la société France Télévisions reconnaît que cette dernière a participé aux émissions en cause en qualité de producteur exécutif.

L'instruction fiscale du 24 septembre 2004 définit le producteur exécutif comme celui qui est chargé de la préparation du film, de l'engagement des artistes et techniciens, de la tenue de la comptabilité, de la surveillance du tournage, du contrôle de l'exécution du plan de travail et du respect du devis, le tout sous la surveillance du producteur délégué qui conserve la maîtrise de l'oeuvre cinématographique concernée et en assume la responsabilité.

La société Pacific, en sa qualité de producteur exécutif, n'est qu'un prestataire de services lesquels services portent sur la réalisation matérielle de l'oeuvre, ce qui ne lui confère pas pour autant la qualité de producteur au sens de l'article L.132-23 du Code de la propriété intellectuelle. Elle ne s'est par ailleurs jamais engagée à supporter elle-même le coût du transport, de l'hébergement et des repas des équipes de tournage et n'a pas davantage accepté d'assumer des risques quelconques, que seule la société qui a la responsabilité de la réalisation de l'oeuvre, peut prendre.

La société France Télévision en sa qualité de producteur des émissions tournées en août et septembre 2007 en extérieur en Polynésie et diffusées du 17 décembre 2007 au 5 janvier 2008 devait prendre toutes mesures pour s'assurer des conditions dans lesquelles la production desdites émissions pouvait être assurée.

Dans ces conditions la société France Télévisions, qui en sa qualité de producteur, doit participer au risque de la création de l'oeuvre, ne peut se soustraire à ses obligations financières de producteur à l'égard de la société Pacific, prestataire de services qui a contribué à la réalisation des 15 émissions consacrées à la Polynésie française sur lesquels tous les droits corporels et incorporels nécessaires à l'exploitation des émissions ont été cédés au producteur.

En conséquence, la société France Télévisions devra assumer la charge financière de la production à hauteur des dépenses réellement engagées par le prestataire, sans pouvoir opposer les modalités financières du contrat du 14 août 2007 dont le prix est à l'évidence dérisoire, lésionnaire (2000€ par émission) comparé au coût réel de production de l'émission comprenant notamment les frais de déplacement en avion d'une équipe de tournage, le prix de leur hébergement et de la restauration et contrat qui n'a pas été porté à la connaissance de la société Pacific.

Dans ses dernières écritures, la société Pacific n'a sollicité que l'infirmation du jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 22 janvier 2010 qu’en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à l'égard de la société France Télévisions, de sorte que le préjudice tel qu'évalué par le tribunal n'a pas été remis en cause. Dès lors la société Pacific n'est pas fondée à augmenter sa demande de préjudice à l'égard de la société France Télévisions.

Le tribunal a justement fixé, au regard des factures produites, le montant des frais engagés pour le tournage des quinze émissions à la somme de 49.965,52€ et des prestations techniques rendues pour la production exécutive à la somme de 5.000€, qui seront donc retenues et resteront à la charge de la société France Télévisions.

En revanche la demande portant sur le manque à gagner sur le fondement d'une convention qui n'a pas été signée et en l'absence de toute autre pièce ne saurait être accueillie.

L'équité commande d'allouer à la société Pacific la somme globale de 10.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Dans les limites de l'appel,

Infirme le jugement du 22 janvier 2010 rendu par le tribunal de commerce de Nanterre,

Constate que la société France Télévisions a la qualité de producteur et la société Pacific Promotion Tahiti celle de producteur exécutif,

Condamne la société France Télévisions à verser à la société Pacific Promotion Tahiti la somme de 49.965,52€ au titre des frais engagés pour le tournage des quinze émissions et la somme de 5.000€ pour les prestations techniques rendues pour la production exécutive,

Condamne la société France Télévisions à verser à la société Pacific Promotion Tahiti une indemnité de 10.000€ en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de toutes leurs demandes,

Condamne la société France Télévisions aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.