Livv
Décisions

ADLC, 20 mars 2023, n° 23-D-03

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France

ADLC n° 23-D-03

19 mars 2023

L’Autorité de la concurrence (section V),

Vu la lettre enregistrée le 15 juin 2021 sous le numéro 21/0046 F, par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de la relance a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France ;

Vu le livre IV du code de commerce, et notamment son article L. 420-1 ;

Vu la décision du rapporteur général du 25 mars 2022 établissant que l’affaire fera l’objet d’une décision de l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport ;

Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

La rapporteure, le rapporteur général et le représentant des sociétés Group Save et Age Invest entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 8 février 2023, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence inflige conjointement et solidairement une sanction pécuniaire de 25 000 euros à la société Groupe Save ainsi qu’à sa société mère, la société Age Invest, pour avoir mis en œuvre une pratique concertée ayant pour objet de fausser la concurrence, prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce.

La décision rendue fait suite à une enquête réalisée par la Brigade interrégionale d’enquête de concurrence des Hauts-de-France dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France et à un refus de transaction de la part de la société Groupe Save ayant entraîné la saisine de l’Autorité.

La réglementation relative à l’aide à la sécurisation des débits de tabac subordonnait, à la date des pratiques, le bénéfice de l’aide à une mise en concurrence des entreprises spécialisées dans la sécurisation de ces établissements.

Dans ce cadre, la société Groupe Save a établi des devis de couverture ayant bénéficié à d’autres entreprises ou, dans certains cas, bénéficié elle-même de tels devis, à la suite de concertations avec plusieurs autres entreprises entre le 18 février 2015 et le 28 novembre 2017.

L’ensemble de ces dossiers de demande de subvention représente un chiffre d’affaires facturé cumulé de l’ordre de 205 000 euros.

Faussant par cette pratique le processus de mise en concurrence exigé par la réglementation alors applicable, la société Groupe Save a, non seulement, enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce, mais également concouru à une mauvaise utilisation des fonds publics.

I. Constatations

A. RAPPEL DE LA PROCEDURE

1. La Brigade interrégionale d’enquête de concurrence des Hauts-de-France a rédigé un rapport administratif d’enquête le 6 janvier 2020, dans lequel elle a constaté que plusieurs entreprises avaient mis en œuvre des pratiques de devis de couverture dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac, dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France.

2. Ce rapport a été transmis par le ministre de l’économie au rapporteur général de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») qui l’a informé par courrier du 2 juin 2020 qu’il n’entendait pas proposer à l’Autorité de se saisir d’office de cette affaire.

3. Conformément aux dispositions de l’article L. 464-9 du code de commerce, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (ci-après « DGCCRF ») a engagé une procédure d’injonction et de transaction à l’encontre des sociétés AP Protection et Aménagements Miroirs Fermetures (ci-après « AMF »). Les sociétés AP Protection et AMF ont accepté ces mesures le 3 mars 2021.

4. La DGCCRF a également adressé à la société Group Save, par courrier du 9 mars 2021, une proposition de règlement transactionnel pour un montant de 15 200 euros qu’elle a refusée en informant oralement les services de la DGCCRF qu’elle ne souhaitait pas transiger.

5. Conformément à l’article L. 464-9 du code de commerce qui dispose que « [l]’exécution dans les délais impartis des obligations résultant de l’injonction et de l’acceptation de la transaction éteint toute action devant l’Autorité de la concurrence pour les mêmes faits », l’action a été éteinte à l’égard des sociétés AP Protection et AMF.

6. Par lettre enregistrée le 31 mai 2021, le ministre de l’économie a saisi l’Autorité, en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du code de commerce, de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France par la société Group Save. Cette saisine a été enregistrée sous le numéro 21/0046 F.

7. Par une décision du 25 mars 2022, prise en application des articles L. 463-3 et R. 463-12 du code de commerce, le rapporteur général a décidé que l’affaire serait examinée par l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport.

8. Conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus, une notification de griefs simplifiée a été adressée, une première fois, par courrier du 5 avril 2022 à la société Group Save et à sa société mère, la société Age Invest2 puis, une seconde fois, par courrier du 30 juin 2022, compte tenu des difficultés d’acheminement du premier courrier alléguées par les mises en cause3.

9. La société Group Save n’a pas produit d’observations en réponse à la notification de griefs dans le délai qui lui avait été imparti. Lors de la séance du 8 février 2023, le représentant des sociétés Group Save et Age Invest a néanmoins indiqué que ses clientes ne contestaient pas la matérialité des faits de l’espèce.

B. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNEES

1. LE SECTEUR DE LA SECURISATION DES DEBITS DE TABAC

10. En vertu de l’article 568 du code général des impôts, « [l]e monopole de vente au détail du tabac est confié à l’administration qui l’exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l’intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence, (…) des titulaires du statut d’acheteur-revendeur mentionné au dernier alinéa, ou par l’intermédiaire de revendeurs qui sont tenus de s’approvisionner en tabacs manufacturés exclusivement auprès des débitants désignés ci-dessus ».

11. Les débitants de tabac doivent faire l’objet d’un agrément auprès de la Direction générale des douanes et droits indirects, chargée également de recouvrer les droits de licence précités.

12. Selon le site Internet de la Confédération des buralistes, 23 500 buralistes français sont implantés en France (hors Corse) au 1er janvier 20224. Ils étaient 27 500 en 2016, 25 000 en 2018 et 24 000 en 2020.

13. Confrontés à un nombre croissant d’actes de délinquance, les débitants de tabac font régulièrement appel à des entreprises chargées de fournir des prestations destinées à sécuriser leurs établissements.

14. Pour ce faire, les débitants de tabac peuvent bénéficier d’une aide à la sécurisation de leurs établissements, dont le  dispositif était initialement prévu  par  le décret  n° 2006-742 du  27 juin 2006 portant création d’une aide à la sécurité des débits de tabac, complété par un arrêté du même jour.

15. Le dispositif mis en place prévoyait que les services des douanes puissent prendre en charge une partie des travaux de sécurité engagés par les débitants de tabac, en contrepartie de la production de deux devis émanant de deux entreprises concurrentes.

16. L’aide était limitée à 80 % du montant de l’offre économiquement la plus avantageuse, la part restante étant à la charge du débitant. En fonction des montants des devis proposés, le directeur interrégional des douanes pouvait exiger du débitant la présentation d’un troisième devis.

17. L’aide à la sécurité pouvait être accordée tous les trois ans. Elle était versée après la production de la facture d’installation par le débitant.

18. Le décret  n° 2006-742  du  27  juin 2006  a été modifié par le décret  n° 2012-1448  du   24 décembre 2012 relatif à la sécurité des débits de tabac, complété par un arrêté du même jour, qui a notamment  porté  à  15 000  euros  le  plafond  de  l’aide,  auparavant  fixé  à  10 000 euros.

19. Par la suite, le décret n° 2017-1695 du 14 décembre 2017, complété par un arrêté du        14 décembre 2017, a à nouveau modifié le dispositif. La présentation de deux devis d’entreprises concurrentes avant la réalisation des travaux n’est, ainsi, plus nécessaire.

20. Depuis lors, le débitant qui souhaite bénéficier du dispositif doit faire réaliser le nombre de devis de son choix en estimant le montant de l’aide, d’après le forfait maximum fixé, par type de matériel, en annexe II de l’arrêté du 14 décembre 2017. Il fait ensuite réaliser les travaux en avançant les fonds, puis, pour solliciter le bénéfice de l’aide, dépose un dossier au bureau des douanes, comportant notamment la facture acquittée attestant des travaux réalisés.

21. L’arrêté du 23 décembre 2020, modifiant l’arrêté du 14 décembre 2017, prévoit qu’à compter du 1er janvier 2021, l’aide est plafonnée par période de quatre ans, laquelle débute à compter de la première décision d’octroi de l’aide. Cet arrêté a également notamment mis à jour les matériels éligibles aux aides en annexe II.

22. Enfin, le décret n° 2022-1571 du 15 décembre 2022 modifiant le décret n° 2006-742 du   27 juin 2006 et l’arrêté du 15 décembre 2022 modifiant l’arrêté du 14 décembre 2017 ont également amendé le dispositif. L’arrêté du 15 décembre 2022 prévoit notamment que « [p]our les installations de matériels d’alarme ou de vidéosurveillance, la facture est établie, à compter du 1er janvier 2023, par un installateur titulaire d’une certification ou d’une qualification délivrée par un organisme accrédité par le Comité français d’accréditation (COFRAC) ou par un autre organisme, membre de la Coopération européenne pour l’accréditation et ayant signé les accords multilatéraux de reconnaissance mutuelle pertinents ».

23. S’agissant de ce dispositif, la Cour des comptes a relevé, dans son rapport public de 2017, qu’au niveau national « l’aide à la sécurisation des débits a été perçue par 10 783 débitants depuis 2004, pour un coût total de 100 M€. En 2015, 3 843 débitants ont bénéficié de cette aide pour un montant moyen de 3 853 € eu et chaque année, près de 15 % des débitants utilisent le montant maximum de l’aide (15 000 €) pour sécuriser leur débit. Un débitant peut solliciter cette aide à plusieurs reprises et le montant moyen de 9 255 € masque des écarts considérables et des montants conséquents : 461 débitants ont ainsi perçu plus de 20 000 € et trois plus de 44 000 € ».

2. LES ENTREPRISES CONCERNEES

24. La société Save, dénommée Group Save à compter du 17 octobre 2019, est spécialisée dans la vente, l’installation et la maintenance de systèmes de sécurisation pour les professionnels, avec une spécialisation dans la sécurité électronique (systèmes d’alarme, télésurveillance et vidéosurveillance, sécurité incendie et contrôle d’accès).

25. Elle exerce son activité sous les noms commerciaux Save sécurité et Save énergie et exploite quatre établissements en France : Villeurbanne (69), Reichstett (67), Marseille (13) et Gennevilliers (92). Son directeur général est M. X....

26. Les trois autres entreprises concernées par l’enquête de la DGCCRF sont la société SLS (placée en liquidation judiciaire en mars 2017, procédure clôturée le 5 septembre 2019 pour insuffisance d’actif), AP Protection, exploitée par M. Y , et l’entreprise AMF, exploitée en nom propre par M. Z....

27. Des devis de trois autres entreprises ont été fournis dans les dossiers de demande de subvention étudiés : les sociétés Badylec, BGS Sogeprim et Uniaccess. Ces trois entreprises ont été mises en liquidation en 2018 et 2019 et n’ont pas fait l’objet d’enquête.

3. LES LIENS PERSONNELS ENTRE SAVE, SLS ET AP PROTECTION

28. M. X a travaillé chez SLS, avant de rejoindre la société Save en tant que directeur général. Son épouse, Mme A a assuré la gérance de la SARL SLS jusqu’à sa liquidation en mars 2017.

29. La société SLS disposait de locaux voisins de ceux de Save, à Paris et à Villeurbanne où se trouvaient respectivement les sièges et établissements de chaque entreprise.

30. M. Y... a été salarié de la société SLS, en qualité de chargé de clientèle, entre le 1er janvier 2012 et le 5 juin 2017. Il exploite en son nom propre la société AP Protection depuis octobre 2016.

31. Il ressort par ailleurs de certains éléments du dossier que M. Y... aurait travaillé pour la société Save en tant que commercial lorsqu’il était salarié de SLS, mais n’aurait jamais été employé officiellement par la société Save5.

C. LES PRATIQUES CONSTATEES

32. L’instruction du dossier a mis en évidence des pratiques mises en œuvre par la société Group Save, en association avec d’autres entreprises, visant à produire ou à bénéficier de devis de couverture, à l’occasion de prestations de sécurisation de débits de tabac dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France entre le 18 février 2015 et le 28 novembre 2017.

33. Comme rappelé aux paragraphes 14 et suivants ci-avant, pour bénéficier d’une aide à la sécurisation de leurs établissements, ces derniers doivent constituer des dossiers de demande en présentant deux devis émanant de deux entreprises concurrentes.

34. Il ressort des éléments de l’enquête, notamment des déclarations de M. X..., directeur général de la société Save, de M. Y..., salarié de la société SLS puis autoentrepreneur de l’entreprise AP Protection, et de plusieurs exploitants de débits de tabac, que pour plusieurs dossiers de demande de subvention, des devis Save ont été produits pour couvrir des devis d’autres entreprises. En contrepartie, la société Save a bénéficié de devis de couverture de ces mêmes entreprises.

35. Il ressort également de l’enquête que les devis de Save et ceux d’autres entreprises ont été produits par M. Y..., qui prenait en charge, pour le compte des débits de tabac, la constitution des dossiers de demande de subvention.

36. Auditionné sur ces pratiques le 20 juin 20196, M. X..., directeur général de la société Save, a déclaré que « A l’époque de l’ancienne réglementation qui imposait de présenter au minimum 2 devis au service des douanes, la pratique des devis de couverture était très répandue. J’ai connaissance de cette pratique largement répandue, et face à la pression des buralistes nous avons eu à établir des devis de couverture pour le compte de ma société. Des devis de SAVE circulaient alors que les clients n’avaient vu aucun commercial de ma société. Ces devis pouvaient de plus porter sur du matériel que je ne proposais pas. […] Comme toutes les entreprises du secteur, je connaissais cette pratique » (soulignements ajoutés). Il a ajouté que « des devis avaient été rédigés sans [son] autorisation, sur la base d’un modèle ne correspondant pas à celui utilisé dans [son] entreprise ».

37. S’agissant du rôle de M. Y... au sein de la société Save, M. X... a précisé que celui-ci « était salarié chez SLS (société familiale dans laquelle je travaillais déjà ainsi que mon épouse), société dont une partie des activités a été reprise par SAVE après liquidation en 2017. Mais SLS a travaillé pour SAVE de fin 2015 à novembre 2017. Y… a ensuite travaillé comme agent commercial indépendant (avec une clause morale d’exclusivité) pour SAVE. Il pouvait donc démarcher les débitants de tabac en proposant plusieurs types de matériels pour le compte de diverses sociétés pour lesquelles il aurait pu travailler. Il a travaillé pour nous jusqu’en mars 2017 il me semble. […] Parmi mes commerciaux, seul Y... démarchait les buralistes entre 2015 et jusqu’à son départ ».

38. M. Y... a, quant à lui, déclaré, le 20 juin 20197, que lorsqu’il démarchait les bureaux de tabac, il a produit à plusieurs reprises deux devis pour un même dossier, des devis de Save pour couvrir des devis de SLS, AP Protection et AMF et des devis de SLS pour couvrir des devis de Save : « j’ai à plusieurs reprises, eu à fournir moi-même un deuxième devis ou le solliciter directement auprès des entreprises concurrentes que je connaissais. Pour ce faire, je contactais les commerciaux des sociétés concurrentes pour qu’ils me l’adressent par mail. J’ai également eu communication de devis de couvertures auprès de contacts que j’avais conservés au sein de la société SAVE. A l’époque où je travaillais chez SLS en tant que salarié de 2015 à juin 2017, nous étions plusieurs commerciaux à démarcher les débitants de tabac, sans zone géographique attitrée. A l’époque, M. X... nous demandait de rentrer des affaires pour le compte de SAVE alors même que nous étions salariés de SLS car l’activité de cette dernière société était en cours de transfert vers SAVE. Nous fournissions donc aux douanes un devis SAVE et un devis SLS. Parallèlement, en 2017 j’avais démarré mon activité AP Protection pour laquelle j’ai constitué quelques devis pour des débitants tout en travaillant pour SAVE. Je n’ai pas connaissance de l’existence d’une clause d’exclusivité qui aurait figuré dans mon contrat de travail. La société SAVE était informée de mon activité. Je n’ai jamais eu le statut de commercial indépendant ni salarié de SAVE. Chez SAVE ce ne sont pas les commerciaux qui réalisaient les devis mais le directeur commercial sur la base de nos notes manuscrites. A un moment, j’ai récupéré l’ordinateur du Directeur Commercial et j’ai eu accès aux modèles de devis. J’ai donc utilisé ces modèles de devis à en-tête SAVE quand je travaillais encore pour eux et que j’avais démarré mon activité. Je m’en servais comme devis de couverture. Je signais moi-même ces devis que je tamponnais grâce au cachet de la secrétaire que je trouvais dans les locaux de Gennevilliers où je me rendais deux fois par semaine. La direction de SAVE n’ignorait pas mes pratiques car c’est le directeur de SAVE qui m’a confié cet ordinateur et compte tenu du fait que la pratique des doubles devis était extrêmement répandue dans la profession. […] J’ai […] produit des devis de couverture au bénéfice d’AMF à l’entête de SAVE et d’AP PROTECTION. […] Hormis SAVE, SLS et AMF, il n’y avait pas d’autre entreprise avec lesquelles j’avais un « partenariat » pour des devis de complaisance » (soulignements ajoutés).

39. Les pratiques de devis de couverture mises en œuvre par la société Save sont résumées dans les tableaux ci-après. Ils font état du montant des devis émis par les entreprises et du montant des factures correspondantes, le cas échéant. Pour un certain nombre des travaux concernés, ces éléments sont par ailleurs corroborés par les déclarations des débits de tabac concernés.

39.PNG

39 1.PNG

39 2.PNG

39 4.PNG

39 5.PNG

39 6.PNG

39 7.PNG

39 8.PNG

40. Il ressort de ces éléments que la société Save a bénéficié d’offres de couverture dans les 18 dossiers de demande de subvention suivants : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 18. L’ensemble de ces dossiers représente un chiffre d’affaires facturé cumulé de 113 724 euros.

41. Il ressort également que des devis de la société Save ont couvert d’autres devis dans les   14 dossiers suivants : 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 et 32. L’ensemble de ces dossiers représente un chiffre d’affaires facturé cumulé de 91 931 euros.

42. L’ensemble de ces dossiers représente un chiffre d’affaires facturé cumulé de l’ordre de 205 000 euros.

D. RAPPEL DU GRIEF NOTIFIE

43. Au vu des éléments de fait exposés dans la notification de griefs, les services d’instruction ont notifié le grief suivant le 5 avril 2022 :

« il est fait grief à la société Group Save (402 198 063 RCS Paris), en tant qu’auteure, et à la société Age Invest (849 186 358 RCS Paris), en tant que société mère de la société Group Save, de s’être entendues avec les entreprises SLS, AP Protection, AMF, Badylec, BGS Sogeprim et  Uniaccess  en  bénéficiant  ou  produisant  des  devis  de  couverture  pour  32 dossiers de subvention pour la sécurisation des débits de tabac entre le 18 février 2015 et le 28 novembre 2017. Les devis Save ont bénéficié de devis de couverture d’autres entreprises dans 17 dossiers et des devis Save ont couvert des devis d’autres entreprises dans 15 dossiers. Ces pratiques de devis de couverture ont permis à la société Save et aux entreprises SLS, AP Protection et AMF de remporter les marchés concernés sans réelle concurrence et au prix souhaité puisque les devis de couverture étaient délibérément plus élevés.

Ces pratiques sont intervenues pour la réalisation de prestations de sécurisation de débits de tabac principalement dans les régions Hauts-de-France et Ile-de-France. Ces pratiques ont ainsi eu pour objet et pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence exigé par l’administration pour la réalisation des prestations de sécurisation des débits de tabac.

Ces pratiques, qui ont pour objet et pour effet de fausser la concurrence sur les marchés, sont prohibées par l’article L. 420-1 du code de commerce. »

II. Discussion

44. Seront successivement examinés l’applicabilité du droit de l’Union (A), le marché pertinent (B), le bien-fondé du grief notifié (C), l’imputabilité (D), et les sanctions (E).

A. LE DROIT APPLICABLE

45. L’article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») prohibe les accords ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence et qui sont susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres8.

46. En l’espèce, les pratiques mises en œuvre par la société Group Save sont des pratiques locales, circonscrites aux régions Hauts-de-France et Île-de-France, principalement les départements de l’Oise et du Val-d’Oise et, occasionnellement, les départements de la Somme, de l’Aisne, de Paris, de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val-de-Marne et concernent un volume faible de ventes par rapport au volume de ventes à l’échelle nationale. Aucun effet sensible ne saurait en résulter sur le commerce entre États membres.

47. Il en résulte que les pratiques constatées doivent être examinées au regard du seul droit national applicable et, en particulier, de l’article L. 420-1 du code de commerce. Les lignes directrices de la Commission européenne et la jurisprudence de la Cour de justice constituent néanmoins une grille d’analyse utile.

B. SUR LE MARCHE PERTINENT

48. Il résulte de la pratique décisionnelle de l’Autorité que lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de définir le marché pertinent avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment caractérisé pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en place9.

49. En l’espèce, les pratiques sont observées sur le marché de la sécurisation des débits de tabac, dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans une définition plus fine du marché.

C. SUR LE BIEN-FONDE DU GRIEF NOTIFIE

1. RAPPEL DE LA PRATIQUE DECISIONNELLE

50. L’article L. 420-1 du code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.

51. Il résulte des termes de cet article ainsi que de la jurisprudence nationale et européenne que l’objet et l’effet anticoncurrentiels de telles pratiques sont des conditions alternatives pour apprécier si celles-ci peuvent être sanctionnées en application de ces dispositions10.

52. L’Autorité a sanctionné à plusieurs reprises des pratiques de même nature, en particulier dans le secteur du déménagement des personnels militaires11, mais également celui de la sécurisation des débits de tabac12.

53. Elle considère, avec constance, que le fait, pour des entreprises indépendantes, de se concerter ou d’échanger des informations en vue de produire des devis de couverture caractérise l’existence d’une entente entre celles-ci et a pour objet et peut avoir pour effet de limiter l’exercice de la libre concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché13. Il ressort, par ailleurs, de la pratique décisionnelle de l’Autorité que l’utilisation de devis de couverture constitue une pratique particulièrement grave qui a pour objet ou peut avoir pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence des entreprises pour la réalisation d’une prestation dont, en définitive, les finances publiques supportent le coût14.

54. Dans un arrêt du 20 décembre 2018, rendu dans le cadre de pratiques de devis de couverture dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac, la cour d’appel de Paris a souligné que :

« le fait, pour des entreprises indépendantes, de se concerter ou d’échanger des informations en vue de produire des devis de couverture a pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et cette pratique est bien de nature à fausser le jeu de la concurrence »15.

55. La cour a ajouté à cet égard que « de telles pratiques, mises en œuvre dans un cadre réglementaire qui requiert expressément une mise en concurrence et ont spécifiquement pour objet de répartir les marchés, révèlent un tel degré de nocivité pour le jeu de la concurrence qu’elles constituent des pratiques anticoncurrentielles par objet et que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire »16.

2. APPLICATION A L’ESPECE

a) Sur l’existence d’une concertation

56. En l’espèce, il résulte des constatations opérées aux paragraphes 32 à 41 ci-avant que les sociétés Group Save, SLS, AP Protection, AMF, Badylec, Bgs Sogeprim et Uniaccess se sont concertées en vue d’établir ou de bénéficier de devis de couverture pour des prestations de sécurisation des débits de tabac.

57. Le représentant des sociétés Group Save et Age Invest a déclaré, en séance, ne pas contester la matérialité des faits.

58. L’existence d’une concertation entre ces entreprises est donc établie.

b) Sur l’objet anticoncurrentiel

59. Les dispositions du décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 prévoient que la prise en charge par l’État, dans une certaine proportion, des frais afférents aux travaux de sécurisation des débits de tabac est subordonnée à la mise en concurrence, par le bénéficiaire de l’aide, des entreprises prestataires afin de susciter les offres économiquement les plus avantageuses.

60. En l’espèce, les pratiques litigieuses en cause visant à établir ou à obtenir des devis de couverture sont de nature à fausser le jeu de la concurrence, dans la mesure où elles font directement obstacle à la libre fixation des prix et neutralisent la réglementation en vigueur qui exige une concurrence effective entre entreprises indépendantes en vue de l’attribution de ladite aide.

61. Ainsi qu’il ressort de la pratique décisionnelle rappelée aux paragraphes 50 et suivants ci-avant, les pratiques en cause ont eu pour objet de restreindre la concurrence sur le marché de la sécurisation des débits de  tabac  dans  les  régions  Hauts-de-France  et  Île-de-France.

62. La société Group Save n’a pas produit d’observations pour contester cette analyse.

63. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause ayant eu pour objet de restreindre la concurrence sur le marché de la sécurisation des débits de tabac, sont contraires à l’article L. 420-1 du code de commerce.

D. SUR L’IMPUTABILITE DES PRATIQUES

1. PRINCIPES APPLICABLES

64. Il résulte d’une jurisprudence constante que les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE visent les infractions commises par des entreprises, notion qui désigne une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Cette entité économique doit, lorsqu’elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle17.

65. Ainsi, au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques18.

66. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteure d’un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, présomption compatible avec les principes de responsabilité personnelle et d’individualisation des peines. Dans cette hypothèse, il suffit pour l’autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteure des pratiques à la société mère. La société mère peut renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d’action sur le marché. Si la présomption n’est pas renversée, l’autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale19.

2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

67. En l’espèce, les pratiques concertées de devis de couverture ont été mises en œuvre par la société Save, dénommée Group Save à compter du 17 octobre 2019. Il y a donc lieu d’imputer ces pratiques à la société Group Save en tant qu’auteure des pratiques.

68. Cette SAS était filiale à 100 % de la société JPG Investissement jusqu’au 30 octobre 2019, date de la transmission universelle du patrimoine de la société JPG Investissement à la société Age Invest. Le 17 mars 2020, la société JPG Investissement a été radiée du registre du commerce.

69. Depuis le 30 octobre 2019, la société Group Save est filiale à 100 % de la SARL Age Invest qui est par ailleurs la gérante de la SAS Group Save. Le gérant de la SARL Age Invest est M. X....

70. En application des principes rappelés ci-dessus, la société SARL Age Invest, société mère à 100 % de la société Group Save est présumée exercer sur celle-ci une influence déterminante.

71. Ce point n’a pas été contesté par la société Age Invest qui n’a pas produit d’observations en réponse à la notification de griefs.

72. Il résulte de ce qui précède que la société Age Invest doit être considérée comme solidairement responsable des pratiques de sa filiale.

E. SUR LA SANCTION PECUNIAIRE

73. Seront successivement abordés les principes relatifs à la détermination de la sanction (1) ; la détermination du montant de base de la sanction (2) ; la prise en compte des circonstances propres aux entreprises concernées (3) ; les ajustements finaux (4).

1. LES REGLES APPLICABLES

74. Aux termes du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, l’Autorité peut infliger une sanction pécuniaire aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par l’article L. 420-1 du code de commerce.

75. Par ailleurs, le troisième alinéa du I  de l’article L. 464-2 du code de commerce prévoit que « Les sanctions pécuniaires sont appréciées au regard de la gravité et de la durée de l’infraction, de la situation de l’association d’entreprises ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient et de l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

76. Aux termes du quatrième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, « le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante ».

77. En l’espèce, l’Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 30 juillet 2021 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le « communiqué sanctions »).

78. En outre, par application de l’article L. 463-3 du code de commerce : « Le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence peut décider que l’affaire sera examinée par l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport. »

79. Jusqu’à son abrogation par la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, l’article L. 464-5 du code de commerce prévoyait que lorsque l’Autorité statue selon la procédure simplifiée prévue à l’article L. 463-3 précité, « [...] la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs de pratiques prohibées ». Au cas d’espèce, l’article L. 464-5 est inapplicable, la notification des griefs ayant été adoptée postérieurement à cette abrogation législative.

2. SUR LA DETERMINATION DU MONTANT DE BASE DE LA SANCTION

a) Sur la méthode utilisée pour la détermination du montant de base

80. Le point 21 du communiqué sanctions prévoit que « [l]a valeur des ventes constitue une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d’en proportionner l’assiette à l’ampleur économique des infractions en cause, d’une part, et au poids relatif, sur les secteurs ou marchés concernés, de chaque entreprise ou association d’entreprises concernée, d’autre part ».

81. Toutefois « dans les cas de pratiques anticoncurrentielles portant sur un ou plusieurs appels d’offres ponctuels et ne relevant pas d’une infraction complexe et continue », le point 62 du communiqué sanctions précise que « la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l’ampleur économique de ces pratiques et du poids relatif de chaque entreprise ou association d’entreprises qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s’abstenir de soumissionner ».

82. Dans ce cas, selon le point 63 du communiqué sanctions, « [l]e montant de base de la sanction pécuniaire résultera alors de l’application d’un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits, du chiffre d’affaires total réalisé en France par l’association d’entreprises ou par l’entreprise en cause, ou par le groupe auquel l’entreprise appartient, en principe pendant l’exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l’infraction, ou du dernier exercice comptable complet, s’il en existe plusieurs. Ce coefficient tiendra compte du fait que ces pratiques, qui visent à tromper les maîtres d’ouvrage sur l’effectivité même de la procédure d’appel d’offres, se rangent, par leur nature même, parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence, et sont parmi les plus difficiles à détecter, en raison de leur caractère secret. »20

83. L’Autorité a appliqué cette méthode de détermination de la sanction pécuniaire dans plusieurs décisions et, notamment, dans les décisions n° 21-D-06 du 11 mars 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de sécurisation des débits de tabac dans les régions Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine et n° 18-D-05 du 13 mars 2018 relative à des pratiques de devis de couverture dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac.

84. En l’espèce, le dispositif d’aide mis en place, qui implique que les débitants de tabac mettent en concurrence les différents prestataires afin que l’aide soit calculée sur la base du devis économiquement le plus avantageux, obéit à la même logique que celle d’une procédure d’appel d’offres.

85. Les pratiques mises en œuvre par la société Group Save, consistant à réaliser ponctuellement des offres de couverture revêtent également un caractère instantané.

86. Compte tenu des circonstances de l’espèce, il y a donc lieu d’appliquer la méthode prévue aux points 62 et 63 du communiqué sanctions, la valeur des ventes ne constituant pas un indicateur approprié.

87. En conséquence, le montant de base de la sanction pécuniaire résultera de l’application d’un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits, appliqué au chiffre d’affaires total réalisé en France par la société Group Save pendant le dernier exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l’infraction, soit 2 530 826 euros, chiffre d’affaires de l’exercice 2016.

b) Sur la gravité des pratiques

88. Conformément au point 28 du communiqué sanctions, l’Autorité peut notamment tenir compte des éléments suivants pour apprécier la gravité des faits :

- la nature de l’infraction en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser, ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés ;

- la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause ;

- la nature des personnes susceptibles d’être affectées ;

- les caractéristiques objectives de l’infraction comme par exemple son caractère secret, son degré de sophistication ou encore le détournement d’une législation.

89. S’agissant, en premier lieu, de la nature de l’infraction en cause, il y a lieu de rappeler que l’Autorité a pu considérer, dans toutes les décisions antérieures portant sur des pratiques identiques, que l’utilisation de devis de couverture constituait une pratique particulièrement grave qui a pour objet et peut avoir pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence des entreprises.

90. Concernant, en deuxième lieu, la situation du marché sur lequel sont intervenues les pratiques, il convient de relever que la réglementation applicable à l’octroi d’aides à la sécurisation des débits de tabac prévoyait, à la date des pratiques, une mise en concurrence effective entre les entreprises prestataires, le montant de cette aide étant octroyé sur la base du devis le moins élevé. Cette mise en concurrence est donc destinée à réduire la charge financière qui pèse sur le budget de l’État, dans la mesure où le versement de l’aide est calculé sur le montant de l’offre la moins-disante.

91. En troisième lieu, le fait que, comme en l’espèce, l’entente prenne appui sur et vise le détournement d’une réglementation spécifique, conçue précisément pour faire jouer la concurrence afin de réduire une charge financière du budget de l’État, est de nature à en accroître la gravité.

92. En faussant, par l’établissement et l’utilisation régulière de devis de couverture, le processus de mise en concurrence exigé pour la réalisation des prestations de sécurisation dans les régions Hauts-de-France et Île-de-France, la société Group Save a non seulement violé l’article L. 420-1 du code de commerce, mais est également responsable d’une mauvaise utilisation des deniers publics en cherchant à faire échec à une réglementation visant à minimiser la dépense publique.

93. L’infraction en cause visait donc, par sa nature même, à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence. Elle constitue l’une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où elle ne peut tendre qu’à confisquer, au profit des auteurs de l’infraction, le bénéfice que les consommateurs et l’administration sont en droit d’attendre d’un fonctionnement concurrentiel de l’économie.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que la société Group Save, en  tant  qu’auteur,  et  la  société SARL Age Invest, en tant que société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce.

Article 2 :  Il  est  infligé  conjointement  et  solidairement  une  sanction  pécuniaire  de  25 000 euros à la société Group Save et à la société SARL Age Invest.

NOTES

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Cotes 1395 à 1404.

3 Cotes 1427 à 1429 et 1433 à 1436.

4 https://www.buralistes.fr/les-buralistes-le-premier-commerce-de-proximite.

5 Cotes 244 à 247.

6 Cotes 244 et 245.

7 Cotes 246 et 247.

8 Communication de la Commission, Lignes directrices du 27 avril 2004 relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du Traité, JO n° C 101 du 27/04/2004 p. 81–96, points n° 44, 90 et 91. Voir également, arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 2015, Chevron Products Company, Total Outre-mer, Total Réunion, Esso SAF, n° V 13-16.745, R 13-16.764, S 13-16.765, Y 13-16.955, page 13.

9 Voir notamment les décisions du Conseil de la concurrence n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28 et n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’ingénierie des loisirs, de la  culture  et  du  tourisme,  paragraphe 65. Voir également, en ce sens, les décisions n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, paragraphe 214 et n° 20-D-05 du 23 mars 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des déménagements des personnels militaires au départ de La Réunion.

10 Arrêts de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands BV e.a.,  C-8/08, points 28  et 30 ; du  11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires e.a., C-67/13 P, points 49-51 du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C-228/18, point 33 et de la Cour de cassation, 29 janvier 2020, Banque Postale, n° 18-10967 et 18-11001.

11 Décisions n° 92-D-37 du Conseil de la concurrence du 2 juin 1992 relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant le déménagement des marins de la marine nationale en Bretagne ; n° 99-D-50 du 13 juillet 1999 relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant le déménagement des militaires dans la région de Vannes ; n° 02-D-62 du 27 septembre 2002 relative à des pratiques relevées dans le secteur du déménagement des personnels de la marine nationale en Bretagne ; n° 09-D-19 du 10 juin 2009 relative à des pratiques concernant le déménagement  de personnels  militaires relevant du CTAC de l’armée  de terre à Nancy ; n° 14-D-16 du 18 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement des militaires affectés en Martinique et n° 20-D-05 du 23 mars 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des déménagements des personnels militaires au départ de La Réunion.

12 Décision n° 21-D-06 du 11 mars 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de sécurisation des débits de tabac dans les régions Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine ; décision n° 18-D-05 du 13 mars 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère confirmée par  un  arrêt  de  la  cour  d’appel  de  Paris  du  20 décembre 2018,  Sécurité  Vol  Feu, n° 18/07722.

13 Voir notamment la décision n° 22-D-08 du 3 mars 2022 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la collecte et de la gestion des déchets en Haute-Savoie, paragraphe 123.

14 Voir, par exemple, la décision n° 99-D-50 du Conseil de la concurrence du 13 juillet 1999 relative aux pratiques anticoncurrentielles concernant le déménagement de militaires dans la région de Vannes.

15 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 décembre 2018, précité, paragraphe 40.

16 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 décembre 2018, précité, paragraphe 41.

17 Voir, notamment les arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a. contre Commission, C-97/08 P, points 55 et 56, et du 20 janvier 2011, General Quimica contre Commission, C-90/09 P, point 36 ; voir, également l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., points 18 et 20.

18 Voir les arrêts précités Akzo Nobel e.a. contre Commission, point 58, General Quimica/Commission,  point 37, et Lacroix Signalisation e.a., points 18 et 19.

19 Voir les arrêts de la Cour de justice dans les affaires Akzo Nobel e.a. contre Commission, points 60 et 61 et General Quimica contre Commission, points 39 et 40 ; voir également l’arrêt précité de la cour d’appel de Paris dans l’affaire Lacroix Signalisation e.a., points 19 et 20.