CA Caen, 1re ch. sect. civ., 28 novembre 2000, n° 99/00411
CAEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
ELF Aquitaine (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calle
Conseillers :
Mme Beuve, M. Chalicarne
Avoués :
SCP Duhaze Mosquet Mialon, SCP Parrot Lechevallier Rousseau
Avocat :
Me Rosenfeld
La société ELF AQUITAINE, se prévalent d’une “créance paraissant fondée en son principe” à I’encontre de Monsieur X résultant de la perception frauduleuse par celui-ci à son préjudice et sur une fausse cause d’une somme de cinq millions de dollars US générant une obligation de restitution, a saisi le 8 juillet 1998 le juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de LISIEUX d’une requête aux fins d’être autorisée à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur des lots de copropriété appartenant à Monsieur X dans un immeuble situé à TOURGEVILLE.
Monsieur X a, par acte délivré le 27 novembre 1998, assigne la société ELF AQUITAINE en rétractation de I ’ordonnance rendue le 10 juillet 1998 autorisant ladite inscription et en mainlevée de l’hypothèque judiciaire provisoire.
II soutenait à l’appui de sa demande que la société ELF AQUITAINE ne rapportait pas la preuve à sa charge d’une “obligation non sérieusement contestable” imposée par l’article 5-1 du Code de Procédure Pénale, seul applicable en espèce, laquelle ne peut résulter de sa seule mise en examen, alors que le versement de la somme de cinq millions de dollars US à la société CEDCO HOLDINGS trouve sa cause dans une convention résultant d’un courrier établi le 6 février 1990 par Monsieur Loïc LE FLOCH-PRIGENT alors Président d’ELF AQUITAINE. II ajoutait que le recouvrement de cette éventuelle créance ne se trouve pas en tout état de cause en péril eu égard à sa solvabilité notoire.
Vu la décision rendue le 20 janvier 1999 rétractant l’ordonnance sur requête du 10 juillet 1998.
Vu les conclusions déposées par :
- la société ELF AQUITAINE, appelante, le 29 août 2000,
- Monsieur X, intimé, le 7 février 2000,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 25 septembre 2000.
MOTIFS
- Sur les règles de forme
Monsieur X soutient en cause d’appel que 1’inscription d’hypothèque judiciaire est caduque faute d’accomplissement par la société ELF AQUITAINE de la formalité prévue par l’article 215 du Décret du 31 juillet 1992, une plainte avec constitution de partie civile ne pouvant avoir pour objet l’obtention d’un titre exécutoire des lors que le juge destruction n’a pas compétence pour statuer sur les intérêts civils.
L’article 215 du Décret susvisé impose au créancier, dépourvu de titre exécutoire, dans le mois suivant l’exécution de la mesure conservatoire et à peine de caducité de celle-ci, d’introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.
II est constant que la société ELF AQUITAINE s’est constitué partie civile antérieurement à l’ordonnance autorisant l’inscription d’hypothèque, soit le 11 juin 1998, à l’encontre de Monsieur X du chef de complicité d’abus de biens sociaux à raison de la participation de celui-ci dans la réalisation du détournement de la somme de cinq millions de dollars US.
Or, la demande au fond visée par l’article susvisé peut être formée par le créancier en se constituant partie civile devant les juridictions répressives et celui-ci peut d’abord saisir le juge d’instruction.
C’est par ailleurs à tort que Monsieur X soutient que la société ELF AQUITAINE avait l’obligation, en application de l’article 5-1 du Code de Procédure Pénale, de saisir dans le mois suivant l’extorsion de la mesure, le juge des réfères aux fins d’obtention d’un titre exécutoire.
Le moyen tiré de la caducité de I ’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire inscrite par la société ELF AQUITAINE n’est donc pas fonde, ladite société qui a introduit une demande an fond au sens de l’article 215 du Décret précité antérieurement à l’ordonnance ayant de ce fait accompli la formalité imposée par ledit texte.
- Sur la demande d’autorisation d’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire
Le premier juge a exactement considéré que les dispositions applicables en matière de mesures conservatoires, même dans le cas où il le demandeur s’est constitué partie civile, sont cèdes prévues par l’article 67 de la loi du 9 juillet 1991 et non cédés de l’article 5-1 du Code de Procédure Pénale qui sont plus exigeantes quant à la nature de l’obligation du débiteur qui doit être “non sérieusement contestable”.
Si ce dernier texte permet à la juridiction civile, saisie en référé, même en cas de constitution de partie civile devant la juridiction répressive, d’ordonner toutes mesures provisoires relatives aux faits qui sont l’objet des poursuites lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il convient de relever que la condition ainsi imposée est la même que cède figurant à l’article 809 alinéa 2 du Code de Procédure Civile pour l’octroi d’une provision par le juge des référés.
En revanche, l’article 67 de la loi du 9 juillet 1991 qui exige “une créance paraissant fondée en son principe” est applicable à l’ensemble des mesures conservatoires définies par ce texte.
Des lors, dans le cas d’une telle mesure qui n’a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur mais de les rendre indisponibles, il suffit au créancier d’établir l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et non d’un principe certain de créance.
Pour soutenir que Monsieur X a envers elle une obligation de restitution de la somme de cinq millions de dollars US, la society ELF AQUITAINE fait valoir, d’une part, que la teneur du courrier établi le 6 février 1990 par Monsieur LE FLOCH-PRIGENT comme les circonstances qui ont précède son établissement démontrent la fictivité des prestations constituant la contrepartie du paiement et, d’autre part, que la mise en examen de Monsieur X relativement à ces faits constitutifs de détournement créent une obligation personnelle de ce dernier sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.
Aux termes du courrier susvisé portant la mention '‘strictement personnel et confidentiel”, Monsieur LE FLOCH-PRIGENT confie à Monsieur X, en contrepartie d’honoraires fixes forfaitairement à cinq millions de dollars US, la mission de lui “ménager tous contacts nécessaires au niveau des organes décisionnels des principales grandes compagnies pétrolières américaines en vue de (lui) offrir la possibilité d’examiner avec elles les éventualités de reprise par (son) groupe de certains de leurs actifs ... ainsi que plus généralement les éventualités de coopérations techniques ou commerciales dans le domaine pétrolier”.
La société ELF AQUITAINE relève justement l’imprécision de cette mission, sa brièveté puisque son terme était fixe au 30 juin suivant et en revanche l’immédiateté du paiement de la somme de cinq millions de dollars US, devant intervenir dans les huit jours suivant l’établissement du courrier approuve par Monsieur X donc avant toute diligence.
L’appelante soutient que Monsieur X n’a d’ailleurs effectue, en exécution de cette mission, aucune prestation, ce que conteste l’intime.
II convient de relever que cette convention a été, de façon inhabituelle, négociée par le seul Président de la société ELF AQUITAINE, à titre confidentiel, et qu’elle a pris en compte, pour le transiger, un litige entre la société ATOCHEM, filiale de la société ELF AQUITAINE, et Monsieur X suite à une réclamation de commission présentée par ce dernier et dont il résulte des courriers établis par les collaborateurs et les avocats de la société ELF AQUITAINE, qu’elle n’avait aucune chance d’aboutir par voie judiciaire.
II est certain que la somme de cinq millions de dollars US a été versée à la demande de Monsieur X sur le compte de la société CEDCO HOLDING aux BERMUDES et que le courrier susvisé a été établi à l’ordre de “Monsieur X - CEDCO HOLDINGS LTD -BERMUDA”.
Monsieur X soutient que la société ELF AQUITAINE ne disposerait en tout état de cause que d’une action contractuelle à regard de la société CEDCO HOLDING et non à son encontre ce à quoi I’appelant rétorque que les fonds étaient destines à Monsieur X qui en est le réel bénéficiaire et donc l’auteur de son préjudice résultant du détournement.
II est constant que Monsieur X a été, le 26 mai 1998, mis en examen par le juge d’instruction charge de I ’information dans laquelle la société ELF AQUITAINE s’est constitué partie civile, pour recel d’abus de biens sociaux portant sur la somme de cinq millions de dollars US.
De cette mise en examen s’induit le fait qu’il existe des indices laissant présumer que Monsieur X a participé comme auteur ou complice, aux faits constituant des infractions pénales et que sa responsabilité personnelle peut, en cas de reconnaissance de culpabilité, être engagée à raison du préjudice cause par le détournement de la somme de cinq millions de dollars US.
II résulte des éléments de fait susvisés et de la mise en examen de Monsieur X que la société ELF AQUITAINE dispose à l’égard de ce dernier d’une créance paraissant fondée en son principe observation étant faite que la présomption d’innocence qui est une règle de procédure pénale ne fait pas obstacle à ce qu’un créancier, pour assurer la sauvegarde de ses intérêts pécuniaires, puisse, s’il dispose d’une telle créance, prendre, comme tout autre créancier, des mesures purement conservatoires qui ne supposent pas I ’existence d’un principe certain de créance.
La société ELF AQUITAINE soutient également que c’est à tort que le premier juge a considéré que le recouvrement de la créance n’était pas en péril alors que la nature et la localisation du patrimoine de Monsieur X ainsi que le comportement frauduleux de ce dernier permettent de craindre des difficultés sérieuses pour le recouvrement de celle-ci.
Ces observations sont pertinentes des lors que, s’il n’est pas contesté que Monsieur X a un patrimoine important, il n’est pas non plus méconnu qu’il est essentiellement constitue d’avoir mobiliers aisément négociables et que, s’agissant d’un ressortissant étranger disposant d’avoir dans des sociétés étrangères, les mesures d’exécution sur celles-ci ont peu de chance d’aboutir.
La condition tenant au péril dans le recouvrement de cette créance dont l’existence est par ailleurs contestée de façon véhémente par Monsieur X est dès lors établie et justifie que la société ELF AQUITAINE inscrive une hypothèque conservatoire sur le patrimoine immobilier de Monsieur X situe en France dont il n’est pas méconnu que la valeur est nettement inférieur à la créance revendiquée.
C’est dès lors à tort que le premier juge a retenu qu’il n’était pas établi par la société ELF AQUITAINE que les conditions requises par l’article 67 de la loi du 9 juillet 1991 soient réunies et a ordonné la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire.
La décision déférée doit donc être infirmée en toutes ses dispositions et les demandes de Monsieur X rejetées.
Celui-ci qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d’appel, et régler, à la société ELF AQUITAINE qui a expose des frais irrépétibles, une indemnité qu’il est équitable de fixer à 15.000 Frs.
PAR CES MOTIFS
- Infirme la décision déférée ;
- Rejette la demande de Monsieur X en rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 10 juillet 1998 et celles subséquentes notamment en mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire conservatoire prise par la société ELF AQUITAINE sur un bien immobilier situe à TOURGEVILLE, résidence l’Hermitage ;
- Condamne Monsieur X à régler à la société ELF AQUITAINE la somme de 15.000 Frs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
- Condamne Monsieur X aux dépens de première instance et d’appel et accorde à la SCP DUHAZE MOSQUET MIALON, avoue, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.