Cass. com., 1 février 2023, n° 21-22.225
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bessaud
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2021), la société Teoxane est titulaire du brevet européen EP 3027186 (EP 186), issu d'une demande internationale WO 2015/0154A7 déposée le 29 juillet 2014 et publiée le 5 février 2015. Ce brevet, portant sur un procédé de préparation d'une composition stérile et injectable comprenant un gel d'acide hyaluronique et un anesthésiant local, le chlorhydrate de mépivacaïne, a été délivré le 19 juin 2019.
2. Le 9 octobre 2019, la société Laboratoires Vivacy (la société Vivacy) a assigné la société Teoxane en annulation des revendications 1 à 4 de la partie française du brevet européen EP 186 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris.
3. Au soutien de cette action, la société Vivacy exposait commercialiser une composition constituée notamment d'un gel associant de l'acide hyaluronique et de la mépivacaïne mettant en oeuvre son brevet EP 3049091 déposé le 23 décembre 2014 et délivré le 4 janvier 2017. Soutenant que ce produit contrefaisait son brevet EP 186, la société Teoxane a obtenu, sur requêtes, deux ordonnances du 7 janvier 2020, l'autorisant à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société Vivacy à [Localité 4] et dans une unité de production de cette société en Haute-Savoie.
4. Le 6 février 2020, la société Vivacy a assigné la société Teoxane devant le juge ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon en rétractation des deux ordonnances rendues le 7 janvier 2020 et, subsidiairement, afin que soient déterminées les modalités de divulgation des pièces saisies.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Vivacy fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation des ordonnances RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020, alors « qu'aux termes de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi ; qu'est afférente à une instance en cours, la requête qui porte sur des faits concluants pour cette instance ; que l'action en nullité d'un brevet n'est pas réservée à une partie suspectée de contrefaçon ; qu'une requête aux fins d'être autorisée, sur le fondement d'un brevet, à procéder à une saisie-contrefaçon afin de rechercher chez un concurrent la matérialité, l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon d'un brevet, alléguée à son encontre, qui reste sans influence sur la validité dudit brevet, n'est pas afférente à l'instance en annulation de celui-ci engagée par ce concurrent ; qu'en retenant, en l'espèce, que "quand bien même la procédure dont se trouvait saisie la 3ème section de la 3ème chambre avait pour objet la seule contestation de la validité du brevet" EP 186 de la société Teoxane et "qu'aucune demande reconventionnelle n'avait été formée en contrefaçon dudit brevet à la date du 6 janvier 2020", "les requêtes présentées par la société Teoxane aux fins d'établir l'existence des faits argués de contrefaçon de ce même brevet, intéressant les mêmes parties et les mêmes produits [que ceux en raison de la commercialisation desquelles la société Vivacy justifiait de son intérêt à agir en nullité du brevet] sont bien afférentes à la procédure en cours en nullité du brevet EP 186", quand les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, qui avaient pour objet d'établir des faits de contrefaçon du brevet EP 186 allégués à l'encontre de la société Vivacy, n'avaient pas le même objet que l'instance en nullité dudit brevet engagée par celle-ci et portaient sur des faits qui, ne conditionnant ni l'intérêt à agir de la société Vivacy en nullité du brevet ni la validité de celui-ci, n'étaient pas concluants pour cette instance, la cour d'appel a violé l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que les requêtes afférentes à une instance en cours relèvent de la seule compétence du président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi.
8. Selon l'article 74 du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
9. Il ressort de l'arrêt attaqué que, dans ses conclusions, la société Vivacy a soulevé une fin de non-recevoir, tirée du défaut de pouvoir du président de la chambre à laquelle l'affaire avait été distribuée, avant de développer une défense au fond.
10. Il s'en déduit qu'elle n'est pas recevable à soulever, pour la première fois, devant la Cour de cassation, sous le couvert d'une violation de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, l'incompétence de ce magistrat.
11. Le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. La société Vivacy fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application de l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président qui ordonne une saisie-contrefaçon peut, afin d'assurer la protection du secret des affaires, "ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce" ; que si le recours à une telle procédure est facultative pour le juge, celui-ci ne peut en revanche, afin d'assurer la protection du secret des affaires, recourir à une autre procédure que celle ainsi légalement prévue ; qu'en retenant en l'espèce que le magistrat ayant rendu les deux ordonnances sur requête avait pu faire le choix, afin d'assurer la protection du secret des affaires, de ne pas recourir à la procédure de séquestre provisoire légalement prévue mais à celle différente de placement sous scellés, la cour d'appel a violé l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la cour
Vu les articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce :
13. Il ressort du premier de ces textes, qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président, qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon, peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues au second de ces textes, lequel dispose :
« Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.
Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.
Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. »
14. Pour rejeter la demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », l'arrêt, après avoir considéré que si une procédure spécifique de placement sous séquestre provisoire est prévue aux articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce, une telle procédure était facultative et le juge n'était pas tenu d'y recourir, relève que c'est le choix fait par le magistrat, qui a décidé de prononcer la mesure, différente et plus protectrice du saisi, de placement sous scellés des pièces de nature à violer le secret des affaires.
15. En statuant ainsi, alors qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d'office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
18. La cassation porte sur le chef de dispositif qui confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions.
19. En vertu de l'article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, le président qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon peut prononcer le placement sous séquestre provisoire des documents saisis pour assurer le respect du secret des affaires.
20. Il ressort des ordonnances n° 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 que le juge a autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », cependant qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, le placement sous séquestre provisoire était la seule mesure pouvant être prononcée pour garantir le secret des affaires du saisi.
21. Il y a donc lieu d'ordonner la rétractation partielle de ces ordonnances, en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires.
22. Les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, s'avèrent dès lors sans objet.
23. Il convient, par conséquent, d'infirmer l'ordonnance entreprise de ces chefs et de la confirmer pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance de référé-rétractation du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions, il rejette la demande de rétractation, ordonne la levée des scellés portés sur les documents 1 à 5 appréhendés par M. [O], huissier de justice à [Localité 3], ainsi que la levée des scellés de l'enveloppe constituée par M. [T], huissier de justice à [Localité 5], à l'occasion des saisies-contrefaçons du 8 janvier 2020, rejette la demande de restitution formée par la société Laboratoires Vivacy du document n° 2 appréhendé par Me [O] et ordonne la remise à la société Teoxane des documents n° 1 à 5 par Me [O] et des documents saisis par Me [T] selon certaines modalités, l'arrêt rendu le 25 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.