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Décisions

CA Paris, 8e ch. B, 23 février 2006, n° 05/16310

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Gerhotel (SARL)

Défendeur :

Hotel de Normandie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robineau

Conseillers :

M. Keime, Mme Roiné

Avoués :

SCP Garrabos-Gerigny-Freneaux, SCP Mira-Bettan

Avocats :

Me Bardin-Lamarre, Me Rojas Alonso

TGI Paris, du 4 juill. 2005, n° 05/82412

4 juillet 2005

LA COUR,

Vu le jugement contradictoire rendu le 4 juillet 2005, dont appel aux termes duquel le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris a dit que la saisie conservatoire pratiquée par la société HOTEL DE NORMANDIE au préjudice de la société GERHOTEL, le 28 février 2005, demeurait valable pour un reliquat de 111.926,09 euros au titre des loyers, redevances, taxes et charges impayés arrêtés au terme de février 2005 inclus ;

Vu les dernières écritures en date du 22 septembre 2005 de la société GERHOTEL, appelante, et du 12 janvier 2006 de la société HOTEL DE NORMANDIE, intimée ; auxquelles la cour se réfère, conformément aux dispositions de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties lesquelles soutiennent, essentiellement, que :

* la société GERHOTEL :

- la saisie conservatoire, pratiquée sans titre ni autorisation du juge sur le fondement d'un contrat de location-gérance, est nulle en application des articles 67 et 68 de la loi du 9 juillet 1991,

- les procès-verbaux de saisie sont nuls en la forme dès lors qu’ils ne respectent pas les mentions obligatoires imposées par l’article 234 du décret du 31 juillet 1992, l’adresse du siège social de la débitrice saisie étant erronée,

- il n’est par ailleurs pas justifié de menaces pesant sur le recouvrement de la créance alléguée par la société HOTEL DE NORMANDIE,

- une indemnité de 2.500 euros doit lui être allouée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

* la société HOTEL DE NORMANDIE :

- le fonds donné en location-gérance inclut le droit au bail et la société GERHOTEL devait assurer le règlement des loyers annuels dus par la propriétaire du fonds de commerce,

- l’article 68 de la loi est donc applicable et les saisies conservatoires pouvaient être pratiquées sans autorisation du juge,

- la créance n’a pas été contestée devant le juge des référés, la débitrice s’étant contentée d’opposer la compensation avec une créance non justifiée de 90.213,24 euros,

- une somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile doit lui être allouée ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 19 janvier 2006 ;

CELA ETANT EXPOSE :

Considérant que, par acte sous seing privé du 3 mars 1997, la société HOTEL DE NORMANDIE a consenti à la société GERHOTEL un contrat de location-gérance d‘un fonds de commerce d’hôtel situé 2 et 4 rue d’Amsterdam à Paris 9ème pour une durée de trois ans moyennant une redevance mensuelle de 14.708,28 euros TTC outre le règlement des loyers dus par le propriétaire du fonds de commerce aux deux bailleurs commerciaux ; que la durée a été prolongée de cinq ans par avenant du 1er mars 2000 et la redevance portée à 132.660 francs TTC : que la société GERHOTEL a restitué les  lieux le 28 février 2005 ;

Considérant que, par actes du 28 février 2005, la société HOTEL DE NORMANDIE a fait pratiquer à l’encontre de la société GERHOTEL, entre les mains de la banque Baecque et Beau et du CIC, deux saisies conservatoires pour un montant de 142.000 euros au titre des arrières de redevance et loyers impayés, des frais et intérêts ; que ces saisies, dénoncées à la débitrice le 3 mars 2005, ont permis de rendre indisponible la somme totale de 138.297,88 euros ;

Considérant qu’à la suite d'une assignation en référé, la société GERHOTEL a été condamnée par ordonnance du 14 avril 2005 à payer à la société HOTEL DE NORMANDIE la seule somme de 7.004,97 euros outre celle de 800 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, le surplus des demandes étant rejeté en raison de l’existence de contestations sérieuses :

Considérant que la société GERHOTEL a fait assigner la société HOTEL DE NORMANDIE devant le juge de l’exécution pour voir dire nulles les saisies ; que c’est dans ces conditions que le jugement dont appel est intervenu :

Sur la validité des saisies conservatoires

Considérant qu'aux termes de l’article 67 de la loi  du9 juillet 1991,toute personne dont la créance parait fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement : que l’article 68 dispose qu’une telle autorisation n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire ; qu'il en est de même en cas de défaut de paiement d'une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre, d’un chèque ou d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeuble ;

Considérant que la règle veut que la saisie conservatoire pratiquée sans titre exécutoire soit préalablement autorisée par le juge ; que ce n’est qu’exceptionnellement que le créancier est autorisé à se passer d’une telle autorisation dans les cas précis, limitativement énumérés par le législateur ; que la liste de l’article 68 ne saurait être interprétée de façon extensive ;

Considérant que le contrat de location-gérance de fonds de commerce sur lequel sont fondées les saisies litigieuses n’est pas un contrat de louage d’immeuble ; qu’il porte sur un bien meuble incorporel, le fonds de commerce, et non sur un bien immobilier ; que la société HOTEL DE NORMANDIE ne pouvait donc sans autorisation du juge diligenter à l’encontre de la société GERHOTEL des mesures conservatoires ; que les mesures pratiquées le 28 février 2005, sans l’un des titres prévus par l’article 68 de la loi du 9 juillet 1991 et sans autorisation du juge sont nulles ; que les autres moyens soulevés deviennent sans intérêt ; que le jugement doit être infirmé ;

Sur les dépens et les frais

Considérant que la société HOTEL DE NORMANDIE qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d’appel ; qu’elle doit également être condamnée à payer à la société GERHOTEL la somme de 2.000 euros au titre des frais de justice non taxables exposés tant en appel que devant le premier juge ;

PREND LA DECISION SUIVANTE,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Dit nulles les saisies conservatoires pratiquées par la société HOTEL DE NORMANDIE le 28 février 2005 à l’encontre de la société GERHOTEL entre les mains de la banque Baecque et Beau et du CIC ;

En ordonne main levée en tant que de besoin ;

Condamne la société HOTEL DE NORMANDIE à payer à la société Gerhotel la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes des parties ;

Condamne la société HOTEL DE NORMANDIE aux dépens de première instance et d’appel, le montant de ces derniers pouvant être recouvré directement par la SCP Garrabos-Gerigny-Freneaux, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.