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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 10 décembre 2019, n° 17/06679

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Générale (SA)

Défendeur :

Embarri2 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mme Baumann, Mme Bonnet

Avocats :

Me Pechenard, Me Debray, Me Poujol

T. com. Nanterre, du 25 août 2017

25 août 2017

Par acte du 3 juin 2014, la Société générale ainsi que la Banque populaire rives de Paris ont consenti à la SAS Embarri2 un prêt de 3 500 000 euros destiné à financer partiellement le prix d'acquisition de 7000 actions de la société L'Embarri et d'une action de la société PMG, prêt assorti de sûretés notamment le nantissement des 7 000 actions représentant 100 % du capital et des droits de vote de la société L'Embarri, le nantissement d'une action de la société PMG et une délégation de la garantie d'actif et de passif.

En 2016, la société L'Embarri a été absorbée par la société Embarri2.

La société Embarri2 a été placée en liquidation judiciaire le 29 juin 2017. Elle exerçait une activité comprenant notamment la prise de toutes participations dans toutes entreprises ou sociétés par voie d'acquisition, de souscription, d'apport ou autrement et de gestion de ces participations.

Dans ses actifs figurent les titres de participation dans sa filiale, la société PMG.

Au cours de la liquidation judiciaire, la cession des titres de la société PMG a été poursuivie.

Une offre de reprise des titres de la société PMG a été déposée par la société Techim, représentée par son associé unique M. X, père de Mme Y dirigeante de la société Embarri2.

En raison de ces liens de parenté, le procureur de la République a déposé le 23 août 2017 une requête en application de l'article L. 642-20 du code de commerce auprès du juge-commissaire désigné dans la procédure collective de la société Embarri2 aux fins d'autorisation de la cession de gré à gré d'un actif incorporel à une personne touchée par l'interdiction de l'article L 642-3.

Par ordonnance du 25 août 2017, le juge-commissaire a autorisé la cession des titres de la société PMG dépendant de la liquidation judiciaire de la société Embarri2 au profit de la société Techim au prix de 164 000 euros, hors frais et hors charges, et fixé la date d'entrée en jouissance à la date de l'ordonnance.

Cette décision a été notifiée le 28 août 2017 à la Société générale en sa qualité de créancier bénéficiant d'un nantissement laquelle, par déclaration du 7 septembre 2017, a formé un recours devant la cour d'appel à son encontre.

Dans son avis communiqué le 12 décembre 2017, le ministère public était d'avis que la cour déclare irrecevable l'appel interjeté par la Société générale.

Par ordonnance d'incident du 14 février 2018, le recours a été déclaré recevable par le conseiller de la mise en état.

Par acte délivré le 28 décembre 2018 selon les modalités prévues à l'article 659 du code de procédure civile, la Société générale a assigné en intervention forcée la société Embarri2. Celle-ci n'a pas constitué avocat.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 23 octobre 2018, la Société Générale demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire en ce qu'elle a autorisé la cession des titres de la société PMG dépendant de la liquidation judiciaire de la société Embarri2 au profit de la société Techim au prix de164 000 euros, hors frais et hors charges, payable comptant et fixé la date d'entrée en jouissance à la date de l'ordonnance,

et statuant à nouveau,

- refuser l'offre telle que présentée par la société Techim,

- condamner solidairement la société Techim et la société BTSG, ès qualités, aux dépens,

en tout état de cause :

- constater l'abandon par la société Techim de sa demande nouvelle à son encontre de condamnation pour appel abusif,

- déclarer l'appel incident subsidiaire de la société Techim irrecevable car tardif,

- condamner solidairement la société Techim et la SCP BTSG à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux dépens.

La Société générale soutient que l'offre de reprise déposée par la société Techim est contestable et relève que l'ordonnance du juge-commissaire n'est que très légèrement motivée alors que l'article L. 642-20 du code de commerce impose que l'autorisation donnée par le juge-commissaire, qui déroge à une interdiction légale, soit spécialement motivée. Elle prétend que le juge aurait dû envisager les liens extrêmement étroits entre le repreneur et la société débitrice ainsi que le sort des garanties précisant qu'elle bénéficie d'une délégation de la garantie d'actif-passif par acte du 3 juin 2014.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 15 mai 2018, la SCP BTSG² demande à la cour de :

- rejeter toutes les demandes incidentes de la société Techim,

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 25 août 2017 en toutes ses dispositions,

- condamner la Société générale à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Société générale aux dépens, dont distraction au profit de maître D..., AARPI-JRF Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société BTSG² soutient que l'argument développé par la Société générale en application de l'article L. 642-20 du code de commerce est dénué de pertinence puisque ni le deuxième ni le troisième alinéa de cet article n'ont vocation à s'appliquer au cas d'espèce.

S'agissant de la délégation, le liquidateur fait valoir que l'acte de délégation du 3 juin 2014 prévoit en son article 2 qu'il s'agit d'une délégation imparfaite, le délégué, à savoir la société L'Embarri ne s'étant obligée envers les banques qu'à concurrence des sommes dues par la société Embarri2 en sorte que l'engagement contracté ne peut être qualifié de garantie et le juge-commissaire n'avait pas à se prononcer sur le sort de cette délégation imparfaite ni sur le sort du nantissement.

Dans ses dernières conclusions d'intimée afin de rapport à justice déposées au greffe et notifiées par RPVA le 21 mai 2019, la société Techim demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle ne peut plus juridiquement soutenir la confirmation de la décision entreprise et procéduralement maintenir son appel incident,

- lui donner acte de ce qu'elle ne peut que s'en rapporter à justice sur le mérite de la demande de l'appelante visant à voir infirmer l'ordonnance entreprise et refuser son offre, avec toutes ses conséquences de droit,

- condamner tout succombant à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de maître Debray, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Techim soutient que le transfert du bénéfice de la garantie d'actif et de passif fait partie de l'objet même de la cession, ce qui ressort clairement de l'article 3.1 de l'offre de rachat qu'elle a présentée, au même titre que les actions PMG, ce qui est conforme à l'acte de vente initial qui institue cette garantie et qui prévoit en son article 13.4 la faculté de la transférer à tout ayant-droit à titre particulier ou universel d'Embarri2.

Elle prétend que la délégation de la garantie d'actif et de passif au profit de la Société générale est incompatible avec la cession des titres PMG et de la garantie d'actif et de passif intervenu aux termes de l'ordonnance, précisant qu'elle n'avait pas connaissance de cette délégation. Elle estime que le liquidateur a été défaillant à délivrer la garantie légale d'éviction du vendeur en sorte que cette défaillance emporte restitution du prix selon l'article 1630 du code civil, puisqu'il serait inique de lui faire régler un prix incluant les droits à indemnisation résultant de la garantie d'actif et de passif, alors que ces derniers seraient appréhendés par un tiers. Elle soutient que ne pouvant plus solliciter la confirmation de la décision, le liquidateur ayant été défaillant à délivrer la garantie légale d'éviction du vendeur, elle ne peut que s'en rapporter à justice sur le plan procédural.

Par ordonnance d'incident du 12 juin 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les prétentions figurant dans le dispositif des conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA par la société Techim les 15 mars 2018, le 7 juin 2018 et 11 avril 2019, à l'exclusion des demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Le ministère public n'a pas communiqué d'avis au fond.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 octobre 2019.

Pour un plus ample exposé des prétentions des moyens et des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

En préalable, il y a lieu de constater d'une part qu'aux termes de l'ordonnance d'incident du 12 juin 2019 le conseiller de la mise en état a déjà statué sur la recevabilité des prétentions figurant dans les conclusions de la société Techim des 15 mars 2018, le 7 juin 2018 et 11 avril 2019 et d'autre part qu'aux termes de ses dernières conclusions la société Techim ne forme plus d'appel incident en sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la recevabilité de celui-ci.

Les formules figurant au dispositif des conclusions de la société Techim commençant par la locution "donner acte à la société Techim de ce qu'elle..." ne constituent pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile en sorte que la cour, qui n'est saisie d'aucune prétention de la part de cette intimée, autre que celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, n'a pas, conformément à l'article 954 du code de procédure civile, à répondre aux moyens figurant dans la partie discussion des conclusions de la société Techim, étant observé qu'en demandant à la cour de lui donner acte de ce qu'elle ne peut que s'en rapporter à justice sur le mérite de la demande de l'appelante visant à voir infirmer l'ordonnance entreprise et refuser l'offre de la société Techim, cette dernière tente de reformer son appel incident qui a donné lieu à l'ordonnance d'incident susvisé.

Enfin, le liquidateur dans la partie discussion de ses conclusions soulève le défaut d'intérêt à agir de la Société générale tout en demandant à la cour de constater son défaut de 'qualité à agir' et de la déclarer irrecevable en son appel sans toutefois reprendre cette prétention dans le dispositif de ses conclusions, étant également observé que par ordonnance du 14 février 2018 le conseiller de la mise en état a déclaré recevable le recours de la Société générale. La cour, qui ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif conformément à l'article 954 du code de procédure civile, n'a donc pas à répondre au moyen tiré du défaut d'intérêt à agir de la Société générale.

1) sur la motivation de l'ordonnance

L'article L. 642-20 du code de commerce prévoit que les cessions d'actifs réalisées en application des articles L. 642-18 et L. 642-19 sont soumises aux interdictions prévues au premier alinéa de l'article L. 642-3. Toutefois, le juge-commissaire peut, sur requête du ministère public, y déroger et autoriser la cession à l'une des personnes visées à ce texte à l'exception des contrôleurs et du débiteur au titre de l'un quelconque de ses patrimoines. (...)

Le juge-commissaire statue par ordonnance spécialement motivée après avoir recueilli l'avis du ministère public lorsque celui-ci n'est pas l'auteur de la requête.

Contrairement à ce que soutient le liquidateur, l'autorisation donnée par le juge-commissaire de céder des actifs à l'une des personnes visées par l'article L. 642-3 du code de commerce doit être spécialement motivée non seulement lorsque l'auteur de la requête est le liquidateur ou le débiteur, visés à l'article R. 642-39 du code de commerce, mais également lorsque la requête est présentée par le ministère public.

Si dans son ordonnance du 25 août 2017 le juge-commissaire s'est contenté, pour autoriser la cession, de mentionner le chèque de banque remis par la société Techim et l'avis de Mme Y dirigeante de la société Embarri2, l'ordonnance vise néanmoins la requête du ministère public qui elle, est spécialement motivée en ce qui concerne la dérogation à l'article L. 642-20 du code de commerce sollicitée du juge-commissaire pour autoriser la cession des actifs de la société Embarri2 à la société Techim, en sorte que le juge en a adopté les motifs.

Le moyen tiré de l'absence de motivation de l'ordonnance est donc écarté.

2) sur l'offre de reprise

Selon l'ancien article 1275 du code civil applicable au litige, la délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur qui s'oblige envers le créancier, n'opère point de novation, si le créancier n'a expressément déclaré qu'il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation.

L'offre de reprise présentée par la société Techim porte sur :

- l'intégralité des actions PMG détenues par la société Embarri2, représentant 100% du capital et des droits de vote de cette société, avec :

- le bénéfice de la garantie d'actif et de passif stipulée par le contrat d'acquisition par Embarri 2 à MM. A et B de la totalité des actions L'Embarri, tel que signé en date du 3 juin 2014,

étant précisé dans l'offre que les actions PMG et le bénéfice de la garantie d'actif et de passif sont ensemble désignés l'« Actif Repris » et que ces deux éléments forment un tout indivisible.

Dans son ordonnance le juge-commissaire a autorisé la cession des titres de la société PMG dépendant de la liquidation judiciaire de la société Embarri2 au profit de la société Techim sans se prononcer sur tous les termes de l'offre qui comprenait également le bénéfice de la garantie d'actif et de passif.

Or, il appartenait au juge-commissaire de se prononcer sur l'intégralité de l'offre de reprise présentée par la société Techim, ce qu'il n'a pas fait. Il convient en conséquence, d'examiner l'ensemble de l'offre de reprise telle que formulée par la société Techim.

Le contrat de cession des actions de la société L'Embarri passé entre MM. A et B et la société Embarri2 le 3 juin 2014 et qui institue une garantie d'actif et de passif , prévoit en son article 13.4 intitulé 'Bénéficiaires' :

'13.4.1 Les obligations du Garant [M. B] au titre des articles 10 à 13 sont stipulées au bénéfice de l'Acquéreur [la société Embarri2] et de tous ses ayants-droits à titre particulier ou universel, et de toutes sociétés qui lui succéderaient en cas de fusion.

13.4.2 L'obligation d'indemnisation restera applicable en cas de dissolution, d'absorption, d'apport, scission ou de cession de tout ou partie des actifs de l'une des sociétés composant le groupe PMG.'

De son côté, la Société générale produit un acte de délégation du 3 juin 2014, aux termes duquel le

Délégant [la société Embarri2] lui a délégué 'le Délégué [M. B] pour le paiement de toute somme dont le Délégant pourra être redevable aux banques au titre de la convention de prêt, et ce dans la limite des sommes dues par le Délégué au Délégant au titre de la garantie d'actif et de passif (...)'.

Il est expressément convenu dans l'acte que la délégation constitue une délégation imparfaite et n'emporte pas novation de la convention de prêt.

L'offre telle qu'elle a été formulée par la société Techim n'est pas incompatible avec l'acte de délégation conclu le 3 juin 2014 entre la société Embarri2 et la Société générale dès lors que, s'agissant d'une délégation imparfaite qui n'emporte pas novation, le délégataire, la Société générale, conserve ses deux débiteurs, la société Embarri2 et le garant, M. B, la société Techim devenant uniquement bénéficiaire de la garantie d'actif et de passif conformément aux termes du contrat de cession des actions de la société L'Embarri passé entre MM. A et B et la société Embarri2 le 3 juin 2014. La cession des actions PMG détenues par la société Embarri 2 avec le bénéfice de la garantie d'actif et de passif ne nuit pas aux droits de la Société générale, étant observé que retenir le contraire reviendrait à empêcher toute cession des actions de la société Embarri2 dans le cadre de la liquidation judiciaire.

La société Techim est l'une des personnes visées par l'article L. 642-3 du code de commerce puisque son associé unique et dirigeant, M. X, également associé direct de la société Embarri2, est le père de Mme Y dirigeante de la société Embarri 2 elle-même directrice générale de PMG. Il y a lieu de relever que la société Techim est l'unique candidat à la reprise des actions de la société PMG, qu'il n'est pas contesté par l'appelante que le prix proposé, 164 000 euros, est supérieur à la valorisation des titres de PMG effectuée par le cabinet Abergel, qu'il y a urgence à trouver un repreneur des titres en capacité de surmonter la dénonciation des lignes de crédit court terme en restaurant la confiance des banques, en sorte qu'en l'absence d'offre de reprise concurrente, il y a lieu de déroger à l'interdiction prévue à l'article L. 642-20 du code de commerce et d'autoriser la cession des actifs dépendant de la liquidation judiciaire de la société Embarri2 dans les termes de l'offre de reprise présentée par la société Techim, cession qui est conforme à l'intérêt collectif des créanciers, étant précisé qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur le sort du nantissement des actions au bénéfice de la Société générale. C'est donc à bon droit que le juge-commissaire a autorisé ladite cession mais il convient de compléter l'ordonnance conformément au dispositif qui suit pour préciser que la cession porte également sur le bénéfice de la garantie d'actif et de passif.

Il ne peut pas y avoir recouvrement direct des dépens par l'avocat des intimées dans le cadre d'une procédure collective.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par défaut,

Confirme l'ordonnance du juge-commissaire désigné dans la procédure de liquidation judiciaire de la société Embarri2 et la complétant,

Autorise la cession à la société Techim de l'intégralité des actions PMG détenues par la société Embarri2, dépendant de la liquidation judiciaire de la société Embarri2, au prix de 164 000 euros, hors frais et hors charges, payable comptant, avec le bénéfice de la garantie d'actif et de passif stipulée au contrat de cession signé le 3 juin 2014 entre MM. A et B et la société Embarri2,

Dit que les dépens seront employés en frais de liquidation judiciaire,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.