CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mars 2023, n° 21/14111
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Leader Intérim 6911 (SAS), Leader Interim 6912 (SAS), Leader Interim 6910 (SAS)
Défendeur :
Valoris Développement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Richaud
Avocats :
Me Moisan, Me Benoit, Me Vignes, Me De Balmann
La société Valoris Developpement a pour activité l'exploitation d'un réseau d'agences franchisées dans le secteur du service d'intérim, sous l'enseigne Temporis.
M. [C] [Z] a signé avec ce franchiseur un premier contrat le 16 janvier 2007, agissant à titre personnel et pour le compte de la société JSN en cours de formation. Ce contrat l'autorisait à exploiter le concept Temporis pendant une durée de 7 ans sur un territoire exclusif défini dans le contrat et ses avenants, à [Localité 4] et ses alentours.
Un nouveau contrat de franchise a été signé le 6 août 2013 pour une période de 7 ans se terminant le 16 janvier 2021.
M. [C] [Z] a ouvert deux autres agences, au travers les sociétés VLR et CPB, respectivement en 2013 et en 2015.
Le 10 juillet 2020, la société Valoris Developpement a adressé un mail à M. [C] [Z] pour ouvrir la discussion sur la suite des relations ("Voilà bientôt deux septennats que nous collaborons dans le cadre du contrat de franchise Temporis [Localité 4] Nord-Ouest. Le moment est donc venu de nous projeter sous la signature d'un 3e contrat. Notre contrat arrivant à échéance le 15 janvier 2021, j'ai le souhait de connaitre vos aspirations pour les 7 prochaines années. J'aurai plaisir à échanger avec vous sur ce sujet mercredi prochain à l'heure qui convient").
Le même jour, M. [Z], précisant agir tant à titre personnel qu'au nom et pour le compte des sociétés JSN, VLR et CPB lui a, par lettres recommandées avec accusé réception (LRAR), indiqué :
"Il est stipulé à l'article 5.1 du contrat que le contrat prendra fin à son échéance sans formalités préalables et qu'il ne pourra en aucun cas se renouveler par tacite reconduction.
Toutefois, conformément aux dispositions de l'article 5.3 du contrat, dans le cas où le franchisé notifierait sa décision de non-renouvellement, il s'est engagé à donner au franchiseur une option de 3 mois pour lui proposer un prix de rachat de son agence.
Par conséquent, nous vous notifions par la présente notre décision de ne pas renouveler ledit contrat à son échéance, et vous invitons à exercer votre option".
Le 23 novembre 2020, Valoris Développement a interrogé la société JSN et M. [Z] quant à l'éventuelle cession des agences. Le courrier mentionne par ailleurs : "Faute pour vous de solliciter le renouvellement de votre contrat et la reconduction de nos relations -ce à quoi nous étions et restons parfaitement disposés- vous seriez tenu de l'obligation de non-concurrence post-contractuelle de l'article 12-3 du contrat de franchise (...). Dans la mesure où l'échéance du 15 janvier 2021 est assez proche, c'est une opportunité que nous vous offrons de proroger l'actuel contrat de franchise", proposition qui a été déclinée par les intéressés.
Suite au non-renouvellement du contrat de franchise à l'échéance, les intéressés n'ont pu s'accorder sur l'application de cette clause de non-concurrence.
Par acte du 1er mars 2021, la société Valoris Développement a assigné M. [C] [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'injonction, sous astreinte, de cesser pendant un an à compter du 14 janvier 2021 l'activité d'exploitant d'une agence d'intérim dans la totalité des zones d'exclusivité concédées telles que définies à l'annexe 1 du contrat de franchise du 6 août 2013 et de paiement de dommages-intérêts en réparation de la violation de l'obligation de non-concurrence postcontractuelle prévue au contrat.
Par jugement du 23 juin 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la clause de non-concurrence post-contractuelle était applicable en l'espèce,
- Dit que cette clause remplit toutes les conditions posées par l'article L. 341-2 du code de commerce,
- Débouté Monsieur [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB de leur demande de nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle pour disproportion,
- Ordonné à Monsieur [C] [Z], aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser pendant un an à compter du 16 janvier 2021 l'activité d'exploitant d'une agence d'intérim dans la totalité des zones d'exclusivité concédées telles que définies à l'annexe 1 du contrat de franchise du 6 août 2013,
- Ordonné à Monsieur [C] [Z], aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser leur activité selon les termes de la clause de non-concurrence, ce sous astreinte de 500 € par jour ouvrable à compter du 15ème jour après la date de signification du jugement et ce pendant une durée de 90 jours à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit,
- Condamné in solidum Monsieur [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB à payer à la société Valoris Developpement 42.000 € à titre de dommages et intérêts,
- Condamné in solidum Monsieur [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB à payer à la société Valoris Developpement la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- Ordonné l'exécution provisoire.
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- Condamné in solidum Monsieur [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 20 juillet 2021, M. [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 décembre 2022, M. [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB, demandent à la Cour de :
Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile,
Vu les articles 1134 et s. anciens du code civil,
Vu le règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010,
Vu l'article L. 341-2 du code de commerce,
Infirmer le jugement rendu le 23 juin 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
- Dit que la clause de non-concurrence post-contractuelle est applicable en l'espèce et remplit toutes les conditions posées par l'article L. 341-2 du code de commerce,
- Débouté M. [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB de leur demande de nullité de la clause pour disproportion,
- Ordonné à M. [Z], aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser pendant un an à compter du 16 janvier 2021 l'activité d'exploitant d'une agence d'intérim dans la totalité des zones d'exclusivité concédées telles que définies à l'annexe 1 du contrat de franchise du 6 août 2013,
- Condamné in solidum M. [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB à payer à la société Valoris Developpement 42.000 € à titre de dommages-intérêts, outre 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens,
- Débouté M. [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
Et, statuant à nouveau :
Déclarer que la clause de non-concurrence post-contractuelle du contrat de franchise Temporis ne remplit pas les conditions de validité imposées par l'article L. 341-2 du Code de commerce,
Déclarer que la clause de non-concurrence post-contractuelle du contrat de franchise Temporis est disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur,
Par conséquent,
Déclarer que ladite clause est nulle et doit être réputée non-écrite et dans tous les cas, inopposable aux défendeurs,
Débouter la société Valoris Developpement de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement,
Infirmer, le jugement du 23 juin 2021 en ce qu'il a ordonné à Monsieur M. [Z], aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser leur activité selon les termes de la clause de non-concurrence, ce sous astreinte de 500 € par jour ouvrable à compter du 15ème jour après la date de signification dudit jugement et ce pendant une durée de 90 jours à l'issue de laquelle il pourra à nouveau être fait droit, et condamné in solidum Monsieur M. [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB à payer à la société Valoris Developpement 42.000 € à titre de dommages-intérêts,
Statuant à nouveau,
Réduire l'indemnité sollicitée par la société Valoris Developpement à de plus justes proportions,
En tout état de cause,
Condamner la société Valoris Developpement à M. [Z] et à la société JSN la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 décembre 2022, la société Valoris Developpement demande à la Cour de :
Débouter les appelants de leurs recours à toutes fins qu'il comporte ;
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a apprécié la validité de la clause de non-concurrence au regard de l'article L. 341-2 du code de commerce et en ce qu'il a limité à la somme de 42 000 € le montant des dommages et intérêts auxquels la société Valoris Developpement pouvait prétendre ;
Dire que la clause de non-concurrence post-contractuelle est applicable en l'espèce;
Dire et juger licite la clause non-concurrence post-contractuelle à laquelle ne s'applique pas les dispositions de l'article L. 341-2 du code de commerce ratione materiae ;
Subsidiairement et pour le cas où il serait jugé que la validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle doit s'apprécier ratione materiae au regard des dispositions de l'article 341-2 du code de commerce, dire que ledit article ne saurait s'appliquer ratione temporis, la loi du n° 2015-990 du 6 août 2015 n'étant pas rétroactive et ne pouvant s'appliquer à un contrat conclu en date du 6 août 2013 ;
Plus subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il dit que la clause remplit toutes les conditions posées par ledit article L. 341-2 du code de commerce ;
Confirmer en toute hypothèse le jugement en ce qu'il a ordonné à Monsieur [Z] et aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser pendant un an à compter du 16 janvier 2021 l'activité d'exploitant d'une agence d'intérim dans la totalité des zones d'exclusivité concédées telles que définies à l'annexe 1 du contrat de franchise du 6 août 2013 et ordonné aux mêmes de cesser leur activité selon les termes de la clause de non-concurrence, ce sous astreinte de 500 € par jour ouvrable à compter du 15ème jour après la date de signification de la présente décision et ce pendant une durée de 90 jours à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit ;
Confirmer par ailleurs le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la société Valoris Developpement une indemnité pour violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle et, réformant ledit jugement sur le quantum, élever à la somme de 100 000 € le montant des dommages et intérêts ;
Condamner en conséquence Monsieur [Z] et les sociétés JSN, V.L.R. et CPB in solidum à payer à la société Valoris Developpement la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Condamner Monsieur [C] [Z] et les sociétés JSN, V.L.R. et CPB à payer à la société Valoris Developpement la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Monsieur [C] [Z] et les sociétés JSN, V.L.R. et CPB aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2022.
MOTIVATION
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
Sur l'applicabilité de la clause de non-concurrence.
Exposé du moyen :
M. [C] [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB soutiennent que la société Valoris Developpement n'a pas respecté le formalisme prévu au contrat pour exprimer sa volonté de renouvellement, rendant inapplicable la clause de non-concurrence post-contractuelle prévue. En effet, le dernier alinéa de l'article 12.3 du contrat de franchise stipule expressément que l'obligation de non-concurrence ne s'applique pas dans l'hypothèse où, à l'échéance du contrat, le franchiseur ne souhaite pas renouveler le contrat de franchise. Selon eux, eu égard aux dispositions des articles 5.2 et 17 dudit contrat, si la société Valoris Developpement souhaitait le renouveler, elle se devait de notifier son intention à M. [Z] et ses sociétés, par LRAR ou par acte d'huissier six mois au moins avant son échéance, soit avant le 15 juillet 2020.
Ils ajoutent que le premier contrat de franchise (du 16 janvier 2007) contenait des stipulations analogues et que lors du renouvellement de ce contrat, Valoris Developpement avait bien pris soin d'écrire par LRAR le 5 mars 2013, soit plus de 10 mois auparavant (pièce San Nicolas n° 4). Ils font valoir aussi, justificatifs à l'appui, que les recommandés de non-renouvellement adressés par la partie adverse ne lui sont parvenus que le 16 juillet 2021 (Pièce San Nicolas n° 18).
La société Valoris Developpement fait valoir en réponse que la clause de non-concurrence est applicable dès lors que la dirigeante a adressé à M. [Z] le 10 juillet 2020 un courriel évoquant l'avenir de leur relation et que c'est l'intéressé qui, le même jour, en adressant des LRAR notifiant à la société Valoris Developpement la décision de ne pas renouveler le contrat, est clairement à l'origine de la rupture.
Réponse de la Cour :
L'article 12.3 du contrat de franchise litigieux stipule :
«(A)fin de préserver le savoir-faire, la réputation, l'identité commune et l'image de marque TEMPORIS, le franchisé s'interdit de poursuivre l'activité de services d'intérim et ce pendant une durée d'une année à compter de la cessation des relations contractuelles.
Cette obligation n'est assortie d'aucun droit à indemnité au profit du franchisé et s'applique au territoire géographique exclusif concédé au franchisé et tel que déterminé dans l'annexe 1.
Elle s'applique à la société franchisée mais également à la personne désignée à titre personnel et intervenue aux présentes et à tous les associés actuels et à venir du franchisé.
Cette obligation ne s'appliquera pas dans l'hypothèse où, à l'échéance du contrat, le franchiseur ne souhaite pas renouveler le contrat du franchisé ».
Au cas présent, le franchiseur a, à deux reprises, par mail du 10 juillet 2020 puis par courrier 23 novembre 2020, ouvert positivement la discussion sur un troisième renouvellement du contrat de franchise, ne manifestant aucune intention de ne pas le renouveler.
Dans le même temps, le franchisé, se référant dans les deux cas à l'article 5.3 du contrat de franchise, a fait connaitre par LRAR, le 10 juillet 2020 et le 8 décembre 2020, sa décision de ne pas renouveler le contrat à son échéance, le 15 janvier 2021.
M. [C] [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB soutiennent qu'il appartenait au franchiseur d'exprimer sa volonté de renouvellement par LRAR, au motif que l'article 17 SIGNIFICATION-NOTIFICATION-MISE EN DEMEURE du contrat de franchise stipule que "toute signification", "notification" avec ou sans mise en demeure, devra se faire obligatoirement par lettre recommandée avec accusé de réception (...). La "notification" peut également s'effectuer par acte d'huissier".
Force est de constater, cependant, que l'article 12.3 CLAUSE DE NON-CONCURRENCE du contrat de franchise n'emploie ces termes à aucun moment.
Le terme "notifier" est certes utilisé aux articles 5.2 et 5.3 du contrat, mais ces derniers portent sur des dispositions spécifiques de nature financière ("en cas de renouvellement du contrat de franchise" : droit de renouvellement d'un montant égal à la différence entre la R.I.F en vigueur lors de la signature du nouveau contrat et la R.I.F payée précédemment ; "dans le cas où le franchisé notifierait sa décision de renouvellement" : prix de rachat de l'agence sans la valorisation de l'enseigne Temporis). Il s'en suit que l'existence de l'obligation de non-concurrence post-contractuelle ne dépend pas de ces dispositions.
Il se déduit de l'ensemble que l'obligation de non-concurrence post-contractuelle ne s'applique pas dans une seule hypothèse, laquelle est prévue au dernier alinéa de l'article 12.3 du contrat de franchise (lorsque "à l'échéance du contrat, le franchiseur ne souhaite pas renouveler le contrat du franchisé"), sans que cette disposition ne prévoit de formalisme spécifique obligatoire quant à la manière dont le franchiseur fait, pour l'application dudit article, connaître son souhait de ne pas renouveler le contrat à son échéance.
En l'espèce, il est constant que le franchiseur souhaitait renouveler le contrat, et que c'est le franchisé qui ne l'a pas souhaité. La clause de non-concurrence trouve donc à s'appliquer.
Le jugement attaqué est confirmé sur ce point.
Sur la validité de la clause de non-concurrence et les demandes consécutives formulées
Exposé du moyen :
M. [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB prétendent, d'abord, que l'article L. 341-2 du code de commerce issu de la loi du 6 août 2015 serait applicable en l'espèce, la société Valoris Developpement visant cette disposition dans l'assignation en référé d'heure à heure qu'elle leur a fait délivrer le 15 janvier 2021 aux fins d'injonction de cesser leur activité de travail temporaire sous astreinte (demande à laquelle il n'a pas été fait droit). Ils précisent aussi qu'une agence du réseau Temporis peut être considérée comme un commerce de détail. La clause de non-concurrence post-contractuelle serait illicite car non conforme à deux des quatre conditions cumulatives précisées dans l'article :
- la clause ne respecterait pas la limitation géographique exigée par l'article : l'obligation de non-concurrence ne serait licite qu'à la condition d'être limitée dans l'espace au point de vente dans lequel le franchisé exploitait son activité ;
- la clause ne serait pas indispensable à la protection du savoir-faire du franchiseur, déjà suffisamment protégé par une clause de confidentialité et une clause de non-affiliation.
Les appelants soutiennent ensuite qu'en toute hypothèse, en application de la jurisprudence, la clause est illicite car disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur.
Ils soutiennent plus spécifiquement qu'une agence de travail temporaire est une activité de proximité et qu'elle ne peut pas être exercée sur un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres, car le niveau de qualification et de formation des intérimaires dépend énormément du tissu socio-démographique et économique du territoire sur lequel est implanté l'agence. Compte tenu de la concurrence existante, les intérimaires ne feront pas le déplacement de plusieurs kilomètres pour suivre une agence dans laquelle ils sont inscrits. En délocalisant son agence hors de son ancienne zone, l'ancien franchisé Temporis a donc bien plus à perdre que simplement les entreprises clientes situées sur son ancien secteur, étant par ailleurs rappelé que depuis l'arrêt Trevision (Civ, 3e, 27 mars 2002, n°00-20732), la propriété du franchisé sur la clientèle locale est reconnue. Ils observent aussi qu'en application de l'article L. 251-4 du code de commerce, une entreprise de travail temporaire ne peut exercer aucune autre activité que le placement de salariés, ce qui empêche toute velleité de reconversion.
Les appelants en déduisent que le véritable but de la clause de non-concurrence de l'article 12.3 du contrat de franchise Temporis n'est pas de protéger les intérêts légitimes du franchiseur mais de restreindre la liberté d'entreprendre de ses anciens franchisés et de récupérer leur clientèle sans racheter leur fonds de commerce.
La société Valoris Developpement conteste l'applicabilité de l'article L. 341-2 du code de commerce issu de la loi du 6 août 2015 dès lors que le contrat de franchise dont les dispositions sont en cause a été conclu le 6 août 2013.
Elle ajoute que dans un précédent litige l'opposant un franchisé à un Temporis, le tribunal de commerce de Paris a prononcé une injonction de cesser pendant un an l'exploitation d'une agence d'intérim dans la totalité des zones d'exclusivité concédées telles que définies à l'annexe 1 des deux contrats, et que par ordonnance du 17 avril 2019 qu'elle verse aux débats, la cour d'appel a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée.
Réponse de la Cour :
S'agissant, en premier lieu, de l'application de l'article L. 341-2 du code de commerce dans le temps, la Cour constate que cette disposition a été créée par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, laquelle dispose, dans son article 31-II, qu'elle s'applique à l'expiration d'un délai d'un an à compter de sa promulgation.
Or la loi nouvelle ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, inexistante en l'espèce, remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été passé (Cass. com., 16 février 2022, n° 20-20.429).
C'est à tort, en conséquence que le tribunal a, dans la décision attaquée, fait application de cet article.
S'agissant, en second lieu, des principes dégagés antérieurement à la loi du 6 août 2015, il convient de constater qu'il n'est pas démontré que la clause figurant à l'article 12.3 du contrat signé le 6 août 2013 figure dans tous les contrats de franchise Temporis, et qu'elle est susceptible d'affecter la totalité du territoire français, partie substantielle du marché de l'Union européenne.
Pour autant, la non-application du règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 relatif à l'exemption de certaines catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ne change pas les critères d'appréciation de la clause en droit national, qui sont identiques à ceux du règlement, lequel fournit un guide d'analyse utile.
De jurisprudence constante, les clauses de non-concurrence post-contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d'assurer la protection du savoir-faire transmis, qui ne doit profiter qu'aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d'exercice de l'activité.
Ces clauses et celles de confidentialité ont des objets distincts dans la mesure où la clause de non-affiliation vise à empêcher la communication du savoir-faire et à préserver le caractère secret, tandis que la clause de confidentialité vise à interdire l'exploitation du savoir-faire. Le franchiseur peut donc, sans enfreindre le principe de proportionnalité, prévoir les deux types de clause pour protéger son savoir-faire.
La clause de non-concurrence doit cependant rester proportionnée à l'objectif qu'elle poursuit.
Une clause de non-concurrence, en ce qu'elle porte atteinte au principe de la liberté du commerce, doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier (quant à la protection du savoir-faire transmis et à la faculté de concéder à un autre franchisé le territoire d'exclusivité concerné) et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c'est-à-dire être limitée quant à l'activité, l'espace et le lieu qu'elle vise. Elle doit de surcroît, au regard de la mise en balance de l'intérêt légitime du créancier de non-concurrence et de l'atteinte qui est apportée au libre exercice de l'activité professionnelle du débiteur de non-concurrence, être proportionnée. Elle ne doit donc pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts du débiteur, outrepassant la nécessaire protection du savoir-faire du créancier.
C'est à juste titre que le tribunal a retenu, dans la décision attaquée, par des motifs que la Cour s'approprie, que le savoir-faire de Valoris Développement était établi, étant relevé que l'intimée verse de nouveau aux débats les pièces venant en attester (pièces Valoris n° 33 à 43) ainsi que les annexes 2 ("description du concept") et 3 ("les 5 métiers de l'organisation du franchiseur - Le savoir-faire du concept Temporis") du contrat du contrat de franchise. Cependant, cette circonstance ne suffit pas à rendre l'article 12.3 du contrat licite.
Les appelants observent justement que dans le précédent de contrat de franchise Temporis du 16 janvier 2007 (pièce San Nicolas n° 2), seule une obligation de non-affiliation et de non-création d'un réseau concurrent était imposée au franchisé. Or il n'est pas utilement contesté par le franchiseur qu'aucune évolution fondamentale du savoir-faire de Valoris Développement n'est intervenue depuis, étant de surcroît relevé qu'ainsi qu'il est mentionné dans l'annexe 3 du contrat du 6 aout 2013, la transmission du savoir-faire Temporis se fait en grande partie pendant les 4 semaines de présence du franchisé et de son équipe au siège du franchiseur et sur l'agence pilote, soit lors de la "formation intégration" qui est suivie initialement.
La majeure partie du savoir-faire de Valoris Developpement parait par ailleurs reposer sur l'utilisation d'une suite de logiciels de comptabilité, de paie et de reporting, sur l'accès en ligne au MANOP (Manuel opérationnel, remis à jour en permanence), sur des "rapports de suggestion d'amélioration", sur le dialogue établi au cours de réunions de concertation, de réunions régionales et de la convention, complété au quotidien par la hotline et la présence d'animateurs sur le terrain, ainsi que sur le role conféré à Valoris Développement pour tous les achats, soit un ensemble de services qui ne sont accessibles que pendant la durée du contrat de franchise.
En outre, le tissus des agences d'intérim est dense dans l'agglomération lyonnaise et le franchiseur ne démontre pas en quoi son savoir-faire nécessite une protection dans l'ensemble du territoire d'exclusivité, qui comprend 4 arrondissements de [Localité 4] et 13 cantons du secteur [Localité 4] ouest et correspond selon l'annexe 1 à un bassin d'emploi de 239 167 personnes.
La Cour retient que la clause de non-concurrence litigieuse, par son étendue géographique (limitation au territoire exclusif concédé au franchisé, soit la zone [Localité 4] Ouest décrite dans l'annexe n° 1 du contrat de franchise) est disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes du franchiseur et porte une restriction excessive à la liberté d'exercice de l'activité de prestation de service aux intérimaires et aux sociétés utilisatrices de travail temporaire, une interdiction d'exercer l'activité identique dans un périmètre beaucoup plus restreint s'avérant au cas présent suffisante pour éviter tout risque de concurrence entre les enseignes ayant une activité identique ou similaire aux agences en franchise.
En conséquence, la clause de non-concurrence figurant à l'article 12-3 du contrat de franchise conclu le 6 août 2013 porte, dans ses paragraphes 2, 3 et 4 une atteinte excessive à la liberté du franchisé, laquelle outrepasse la protection des intérêts légitimes du franchiseur.
Il y a lieu de l'annuler et de débouter en conséquence Valoris Developpement de ses demandes de dommages et intérêts et de cessation sous astreinte de l'activité de Monsieur [C] [Z] et des sociétés JSN, VLR et CPB.
Sur les dépens, les frais irrépétibles et l'exécution provisoire.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné solidum Monsieur [C] [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB aux dépens de première instance et à payer à la société Valoris Developpement la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Valoris Developpement, qui succombe en toutes ses prétentions, sera condamnée aux dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [C] [Z] et de la société JSN les frais irrépétibles qu'ils a contraints d'exposer pour faire valoir leurs droits en justice. Valoris Developpement sera en conséquence condamnée à leur verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande d'infirmation de l'exécution provisoire ordonnée en première instance est sans objet.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire.
Infirme le jugement du tribunal en ses dispositions qui lui sont soumises, mais seulement en ce qu'il a :
- Dit que la clause de non-concurrence post-contractuelle remplit toutes les conditions posées par l'article L. 341-2 du code de commerce,
- Débouté Monsieur [C] [Z] et les sociétés JSN, VLR et CPB de leur demande de nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle pour disproportion,
- Ordonné à Monsieur [C] [Z] et aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser pendant un an à compter du 16 janvier 2021 l'activité d'exploitant d'une agence d'intérim dans la totalité des zones d'exclusivité concédées telles que définies à l'annexe 1 du contrat de franchise du 6 août 2013,
- Ordonné à Monsieur [C] [Z] et aux sociétés JSN, VLR et CPB de cesser leur activité selon les termes de la clause de non-concurrence, sous astreinte de 500 € par jour ouvrable à compter du 15ème jour après la date de signification du jugement et pendant une durée de 90 jours à l'issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit,
- Condamné in solidum Monsieur [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB à payer à la société Valoris Developpement 42.000 € à titre de dommages et intérêts,
- Condamné in solidum Monsieur [C] [Z], les sociétés JSN, VLR et CPB à payer à la société Valoris Developpement aux dépens et à la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
- Ecarte l'application de l'article L. 341-2 du code de commerce ;
- Dit que la clause de non-concurrence post-contractuelle est disproportionnée par rapports aux intérêts légitimes du franchiseur et l'annule ;
- Déboute la société Valoris Developpement de ses demandes de dommages et intérêts et de condamnation sous astreinte ;
- Condamne Valoris Developpement à verser à Monsieur [C] [Z] et à la sociétés JSN la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Valoris Developpement aux dépens.