CA Montpellier, ch. com., 12 avril 2022, n° 19/06622
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Llevant Immobilier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mme Bourdon, Mme Rochette
Avocats :
Me Porte, Me Auche Hedou
FAITS et PROCÉDURE - MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES:
La SAS Llevant immobilier, immatriculée le 9 février 2017, a pour associés: Y X, détenant
51 % des actions, C A, en détenant 46 % et B A en détenant 3 %.
M. X a été désigné en qualité de président lors de l'adoption des statuts en janvier 2017.
La société Llevant immobilier exerce principalement une activité de lotisseur et de promoteur immobilier.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 juin 2018, M. X a convoqué l'assemblée générale d'approbation des comptes 2017 avec à l'ordre du jour une proposition de résolution sur la fixation de la rémunération du président.
Cette assemblée générale a adopté par 510 voix pour (M. X) et 490 voix contre (C A et B A) une quatrième résolution fixant la rémunération fixe du président à hauteur de 5 000 euros par mois à compter du 1er août 2018.
Par courrier en date du 13 novembre 2018, MM. A ont mis en demeure M. X et la société Llevant immobilier d'engager une discussion afin de régler amiablement le litige concernant, notamment, le vote de la rémunération du président.
Les parties ont poursuivi des échanges épistolaires.
Par ordonnance de référé en date du 8 avril 2019, le président du tribunal de commerce de Perpignan, saisi par MM. A, a dit n'y avoir lieu à référé.
Par acte d'huissier du 1er mars 2019, MM. A ont assigné M. X et la société Llevant immobilier devant le tribunal de commerce de Perpignan en vue d'obtenir l'annulation de la résolution sur la rémunération du président.
Ce tribunal, par jugement du 2 septembre 2019, a :
'- dit régulière la fixation de la rémunération du président votée lors de l'assemblée générale du 29 juin 2018,
- dit que cette rémunération fixe mensuelle de 5 000 euros doit être considérée comme un traitement brut,
- condamne M. X à restituer à la SAS Llevant immobilier toutes les sommes déjà prélevées sur la société au-delà de la rémunération d'un montant de 5 000 euros bruts sur la période du 1er août 2018 au 31 décembre 2018,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts,
- débouté M. C A et M. B A de leurs autres demandes,
- débouté la SAS Llevant et M. X de l'intégralité de leurs demandes,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- alloué à M. C A et M. B A la somme de 1 000 euros pour chacun, qui leur sera versée par M. X,
- condamné M. X aux dépens de l'instance (...).'
C A et B A ont régulièrement relevé appel, le 4 octobre 2019, de ce jugement.
Ils demandent à la cour, en l'état de leurs conclusions déposées et notifiées le 21 janvier 2022 par voie électronique de :
'- vu les articles 1103, 1104, 1193 et 1240 du code civil, L. 227-9 du code de commerce,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation et en conséquence,
- prononcer l'annulation de la 4ème résolution de l'assemblée générale du 29 juin 2018 fixant une 'rémunération fixe mensuelle de 5000 euros à compter du 1er août 2018",
- condamner M. X à restituer sans délai à la société Llevant immobilier, l'intégralité des rémunérations qu'il a effectivement prélevées en application de ladite résolution, ainsi que l'intégralité des charges et cotisations afférentes à cette rémunération soit la somme brute totale estimée de 8 250 euros, chaque mois depuis le vote de la résolution, sauf à M. X de produire enfin copie des bulletins de salaires et des déclarations sociales de la société Llevant immobilier afin de justifier du montant réel à restituer par lui, cette condamnation sera assortie des intérêts légaux à compter de la décision à intervenir avec capitalisation par année entière,
- très subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande en condamnation de M. X à restituer à la société l'intégralité des sommes supportées par la société au-delà d'un salaire de 5 000 euros brut,
- l'infirmer en ce qu'il a limité la restitution au 31 décembre 2018 sans aucune motivation,
- condamner a minima M. X à respecter la résolution telle qu'elle a été votée soit le versement d'une rémunération d'un montant de 5 000 euros brut,
- en conséquence, condamner M. X à restituer à la société Llevant immobilier toutes les sommes déjà prélevées sur la société au-delà de la rémunération d'un montant de 5000 euros brut suivant les états comptables à justifier,
- en tous les cas, infirmer le jugement en ce qu'il a refusé d'ordonner la capitalisation des intérêts, celle-ci étant de droit lorsqu'elle est demandée,
- condamner M. X à indemniser M. C A et M. B A à hauteur de 10 000 euros au titre du préjudice moral généré par cet abus de majorité et le respect des dispositions légales,
- en tous les cas, rejeter l'appel incident des intimés visant à voir infirmer la décision en ce qu'elle fait droit partiellement aux demandes des appelants et débouter ces derniers de celles-ci et en ce qu'elle a rejeté leurs demandes à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- en conséquence, débouter la société Llevant immobilier et M. Bailly de l'ensemble de leurs demandes (...) à leur encontre, dont la demande formée au titre de 'procédure abusive',
- condamner M. X à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel.'
Au soutien de leur appel, ils font essentiellement valoir que :
- les statuts de la société Llevant immobilier prévoit une rémunération fixée 'lors de la décision de nomination', or, la nomination de M. X en qualité de président résulte des statuts d'origine qui ne mentionnent aucune rémunération, de plus, il a expressément donné son accord pour ne percevoir aucune rémunération, la résolution relative à la rémunération est donc nulle, comme contraire aux statuts,
- le projet de résolution ainsi que la convocation à l'assemblée générale devaient déterminer les modalités de la rémunération conformément aux statuts, ce qui n'est pas le cas,
- faute de toute précision dans les statuts, la convocation ou le procès-verbal d'assemblée, une rémunération est exprimée en brut et les prélèvements au-delà d'une rémunération de 5 000 euros brut doivent être restitués, la résolution relative à la rémunération est donc nulle pour défaut d'information préalable nécessaire,
- la résolution votée constitue un abus de majorité,
- puisque elle est contraire à l'intérêt social ; M. X en qualité d'associé majoritaire, s'est octroyé une rémunération élevée alors que la société qui avait moins de deux ans d'activité faisait état d'un bilan déficitaire (comptes de l'exercice 2017 :-16 192 euros et capitaux propres devenus de ce fait inférieurs à la moitié du capital social) et qu'il ne développe plus l'activité de la société depuis 2018, se consacrant à d'autres sociétés concurrentes de la société Llevant immobilier, en qualité de directeur général (et ce sans lien avec la crise sanitaire),
- puisqu'elle porte atteinte aux droits des associés minoritaires, constituant un avantage indu, ceux-ci ayant prêté des sommes conséquentes pour le démarrage de l'activité et M. A C ayant travaillé au développement de l'activité de la société Llevant immobilier et subissant un préjudice moral,
- M. X a eu le même comportement prédateur dans la société «jumelle» Eole aménagement au sein de laquelle, outre un salaire élevé et un véhicule haut de gamme, il a révoqué M. C A,
- M. X n'apporte pas la preuve de ce qu'il a exécuté la décision rendue par le tribunal le 2 septembre 2019.
Formant appel incident, M. X et la société Llevant immobilier sollicitent de voir, aux termes de leurs conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 14 janvier 2022 :
-'vu les articles 1103 et suivants, 1240 du code civil,
- confirmer la décision du tribunal de commerce de Perpignan du en ce qu'elle a :
* rejeté la demande d'annulation de la convocation à l'assemblée générale du 29 juin 2018 et de la résolution fixant la rémunération de M. X,
* rejeté l'existence d'un abus de majorité,
* rejeté la demande d'indemnisation du préjudice de M. C A et M. B A,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
* condamné M. X à restituer les sommes prélevées sur la société au-delà de la rémunération d'un montant de 5 000 euros brut,
* débouté M. X de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive,
* condamné M. X à une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700,
- débouter M. C A et M. B A de la totalité de leurs demandes,
- condamner solidairement M. C A et M. B A au paiement de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner solidairement M. C A et M. B A au paiement de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement M. C A et M. B A aux entiers dépens'.
Ils exposent en substance que :
- MM. A ont été régulièrement convoqués à l'assemblée générale, et ont reçu les informations nécessaires sur l'activité de la société avant sa tenue, notamment concernant les projections 2018 (réunion du 3 juillet 2018) et avaient accès aux comptes bancaires,
- contrairement à un salaire, aucune règle, ni aucun texte n'indique qu'à défaut de précision, la rémunération d'un mandataire social s'entend en brut, en outre, les associés minoritaires étaient informés depuis au moins juillet 2018 que le montant de cette indemnité était exprimé hors charges,
- au demeurant, ils se sont opposés à la décision de fixation de l'indemnité et ne peuvent soutenir avoir été trompés,
- M. X a été nommé statutairement pour une durée indéterminée, les statuts ne précisant aucune rémunération, il revenait à l'assemblée générale de fixer cette dernière,
- la résolution n'est pas contraire à l'intérêt social, n'étant pas excessive, puisque le résultat net comptable pour l'exercice 2018 s'élevait à 309 572 euros et qu'elle n'a pris effet qu'à compter du 1er août 2018 (bilan 2018 : résultat net comptable : 309 572 euros),
- la rémunération ne défavorise pas les minoritaires et ne favorise pas l'associé majoritaire puisqu'elle rémunère un mandat social effectif,
- MM. A n'apportent pas la preuve d'un préjudice moral justifiant l'octroi de dommages et intérêts (le fils étant salarié de la société GGL jusqu'en mars 2018) et tentent d'entretenir la confusion avec des éléments concernant une société distincte,
- M. X a exécuté la décision de première instance.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 25 janvier 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1- L'article L. 223-7 du code de commerce prévoit que les décisions sont prises en assemblée, étant convoquées dans les formes et délais fixées aux articles R. 223-18 et suivants.
L'article 18 des statuts de la société Llevant immobilier prévoit que le président peut percevoir une rémunération, dont les modalités sont fixées par la décision de nomination et si la désignation statutaire de M. X n'a fixé aucune rémunération, l'article 23, qui suit, prévoit que la collectivité des associés est seule compétente pour prendre des décisions sur la rémunération du président de sorte que le vote d'une telle rémunération par une assemblée générale, alors que sa fixation par les statuts est une simple possibilité, n'est pas contraire aux statuts.
L'article 27 de ces statuts prévoit que les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité simple des voix, à l'exception des décisions entraînant modification des statuts.
C A et B A ont été destinataires du texte de la résolution proposée, concernant la rémunération du président, figurant dans la lettre de convocation, datée du 14 juin 2018, ainsi que des documents comptables et rapports requis, avant la date de l'assemblée générale ordinaire du 29 juin 2018.
Il résulte d'un courriel en date du 27 juin 2018 et d'une attestation de l'expert-comptable de la société en date du 21 mars 2019, que C A envisageait également une rémunération pour lui-même (salaire ou dividendes) et qu'il avait connaissance, lors de l'assemblée générale critiquée, des résultats prévisibles pour l'exercice 2018 (devant être arrêtés le 30 septembre suivant).
C A et B A ne contestent pas qu'ils avaient accès aux comptes bancaires de la société, ce dernier, suivant la convention de compte avec l'établissement bancaire, pouvant consulter les comptes courants et comptes titre de celle-ci.
Cette assemblée générale a adopté la résolution relative à la rémunération du président à la majorité simple des voix, MM. A, auxquels il appartenait, le cas échéant, de solliciter tout élément d'information complémentaire, s'y étant opposés.
Ainsi, aucun défaut d'information préalable des associés n'est établi.
En l'absence de tout élément de calcul, la rémunération proposée ne pouvait correspondre qu'au montant du salaire brut, s'agissant pour les associés, de définir une charge pour la société de sorte que M. X doit restituer la rémunération qu'il a perçue au-delà de la somme mensuelle de 5 000 euros brut entre le 1er août 2018 et le 31 décembre 2018, seule la délibération relative à la rémunération du gérant fixée par l'assemblée générale du 29 juin 2018 étant contestée (les délibérations des assemblées générales suivantes précisant, au demeurant, qu'il s'agit d'une rémunération nette) et la demande des appelants au titre de la fixation de la rémunération pour les exercices postérieurs devant, ainsi, être rejetée.
Une résolution d'assemblée d'actionnaires peut être annulée sur le fondement de l'abus de majorité s'il est établi qu'elle a été prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment de ceux de de la minorité.
La détermination de la rémunération du dirigeant par l'assemblée des associés, qui ne constitue pas une convention réglementée, ce dernier pouvant, ainsi, prendre part au vote sans que cela ne constitue, en soi, un abus de majorité même si ce dernier est associé majoritaire.
La société Llevant immobilier et M. Bailly établissent que malgré un résultat déficitaire en 2017 (-16 192 euros), le résultat net comptable pour l'exercice 2018 s'élevait à 309 572 euros et que la rémunération ne prenait effet qu'à compter du 1er août 2018. Le montant de cette rémunération ne peut être critiqué au regard des résultats postérieurs de la société, celui-ci ayant été, au demeurant, diminué à 2 500 euros nets par mois à compter du 1er septembre 2020, le résultat net étant de 15 186 euros sur l'exercice 2019 (vente de trois lots) et de - 123 880 euros pour l'exercice 2020 (aucun chiffre d'affaire).
MM. A font état de sommes conséquentes avancées à la société lors du démarrage de son activité sans contester avoir été destinataire, chacun, d'un remboursement de leur compte courant d'associé respectif en septembre 2018, correspondant auxdits apports.
M. C A ne conteste pas qu'il était salarié d'une société tierce jusqu'en février 2018 et qu'à compter du mois de mars suivant, il est devenu directeur général (sans rémunération) d'une autre société, la société Eole aménagement, dans laquelle il était également associé avec M. X de sorte que la fixation d'une rémunération pour ce dernier, à l'encontre duquel le reproche de l'absence de toute activité au-delà de la commercialisation des programmes initiaux pourrait être le reflet du présent contentieux et est, en partie, contredit par une offre d'achat de locaux commerciaux en date du 2 décembre 2020 (indépendamment du succès ou pas de cette opération), ne remet pas en cause son propre investissement dans cette société et ne peut fonder un préjudice d'ordre moral pour les appelants.
Enfin, outre qu'ils n'établissent pas son caractère disproportionné et infondé, MM. A ne rapportent pas en quoi cette rémunération serait susceptible de porter atteinte à la répartition des bénéfices entre les actionnaires.
Ainsi, la résolution litigieuse n'étant ni contraire aux statuts, ni à l'intérêt social, ne découlant pas d'un défaut d'information préalable des associés et ne portant pas atteinte aux droits de ceux qui sont minoritaires, elle n'encoure aucune nullité.
Les demandes des appelants tendant à l'annulation de cette résolution et à l'allocation de dommages intérêts pour préjudice moral seront donc rejetées.
M. X justifiant avoir remboursé les sommes perçues au-delà d'une rémunération à hauteur de 5 000 euros mensuels bruts entre le 1er août et le 31 décembre 2018 tandis que les intérêts au taux légal n'ayant couru que depuis le jugement rendu par le premier juge le 2 septembre 2019 et la capitalisation sollicitée n'étant acquise qu'à l'issue d'une année entière alors que le remboursement est intervenu concommitamment à la condamnation en septembre et octobre de cette même année, la demande fondée sur les dispositions de l'article 1343-2 du code civil ne pourra prospérer.
Par ces motifs, le jugement sera confirmé dans toutes ses dispositions.
2- La société Llevant Immobilier et M. Bailly ne justifiant pas que l'action en justice exercée par MM. A soit le fruit de la malice, de la mauvaise foi ou le résultat d'une erreur grossière et qu'ayant dégénéré en abus, elle ait été source de préjudice, leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
3- Succombant dans leur appel, M. C A et M. B A seront condamnés aux dépens et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 2 000 euros, leur demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 2 septembre 2019,
Rejette l'ensemble des demandes de C A et B A,
Condamne C A et B A à payer à la SAS Llevant immobilier et Monsieur Y X la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de MM. A fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne MM. A aux dépens d'appel.